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Affaire Deliveroo : une sévérité avant tout apparente, néanmoins sur la bonne voie

Publié le 29/12/2022
Deliveroo
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Dans une décision du 19 avril 2022, le tribunal correctionnel de Paris, en se fondant sur l’existence d’un lien de subordination entre la société Deliveroo et les livreurs qui travaillaient avec elle, a déclaré la société coupable du délit de travail dissimulé et a prononcé des condamnations qui paraissent importantes, mais dont on n’est pas sûr qu’elles soient vraiment adaptées à la situation. Elle ouvre néanmoins la voie de la requalification en contrat de travail de la situation des livreurs.

CA Paris, 19 avr. 2022, no 20/01914

Les services de livraison de courses ou autres produits pullulent, mais l’équilibre sur lequel ils reposent est tourmenté1. Même si le phénomène existait avant elle, la crise du Covid a fait exploser la demande de livraison à domicile, notamment de repas, proposée par les grandes enseignes et les plateformes spécialisées dans cette activité. Ces habitudes ne se sont pas arrêtées, malgré un ralentissement de la pandémie.

On a déjà pu voir les conséquences néfastes d’Airbnb, entreprise pour laquelle la réglementation a cherché à atténuer les effets négatifs2. Dans le cas présent, les entreprises spécialisées dans les livraisons au modèle social douteux viennent, avec la présente décision – qui, si elle est la première au pénal, n’est pas la première en ce sens3 – de subir un nouveau coup de frein, avant le coup d’arrêt définitif, comme en Espagne avec une présomption légale de salariat des livreurs et une jurisprudence londonienne allant dans le même sens4.

Si des conseils prud’hommes ont admis la subordination des livreurs aux plateformes et donc leur contrat de travail, et que de nombreuses affaires portant sur cette question sont en cours et en attente d’être jugées, c’est la première fois qu’une condamnation au pénal est prononcée. Selon toute vraisemblance, ce procès va déboucher sur d’autres. Cela dit, il ne couvrait qu’une période précise : du 20 mars 2015 au 12 décembre 2017, et il semblerait que la situation des travailleurs concernés ne se soit pas améliorée depuis.

Pour autant, si les peines prononcées paraissent importantes, elles doivent être rapprochées d’une autre affaire5 dans laquelle la mise en place d’un système d’espionnage de ses salariés par une entreprise avait donné lieu à sa condamnation à verser une amende importante (1 million d’euros) mais avec sursis et une interdiction de gérer6, condamnation dont le caractère a été jugé largement inadapté. Le juge pénal qui prononce ce type de sanction doit par ailleurs en préciser l’objet exact7, ce qui souligne l’intérêt de rappeler la typologie des peines possibles en dehors de l’amende et de l’emprisonnement.

Le juge a en effet à sa disposition de nombreuses peines comme :

  • la dissolution de la personne morale8, lorsque celle-ci a été créée pour commettre les faits incriminés9 ;

  • le placement, pour une durée de cinq ans maximum, sous surveillance judiciaire10 ;

  • la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans maximum de l’un ou des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés11 ;

  • l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans maximum 12 ;

  • la peine de confiscation13. La mesure vise alors tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l’infraction, ce qu’il appartient au juge de préciser14, ou qui étaient destinés à la commettre15, ainsi que les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction. La rémunération occulte du travail dissimulé accompli et poursuivi n’entre pas dans la catégorie des biens ou objets qui peuvent être confisqués16. Elle est de nature à permettre une répression efficace du travail dissimulé.

L’affaire Deliveroo est donc l’occasion de se pencher sur le travail dissimulé (I), et de mener une analyse au-delà du pénal (II) en ce qui concerne la consécration du contrat de travail des livreurs travaillant pour des plateformes de livraisons.

I – Travail dissimulé

La présente décision condamne une plateforme de livraison pour travail dissimulé, des situations distinctes sont incriminées sous ce chef, notamment la dissimulation d’activité17. Ce qui amène à définir (A) le délit et à le caractériser par ses éléments (B).

