Entreprise : l’abandon de poste du salarié désormais considéré comme une démission

Publié le 09/05/2023
Abandon poste, chaise vide, travail
Monet/AdobeStock

Le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 fixe la procédure relative à la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié. Qu’appelle-t-on un abandon de poste ? Quelles modalités l’employeur doit-il respecter ? Quelles sont les conséquences pour le salarié ? Le point avec Marine Claisse, avocate collaboratrice, et Judith Desir, juriste, au sein du département Droit social du cabinet FTPA.

Actu-Juridique : Qu’appelle-t-on un abandon de poste ?

Marine Claisse : L’abandon de poste est caractérisé par une absence injustifiée du salarié pendant les heures de travail. À ce moment-là, le contrat de travail est suspendu et la rémunération n’est plus due au salarié.

AJ : Pouvez-vous nous rappeler quelles conséquences emportait l’abandon de poste avant le décret du 17 avril 2023 ?

Judith Desir : Avant la parution du décret n° 2023-275 du 17 avril 2023, lorsque le salarié abandonnait son poste de travail sans motif légitime et sans fournir d’explication, son employeur le mettait en demeure de reprendre le travail ou de justifier son absence. En l’absence de réponse du salarié, l’employeur pouvait déclencher une procédure disciplinaire et le licencier. L’employeur pouvait ainsi soit procéder à un licenciement pour cause réelle et sérieuse (avec versement de l’indemnité de licenciement), soit procéder à un licenciement pour faute grave, en raison notamment de l’impact de l’absence du salarié sur l’organisation de l’entreprise (sans versement de l’indemnité de licenciement ni préavis).

AJ : Pourquoi le décret du 17 avril instaure-t-il une présomption de démission ?

Marine Claisse : Jusqu’à aujourd’hui, une part importante des licenciements pour faute grave étaient consécutifs à un abandon de poste. Or le licenciement dans ce type de situation entraînait nécessairement une injustice par rapport aux salariés expressément démissionnaires qui ne bénéficiaient pas du versement des indemnités chômage. La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi et le décret du 17 avril 2023 ont alors instauré la présomption de démission en cas d’abandon de poste pour pallier ce déséquilibre.

AJ : Depuis la parution du décret du 17 avril, quelles sont les conséquences sur le contrat de travail ?

Marine Claisse : Désormais, en cas d’absence injustifiée du salarié, l’employeur peut le mettre en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, faute de quoi, il est considéré comme démissionnaire. S’agissant de ce nouveau mécanisme, un point devra quand même être confirmé concernant la liberté laissée ou non à l’employeur en la matière. En effet, si la loi n’impose pas le recours au mécanisme de la présomption, la Foire aux questions mise en ligne par le ministère du Travail le 18 avril 2023 (qui n’a cependant pas de valeur juridique) indique que désormais dans cette situation, l’employeur « n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ». Une position jurisprudentielle devra éclaircir ce point.

AJ : Quelles modalités doit respecter l’employeur ?

Judith Desir : Lorsque l’employeur constate que le salarié est absent sans justification et alors qu’il a tenté de le contacter en vain, il doit lui adresser une mise en demeure par LRAR ou remise en main propre contre décharge. La mise en demeure doit préciser au salarié que faute pour lui de justifier de son absence et de reprendre son travail dans un délai qui ne peut être inférieur à 15 jours calendaires à compter de la première présentation de la lettre, son contrat de travail sera automatiquement rompu par une démission présumée.

AJ : Y a-t-il un délai à prendre en compte pour présumer un abandon de poste comme démission ?

Judith Desir : Il n’existe aucune durée légale permettant de définir l’abandon de poste. En revanche, la présomption de démission ne peut opérer qu’au terme du délai de 15 jours calendaires (minimum) à compter de la première présentation de la mise en demeure, permettant à l’employeur d’apprécier la matérialité de l’abandon de poste.

AJ : Quelles sont désormais les conséquences pour le salarié ?

Judith Desir : Si au terme du délai fixé par l’employeur, le salarié n’a ni justifié de son absence, ni repris son travail, il sera présumé démissionnaire. Dans ce cas, il aura, aux yeux de la loi, volontairement perdu son emploi. Dès lors, il ne pourra obtenir le versement de son indemnité de licenciement ni exécuter son préavis et ne pourra pas prétendre aux indemnités chômage.

Une interrogation demeure s’agissant de l’exécution du préavis. Pour le ministère du Travail, le droit commun doit s’appliquer. Ainsi, il recommande à l’employeur d’indiquer au salarié qu’il est redevable de l’exécution de son préavis s’il ne reprend pas son poste dans le délai imparti et le cas échéant de l’informer que son silence peut constituer une manifestation de son refus de l’exécuter.

AJ : Y a-t-il des exceptions à cette présomption de démission ?

Marine Claisse : Il n’existe pas à proprement parler d’exception à cette présomption. En revanche, le salarié peut se prévaloir d’un motif légitime d’absence qui fera alors obstacle à la présomption de démission. Cette exception ne sera valable que dans l’hypothèse où le salarié informerait son employeur de ce motif dans le délai imparti par la mise en demeure.

AJ : Le salarié peut-il contester la présomption ?

Judith Desir : Oui, dès lors qu’il s’agit d’une présomption simple, le salarié peut la contester en invoquant dans sa réponse à la mise en demeure un motif dit légitime. Ainsi, le salarié peut justifier de son absence en avançant notamment des raisons médicales, une situation de danger grave et imminent ou encore l’exercice du droit de grève. Dans ce cas, la procédure permettant de présumer une démission ne doit pas être poursuivie.

AJ : Que se passe-t-il si l’employeur considère tout de même son salarié comme démissionnaire, malgré un « motif légitime » ?

Marine Claisse : Si l’absence du salarié est justifiée par un motif légitime dans le délai imparti, l’employeur n’aura aucun intérêt à mener la procédure à son terme. S’il décide malgré tout de considérer le salarié comme démissionnaire, il s’expose à ce que la rupture soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’au paiement de toutes les indemnités y afférentes (indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire des dommages-intérêts).

AJ : Un salarié qui a abandonné son poste et qui se retrouve donc sans indemnité chômage peut-il faire revoir sa situation au bout d’un certain temps ?

Marine Claisse : Le salarié considéré comme démissionnaire qui a vu de ce fait son contrat de travail rompu automatiquement ne pourra remettre en cause sa situation qu’en saisissant le conseil de prud’hommes compétent pour voir requalifiée sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si ses demandes sont accueillies, il pourra alors faire réviser sa situation vis-à-vis de l’assurance chômage. Dans le cas inverse, le salarié s’expose à une condamnation au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis dès lors qu’il aura refusé de l’exécuter.

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