Les congés payés acquis pendant les arrêts maladie : une révolution, vraiment ?
Les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre sur l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie inquiètent les chefs d’entreprise. Ils dénoncent un risque de catastrophe économique. Ce n’est que l’application du droit, rappelle Me Michèle Bauer qui explique comment il faut comprendre cette jurisprudence.
Le syndicat CPME (la Confédération des petites et moyennes entreprises) a mis en ligne une pétition pour s’insurger de la dernière jurisprudence de la Cour de cassation sur l’acquisition des congés payés pendant les arrêts maladie.
Ce syndicat en appelle au gouvernement pour qu’il prenne une loi afin d’éviter une catastrophe économique pour les petites et moyennes entreprises. : « Cette décision qui risque de coûter plusieurs milliards d’euros chaque année aux entreprises, grandes ou petites, est INACCEPTABLE » (extrait de la pétition en ligne).
On ignore si beaucoup d’entreprises ont signé cette pétition, ce qui est sûr c’est que certains salariés qui ne savaient pas qu’ils pouvaient acquérir des congés payés durant leurs arrêts maladie sont désormais informés grâce à ce mouvement de contestation.
La loi française n’était pas conforme au droit européen
La CPME n’aura pas échappé à l’effet « Barbra Streisand ».
Est-ce qu’il faut s’insurger comme la CPME de l’application du droit de l’Union européenne en matière d’acquisition de congés payés durant les périodes d’arrêts de travail pour maladie ; je ne le crois pas.
En effet, depuis 2003, le droit français n’est pas en conformité avec le droit de l’Union européenne.
Les articles L3141-3 à L3141-5 du Code du travail conditionnent l’acquisition des congés payés à un travail effectif.
Aussi, le salarié ne peut acquérir de congés payés durant ses arrêts pour maladie car, par définition, il ne travaille pas.
Il existe des exceptions :
*Les conventions collectives peuvent prévoir que les congés payés s’acquièrent, aussi, durant les arrêts de travail pour maladie. Certaines conventions le prévoient avec une limitation de durée.
*Les arrêts de travail consécutifs à un accident de travail, un accident de trajet ou une maladie professionnelle permettent d’acquérir des congés payés dans la limite d’une année ininterrompue d’arrêt de travail.
Ces dispositions ne sont pas conformes au droit de l’Union Européenne dont l’article 7 de la directive sur le temps de travail datant de 2003 (directive 2003/88) prévoit que tout travailleur a droit aux congés payés, tout travailleur sans exception qu’il ait travaillé ou pas, qu’il ait été en arrêt de travail pour maladie ou pas.
De même, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne érige le droit au repos comme un droit fondamental (article 31)
Le droit de l’Union Européenne prime sur le droit français.
La cour de cassation avait alerté en 2013
Or, depuis 20 ans, ce droit à l’acquisition de congés payés durant les arrêts maladie aurait dû s’appliquer.
La Cour de cassation a alerté, dans son rapport d’activité de 2013, elle indique : « Il est donc proposé de modifier l’article L. 3141-5 du code du travail afin d’éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive. » (p 64-65-66)
En 2013, la Cour de cassation ne pouvait pas faire l’application de ces dispositions (arrêt du 13 mars 2013, Cour de Cassation)
C’est une affaire BAUER (Elisabeth) examinée par la CJUE qui permettra à la Cour de cassation de prendre les arrêts du 13 septembre 2023.
La CJUE décide que le juge national doit laisser inappliquée une disposition non conforme au droit de l’Union.
La Cour de cassation alerte à nouveau en vain.
C’est comme cela que naîtront les arrêts du 13 septembre 2023 qui ne font qu’appliquer le droit de l’Union européenne :
*les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ;
*en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;
*la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.
« — Mais c’est une Révolte, Sire ?
— Non c’est une Révolution pour certains ».
Pas pour moi, la seule petite révolution est sans doute l’absence de prescription et l’absence de limitation de durée des congés payés.
La plupart des actions ne sont pas prescrites
En effet, la Cour de cassation a précisé que la prescription ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer son droit en temps utile (application classique de l’article 2224 du code civil).
Or, quel est l’employeur qui aura informé le salarié de la possibilité d’acquérir des congés payés durant son arrêt de travail pour maladie ?
Aussi, la plupart des actions ne seront pas prescrites
A partir du 1er décembre 2009 (date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne) jusqu’à aujourd’hui, les salariés ayant acquis des congés durant leur arrêt de travail pour maladie pourront les solliciter.
Pire, les salariés pourront solliciter des congés payés sur plus de trois ans s’ils n’ont jamais été en mesure de disposer réellement de ces congés, il n’y a pas de limitation de durée.
La Cour d’appel de Paris, le 27 septembre 2023 et la Cour d’appel de Versailles, le 5 octobre 2023 ont déjà appliqué cette jurisprudence de la Cour de cassation.
Pour la Cour d’appel de Paris en accordant une indemnité de congés payés d’un peu plus de 6000 euros à la salariée dont le contrat de travail avait été rompu.
Pour la Cour d’appel de Versailles, cette dernière a ordonné à l’employeur d’abonder au compteur de ses congés payés, les congés payés du salarié acquis durant ses arrêts maladie, le salarié était encore en poste.
Les employeurs sont dans l’attente fébrile d’une réponse (qui devrait être donnée le 9 novembre 2023) à une question préjudicielle posée à la CJUE sur le report illimité des congés payés, est ce que ce report illimité est en conformité avec l’article 7 de la directive ?
Les conclusions de l’avocat général bottent en touche et renvoient aux Etats Membres, rien dans la directive ne leur interdit de réglementer cette question.
Cette question préjudicielle ou du moins sa réponse n’apportera rien au Schmilblick, si ce n’est qu’elle confirmera sans doute qu’il faudra l’intervention du législateur pour limiter les reports de congés payés.
La réelle révolution sera peut-être l’intervention, 20 ans après la bataille, du législateur français, sur la limitation, dans leur durée, de ces congés payés acquis durant les arrêts maladie.
Référence : AJU399919