Le Slip français et le respect de la vie personnelle des salariés

Publié le 09/01/2020
Le Slip français et le respect de la vie personnelle des salariés
Pierre Brégou

Peut-on être licencié pour avoir organisé une soirée privée de très mauvais goût ? C’est la question soulevée par l’affaire du Slip Français. Pierre Brégou, avocat à la Cour…..

 

Les réseaux sociaux se sont enflammés en ce début d’année à la diffusion d’une vidéo mettant en scène deux femmes et un homme, sur la voie publique puis dans un domicile : l’homme déguisé en singe sur le tube de Yannick Noah « Saga Africa », une des femmes grimées en « blackface », tandis que l’autre femme est hilare.

Une soirée privée

Ces vidéos auraient été tournées lors d’une soirée privée, à une date non précisée, et ont été révélées par le compte Instagram « Décolonisons-nous ».

Ces personnes ont été identifiées comme appartenant à une célèbre start-up, le Slip français, laquelle, par un communiqué de presse largement diffusé, a officialisé l’appartenance de ces personnes à l’entreprise et qui a annoncé, urbi et orbi, l’engagement d’une procédure dite conservatoire à l’encontre de ces collaborateurs.

Cette vidéo, tournée dans le cadre d’une soirée privée, est sans nul doute nauséabonde et témoigne d’un goût daté et ranci de ce que certains appellent de l’humour.

Elle pourrait clairement relever d’une qualification pénale. Néanmoins, les présents propos le sont sous l’angle du droit du travail et se résument à une question aujourd’hui somme toute classique : l’employeur peut-il ou non utilement engager une procédure de licenciement pour un fait tiré de la vie personnelle du salarié ?

Les salariés ont droit au respect de leur vie privée

Le principe de base est simple : les salariés ont droit au respect de sa vie privée tant au sein de leur entreprise qu’à l’extérieur de celle-ci. Si l’on comprend le contrôle de l’employeur durant l’exécution du contrat à savoir durant le temps de travail et sur le lieu de travail, en dehors il n’est plus sous la subordination de celui-ci et jouit donc d’une liberté qu’a priori son employeur ne peut lui contester.

Ce principe a de multiples applications pratiques allant de la liberté vestimentaire, de la liberté d’opinion et d’appartenance politique ou religieuse, de leurs loisirs, de leur orientation sexuelle, etc.

Toutefois, ce principe s’est vu opposer certaines limites que les tribunaux ont adaptées de manière pragmatique aux diverses situations qui leur étaient soumises.

En effet, à la question de savoir si un fait commis par un salarié, en dehors de l’entreprise, hors du temps et lieu du travail, dans un cadre personnel, peut-être pris en considération par l’employeur dans le cadre d’une sanction disciplinaire ou d’un éventuel licenciement, les juges ont défini des critères.

Faute disciplinaire ?

En 1er lieu, peut-on parler de faute et se placer sur un terrain disciplinaire dans un tel cas ?

En principe, non. De jurisprudence établie, un fait relevant strictement de la vie privée du salarié ne peut être considéré comme fautif et justifier un licenciement disciplinaire, SAUF si :

  • Le fait est susceptible de se rattacher à la vie professionnelle du salarié ;
  • Le fait caractérise un manquement à une obligation découlant du contrat de travail du salarié.

Dans cette appréciation, seront pris en compte les fonctions du salarié et l’objet social de la société. Plus un salarié aura des fonctions importantes, des responsabilités élevées, plus la faute sera facile à établir. Il en est de même pour les entreprises avec des orientations spécifiques et une éthique particulière connue de tous et mise en avant par la société.

Ainsi :

  • La consommation de stupéfiant (cocaïne) par un personnel navigant commercial, même en dehors du temps de travail (en temps d’escale à Los Angeles), peut justifier le licenciement, disciplinaire pour manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, dans la mesure où il doit participer à la sécurité des voyageurs.
  • Posséder plusieurs centaines de photographies à caractère pédopornographique dans son logement de fonction au sein de l’établissement de travail pour un animateur d’un centre de jeunesse en contact quotidien avec des mineurs justifie un licenciement pour faute grave.

Une cause réelle et sérieuse de licenciement

2nde question : Si la faute n’est pas caractérisée, le salarié peut-il être licencié ?

Oui : un fait relevant de la vie personnelle du salarié peut être retenu comme cause réelle et sérieuse de licenciement, si ce fait crée un trouble objectif et caractérisé au sein de l’entreprise.

Pour établir l’existence ou non d’un trouble objectif et caractérisé, les juges apprécieront le fait au regard :

  • Des fonctions du salarié,
  • De l’objet social de l’entreprise,
  • Du retentissement du comportement incriminé dans et hors de l’entreprise.

Sans préjuger des suites que cet employeur donnera aux procédures engagées (et sans avoir les pièces du dossier), il est probable que cette entreprise entende invoquer ce « trouble objectif caractérisé » pour rompre ces contrats de travail , en s’appuyant notamment sur le trouble en termes d’image et de réputation d’une entreprise valorisant le savoir-faire français, se voulant résolument moderne et voulant « changer le monde en bien » , par les articles de presse, le visionnage massif par le public de cette vidéo et de quelques appels au boycott.

Il n’est pas certain néanmoins que ces arguments suffisent à convaincre une juridiction sociale.

Un risque certainement pris en compte par l’entreprise.

 

 

X