Yvelines (78)

Véronique Garnier : « Nous défendons une territorialisation de la politique de la santé » !

Publié le 21/12/2022

L’Association des maires d’Île-de-France (Amif) a travaillé depuis octobre 2021 sur la thématique de la santé. L’objectif était de répondre au phénomène de désert médical qui touche les 2/3 de la région Île-de-France. Après plusieurs mois de rencontres et d’échanges avec les élus, les professionnels de santé et les parties prenantes du domaine de la santé de la région, l’Amif a rédigé son livre blanc santé avec trente propositions. Véronique Garnier, élue en charge de la santé à Croissy-sur-Seine (78) et référente santé à l’Association des maires d’Île-de-France revient sur cette période de travail et détaille les principaux éléments de ce document.

Actu-Juridique : Comment caractérisez-vous le travail que vous avez effectué pour bâtir le livre blanc sur la santé de l’Association des maires d’Île-de-France ?

Véronique Garnier : Ce livre blanc est l’aboutissement d’un travail de fond mené avec l’Institut Paris Région. Il est organisé en trois parties. D’abord, nous avons réalisé, avec l’Observatoire régional de la santé, un diagnostic territorial de santé de la région Île-de-France. Ensuite, entre octobre 2021 et février 2022, nous avons envoyé un questionnaire sur la thématique de la santé aux 1 268 maires d’Île-de-France. Dans ce questionnaire, il y a une partie consacrée à la crise sanitaire. Les maires ont été beaucoup à la manœuvre pour faciliter l’accès aux soins, le dépistage et l’accélération de la vaccination. Nous avons aussi réalisé une quarantaine d’interviews d’experts : médecins hospitaliers et libéraux, des économistes de la santé, des élus nationaux ou encore des présidents de fédération. Cette deuxième partie nous a permis de nourrir les réflexions pour élaborer la troisième partie avec trente propositions. Certaines peuvent être mises en place rapidement car elles sont à la main du bloc communal. D’autres sont des actions à plus long terme car elles relèvent d’autres autorités.

AJ : Quel est l’objectif de ce livre blanc sur la santé ?

Véronique Garnier : L’objectif est de pouvoir aider les pouvoirs publics. Nous avons souhaité attendre la fin de l’élection présidentielle pour terminer le livre blanc. Il y a énormément de contributions et il nous semblait important de faire des propositions au nouveau gouvernement et au nouveau ministre de la Santé. Les conseillers de la ministre déléguée et du ministre de la Santé ont intégré nos recommandations dans l’analyse de toutes les propositions des différents acteurs de santé reçues au préalable avant d’organiser le CNR santé. L’Île-de-France est un territoire avec des inégalités sociales et territoriales de santé très importantes. Il y a des zones urbaines, périurbaines et rurales. C’est une bonne représentativité des différents territoires et des difficultés en matière d’inégalités d’accès aux soins en France. Pour nous, c’est un modèle rendant nos propositions applicables à d’autres territoires que l’Île-de-France.

AJ : Quel retour avez-vous eu de la part des conseillers des deux ministres ?

Véronique Garnier : Avec le président Stéphane Beaudet et la directrice générale de l’Amif, nous avons été reçus, à la fin du mois d’août par Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé. Nous avons pu lui présenter notre démarche et certaines propositions du livre blanc sur la santé. C’était une belle opportunité pour échanger avec elle et ses conseillers. À cette occasion, nous avons mesuré la volonté de la ministre déléguée et du ministre de la Santé pour trouver des solutions au niveau des territoires. Certes, la stratégie nationale de santé doit être décidée par le gouvernement. La déclinaison doit être territoriale en rentrant beaucoup plus dans une analyse des besoins territoriaux et faire des préconisations qui ont du sens à l’échelle des territoires.

AJ : Que voulez-vous dire quand vous affirmez qu’il faut des préconisations qui ont du sens à l’échelle des territoires ?

