Coursier à vélo : un coup de frein à l’indépendance, le coursier à vélo est salarié
En matière de travail, les techniques évoluent, notamment grâce à l’introduction du numérique dans la relation de travail, les principes juridiques demeurent. La Cour de cassation vient de rappeler que même si les rapports entre les parties sont réglés essentiellement par voie d’utilisation de techniques numériques, dès lors qu’il y a subordination, il y a contrat de travail.
Cass. soc., 28 oct. 2018, no 17-20079, ECLI:FR:CCASS:2018:SO01737
À part pour ceux qui ne souhaitaient pas le voir, les faits étaient particulièrement simples. Un coursier à vélo, exerçant sous le statut d’auto-entrepreneur, était lié à une société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas. L’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci. De plus, la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier.
I – La procédure
Il a entamé une procédure destinée à lui permettre d’obtenir la requalification de son contrat en un contrat de travail ; la cour d’appel a retenu que ce coursier ne justifie pas d’un contrat de travail le liant à une société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo et exerçait sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas. L’intéressé a formé contre cette décision un pourvoi sur lequel la Cour de cassation a jugé que viole l’article L. 8221-6, II, du Code du travail la cour d’appel qui retient qu’un coursier ne justifie pas d’un contrat de travail le liant à une société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas, alors qu’il résulte de ses constatations que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier. Les juges de la Cour de cassation ont donc estimé que le lien de subordination étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, en l’espèce, il était établi que les parties étaient liées par un contrat de travail.
II – Question de droit
Derrière une relation régie par l’utilisation du numérique, l’apparence d’indépendance donnée par un statut d’auto-entrepreneur permet-elle de déceler une subordination caractéristique de l’existence d’un contrat de travail ?
Le numérique bouleverse la vie quotidienne et parfois les rapports de travail1, la nouveauté ne fait pas disparaître les principes juridiques2, si certains cherchent à profiter de l’existence du numérique pour continuer leur course éperdue vers l’entreprise à un seul salarié : le PDG, et un autre modèle social3, la Cour de cassation par le présent arrêt rappelle que la qualification du contrat ne dépend pas de la volonté des parties ou de l’une d’entre elle, imposée à l’autre, mais de la réalité de leur situation4, et que, même si leurs rapports juridiques sont réglés par l’utilisation de techniques numériques, dès lors qu’il y a subordination, il y a contrat de travail. À vrai dire, à part la technique utilisée, il n’y a là rien de nouveau, ce n’est pas l’étiquette mais le contenu du flacon qui donne l’ivresse et quelle que soit l’appellation donnée à leur relation par les parties, s’il y a subordination, il y a relation de travail et les juges doivent procéder à la requalification5.
A – La recherche de l’entreprise sans salariés
On sait depuis très longtemps que le contrat de travail c’est la subordination du salarié6, que certains cherchent à le remettre en cause en se basant soit sur des techniques juridiques, soit plus récemment sur l’existence des techniques numériques qui, selon eux, auraient pour conséquences de modifier la nature juridique de la relation de travail. Le présent arrête rappelle qu’il n’en est rien.
1 – Relation de travail sans contrat de travail
Avant même le numérique, on a vu une recherche de moyens d’échapper au contrat de travail qui s’est traduite notamment par une augmentation exponentielle des formes de relations de travail assises sur une autre forme juridique que celle du contrat de travail, en la matière l’imagination est au pouvoir. On a vu (liste non exhaustive) : contrat de société7, de mandat8, société en participation9, contrat d’entreprise10, sous-traitance11, franchise12, travail au pair13, association14, entraide15, métayage16, tâcheronnage17 service gratuit18, bénévolat indemnisé19, et autres contrats spéciaux20, et maintenant auto-entrepreneurs21, entraînant une présomption de non-salariat22, qu’il est cependant possible de renverser23. La présomption légale de non-salariat qui bénéficie aux personnes sous le statut d’auto-entrepreneur peut être détruite s’il est établi qu’elles fournissent directement, ou par une personne interposée, des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci24.
2 – Grâce au numérique, tous indépendants
Internet, smartphones, tablettes, logiciels, réseaux sociaux, robotique avancée, intelligence artificielle (IA) : l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), géolocalisation et bien d’autres… constituent une réalité du monde du travail. La digitalisation a impacté le marché de l’emploi. De nouvelles formes de travail ont fait leur apparition (ex. : télétravail, partenaires de plates-formes électroniques, e-sportifs), remettant parfois en cause les frontières traditionnelles du salariat25, au moins en apparence, car les techniques utilisées si elles bouleversent parfois les façons de l’exécuter ne changent pas la nature de la relation de travail, qui, comme le rappelle la présente décision, est un contrat de travail dès lors qu’il y a subordination.
B – Subordination
1 – Principe
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné26. Dès lors que ces éléments sont caractérisés, il y a contrat de travail.
Le fait que l’une des parties à la relation de travail ait été immatriculée en qualité d’auto-entrepreneur27, ne suffit pas à lui dénier la qualité de salarié28.
2 – Caractérisation
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais uniquement des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité29.