A – Définition

La volonté de combattre le phénomène du travail dissimulé est une préoccupation actuelle. Pour détourner la réglementation, l’imagination est au pouvoir : recours abusif aux conventions de stage ou au bénévolat, fausses sous-traitances18, fausses déclarations de salariés comme travailleurs indépendants, fraude au détachement de salariés19, et, comme dans la présente espèce, salariat masqué par des relations de partenariat commercial. Pourtant les juges ne s’y trompent pas et restituent aux situations invoquées leur véritable qualification juridique. L’impact économique et social est fort et souvent négatif : concurrence déloyale, montée du chômage par la destruction de l’emploi, précarité des travailleurs à faibles revenus et sans couverture sociale, perte de recettes pour les organismes sociaux… Cela est de nature à inciter les pouvoirs publics à accentuer la répression de ce délit pénal20.

Le travail dissimulé est un travail illégal21 qui peut se caractériser, lorsqu’une relation de salariat est établie, par le fait de ne pas procéder aux déclarations obligatoires auprès des organismes de protection sociale à l’administration fiscale22. Alors que l’activité est valablement déclarée, le travail dissimulé peut être constaté lorsqu’il y a dissimulation d’emploi salarié, c’est-à-dire lorsque l’employeur s’est soustrait à la déclaration préalable à l’embauche (DPAE)23, n’a pas remis de bulletin de paie ou un document équivalent24, ou n’a pas accompli, auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, ou de l’administration fiscale, les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci25.

C’est la personne physique ou morale exerçant l’activité, en sa qualité d’employeur, qui porte la responsabilité de la dissimulation, le salarié ne peut pas être poursuivi au titre du délit de travail dissimulé.

Différents agents verbalisateurs ont la compétence pour constater l’infraction de travail dissimulé26, dans la limite de leurs compétences respectives27 : les agents de contrôle de l’inspection du travail28, officiers et agents de police judiciaire, agents des impôts et des douanes, agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole agréés à cet effet et assermentés, administrateurs des affaires maritimes, officiers du corps technique et administratif des affaires maritimes, fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l’autorité ou à la disposition du ministre chargé de la Mer, fonctionnaires des corps techniques de l’aviation civile commissionnés à cet effet et assermentés, fonctionnaires ou agents de l’État chargés du contrôle des transports terrestres, agents de Pôle emploi chargés de la prévention des fraudes, agréés et assermentés à cet effet. Pour constater le délit de travail dissimulé, ces autorités29 disposent d’une série de prérogatives adéquates.

Les agents de contrôle30 doivent communiquer aux conseillers rapporteurs des conseils de prud’hommes, sur la demande de ces derniers, les renseignements et documents relatifs au travail dissimulé dont ils disposent, sans pouvoir opposer le secret professionnel31.

B – Éléments de l’infraction

Élément matériel. Les incriminations sont déterminées par leurs éléments : pour l’élément matériel, une dissimulation partielle de l’activité caractérise l’existence d’un travail dissimulé. Le champ d’application de l’incrimination est vaste et peut être appliqué aux entreprises qui cherchent à dissimuler des salariés, notamment en les présentant comme prestataires de services indépendants alors qu’il existe entre eux et l’entreprise un lien de subordination caractéristique du contrat de travail32. Dans la présente espèce, la société était poursuivie pour dissimulation d’emploi salarié33, qui peut être avérée de trois manières différentes : par un défaut de DPAE, par l’absence ou l’irrégularité du bulletin de paie ou par le défaut de déclaration des salaires et des cotisations. Ces trois formes du délit ne constituent pas des conditions cumulatives de la culpabilité du prévenu, mais des conditions alternatives dont une seule suffit à prononcer une condamnation si l’élément intentionnel est constaté34. Le recours au salariat suppose une DPAE35. À défaut de déclaration, le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est nécessairement consommé36. Peu importent la qualité de l’employeur et les modalités de rémunération37.

Le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié implique nécessairement l’existence d’un contrat de travail38, qui, comme en l’espèce, peut être établi par le tribunal correctionnel devant lequel l’infraction est poursuivie. Le juge pénal n’étant pas lié par la qualification donnée par les parties, il devra rechercher la véritable nature de la relation contractuelle et caractériser l’existence d’un lien de subordination pour conclure à l’existence d’un contrat de travail39. Pour les travailleurs des plateformes, ce raisonnement prend appui sur la réalité des conditions d’accomplissement de la tâche, lorsque peut être qualifié de fictif le statut d’indépendant accordé au prestataire que partagent le juge social et le juge criminel40.

