Les ruptures conventionnelles en forte hausse en 2022

Publié le 19/07/2022
Licenciement, rupture conventionnelle
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LA DARES enregistre 42 300 homologations de rupture conventionnelle sur le mois de mars 2022. Ce chiffre est l’un des plus élevés jamais enregistré. Il démontre l’engouement pour ce type de rupture du contrat de travail.

Mise en place par la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle permet à l’employeur et au salarié d’un commun accord de mettre fin à un contrat à durée indéterminée (CDI) sans avoir besoin de justifier d’un motif particulier.

Depuis sa création, le chiffre des ruptures conventionnelles aussi appelées « ruptures amiables » n’a cessé de progresser : près de 172 000 ruptures conventionnelles ont été homologuées au cours de la première année, en 2009 ; par la suite, la progression était constante pour atteindre 317 000 ruptures conventionnelles en 2013. Le point culminant était atteint en 2019 avec 444 000 ruptures sur l’année. 2020 et 2021 connaîtront un léger repli en raison de la crise sanitaire.

Toutefois, ce dispositif reste plébiscité et est clairement rentré dans les mœurs des salariés et des employeurs souhaitant mettre fin à un CDI.

Sur le seul mois de mars 2022, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) comptabilise 42 300 homologations de ruptures conventionnelles ce qui laisse penser que l’année 2022 sera la plus prolifique depuis sa création.

Quels sont les droits des salariés en cas de rupture conventionnelle ? Quelle est l’échelle des indemnités ?

La rupture conventionnelle est une rupture d’un commun accord. Dès lors, le salarié n’est jamais tenu d’accepter la rupture proposée par son employeur. Le refus de signer une rupture conventionnelle ne saurait être considéré comme fautif et aucune sanction disciplinaire ne peut en découler. De la même manière, le salarié qui propose à son employeur une rupture conventionnelle pour quitter son poste ne peut pas le contraindre à la signer. Les parties doivent trouver un terrain d’entente.

En pratique, le sujet de l’indemnité pose souvent des problèmes, l’employeur ne voulant pas la verser ou le salarié souhaitant la voir augmenter. En cas de rupture conventionnelle en effet, le salarié doit impérativement percevoir une indemnité qui ne peut pas être inférieure à l’indemnité prévue à l’article L. 1234-9 du Code du travail, à savoir l’indemnité de licenciement. Le salarié peut donc prétendre a minima à 1/4e de mois de rémunération brute par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans et même 1/3e de mois de rémunération brute au-delà. À la différence de l’indemnité de licenciement, le salarié peut prétendre à cette indemnité quelle que soit son ancienneté (y compris s’il dispose de moins de huit mois d’ancienneté). Le salarié peut même prétendre à l’indemnité conventionnelle de licenciement si celle-ci est plus favorable que l’indemnité légale de licenciement. Surtout, il faut rappeler qu’il s’agit là d’un minimum, sujet à négociation, les parties pouvant convenir d’une indemnité de rupture plus élevée. Plusieurs paramètres entrent en jeu :

  • les charges sociales ;
  • la fiscalité ;
  • le délai de carence de Pôle emploi.

Sur les charges sociales. L’indemnité de rupture conventionnelle est, dans la limite du montant minimum, soumise uniquement au forfait social de 20 % (sauf si elle dépasse deux fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS) soit 82 272 € pour 2022). En revanche, lorsque l’indemnité versée est supérieure à l’indemnité conventionnelle ou légale, il faut ajouter la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) pour la partie de l’indemnité supra-légale ou supra-conventionnelle. Attention, néanmoins, la fraction d’indemnité supérieure à deux fois le PASS, soit 82 272 € pour 2022, est soumise aux cotisations sociales. Elle l’est même dès le premier euro si elle dépasse 10 PASS. Enfin, l’indemnité n’est pas exonérée si le salarié est en droit de bénéficier d’une pension de retraite (à taux plein ou à taux partiel).

Sur la fiscalité. L’indemnité est exonérée d’impôt sur le revenu pour le salarié qui la perçoit si elle correspond à l’indemnité légale ou conventionnelle. En revanche, l’indemnité de rupture conventionnelle peut être soumise à l’impôt sur le revenu si les indemnités dépassent certains seuils, notamment si l’indemnité de rupture est supérieure à deux fois la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture. Elle est également soumise à impôt pour les salariés bénéficiant d’une retraite (à taux plein ou à taux partiel).

Sur le différé d’indemnisation Pôle emploi. Contrairement à la démission, qui n’ouvre pas droit (sauf rares exceptions) aux allocations-chômage, la rupture conventionnelle permet au salarié de s’inscrire à Pôle emploi et de bénéficier des allocations dans les mêmes conditions qu’un licenciement. Toutefois, le salarié doit garder à l’esprit l’application des règles en matière de différé d’indemnisation au moment de la signature d’une rupture conventionnelle. Le salarié devra subir un différé :

  • de sept jours incompressibles ;
  • lié à l’indemnité compensatrice de congés payés réglée dans le cadre de son solde de tout compte ;
  • et des indemnités supra-légales éventuelles.

