Plus chère pour les employeurs, la rupture conventionnelle risque de pénaliser les salariés
Demain vendredi, la contribution unique à la charge de l’employeur sur le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle passe de 20 à 30%. Présentée comme une mesure pour protéger les seniors, cette augmentation pourrait en réalité les pénaliser, prévient Me Michèle Bauer.
À compter de ce vendredi 1er septembre, les ruptures conventionnelles seront plus chères pour les employeurs.
Une contribution unique de 30 % du montant de l’indemnité de rupture conventionnelle s’appliquera pour toutes les ruptures conventionnelles, alors que le forfait social était de 20 % (applicable aux ruptures conventionnelles des salariés qui n’avaient pas atteint l’âge de la retraite).
À noter que la contribution sur les indemnités de mise à la retraite est alignée sur celle de la rupture conventionnelle, elle passe de 50 % à 30 %.
Une volonté affichée de protéger les seniors contre les mises à la retraite déguisées
Cette contribution augmentée est justifiée par la volonté du législateur de lutter contre des prétendus détournements de la rupture conventionnelle pour les salariés dits « seniors » qui, proches de la retraite, auraient pu bénéficier, avec la rupture conventionnelle, d’une préretraite déguisée.
Par ailleurs, cette augmentation du coût de la rupture conventionnelle aurait également pour but de préserver les emplois des salariés seniors.
Quel programme ! On peut légitimement s’interroger : est-ce que ce but légitime est le véritable objectif ou existe-t-il d’autres raisons qui pourraient expliquer la taxation plus lourde de la rupture conventionnelle ?
Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de revenir brièvement sur l’historique de cette sorte de « divorce par consentement mutuel » entre le salarié et l’entreprise :
*Instituée en 2008, la rupture conventionnelle fête ses 15 ans. Elle a été mise en œuvre dans le cadre de la flexisécurité du travail, le but de cette dernière est de faciliter les ruptures pour les employeurs sans risque de contentieux, tout en permettant aux salariés de bénéficier d’une attestation Pôle Emploi et des allocations-chômage.
*La rupture conventionnelle est un contrat de rupture qui doit être homologué par la Direction de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) (laquelle ne refuse quasiment jamais l’homologation, je n’ai en tout cas aucun exemple).
*La rupture conventionnelle est rapide ; en un mois le salarié peut quitter l’entreprise. C’est intéressant pour l’employeur qui n’aura pas de préavis à régler (les cadres ont un préavis de 3 mois, il n’est pas négligeable pour certaines sociétés d’économiser deux mois de préavis).
*La rupture conventionnelle est sécurisée pour l’employeur, elle est inattaquable. Le salarié qui veut faire annuler une rupture conventionnelle devra démontrer un vice du consentement : dol, erreur ou violences, ce qui est impossible. L’employeur est à l’abri de tout contentieux.
*Le salarié bénéficie quant à lui d’une attestation Pôle emploi qui lui permet de bénéficier des allocations-chômage. Il préférera donc négocier une rupture conventionnelle plutôt que de démissionner.
Et si c’était en réalité pour faire des économies ?
La rupture conventionnelle a connu et connaît encore un succès massif : selon un rapport de la DARES, en 2021, 454 000 ruptures conventionnelles individuelles ont été homologuées. Ce chiffre est en constante augmentation.
Ce type de rupture est privilégié par rapport à la démission ou encore aux licenciements, il existe d’ailleurs un dévoiement de la rupture conventionnelle qui s’est clairement substituée aux licenciements, les employeurs préférant être sécurisés et limiter tout risque de contentieux.
Cela signifie que ces ruptures conventionnelles coûtent cher à l’État car il est nécessaire d’indemniser ceux de ces salariés qui n’ont pas forcément retrouvé un emploi.
Face à l’augmentation des ruptures conventionnelles, le législateur a décidé de leur appliquer un forfait social en 2013, de 20 %.
La mise en œuvre de ce forfait n’a pas permis de calmer l’engouement pour ce mode de rupture.
C’est, à mon sens, la vraie raison pour laquelle il a été décidé d’augmenter encore une fois le coût de la rupture conventionnelle en espérant dissuader certains employeurs d’y recourir (article 4 de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ).
Mais il était bien sûr difficile d’avouer une telle volonté de faire des économies sur le dos de futurs chômeurs. D’où le choix de prétendre inciter à une mise à la retraite plutôt qu’à une rupture conventionnelle et de vouloir maintenir les emplois des seniors.
Encore faut-il que ce motif soit réel et que les seniors aient recours massivement à la rupture conventionnelle.
L’ancienneté pénalisée ?
Or, tel n’est pas le cas, la DARES sur les ruptures conventionnelles sur l’année 2021 a constaté que l’augmentation des ruptures conventionnelles la plus importante concerne la tranche d’âge 30-39 ans, augmentation la plus importante. Pour les plus de 50 ans, l’augmentation est moindre. Par ailleurs, Bruno Coquet, dans une note du Conseil d’orientation pour l’emploi portant sur les paramètres qui influent sur les ruptures des contrats de travail des seniors, relève : il n’est pas possible de conclure à une utilisation massivement opportuniste de l’indemnisation chômage en fin de carrière . Autrement dit, aucun élément n’accrédite l’hypothèse que les seniors utiliseraient la rupture conventionnelle comme un moyen d’obtenir une préretraite avec les allocations-chômage versées.
En réalité, l’augmentation du coût de la rupture conventionnelle s’inscrit en cohérence avec la politique gouvernementale consistant à réduire l’indemnisation des chômeurs. C’est une nouvelle source d’économie après l’introduction de la présomption de démission dans le cas d’un abandon de poste.
Mais cette augmentation du coût de la rupture conventionnelle est-elle de nature à dissuader en pratique les employeurs d’y recourir ?
La mise en place d’un forfait social n’a pas vraiment dissuadé le recours à la rupture conventionnelle, au contraire, ce dernier a constamment augmenté. Mais à l’époque (en 2013) nous n’étions pas en période de crise. Il se pourrait bien que, dans le contexte actuel, cette augmentation pénalise les salariés qui bénéficient d’une importante ancienneté, sans toutefois être à l’âge de la retraite. Autrement dit, les seniors.
À l’inverse, pour les anciennetés plus courtes, une augmentation de 10 % de plus ne pèsera pas grand-chose. Prenons l’exemple d’un salarié de 57 ans, qui a deux ans d’ancienneté et gagne 4 000 euros par mois ; il aura droit à une indemnité de 2 000 euros. La nouvelle contribution oblige l’employeur à régler 600 euros au lieu de 400. Est-ce vraiment dissuasif ?
Pour finir, je crains que ce coût plus important de la rupture conventionnelle risque d’enfermer encore plus les salariés à qui l’employeur a refusé une rupture conventionnelle. Certains de ces qui souffrent dans leur emploi, qui ont beaucoup d’ancienneté et qui ne souhaitent pas démissionner tomberont malades et seront un coût pour la sécurité sociale, avant de finir par être licenciés pour inaptitude. D’autres, démissionneront contraints et forcés sans aucune indemnité et sans allocations-chômage.
Finalement le prétendu but recherché, celui de la préservation des emplois des seniors sera loin d’être atteint !
Référence : AJU387181