Fin des ruptures conventionnelles : en marche vers la régression sociale
Après l’annonce d’une éventuelle suppression de la rupture conventionnelle le 26 novembre, voici que le gouvernement envisagerait de réduire le délai de contestation du licenciement. Me Michèle Bauer explique en quoi ces deux projets constituent des régressions sociales graves.
Depuis deux semaines, le dimanche est jour de mauvaises nouvelles pour les salariés.
Le démantèlement du droit du travail, par l’anéantissement du droit des salariés est en marche et la marche débute le Jour du Seigneur, ce qui n’est guère charitable.
Dimanche 26 novembre 2023, la Première Ministre annonce que le gouvernement réfléchit à une éventuelle suppression de la rupture conventionnelle, sorte de divorce amiable du salarié et de l’employeur, mis en œuvre en 2008 pour flexibiliser le marché du travail et faciliter les ruptures pour les employeurs tout en les sécurisant.
Cette rupture conventionnelle permet aussi au salarié en souffrance de quitter un emploi, la tête haute sans avoir à attendre un licenciement pour inaptitude et en évitant une démission qui ne permet pas de bénéficier du Pôle emploi.
Et dimanche 10 décembre 2023, quelle sera l’annonce ? La suppression de l’indemnisation des salariés licenciés pour faute grave, la possibilité de licencier sans motiver le licenciement, oralement avec un coup de pied au derrière en prime ?
Quelle inventivité pour précariser de plus en plus les salariés qui, rappelons-le, sont les parties faibles au contrat de travail dès lors qu’ils sont liés à l’employeur par un lien de subordination.
Supprimer la rupture conventionnelle : une bien mauvaise idée
Pourquoi supprimer un mode de rupture qui convenait à la fois à l’employeur et au salarié ?
Parce que les salariés préfèrent la rupture conventionnelle à la démission selon Madame la Première Ministre Elisabeth Borne. C’est faux, la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) est claire : les démissions et les licenciements sont plus nombreux que les ruptures conventionnelles.
Ceci est peu étonnant, les ruptures conventionnelles étant des ruptures synallagmatiques, il faut l’accord des deux parties, de l’employeur et du salarié. Or, tous les employeurs n’acceptent pas d’accorder une rupture conventionnelle, ayant peur de créer des précédents ou n’ayant tout simplement pas les moyens.
La rupture conventionnelle, dont beaucoup se sont méfiés lors de sa mise en œuvre, permet à des salariés en souffrance de quitter leur emploi plus rapidement qu’un licenciement pour inaptitude et avec une attestation Pôle emploi.
Pour les salariés, c’est une solution de départ « digne ».
Pour l’employeur c’est un départ sécurisé, la rupture conventionnelle est quasiment incontestable, seul un vice du consentement permet de faire annuler une rupture conventionnelle. Et comme il est rare qu’un employeur mette un couteau sous la gorge d’un salarié pour le faire signer, elle est donc inattaquable.
Pour l’entreprise, cette solution permet par exemple de mettre fin à la désorganisation engendrée par un salarié malade qu’il faut sans cesse remplacer dans l’attente d’un prononcé d’inaptitude.
Mettre fin aux ruptures conventionnelles reviendrait donc à supprimer une porte de sortie pour le salarié en souffrance et un moyen bien pratique pour l’employeur de se débarrasser rapidement des salariés absents ou /et trop vieux et trop chers.
Au lieu de traiter la souffrance au travail que révèle le recours aux ruptures conventionnelles, le gouvernement accentue le mal en supprimant le remède.
Que va-t-il se passer si la décision de suppression est actée ?
Les salariés en souffrance prolongeront leurs arrêts de travail jusqu’à la déclaration d’inaptitude.
Ils seront licenciés pour inaptitude, leur licenciement coûtera à l’État tout comme une rupture conventionnelle.
Les avocats reviendront aux bonnes vieilles recettes : la mise en œuvre d’un licenciement « bidon » suivi d’une transaction.
Si l’objectif du gouvernement est de contraindre le salarié à rester en poste ou démissionner, il n’est pas certain qu’il y parvienne ainsi.
Réduire le délai de prescription pour contester son licenciement : c’est anéantir le droit pour le salarié d’agir en justice
Le délai pour agir en justice afin de contester son licenciement est de 1 an (12 mois). C’est très court.
Lorsque j’ai prêté serment en 2003, il était de 30 ans, c’était trop long.
