Il faut rouvrir d’urgence les conseils de prud’hommes !
Depuis le début de la crise sanitaire, presque tous les conseils de Prud’hommes sont fermés. Une situation catastrophique pour les salariés, dénonce Michèle Bauer, avocate au barreau de Bordeaux.
« Je ne suis pas payé depuis un mois Maître, j’ai trois enfants à charge, ma femme ne travaille pas, j’ai dû demander de l’aide à une assistante sociale qui a obtenu une aide urgente de la CAF ».
« Mon employeur ne m’a toujours pas adressé mon attestation Pôle Emploi, je ne peux pas m’inscrire au chômage, un délégué syndical m’a parlé de référé, j’ai téléphoné au Tribunal des prud’hommes, ils sont fermés à cause du virus ».
La crise sanitaire et le confinement qui résulte de cette crise a obligé les Conseils de Prud’hommes à baisser le rideau comme tous les commerces non essentiels de France et de Navarre.
La fermeture de la boutique prud’homale a des conséquences bien plus dramatiques sur les salariés que la fermeture d’un commerce d’un coiffeur ou d’une esthéticienne sur la population.
Les privés de coiffeur pourront s’essayer à la teinture artisanale ou à la découpe ciselée et manuelle des cheveux et l’épilation pourra s’effectuer à la cire maison.
Mais les salariés privés de salaires ou d’attestation Unedic ne pourront pas recourir à une méthode artisanale ou maison pour être payés ou recevoir leur attestation leur permettant d’obtenir leurs allocations chômage. Le seul moyen dont ils bénéficient pour sortir de la précarité économique dans laquelle leur employeur indélicat les a placé c’est agir en justice.
Et la continuité du service public ?
L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété comporte une ligne sur le Conseil de Prud’hommes qui passe presque inaperçue : « (…)Le conseil de prud’hommes statue en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié. » .
La continuité du service public de la justice est sous entendue dans cette ordonnance, ce serait la volonté du Ministère de la justice, un vœu pieux pour le Conseil de Prud’hommes qui a toujours été le laissé-pour-compte de la Justice, comme l’est le droit du travail qui serait pour certains juristes tout sauf du droit.
Depuis plusieurs années, les réformes s’intéressent à cette juridiction décriée avec un seul but, celui de réduire l’accès au juge en complexifiant la procédure et en réduisant drastiquement les délais de prescription par exemple. Le but ultime est de faire disparaître ces conseils de prud’hommes trop partisans au goût de certains ou pas assez juristes au goût d’autres. Même si la juridiction peut apparaître comme imparfaite, elle est composée paritairement de salariés et d ’employeurs au plus proche du terrain connaissant le fonctionnement d’une entreprise, mieux que les juges qui, pour leur majorité, ne quittent pas les bancs de l’école et passent le plus souvent de la faculté à l’Ecole nationale de la magistrature.
Des conseils de prud’hommes agonisants
Cette crise sanitaire n’a pas encore mis à mort les Conseils de Prud’hommes, elle ne fait que les mettre un peu plus à terre, elle les laisse agonisants déjà affaiblis par le manque de moyens matériels et humains.
Peu de Conseils de Prud’hommes organisent des audiences de référés pendant le confinement qui permettraient aux salariés de sortir de leur difficultés économiques .
La commission sociale du Syndicat des avocats de France a fait un bilan pour les juridictions dans lesquelles des confrères syndiqués exerçent.
Lille, Roubaix, Tourcoing, Lannoy, Bobigny, Angers, Lyon, Créteil, Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Mantes-la-Jolie, Poissy, Rambouillet, Arles, Strasbourg, Savenne, Hagueneau, Colmar, Mulhouse, Grenoble, Valence, Annonay, Aix-en-Provence, Poitiers, Montpellier, Sète, Valence, Privas, Tarbes, Paris, Rennes, Nanterre ont totalement baissé le rideaux. Aucune audience, pas même en référés.
Quelques référés…
Seuls les conseils de prud’hommes de Nantes, Martigues et Bordeaux organisent des référés.
A Nantes, le référé est assuré, mais réduit aux demandes de rappels de salaires et de remise de documents de fin de contrat.
A Martigues, seuls les référés avec avocats sont acceptés.
A Bordeaux, des audiences de référés peuvent avoir lieu durant le confinement, il faut démontrer l’urgence de statuer durant cette crise. Un « filtre » Président et Vice Présidente a été mis en œuvre. Les convocations ne sont pas adressées par le greffe, le demandeur devra assigner. Cet acte a un coût, celui d’un huissier de justice qui est important pour ceux qui n’ont pas de revenus. Ces derniers pourraient bénéficier de l’aide juridictionnelle avec cette difficulté que durant la crise sanitaire, il n’est pas certain que le bureau d’aide juridictionnelle rende des décisions. Ils devront payer les frais d’huissier.
« La bricole est triste »
Le nouveau monde devait être celui de la dématérialisation et des audiences en visioconférence, il est finalement celui du manque de matériel et de personnel derrière la caméra.
Si la majorité des conseils de prud’hommes n’organise pas ne serait-ce que des audiences de référés, c’est pour plusieurs raisons :
-tout d’abord comme devant toutes les juridictions, le manque de conseillers ou de greffiers disponibles. Certains, le plus souvent certaines, sont bloqué(e)s chez eux ou elles, en congés pour garde d’enfants, confinés en famille et s’improvisant maître ou maîtresse d’école. Cette raison n’est pas spécifique à la justice.
-Puis, le greffe du Conseil de Prud’hommes depuis le 2 janvier 2020 dépend du Tribunal Judiciaire et on peut supputer que le Tribunal Judiciaire préfère affecter les greffiers qui peuvent travailler aux chambres civiles.
-Les conseillers quant à eux sont salariés ou employeurs, certains travaillent peut-être dans des domaines « essentiels » et ne peuvent pas siéger, d’autres sont peut-être des personnes à risque et doivent se protéger.
-Enfin, la juridiction prud’homale n’est pas connectée, quelques adresses mails par section existent attachées à justice.fr, adresses sécurisées qui ne peuvent pas être consultées à l’extérieur d’un tribunal. Le RPVJ (pendant du RPVA côté tribunal) n’a pas été prévu pour les Conseils de Prud’hommes et même s’il avait été mis en place, la connexion depuis chez soi serait impossible. En outre, les conseillers ne bénéficient pas d’un matériel informatique fourni par l’Etat comme les ordinateurs portables. De même, il n’existe pas de matériel mise à disposition pour organiser des visioconférence en ce temps de crise.
Quelques conseils de Prud’hommes bricolent, pour certains, comme à Bordeaux, présidé par un ancien président de la section industrie, ironie du sort.
La bricole est triste, loin d’être un loisir de ce confinement qui révèle la pauvreté de notre justice.
La justice n’est pas que celle qui condamne le délinquant à des peines de prison, c’est aussi celle qui aide un salarié à obtenir ses droits ou qui le protège.
La juridiction prud’homale est essentielle en ce temps de crise durant laquelle certains employeurs malhonnêtes profiteront de l’absence des conseils de prud’hommes pour s’affranchir de la loi en laissant certains salariés dans une extrême fragilité économique.
Les Conseils de Prud’hommes sont des boutiques de droit essentielles dont il faut d’urgence ouvrir le rideau en les ayant au préalable approvisionner.
Référence : AJU66278