Derrière l’utilisation des outils numériques, l’indépendance invoquée par ceux qui se présentent partenaires d’auto-entrepreneurs pour justifier le non-salariat de ceux avec qui ils travaillent30 est plus une apparence qu’une réalité. C’est ce qu’a montré la présente espèce. En effet, l’arrêt relève que par l’utilisation de la géolocalisation, qui au mépris des droits fondamentaux des intéressés permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci31, et que la société avec laquelle il travaillait disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, ceux qui étaient présentés comme des partenaires auto-entrepreneurs étaient en réalité des salariés justifiant que leur relation soit requalifiée en contrat de travail. Au surplus, la lecture de l’arrêt permet de remarquer que les contrats signés entre les intéressés sont rédigés en anglais et qu’ils ne sont donc pas opposables32, ceux qui sont maintenant salariés pourraient y trouver une nouvelle occasion de contentieux.
Notes de bas de pages
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1.
Frouin C., « L’entreprise face au numérique : incidences de la loi Travail et de la loi pour une République numérique », Gaz. Pal. 7 mars 2017, n° 289y0, p. 81 ; Pallantza D., « Droit du travail et technologies d’information et de la communication (TIC) », BJT oct. 2018, n° 110f2, p. 133.
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2.
Salmon M., Les réseaux sociaux et le droit, 2015, Larcier ; Bruguière J.-M., « Les conditions générales d’utilisation sur l’Internet : nouvelle réglementation de droit privé ? », in L’entreprise à l’épreuve du droit de l’Internet : Quid novi ?, 2013, Dalloz.
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3.
Richevaux M., « La loi Macron : l’implantation de l’ultra-libéralisme en France », Cahiers du CEDIMES 2/2015.
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4.
Cass. ass. plén., 4 mars 1983 : D. 1983, p. 381, concl. Cabannes J.
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5.
Cass. soc., 3 juin 2009, nos 08-40981, 08-40982, 08-40983, 08-41712, 08-41713 et 08-41714, PB.
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6.
Scelle G., Le droit ouvrier, 1992, Armand Colin.
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7.
Cass. soc., 14 nov. 1984, n° s 82-40892 et 82-40893 : Bull. civ. IV, n° 428 – Cass. soc., 17 avr 1991, n° 88-40121 : Bull. civ. V, n° 200.
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8.
Cass. soc., 17 juin 1982, n° 80-40976 : Bull. civ.V, n° 403.
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9.
Cass. soc., 8 oct. 1996, n° 93-41806.
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10.
Cass. soc., 20 nov. 1985, n°83-13517 : Bull. civ. V, n° 541.
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11.
Cass. crim., 21 janv. 1997, n° 95-84204 : Dr. ouvr. 1997, p. 231.
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12.
Cph lyon act div ste altra: Dr. ouvr. 1988, p. 441.
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13.
Cass. crim., 23 juill. 1996, n° 95-82686 : Dr. ouvr. 1997, p. 154.
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14.
Cass. soc., 21 nov. 1979, n° 78-40075B V n° 866 : D. 1981, IR, p. 250, obs. Penneau A.
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15.
Cass. soc., 11 mars 1987, n° 84-16807 : Bull. civ. V, n° 206.
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16.
Cass. civ., 13 juin 1969 : Bull. civ. III, n° 476.
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17.
Cass. civ., 03 nov. 1971 : Bull. civ. III, n° 532.
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18.
Cass. crim., 8 juin 1996, n° 95-85613 : Dr. ouvr. 1997, p. 155.
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19.
Affaires citées dans Aubert-Monpeysen T., « Les frontières du salariat à l’épreuve des nouvelles stratégies d’utilisation de la force de travail », Dr. soc. 1997, p. 616 et s.
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20.
Aynès L., Gautier P.-Y. et Malaurie P., Droit des contrats, 2018, LGDJ.
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21.
C. com., art. L. 123-1 à L. 123-9-1 ; CGI, art. 50-0 ; CGI, art. 1600 à 1604 ; CSS, art. L. 133-6-8 à L. 133-6-8-4.
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22.
C. trav., art. L. 8221-6, I.
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23.
C. trav., art. L. 8221-6, II.
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24.
Cass. soc., 7 juill. 2016, n° 15-16110, P : Dalloz actualité, 7 sept. 2016, obs. Cortot B. ; D. 2016, Actu., p. 1574 ; Dr. soc. 2016, p. 859 ; RJS 11/2016, n° 722 ; JCP E 2016, 1462, obs. Taquet.
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25.
Pallantza D., « Droit du travail et technologies d’information et de la communication (TIC) », BJT oct. 2018, n° 110f2, p. 133.
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26.
Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187, Société générale : Bull. civ. V, n° 386.
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27.
C. trav., art. L. 8221-6, I et II.
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28.
Cass. soc., 19 déc. 2000, n° 98-40572 : Bull. civ. V, n° 437 – Cass. crim., 22 sept. 1998, n° 97-85011 ; Cass. soc., 3 nov. 2010, n° 08-45391.
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29.
Cass. ass. plén., 4 mars 1983, nos 81-11647 et 81-15290 : D. 1983, p. 381, concl. Cabannes J. – Cass. soc., 3 juin 2009, nos 08-40981, 08-40982, 08-40983, 08-41712, 08-41713 et 08-41714, PB.
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30.
Rupp O., « Coursier à vélo : indépendant ou salarié ? », Cah. soc. sept. 2017, n° 121j0, p. 391, obs. sous CA Paris, 6-2, 20 avr. 2017, n° 17/00511.
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31.
Richevaux M., « Géolocalisation et droit fondamentaux des salariés », LPA 31 mai 2012, p. 7.
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32.
Richevaux M., « Objectif et langue française », LPA 20 juill. 2018, n° 137u6, p. 15.