Puis, il est passé à 5 ans, ce qui était sans doute le meilleur délai, pour finalement se réduire à une petite année.
Cette année est trop longue pour Monsieur Bruno LE MAIRE qui considère que parce que dans certains pays, il est de 3 semaines comme en Allemagne, il faudrait suivre ce mouvement de nivellement par le bas.
Certains pays européens, comme l’Italie, n’appliquent pas de barème pour indemniser le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, pourquoi ne pas les suivre ?
Non, quelle idée, on préfère suivre les pays qui nous font régresser socialement.
Il est toujours facile de mettre en exergue une disposition d’un pays européen sans s’intéresser à l’esprit global du système concerné.
Le droit du licenciement allemand est beaucoup moins protecteur, l’indemnité de licenciement n’existe pas, et l’on peut contester que certains licenciements notifiés pour certains motifs.
Par ailleurs, si le licenciement est considéré comme abusif, l’employeur devra réintégrer le salarié, sauf s’il transige avec lui.
En outre, la durée du préavis dans le cadre d’un licenciement est beaucoup plus longue : plus on a d’ancienneté, plus il est long, il peut aller jusqu’à 7 mois pour un salarié ayant 20 ans d’ancienneté. (Source : https://frontaliers-grandest.eu/accueil/salaries/france-allemagne/droit-du-travail/rupture-du-contrat-de-travail/licenciement/ )
Comparaison n’est pas raison, et comparer une seule disposition et un point particulier d’une législation sans examiner la globalité de la loi et son esprit général n’est pas honnête intellectuellement.
En tout état de cause, réduire le délai de prescription reviendrait à anéantir le droit au salarié d’agir en justice pour contester son licenciement, droit rappelé par la Convention de l’OIT (article 8) :
*Ce délai est trop court pour certains salariés qui ont besoin de « digérer » leur licenciement. Parfois sous le choc, voire en dépression, s’ils attendent d’être remis ou d’avoir mûrement réfléchi, ils seront privés de ce droit d’agir en justice.
*Ce délai est court pour trouver un avocat. Imaginez que vous êtes licencié au début du mois de juillet, comment allez-vous trouver un avocat en pleine trêve estivale ? Pour certains d’entre nous, ce sont les seules vacances de l’année.
*Ce délai est extrêmement court pour préparer son dossier, souvent il faut réunir des pièces telles que des attestations, des échanges de mails, un dossier médical auprès de la médecine du travail. La requête doit être motivée sous peine de nullité, comment bien la motiver en deux mois ?
*Le délai de prescription débute à la date de notification du licenciement au salarié. Parfois ce salarié devra exécuter un préavis justement de deux mois, il agira donc alors que son préavis n’a pas expiré au sein de l’entreprise ? Gageons que dans un tel climat de tension l’employeur pourra être tenté de ne pas payer le préavis ou de communiquer l’attestation Pôle emploi avec retard.
*Dans d’autres matières, les délais de prescription ne sont pas si courts, en matière civile par exemple l’inexécution contractuelle se prescrit par 5 ans. Le droit du travail côté salarié serait donc une exception et aurait droit à un régime de défaveur alors que la protection du salarié, comme celle par exemple du consommateur, doit être plus importante que celle de l’employeur ? Peut-on alors réduire aussi la prescription de l’employeur pour sanctionner les fautes graves, la passer de 2 mois à 3 jours (en Allemagne l’employeur a 3 semaines) ?
Pour finir, Monsieur le Ministre de l’Économie prétend que réduire le délai de prescription pour agir contre un licenciement aurait pour but la simplification pour les entreprises.
Le Ministre confond simplifier et avantager.
Simplifier signifie rendre plus facile, en quoi la réduction du délai de prescription rendrait plus facile le licenciement pour les entreprises ?
Les modèles de lettres de licenciement se trouvent facilement sur internet et le fait de ne pas motiver son licenciement pour des salariés ayant une faible ancienneté a très peu de conséquences financières pour les entreprises dont les condamnations sont limitées par le barème Macron.
Le barème Macron a facilité les licenciements au sein des entreprises, le délai de prescription réduit facilitera surtout le non-accès au juge. Quelle belle avancée sociale ! Cette brillante idée ne fera qu’avantager les entreprises qui ne risqueront plus rien à licencier sans motif, même plus d’être condamnées à des sommes dérisoires barémisées.
Référence : AJU405950