Pour les stages, un employeur ne peut, sans se rendre coupable du délit de travail dissimulé, faire réaliser à des stagiaires, sous le contrôle des salariés de la société, une prestation de travail non qualifiée sans bénéficier de formation et moyennant une rémunération indirecte41. Compte tenu de l’augmentation exponentielle des stages et du nombre de stagiaires travaillant dans de telles conditions, on peut s’étonner du faible nombre de poursuites et de condamnations42.

Élément moral. Le délit de travail dissimulé constitue un délit intentionnel43, il ne peut y avoir travail dissimulé que si les juges constatent une violation de la loi en connaissance de cause44, ce qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond45.

Est condamnable la volonté de ne pas recourir au salariat46 alors que les circonstances d’exécution de la prestation permettent de constater l’existence d’un lien de subordination.

Les exigences relatives à la preuve de l’élément intentionnel semblent particulièrement réduites pour la chambre criminelle lorsqu’il s’agit d’un défaut de déclaration d’embauche, puisque celle-ci a pu affirmer que « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de son auteur l’intention coupable exigée47.

Il existe un arsenal législatif en vue de sanctionner pénalement le travail dissimulé. En effet les sanctions diffèrent s’il s’agit de personnes physiques ou de personnes morales48. Mais la commission de ce délit est aussi une faute civile qui, appréhendée sous un angle indemnitaire, est soumise à des sanctions spécifiques. Le coupable s’expose enfin à un redressement et au paiement de cotisations sociales à l’Administration. Par ailleurs, l’URSSAF rappelle régulièrement que le manque annuel à gagner de l’État pour la seule question des cotisations sociales éludées dans le cadre de travail dissimulé est de 7 à 9 milliards d’euros49.

Le délit de travail dissimulé doit être jugé en formation collégiale devant le tribunal ainsi que devant la chambre des appels correctionnels50.

Des peines complémentaires sont possibles telles que l’affichage et la diffusion de la décision prononcée51, ou encore l’interdiction des droits civiques, civils et de famille52 qui peut être formulée à l’encontre du coupable53.

Les personnes morales peuvent voir leur responsabilité pénale engagée et font l’objet de sanctions spécifiques54.

Contre les personnes morales, les juges peuvent prononcer certaines peines qui paraissent adaptées55, à savoir :

  • l’interdiction d’exercice prononcée soit à titre définitif, soit pour une durée maximale de cinq années56 ;

  • le placement de la personne morale sous surveillance judiciaire57 (cette peine ne peut être prononcée pour une durée supérieure à cinq années) ;

  • la fermeture des établissements ou de l’un ou plusieurs établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés. La fermeture peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de cinq ans maximum58. Le prononcé de la peine complémentaire de fermeture provisoire d’établissement ne doit entraîner ni rupture, ni suspension du contrat de travail, ni aucun préjudice pécuniaire pour les salariés de l’établissement concerné59 ;

  • l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans maximum60 ;

  • la confiscation de certains biens61 ;

  • l’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique62. Le cumul est exclu63 ;

  • l’interdiction de percevoir toute aide publique pendant une durée maximale de cinq ans64.

Des sanctions civiles sont prévues et, bien que la législation sur le travail dissimulé ait pour objet la protection de l’intérêt général, elle tend aussi à la protection des intérêts individuels lorsque son non-respect a causé un préjudice individuel et personnel.

Pour l’indemnisation des victimes, les sanctions civiles65 s’articulent autour de la personne même du salarié.

Les rémunérations versées ou dues à des salariés, qui sont réintégrées dans l’assiette des cotisations à la suite du constat de l’infraction de travail dissimulé, ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure de réduction ou d’exonération de cotisations de sécurité sociale ou de minoration de l’assiette de ces cotisations66.

