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Air France : interdire à un steward de porter des tresses africaines constitue une discrimination fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe

Publié le 23/02/2023
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Jusqu’à l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 novembre 2022, il ressortait de la jurisprudence tant civile qu’administrative que les différences de traitement entre les hommes et les femmes concernant leur coiffure n’étaient pas considérées comme discriminatoires en raison du sexe. À titre d’illustration, la cour administrative d’appel de Marseille avait jugé en 2011 que l’interdiction faite aux policiers de sexe masculin de porter des cheveux longs, alors que cela est permis pour les policiers de sexe féminin se justifiait par la « différence de perception sociale de l’apparence des genres masculin et féminin, notamment en termes de figures d’autorité ». Le même raisonnement a été retenu par le conseil de prud’hommes de Bobigny dans sa décision du 10 juin 2014, confirmée par la cour d’appel de Paris le 6 novembre 2019.

L’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2022 rendue dans l’affaire du steward aux tresses africaines est venu adopter la solution inverse. Contrairement aux décisions ci-dessus qui considéraient que la perception sociale de l’apparence des genres masculin et féminin constituait une différence objective de situation, même si les salariés exerçaient des fonctions similaires, la chambre sociale de la Cour de cassation considère, quant à elle, que « la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin (…) ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14,§ 2 de la directive n° 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 ».

Cass. soc., 23 nov. 2022, no 21-14060

Les rapports de force entre la société Air France et son personnel navigant commercial (PNC) sont à l’image de ceux décrits dans le Léviathan. Tandis que la première se caractérise par sa quête permanente de puissance et d’autorité, le second quant à lui ne cesse de ferrailler pour la quête de reconnaissance de ses droits et libertés, ainsi que l’illustrent plusieurs retentissantes décisions de justice. Dans cette bataille de Goliath contre David, même si ce n’est pas toujours le même qui en sort vainqueur, David semble très souvent l’emporter.

En 1963 déjà, la compagnie Air France avait été condamnée dans l’affaire dite des Époux Barbier1pour atteinte à la liberté de mariage, au motif que les clauses de célibat insérées dans les contrats de travail des hôtesses de l’air étaient illicites. Par conséquent, « la clause de licenciement en cas de mariage était… « nulle en son principe » comme « attentatoire à un droit fondamental de la personnalité » et aux « bonnes mœurs »2.

Puis bis repetita en 2022 dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire du steward aux tresses africaines. Cet arrêt rendu le 23 novembre 2022 par la chambre sociale de la Cour de cassation et estampillé « FP-BR », est venu une fois de plus consacrer la liberté d’un steward dans la façon de se coiffer, face à la volonté de la compagnie Air France de la restreindre.

Rappelons les faits pour bien comprendre le problème qui était posé. Monsieur T., d’origine ivoirienne, avait été engagé le 7 mai 1998 par la société Air France, en qualité de steward. En 2002, il porte des tresses africaines serrées sur le crâne. En 2004, il fait l’objet de remarques de la part de sa hiérarchie qui considère que sa coiffure n’est pas conforme aux règles de présentation imposées aux personnels en contact avec la clientèle.

Dès 2005, il s’est présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon à l’embarquement pour un vol, lequel lui a été refusé au motif qu’une telle coiffure n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le PNC masculin. Au cours de la même année, Monsieur T. éprouve un malaise croissant à exercer sa profession, osant à peine croiser le regard des autres personnes. Cette pression au quotidien le conduit jusqu’à la dépression nerveuse. Il ne reprend son activité qu’en mars 2007, en mi-temps thérapeutique (ce n’est qu’en 2008 qu’il reprendra son activité à temps plein).

Depuis sa reprise du travail, sa coiffure est constituée de dreadlocks attachées en chignon. Il est contraint de les camoufler à l’aide d’une perruque aux cheveux lisses. Cette situation étant devenue insupportable pour lui, il a considéré qu’elle portait atteinte à sa dignité, car il se sentait particulièrement humilié chaque fois qu’il devait effectuer un vol. Il était tenu d’imposer une image ridicule de lui-même à ses collègues et à tous les clients qu’il rencontrait. Certains clients se seraient même indignés de le voir travailler avec une perruque.

Le 10 septembre 2007, la perruque de Monsieur T. se déchire. Attendu à l’embarquement pour effectuer un vol, il se présente avec son chignon et sa hiérarchie lui refuse l’embarquement. Il est renvoyé chez lui, « ce qui entraînera une dégradation de sa rémunération puisque le PNC est, depuis 2008, rémunéré en grande partie à la tâche »3.

Malgré plusieurs tentatives de conciliation menées afin de lui proposer soit de couper ses cheveux, soit de choisir des modèles de coiffure lui permettant de préserver son intégrité physique, il considère qu’aucune réponse constructive ne lui a été proposée. Il en est de même des tentatives de reclassement qui lui ont été proposées, à savoir envisager un emploi au sol à l’abri du regard de la clientèle. Il a finalement été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au sein de l’entreprise.