Autrement dit, si le salarié négocie une indemnité de départ supérieure à l’indemnité minimum, il se verra appliquer un délai de carence lors de son inscription à Pôle emploi. Ce différé ne pourra pas excéder 150 jours au maximum. Après application du délai de carence, le salarié bénéficie de la totalité de ses droits à chômage, ceux-ci étant simplement différés dans le temps.

Quelle est la procédure à respecter ?

L’employeur et le salarié doivent impérativement respecter la procédure prévue aux articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail. Les parties doivent débuter la procédure par un ou plusieurs entretiens pour évoquer les conditions de la rupture.

Si les textes n’imposent pas une invitation écrite à l’entretien, il est fortement recommandé de privilégier l’écrit pour se ménager la preuve et éviter toute remise en cause de la rupture. Cette convocation devra contenir les informations suivantes permettant au salarié d’avoir une connaissance complète de ses droits :

  • la date, l’heure et le lieu de l’entretien ;
  • la possibilité de se faire assister soit par un collègue de travail, soit par un conseiller du salarié inscrit sur liste préfectorale pour les entreprises non dotées d’un comité social et économique ;
  • la possibilité pour le salarié d’aller se renseigner auprès des services publics pour appréhender le dispositif et les droits qui en découlent (évaluer ses droits à chômage, ou ses droits à formation…) ;
  • la possibilité pour l’employeur d’être assisté à l’entretien si le salarié est assisté.

De préférence, la convocation sera remise en main propre contre décharge ou envoyée en lettre recommandée avec avis de réception, pour se ménager la preuve de sa remise.

Enfin, le Code du travail ne précise pas de délai entre la réception de la convocation et la date de l’entretien. Il convient de laisser un délai raisonnable. On pourra se baser sur le délai prévu par la procédure de licenciement à savoir cinq jours ouvrables. Au cours de l’entretien, les parties pourront négocier les conditions de la rupture à savoir :

  • la date de rupture du contrat de travail ;
  • le montant de l’indemnité de rupture ;
  • les conditions de travail jusqu’aux termes du contrat (prise de congés payés, dispense d’activité…) ;
  • la négociation de clause spécifique du contrat : levée de la clause de non-concurrence, sort de la clause de dédit formation, restitution du matériel, véhicule, téléphone, etc.

Par suite, et en cas d’accord entre les parties, il faudra passer à la signature du CERFA n° 14598*01. La négociation et la signature des documents pourront avoir lieu au cours du même entretien ou au cours d’un nouvel entretien. Le formulaire CERFA doit être signé en trois exemplaires, chaque partie devra impérativement en garder un. La jurisprudence s’est prononcée à plusieurs reprises sur le sujet. En effet, les parties disposent d’un délai de 15 jours de rétractation à l’issue de la signature du CERFA. Ainsi, et pour faire valoir son droit de rétractation, le salarié doit nécessairement être en possession d’un exemplaire. À défaut, la jurisprudence considère que la rupture conventionnelle est nulle1. De surcroît, il appartient à l’employeur de prouver que le salarié est bien en possession d’un exemplaire du CERFA2. Dès lors, il est indispensable de faire signer au salarié un reçu selon lequel il possède bien un exemplaire du CERFA. Enfin, le troisième exemplaire sera destiné à l’homologation auprès de l’inspection du travail après expiration du délai de rétractation de 15 jours calendaires. Cette homologation peut être donnée expressément ou implicitement par l’administration (le silence de l’administration vaut acceptation). Pour finir, seul un refus express de l’administration bloquera la rupture et obligera les parties à poursuivre l’exécution du contrat de travail.

Depuis le 1er avril 2022, les parties doivent impérativement soumettre la rupture conventionnelle à homologation via la plateforme TELERC3. L’envoi papier à l’inspection du travail est désormais proscrit. L’homologation de l’administration est ainsi dématérialisée et accessible en ligne au terme des 15 jours (ouvrables, cette fois-ci). Selon la DARES, les refus d’homologation représentent environ 1 % des demandes. Dans cette hypothèse, rien n’empêche les parties de réinitialiser une procédure en corrigeant leurs erreurs.

La procédure est ouverte également pour les salariés protégés (salariés listés aux articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du Code du travail). Deux différences notables s’appliquent. D’une part, il convient d’utiliser un CERFA distinct. D’autre part, il convient d’obtenir l’autorisation expresse de l’inspection du travail et non une simple homologation.

Quelles sont les différentes modalités de rupture d’un contrat de travail ?

On distingue quatre grands modes de rupture du contrat de travail :

  • la démission, à l’initiative du salarié ;
  • le licenciement, à l’initiative de l’employeur ;
  • la rupture conventionnelle, d’un commun accord entre les parties ;
  • enfin, la voie contentieuse et judiciaire avec la résiliation judiciaire ou la prise d’acte.

Chaque cas dispose d’une philosophie bien distincte.

Quelles sont les prérogatives de l’employeur ?