L’infraction de travail dissimulé67 est constituée lorsque, sous couvert de mandats entre une société et plusieurs de ses anciens salariés ayant le statut d’autoentrepreneurs, ces derniers fournissent en réalité à l’employeur des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci68.

II – Au-delà du pénal : reconnaissance de la qualité de salariés des travailleurs

Certains cherchent à asseoir les relations de travail sur une autre figure juridique que celle du contrat de travail, et le phénomène n’est pas récent69. Quel que soit le montage juridique ou l’appellation proposée, les juges, s’ils y trouvent un élément de subordination, n’hésitent pas à les requalifier en contrat de travail. Dans la présente espèce, ils se sont fondés sur ce lien de subordination qu’ils ont trouvé dans les relations entre les parties et les conditions d’exécution de la tâche pour fonder une condamnation pour travail dissimulé. La chose est ancienne et classique. Les affaires de chauffeurs Uber sont présentées comme un modèle économique révolutionnaire qui permettrait d’aller vers un nouveau modèle de société. La nouveauté est cependant limitée à un changement d’échelle : le passage de l’artisanat au multinational mondialisé sans modification nécessaire des principes juridiques aussi anciens que le droit du travail, qui, même si certains le regrettent et espèrent sa fin prochaine70, continuent à s’appliquer. Régulièrement, les juges requalifient en contrat de travail des situations abusivement présentées comme celle d’un travailleur indépendant lié à un partenaire commercial71, alors que le travailleur ne dispose en réalité d’aucune réelle liberté à l’égard de celui-ci. Il ne doit donc pas être considéré comme un partenaire commercial, comme cela était soutenu par les prévenus, mais comme son employeur.

En matière de travail, les techniques évoluent, mais, pour le moment, dans la relation de travail, les principes juridiques demeurent72. L’enjeu global du travail ubérisé étant justement de les faire disparaître. Néanmoins, la Cour de cassation définit la subordination comme l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné73.

Un texte qui voulait mettre en place l’impossibilité pour les victimes de ces pratiques de faire reconnaître leur lien de subordination à l’égard des plateformes74 n’a pas résisté au Conseil constitutionnel75, montrant ainsi que, lorsque l’on cherche à leur tordre le cou pour les adapter aux intérêts financiers de certaines entreprises, les principes fondamentaux du droit finissent par prendre leur revanche76.

L’immense majorité de ces plateformes propose ou impose la signature d’un contrat présenté comme étant de « partenariat » et conditionne la collaboration avec elles à une inscription préalable sous statut d’autoentrepreneur, et correspond en réalité à un contrat de travail que les juges ont parfois l’occasion de requalifier.

Au regard des faits constatés et analysés par les juges du fond, le statut de travailleur indépendant est fictif lorsque le donneur d’ordre est une société qui avait adressé des directives à celui qui les exécute, en avait contrôlé l’exécution et avait exercé un pouvoir de sanction, permettant de constater l’existence d’un lien de subordination, et donc d’un contrat de travail77.

A – Tous indépendants

Le contrat de travail ne dépend pas de la volonté des parties ou de l’une d’entre elles, même imposée à l’autre, mais de la réalité de leur situation78. Dès lors qu’il y a subordination, les relations doivent être requalifiées en contrat de travail79, quelle que soit l’appellation donnée à leur relation par les parties ; alors les juges peuvent procéder à la requalification et le font.

On constate depuis longtemps une recherche de moyens d’échapper au contrat de travail, et des contrats divers sont invoqués pour dissimuler le salariat80.

La présomption légale de non-salariat des personnes ayant le statut d’autoentrepreneurs peut être détruite s’il est établi qu’elles fournissent directement, ou par une personne interposée, des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci81.

B – Requalification d’une entreprise indépendante et… fictive

Le contrat de travail s’oppose au contrat d’entreprise, qui est l’accord par lequel une personne s’engage envers une autre à exécuter, moyennant une rémunération, une prestation de travail à titre indépendant82. L’auteur de la prestation conserve une entière liberté dans l’organisation de son travail et assume les risques économiques de son activité, a une clientèle personnelle, utilise son propre matériel et recourt souvent au service d’auxiliaires rémunérés par lui ; être entrepreneur indépendant, c’est être maître de sa capacité de profit83.