Pour ce qui est de la procédure, Monsieur T. a saisi, le 4 septembre 2009, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde4, devenue Défenseur des droits)5, d’une réclamation relative à une discrimination dont il ferait l’objet dans son emploi en raison de son apparence physique, de son origine et de son sexe. Dans sa délibération n° 2011-16 du 4 avril 2011, la Haute autorité lui a donné raison et a proposé des modalités de règlement du problème à l’amiable. La compagnie Air France ayant estimé que la situation alléguée par Monsieur T. ne constituait pas une discrimination, elle a refusé de régler ce litige par voie de médiation.

Soutenant pour sa part être victime de discrimination, de harcèlement moral et de déloyauté de la part de son employeur, le salarié a contesté son licenciement et a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 20 janvier 2012. Il a formulé diverses demandes indemnitaires telles que l’indemnité de licenciement, les dommages-intérêts, le rappel des salaires du 1er janvier 2012 au 28 février 2014, le paiement de solde sur préavis et de congés payés. Le 13 avril 2012, l’employeur lui a notifié une mise à pied sans solde de cinq jours pour présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme.

Le 10 juin 2014, le conseil de prud’hommes de Bobigny a rejeté les demandes6 de Monsieur T. et, le 6 novembre 2019, la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 3) a confirmé la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours7. À titre de rappel, le salarié avait bénéficié du soutien de l’association « SOS Racisme – Touche pas à mon pote » qui était volontairement intervenue à l’instance.

Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de PNC, en raison d’un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Après avoir bénéficié d’un congé de reconversion professionnelle et confirmé qu’il ne souhaitait pas de reclassement au sol, il a été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement. Dans son pourvoi n° S 21-14060, le salarié a fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 novembre 2019 de le débouter de ses demandes.

La question de droit qui était posée à la Cour de cassation était la suivante : le fait pour un employeur de restreindre la liberté de ses salariés de sexe masculin dans leur façon de se coiffer constitue-t-il une discrimination fondée sur le sexe ? Autrement dit, le fait pour l’employeur d’apporter des restrictions à la liberté de ses salariés de sexe masculin dans leur façon de se coiffer est-il justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché ?

Face à cette interrogation, la Cour de cassation a estimé que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure africaine, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérise une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe. D’une part, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être prononcée par des motifs inopérants relatifs au port de l’uniforme pour justifier les restrictions imposées au personnel masculin (I) ; d’autre part, elle lui reproche également de s’être fondée sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut, selon la Cour de cassation, constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, paragraphe 2 de la directive n° 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 (II).

I – L’inopérance des motifs relatifs au port de l’uniforme pour justifier la différence de traitement

Dans sa décision, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir considéré que la manière de se coiffer fait partie de l’uniforme et constitue son prolongement (A). Par ailleurs, elle lui reproche également d’avoir affirmé que la présentation physique de Monsieur T. porte atteinte à l’image de marque de la compagnie aérienne, sans en rapporter la preuve (B).

A – L’exclusion de la coiffure comme partie ou prolongement de l’uniforme

Bien que l’uniforme tout comme la coiffure relèvent de l’apparence physique du salarié, l’une des questions auxquelles la Cour de cassation devait répondre dans cette affaire était celle de savoir si la coiffure fait partie de l’uniforme ou si elle constitue son prolongement ?

Dans son argumentation, la compagnie Air France semblait soutenir que la coiffure fait partie de l’uniforme et permet aux clients d’identifier le personnel navigant. Cette argumentation a été balayée d’un revers de la main par la chambre sociale de la Cour de cassation qui affirme que les exigences capillaires en cause visaient la coiffure des salariés et non le port d’un uniforme ou d’un chapeau qui permettent, quant à eux, d’identifier le personnel et préservent l’image de la compagnie. Autrement dit, contrairement à un chapeau dont le port peut être imposé et qui contribue à l’identification du personnel navigant, « la manière de se coiffer n’est ni une partie de l’uniforme ni son prolongement », peut-on lire dans le communiqué8 accompagnant cette décision.

Par conséquent, la Cour de cassation estime que le manuel de port de l’uniforme de la compagnie Air France instaure une discrimination entre le personnel navigant de sexe masculin (stewards) et le personnel navigant de sexe féminin (hôtesses). Ce manuel mentionne les consignes suivantes relatives à la coiffure :

• pour les hommes : « Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisés » ;

• pour les femmes : « Les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon ».