Véronique Garnier : L’enjeu est de définir quel est le territoire le plus pertinent. La gouvernance doit-elle se faire au niveau des intercommunalités ? Les communes de plus de 100 000 habitants ont-elles besoin d’avoir une gouvernance santé au niveau de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ? Le département peut-il être pertinent comme pilote de la gouvernance de la santé dans certains territoires ? Dans toutes les situations, nous pensons que les parties prenantes de la santé doivent être réunies dans un comité territorial d’accès aux soins. Son rôle serait de réguler la création des structures d’exercice collectif et de répondre aux demandes des soignants. Un professionnel de santé a besoin de découvrir le territoire où il s’installe, son aménagement, les services publics et les aides offerts par la commune. Il y a une évolution de la mentalité et des attentes des jeunes médecins. Ils attendent notamment un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Nous devons répondre à cette réalité-là. Nous devons être attentifs aux demandes et aux attentes des professionnels de santé !

AJ : Attendez-vous plus de décentralisation ou de déconcentration par rapport à la compétence de la santé vis-à-vis des collectivités territoriales ?

Véronique Garnier : Jusqu’à présent, nous avons assisté à un phénomène de déconcentration. Même si ce n’est pas sa compétence, le maire est de fait contraint de s’occuper des questions sur l’accès aux soins. Aujourd’hui, 2/3 de l’Île-de-France est classé en zone d’intervention prioritaire, plus communément appelé désert médical. Les Agences régionales de santé (ARS) ont mis en place des zonages médecins depuis plusieurs années. Cette méthode montre depuis mars 2022 que la région Île-de-France est devenue le premier désert médical métropolitain. La situation des territoires ultramarins étant bien plus grave. Il y a très peu de territoires franciliens où il y a une couverture adéquate entre les besoins et les offres d’accès aux soins. Par conséquent, le maire aujourd’hui reçoit des lettres concernant le manque de médecins généralistes ou de spécialistes. Les concitoyens n’arrêtent pas d’alerter et de demander au maire d’agir par rapport à cette problématique. Les maires sont alpagués et démunis. À un moment, ils sont obligés de retrousser les manches pour trouver des solutions. Ils doivent bâtir un projet de santé en trouvant un espace, en attirant des professionnels de santé et en recherchant des subventions de l’ARS/URPS (Union régionale des professionnels de santé) et du conseil régional.

AJ : Quels sont les territoires les plus fragilisés sur l’accès aux soins en Île-de-France ?

Véronique Garnier : Le département de Seine-Saint-Denis (93) est la zone la plus touchée. C’est au-delà des deux tiers. Dans ce territoire est particulièrement représentée une nouvelle catégorie de zonage qui a été créée cette année : la zone d’intervention prioritaire plus (ZIP +). Ce territoire est très fragilisé et le phénomène touche les médecins et les autres professionnels de santé. Ensuite, mis à part Paris qui est plutôt mieux doté, tous les autres départements sont frappés de manière équivalente.

AJ : Quels sont les facteurs explicatifs de la fragilisation de l’accès aux soins en Île-de-France ?

Véronique Garnier : D’abord, il y a un phénomène de pyramide des âges. Depuis quelques années, l’Île-de-France connaît une importante diminution du nombre de médecins généralistes libéraux, à cause d’une pyramide des âges défavorable. Il y a de nombreux départs en retraite. Dans ma commune à Croissy-sur-Seine (78), quand nous avons décidé de créer une nouvelle maison médicale, plusieurs médecins présents approchaient de la retraite. Parfois, il y a une concentration de départ. Une situation où les médecins généralistes sont de la même génération et partent en même temps à la retraite. Ensuite, l’installation des nouveaux médecins reste faible et ne compense pas les départs. Puis il y a l’évolution du mode de vie des professionnels. Aujourd’hui, vous ne remplacez pas un médecin parti par un seul médecin. L’amplitude horaire d’exercice professionnel des « anciens » médecins était beaucoup plus importante que celle des nouveaux. Autre facteur explicatif, l’attractivité de la région Île-de-France est moins importante d’après les jeunes médecins. Ils préfèrent aller exercer en province. Enfin, il y a le numerus clausus, transformé en numerus apertus. Aujourd’hui, le nombre minimum d’étudiants admis en deuxième année de médecine a été augmenté en fonction des capacités d’accueil des universités. Depuis des années, c’était limité. Mais, il va y avoir des besoins plus importants en termes de stage pour pouvoir former au mieux les jeunes médecins. Aujourd’hui, la formation d’un médecin c’est 10 ans. La transition va donc être longue et en attendant d’avoir les effets de la réforme du numerus clausus, il va falloir trouver des mesures transitoires.