1 – L’existence d’un lien de subordination

C’est l’existence d’un lien de subordination qui constitue le marqueur essentiel permettant de différencier le contrat de travail d’autres conventions comportant l’échange d’une prestation et d’une rémunération. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail84.

Le lien de subordination se décompose en trois éléments :

  • le pouvoir de donner des instructions ;

  • le pouvoir d’en contrôler l’exécution ;

  • le pouvoir de sanctionner le non-respect des instructions données (l’intégration dans un service organisé venant en complément).

Tout cela a permis, par l’analyse de la situation des parties, de conclure ici à un contrat de travail.

2 – Les critères de la subordination caractéristique du contrat de travail

L’analyse de la situation concrète des parties est de nature à permettre de constater l’existence du lien de subordination caractéristique du contrat de travail entraînant la qualification de la relation en contrat de travail que l’on a cherché à éluder.

a – Principes

L’autonomie, même large, dont peut bénéficier un salarié dans l’organisation de son emploi du temps n’exclut pas le lien de subordination ni le contrat de travail85. Lorsqu’elle est appliquée à une personne présentée comme travailleur indépendant, il convient de vérifier si l’indépendance alléguée n’est pas du salariat86.

b – Une particularité : le service organisé

Un indice de subordination est le travail au sein d’un service organisé mais seulement lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions87.

La plateforme joue un rôle structurant : le modèle Uber repose sur un principe selon lequel les risques de l’exploitation sont à la charge de ceux qui travaillent et non de son créateur, or le contrat de travail se caractérise justement par le fait que les risques de l’exploitation sont à la charge, non pas du salarié, mais de l’entrepreneur, ce à quoi les plateformes cherchent à échapper. Il y a alors lieu de rappeler l’adage « fraus omnia corrumpit » et d’en tirer les conclusions qui s’imposent : la requalification en contrat de travail de ce qui est présenté frauduleusement comme une autre situation.

Avec internet et les nouvelles technologies, de nouvelles formes de travail ont fait leur apparition88 (exemple : télétravail, partenaires de plateformes électroniques, e-sportifs), toutefois les techniques utilisées, si elles bouleversent parfois les façons de l’exécuter, ne changent pas la nature de la relation de travail (le contrat de travail est avéré dès lors qu’il y a subordination).