La rupture conventionnelle présente l’avantage pour l’employeur de ne pas avoir à justifier d’un motif à la différence d’un licenciement qui exige de pouvoir démontrer une difficulté économique, une faute, une insuffisance, une inaptitude… Dans le cadre d’une rupture conventionnelle, la simple signature des parties emporte la volonté de mettre fin au contrat. Le juge ou l’administration ne contrôlent donc pas la motivation des parties. L’employeur peut être tenté de substituer un licenciement par une rupture conventionnelle pour éviter la lourdeur de la procédure de licenciement et la charge de la preuve du motif et par conséquent, le contentieux.

Quelques réserves ont donc été posées pour éviter des détournements de procédure. Ainsi, il a été admis que la rupture conventionnelle pouvait intervenir en cas de difficulté économique de l’entreprise si et seulement si la rupture conventionnelle n’a pas pour effet d’éluder les règles protectrices du licenciement économique collectif4. De même, il est possible de recourir à plusieurs ruptures conventionnelles simultanément ou dans un délai très proche si, là encore, les ruptures amiables n’ont pas pour effet d’éluder les règles du licenciement économique collectif.

En outre, cette rupture peut intervenir à tout moment du contrat de travail. Ainsi, la rupture est possible pendant un arrêt maladie y compris accident du travail, ou arrêt pour maladie professionnelle5, pendant un congé maternité6 ou encore un congé parental.

La rupture conventionnelle peut même être conclue avec un salarié déclaré inapte7. Dans ce cas précis, cela permet à l’employeur de se dispenser des règles relatives à la procédure de licenciement pour inaptitude et aux obligations de reclassement qui peuvent parfois être fortement contraignantes.

Combien de temps dure le délai de contestation d’une rupture conventionnelle ?

Le délai de contestation est de 12 mois à compter de l’homologation. La contestation doit avoir lieu impérativement devant le conseil des prud’hommes. Ce délai de 12 mois peut être écarté lorsque l’employeur commet une fraude ayant justement pour objet d’obtenir la forclusion. Dans cette hypothèse, les juges considèrent que la fraude a pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance de la fraude8.

Les cas de contestation, dans le délai de 12 mois, sont essentiellement en relation avec un vice du consentement ; le consentement ayant été vicié par fraude, dol ou violence. Le juge s’attache donc surtout à contrôler que les parties ont donné leur consentement d’une manière éclairée et libre. Ainsi, il n’y a pas nécessairement de vice du consentement en cas de conflit entre l’employeur et le salarié. La haute cour valide ainsi la rupture conventionnelle conclue dans un contexte conflictuel si le salarié est en mesure d’apprécier les conséquences de son acte9. La rupture conventionnelle peut donc être utilisée pour sortir d’une situation de litige entre employeur et salarié.

En revanche, les juges considèrent qu’il existe un vice du consentement notamment lorsque l’employeur n’informe pas le salarié d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) à venir au sein de l’entreprise. Le PSE pouvant, très certainement, octroyer plus de droits au salarié, le salarié n’a pas pu donner un consentement éclairé. La rupture est nulle10. De même, la rupture devient nulle si le salarié était contraint de consentir à la rupture conventionnelle en raison du harcèlement11.

Toutefois, les juges ont récemment apporté une nuance concernant le harcèlement. Ils considèrent que la rupture conventionnelle est possible dans un contexte de harcèlement moral de la part de l’employeur si le salarié a eu un consentement parfaitement libre et éclairé12. En termes de harcèlement moral, il relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges de déterminer si le consentement du salarié était vicié ou non. Des indices tels que l’assistance du salarié au cours de la procédure, la négociation d’une somme supérieure au minimum légal seront nécessairement déterminants pour apprécier la validité du consentement du salarié.

Enfin, en cas de nullité de la rupture conventionnelle, les juges requalifient la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié est alors en droit d’obtenir les indemnités suivantes :

  • son indemnité de licenciement ;
  • une indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de congés payés s’y rapportant ;
  • des dommages et intérêts conformément à l’article L. 1235-3 du Code du travail (barème Macron).

Enfin, le salarié ne doit pas oublier une chose : en cas de nullité de la rupture conventionnelle, il devra restituer l’indemnité perçue puisque la nullité entraîne la remise des parties dans l’état où ils se trouvaient avant la rupture13.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. soc., 3 juill. 2019, n° 17-14232 – Cass. soc., 3 juill. 2019, n° 18-14414.
  • 2.
    Cass. soc., 10 mars 2021, n° 20-12801.
  • 3.
    www.telerc.travail.gouv.fr.
  • 4.
    Rép. min. n° 29982 : JOAN, 18 juin 2013.
  • 5.
    Cass. soc., 30 sept. 2014, n° 13-16297.
  • 6.
    Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10149.
  • 7.
    Cass. soc., 9 mai 2019, n° 17-28767.
  • 8.
    Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16994 et Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16996.
  • 9.
    Cass. soc., 3 juill. 2013, n° 12-19268.
  • 10.
    Cass. soc., 6 janv. 2021, n° 19-18549.
  • 11.
    Cass. soc., 30 janv. 2013, n° 11-22332.
  • 12.
    Cass. soc., 23 janv. 2019, n° 17-21550.
  • 13.
    Cass. soc., 30 mai 2018, n° 16-15273.
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