AJ : En quoi la crise sanitaire a-t-elle renforcé la prise en compte du domaine de la santé par les communes ?

Véronique Garnier : Quand vous regardez le nombre d’élus en charge de la santé dans la mandature 2020, donc juste avant le début de la crise sanitaire, il y a eu une augmentation. C’était avant de connaître l’ensemble des conséquences de la crise sanitaire. Avant les dernières élections la compétence santé était souvent associée à la délégation aux personnes âgées, au social ou aux personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, vous avez des adjoints à la santé qui sont rattachés à la transition écologique, à l’environnement ou encore à l’urbanisme. Il y a donc une montée en puissance depuis quelques années. À propos des dispositifs santé, certaines municipalités avaient ou ont toujours des centres municipaux de santé. C’était un héritage des dispensaires pour permettre de soigner des personnes en situation de fragilité ou de précarité. Ensuite, des outils de contractualisation ont aussi été mis en place : les contrats locaux de santé notamment pour les villes importantes. Ce type de mesure permet de fixer des objectifs d’amélioration de la santé de la population notamment sur l’accès aux soins. Il y a aussi un vaste champ d’activité pour les communes sur la prévention et la promotion de la santé. Mais la pandémie totalement inédite du coronavirus a acutisé pour un certain nombre de maires le besoin d’avoir un élu à la santé ou de renforcer sa délégation s’il y en avait déjà un.

AJ : Concrètement quel bilan faites-vous de cette période de crise sanitaire dans les communes ?

Véronique Garnier : Concrètement pendant la crise sanitaire, les communes ont mis en place beaucoup d’actions grâce à la proximité avec la population. Par conséquent, nous nous sommes organisés par exemple sur le portage des repas, sur la distribution de masques ou au début la fabrication de masques en tissu. Puis, nous avons aussi joué un rôle dans l’organisation des centres de dépistage et dans la couverture vaccinale. Nous avons dû trouver des lieux et du personnel. Au début, il fallait même aller chercher les doses de vaccin. Les maires ont été exemplaires dans toutes ces actions. Si nous avons réussi à vacciner de façon aussi importante en France, c’est grâce à l’efficacité des centres de vaccination. L’organisation de ces centres était à la hauteur du défi de la vaccination de masse, avec tous les professionnels de santé qui ont joué un rôle majeur.

AJ : Enfin, quelles sont les principales propositions que vous formulez dans le livre de blanc de l’Amif ?

Véronique Garnier : D’abord poursuivre le soutien à l’exercice collectif des professionnels de santé en créant ou rénovant des locaux communaux et en demandant à l’État et aux autres collectivités (départements, régions) d’accompagner et de financer systématiquement au côté du bloc communal les structures d’exercice collectif, en fonction des besoins des territoires et ce, quel que soit le zonage. Attribuer systématiquement une place de certains élus des communes dans la gouvernance des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Les CPTS sont des modes d’organisation entre les professionnels de santé. Elles définissent une coordination entre chacun pour organiser l’accès aux soins sur le territoire défini. Leur périmètre est assez disparate par rapport au département, aux intercommunalités. Si des élus sont présents dans un organe structurel de la CPTS, ils pourront connaître les projets de santé, ce qui leur permettra de veiller à la liaison et à la complémentarité avec les contrats locaux de santé, qui sont eux sous la responsabilité des communes. De même, pour favoriser la cohérence des projets territoriaux de santé, nous souhaitons que les communautés professionnelles territoriales de santé soient inclues dans la signature des contrats locaux de santé. Nous avons aussi émis une proposition pour renforcer les capacités d’action, d’initiative et d’adaptation des directions déconcentrées des ARS, afin qu’elles jouent un véritable rôle d’animation territoriale, d’appui aux communes et développement des connaissances de chaque territoire en matière de santé. Mais ce ne sont que 4 propositions sur les 30 concrètes destinées à améliorer l’efficacité de notre système de santé. Dans ce livre blanc, nous revendiquons une territorialisation ou une différenciation territoriale de la santé. Tous les territoires n’ont pas les mêmes besoins.

Le livre blanc est disponible ici : https://amif.asso.fr/actualites/la-sante-en-ile-de-france-etat-des-lieux-et-propositions-pour-agir/

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