Il ne reste plus aux juges civiles qu’à procéder aux requalifications qui s’imposent et aux juges pénaux de prononcer des peines réellement adaptées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    A.-L. Pineau, « Les dark-stores, ou l’ubérisation des villes », Actu-Juridique.fr 28 avr. 2022, n° AJU004k3.
  • 2.
    M. Richevaux, « La loi ELAN, les locations touristiques saisonnières, Airbnb et autres », LPA 16 mai 2019, n° LPA143x6.
  • 3.
    M. Richevaux, « Coursier à vélo : un coup de frein à l’indépendance le coursier à vélo est salarié », LPA 31 janv. 2019, n° LPA141p7.
  • 4.
    M. Richevaux, « Le droit aux activités économique : regards croisés entre le pays du Nord et du Sud à propos de l’entreprenariat », Cahiers du Cedimes 3/2022.
  • 5.
    T. corr. Versailles, 15 juin 2021 : M. Richevaux, « Espionnage de ses salariés par une entreprise et caractère adapté de la peine », LPA déc. 2021, n° LPA201h7.
  • 6.
    C. trav., art. L. 8224-3 – C. pén., art. 131-27.
  • 7.
    Cass. crim., 28 nov. 2017, n° 16-86402.
  • 8.
    C. pén., art. 131-39, 1°.
  • 9.
    C. pén., art. 434-43 : P. Le Cannu, « Les sanctions pénales applicables aux personnes morales, dissolution, fermeture d’établissement et interdiction d’activités », Rev. sociétés 1993, p. 341 ; J.-H. Robert, Droit pénal général, 6e éd., 2005, PUF, p. 455.
  • 10.
    CPP, art. 723-29 à CPP, art. 723-37.
  • 11.
    C. pén., art. 131-48, al. 2.
  • 12.
    C. trav., art. L. 8224-3, 2° – CCP, art. L. 1111-1 et s.
  • 13.
    C. pén., art. 131-21 – Cass. crim., 5 déc. 2018, n° 17-87508.
  • 14.
    Cass. soc., 21 oct. 2020, n° 19-87783.
  • 15.
    C. pén., art. 131-21, al. 2.
  • 16.
    Cass. crim., 8 juin 1999, n° 98-82680 : Dr. pén. 1999, comm. 112, obs. J.-H. Robert.
  • 17.
    L. n° 97-210, 11 mars 1997, relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal, modifiant la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991.
  • 18.
    D. Del Prete, « La responsabilité des donneurs d’ordres privés et publics en matière de travail dissimulé », Lexbase Hebdo, 20 avr. 2017, n° 695, éd. Sociale.
  • 19.
    J.-P. Fournel, « L’évolution des comportements frauduleux en matière de travail dissimulé », Dr. soc. 2011, p. 518 ; M. Caron, « Le travail dissimulé et les plateformes d’intermédiation », Cah. soc. juin 2018, n° CSB123f0, p. 308 et s.
  • 20.
    Plan national de lutte contre le travail illégal 2019-2021 ; Ministère du Travail, Bilan du plan 2016-2018 : dossier de presse, 8 juill. 2019 ; JCP S 2019, act. 288 ; SSL, n° 1875, p. 3 et s.
  • 21.
    C. trav., art. L. 8211-1.
  • 22.
    C. trav., art. L. 8221-3, 2° – CSS, art. L. 613-4.
  • 23.
    C. trav., art. L. 1221-10.
  • 24.
    C. trav., art. L. 3243-2 – C. trav., art. D. 3243-7.
  • 25.
    C. trav., art. L. 8221-5, 3°.
  • 26.
    L’article L. 8271-1-2 du Code du travail remplaçant depuis le 30 septembre 2011 l’article L. 8271-7 du même code en application de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 (JO, 17 juin 2011).
  • 27.
    C. trav., art. L. 8271-1.
  • 28.
    C. trav., art. L. 8112-1, al. 1er.
  • 29.
    C. trav., art. L. 8271-1-2.
  • 30.
    C. trav., art. L. 8271-1-2.
  • 31.
    C. trav., art. L. 1454-1-2, al. 4 – LPF, art. L147 C.
  • 32.
    Cass. soc., 13 nov. 1996, nos 94-13187 et 94-13187 : G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 35e éd., 2021, Dalloz, Précis.
  • 33.
    C. trav., art. L. 8221-5.
  • 34.
    Cass. crim., QPC, 7 mai 2018, n° 17-85961.
  • 35.
    C. trav., art. L. 1221-10.
  • 36.
    C. trav., art. L. 8221-5, 1° – Cass. crim., 27 mars 2018, n° 17-83355.
  • 37.
    Cass. crim., 25 mai 2004, n° 02-86937 : RJS 2004, n° 1309 ; Dr. soc. 2004, p. 898, obs. F. Duquesne.
  • 38.
    Cass. soc., 27 mars 2001, n° 98-45429 : Bull. civ. V, n° 105 ; Dr. soc. 2001, p. 666, obs. C. Radé ; RJS 2001, n° 714 ; D. 2001, Jur., p. 1170, note C. Puigelier – Cass. crim., 14 avr. 2021, n° 20-83021.
  • 39.
    Cass. crim., 19 mars 2002, n° 01-83509 : RJS 2002, n° 705 – Cass. crim., 21 juin 2016, n° 15-82651 – Cass. soc., 18 oct. 2016, n° 15-85129 – Cass. soc., 17 oct. 2017, n° 16-81289 – Cass. crim., 15 oct. 2019, n° 17-86838 : Dr. pén. 2019, comm. 196, obs. P. Conte – Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-80271.
  • 40.
    Cass. ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15290 : Bull. civ. ass. plén., n° 3 ; D. 1983, p. 381, concl. M. Cabannes – Cass. crim., 14 mars 2017, n° 16-80786 – Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079, Take Eat Easy : Bull. civ. V, n° 349 ; JCP S 2018, 1398, concl. C. Courcol-Bouchard et note G. Loiseau ; JCP G 2018, act. 1347, note N. Dedessus-Le-Moustier ; JCP G 2019, II, 46, note V. Roche ; JCP S 2019, 1026, note N. Anciaux – Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13316, Uber : JCP S 2020, 1080, note G. Loiseau ; R. Salomon, « La solution de l’arrêt Uber et ses incidences pénales en matière de travail dissimulé », JCP S 2020, 2014, spéc. nos 7 et s. M. Richevaux, « Coursier à vélo : un coup de frein à l’indépendance, le coursier à vélo est salarié », obs. ss Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079, LPA 31 janv. 2019, n° LPA141p7 ; O. Rupp, « Coursier à vélo : indépendant ou salarié ? », obs. ss CA Paris, 6-2, 20 avr. 2017, n° 17/00511, Cah. soc. sept. 2017, n° CSB121j0.
  • 41.
    Cass. crim., 28 sept. 2010, n° 09-87689 : JCP S 2010, 1534, note C. Puigelier.
  • 42.
    C. Puigelier, « De l’accueil de stagiaires au délit de travail dissimulé », JCP S 2010, 1534.
  • 43.
    C. pén., art. 121-3, al. 1er.
  • 44.
    F. Duquesne, « Recours à un contrat inapproprié et intention coupable de travail dissimulé », Dr. soc. 2009, p. 936.
  • 45.
    H. Guyot, « Travail dissimulé : l’appréciation de l’intention relève du pouvoir souverain des juges du fond », JCP S 2016, 1034.
  • 46.
    J.-V. Borel, « Ingénierie juridique frauduleuse et travail dissimulé », Lexbase Hebdo, 20 avr. 2017, n° 695, éd. Sociale.
  • 47.
    C. pén., art. 121-3 – Cass. crim., 12 mars 2002, n° 01-80859: RJS 2002, n° 705 ; Dr. pén. 2002, comm. 87, obs. J.-H. Robert – Cass. crim., 27 sept. 2005, n° 04-85558 : JCP S 2006, 1067, note A. Martinon – Cass. crim., 29 sept. 2009, n° 04-85558 : JCP S 2010, 1030, note A. Martinon – Cass. crim., 20 janv. 2015, n° 14-80532 : JCP S 2015, 1145, obs. F. Duquesne ; Dr. pén. 2015, chron. 9, n° 5, note M. Segonds – Cass. crim., 17 oct. 2017, n° 16-81289 – Cass. crim., 27 mai 2018, n° 17-83355 – Cass. crim., 7 mai 2019, n° 17-86428 – Cass. soc., 9 déc. 2020, n° 19-18485 – Cass. crim., 16 juin 2021, n° 19-20582.
  • 48.
    C. trav., art. L. 8224-1 à C. trav., art. L. 8224-5 – C. pén., art. 121-2.
  • 49.
    J. de Calbiac et P.-P. Boutron-Marmion, « Travail dissimulé : regards croisés en droit pénal et en droit du “contrôle Urssaf” », SSL, n° 1774.
  • 50.
    Cass. crim., 15 déc. 2020, n° 20-81563 : JSL, n° 515, p. 20, obs. R. Mésa.
  • 51.
    C. pén., art. 131-35 – C. trav., art. L. 8224-3, 4°.
  • 52.
    C. trav., art. L. 8224-3.
  • 53.
    C. pén., art. 131-26 – C. trav., art. L. 8224-3, 5°.
  • 54.
    C. trav., art. L. 8224-5 – CSS, art. L. 243-7-7 – Cass. crim., QPC, 29 juin 2021, n° 21-80887 et n° 126.
  • 55.
    C. pén., art.  131-39, 1° à 5°, 8°, 9° et 12° – C. trav., art. L. 8224-5.
  • 56.
    C. pén., art. 131-39, 2°.
  • 57.
    C. pén., art. 131-39, 3°.
  • 58.
    C. pén., art. 131-39, 4°.
  • 59.
    C. trav., art. L. 8224-5-1.
  • 60.
    C. pén., art. 131-39, 5°.
  • 61.
    C. pén., art. 131-39, 8° – C. pén., art. 131-21.
  • 62.
    C. trav., art. L. 8224-5, 3° – C. pén., art. 131-39, 9.
  • 63.
    Cass. crim., 24 mai 2016, n° 15-81886.
  • 64.
    L. n° 2014-790, 10 juill. 2014 – C. pén., art. 131-39, 12° – C. trav., art. L. 8224-5, 2°.
  • 65.
    C. trav., art. L. 8223-1.
  • 66.
    CSS, art. L. 242-1-1 – Circ. intermin., 15 mai 2009.
  • 67.
    C. trav., art. L. 8221-1.
  • 68.
    Cass. crim., 15 déc. 2015, n° 14-85638.
  • 69.
    M. Richevaux, « Le droit du travail face à la dérégulation de l’emploi privé », in B. Lestrade et S. Boutillier (dir.), Les mutations du travail en Europe, 2000, L’Harmattan.
  • 70.
    M. Richevaux, « Commerce et valeurs fondamentales de la société », Cahiers du Cedimes 2/2015 ; M. Richevaux, « La loi Macron : l’implantation de l’ultra-libéralisme en France », Cahiers du Cedimes 2/2015.
  • 71.
    Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13316.
  • 72.
    É. Vernier, M. Calciu et M. Richevaux, Travail dans la nouvelle économie. Aspects de gestion et de droit, 2003, L’Harmattan.
  • 73.
    Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079, Take Eat Easy.
  • 74.
    C. trav., art. L.7341-1.
  • 75.
    Cons. const., DC, 20 déc. 2019, n° 2019-794.
  • 76.
    M. Richevaux, « La revanche des principes juridiques fondamentaux », LPA 22 mars 2019, n° LPA142v0.
  • 77.
    Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13316 – Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079 – Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20103 – Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20104 – Cass. soc., 3 juin 2009, nos 08-40981 à 08-40983 – Cass. soc., 3 juin 2009, nos 08-41712 à 08-41714.
  • 78.
    Cass. ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15290 : D. 1983, p. 381, concl. J. Cabannes – Cass. soc., 17 avr. 1991, n° 88-40121 – Cass. soc., 19 déc. 2000, n° 98-40572, Labanne : Bull. civ. V, n° 437 – Cass. soc., 9 mai 2001, n° 98-46158 : Bull. civ. V, n° 155 – Cass. soc., 25 oct. 2005, n° 01-45147 – Cass. soc., 20 janv. 2010, n° 08-42207 : Bull. civ. V, n° 15.
  • 79.
    Cass. soc., 3 juin 2009, nos 08-40981 et a., PB : M. Richevaux, « Coursier à vélo : un coup de frein à l’indépendance, le coursier à vélo est salarié », obs. ss Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079, LPA 31 janv. 2019, n° LPA141p7 – O. Rupp, « Coursier à vélo : indépendant ou salarié ? », obs. ss CA Paris, 6-2, 20 avr. 2017, n° 17/00511, Cah. soc. sept. 2017, n° CSB121j0.
  • 80.
    M. Richevaux, « Le droit du travail face à la dérégulation de l’emploi privé », in B. Lestrade et S. Boutillier (dir.), Les mutations du travail en Europe, 2000, L’Harmattan.
  • 81.
    C. trav., art. L. 8221-6, I.
  • 82.
    C. civ., art. 1710.
  • 83.
    S. Boutillier et D. Uzunidis, L’entrepreneur. Une analyse socio-économique, 1995, Economica ; S. Boutillier et D. Uzunidis, La légende de l’entrepreneur, 1998, Syros, Alternatives économiques.
  • 84.
    Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187, Sté générale : Bull. civ. V, n° 386 – Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079.
  • 85.
    Convention collective de la distribution directe, 9 févr. 2004.
  • 86.
    Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079, Take Eat Easy.
  • 87.
    F.-J. Pansier, Droit du travail, 4e éd., 2011, LexisNexis, nos 134 à 167. Cass. soc., 8 juill. 2003, n° 01-40464 – Cass. soc., 31 oct. 2012, n° 11-23422.
  • 88.
    D. Pallantza, « Droit du travail et technologies d’information et de la communication (TIC) », BJT oct. 2018, n° BJT110f2.
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