Dans sa délibération du 4 avril 2011, la Halde faisait observer que « les photos figurant en illustration dans le guide des procédures de la compagnie représentent des hommes ayant les mêmes caractéristiques physiques (blancs, cheveux lisses) et renvoient à un modèle stéréotypé de représentation masculine qui ne prend pas en compte la diversité des personnes susceptibles d’exercer la fonction de PNC, à l’image du réclamant »9. Pour conclure, le collège de la Haute autorité avait recommandé à Air France « de réexaminer, eu égard à la diversité de son personnel, les normes de présentation imposées aux personnels de la Compagnie en contact avec la clientèle en tenant compte de l’évolution des codes esthétiques actuels »10.

À la suite de la Halde, le Défenseur des droits s’est montré « assez critique à l’égard des règlements intérieurs qui permettent le port de cheveux longs aux femmes mais pas aux hommes, compte tenu des codes esthétiques actuels »11. Le Défenseur des droits considère que « [l]es exigences de coiffure obéissant à des normes eurocentrées sont susceptibles de caractériser des discriminations fondées sur l’apparence physique rapportée à l’origine ethnique »12.

La Cour de cassation a repris cette argumentation au visa de l’article L. 1132-1 du Code du travail qui prévoit qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, en matière d’affectation notamment en raison de son sexe, de son origine, et de son apparence physique.

B – L’absence de preuve d’atteinte à l’image de la société Air France

Dans sa décision du 23 novembre 2022, la Cour de cassation reproche également à la cour d’appel de Paris d’avoir retenu que la présentation physique de Monsieur T. portait atteinte à l’image de marque de la compagnie Air France, sans démontrer en quoi les tresses africaines du steward auraient nui à cette image. En effet, la cour d’appel s’est contentée d’affirmer que la limitation de la libre apparence des salariés était justifiée par la volonté de la compagnie de sauvegarder son image de marque. Selon elle, le fait que le salarié soit en contact avec la clientèle et qu’en sa qualité de steward, il joue un rôle commercial dans son contact avec la clientèle et représente la compagnie justifie cette limitation.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 1132-1 du Code du travail13. En effet, s’il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe en revanche à l’employeur, s’il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination.

En tout état de cause, la compagnie Air France ne démontre pas en quoi la coiffure de Monsieur T. (tresses plaquées sur le crâne ou chignon) porte un préjudice à son image de marque. Elle n’apporte aucun témoignage de réactions défavorables des clients. Bien plus, aucun élément ne démontre, au vu des codes esthétiques actuels, que sa coiffure (nattes ou chignon) présenterait aujourd’hui un risque de perte de la clientèle, ou serait susceptible de nuire à l’image de marque de l’entreprise. La Cour de cassation en déduit que les agissements de la société Air France sont motivés par une discrimination directe ou indirecte.

II – La contrariété de la perception sociale à l’exigence professionnelle justifiant une différence de traitement

L’autre aspect le plus important de la décision de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 novembre 2022 tient au fait qu’elle reproche à la cour d’appel de Paris d’avoir fondé sa décision sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin. Cette perception sociale tient au fait que les usages sociaux consacrent des différences dans la coiffure, l’habillement, les chaussures ou le maquillage des hommes et des femmes.

Jusqu’à l’arrêt ici commenté, il ressortait de la jurisprudence tant civile qu’administrative que les différences de traitement entre les hommes et les femmes concernant leur coiffure se justifiaient par la « différence de perception sociale de l’apparence des genres masculin et féminin »14.

Sur ce point, la chambre sociale de la Cour de cassation adopte une solution nouvelle. Elle estime, d’une part, que la limitation de la libre apparence des salariés de sexe masculin par la compagnie Air France n’était ni justifiée par la nature ou les conditions de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché (A) ; d’autre part, elle déclare que la restriction de la liberté des salariés dans la façon de se coiffer ne peut pas non plus être justifiée par les codes en usage (B).

A – Une restriction non justifiée par la nature ou les conditions de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché

Juridiquement, seule une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause15 peut justifier une limitation aux libertés individuelles et collectives des salariés16. Par ailleurs, le droit et la jurisprudence exigent que cette limitation soit proportionnée au but recherché.

Ces deux séries de conditions sont prévues par l’article 4, paragraphe 1, de la directive n° 2000/78 du 27 novembre 2000 du Conseil de l’Union européenne en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Cette disposition a été transposée en droit interne à l’article L. 1133-1 du Code du travail. Dans la même logique, l’article L. 1121-1 du même code dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation devait répondre à la question de savoir si les règles relatives à la coiffure, imposées à Monsieur T. par le manuel des règles de port de l’uniforme, étaient justifiées par la nature ou les conditions d’exercice des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché.

L’abondante jurisprudence rendue en la matière admet que l’employeur peut apporter des restrictions à la liberté des salariés quant à leur apparence physique dès lors que les deux séries de conditions citées ci-dessus sont réunies.

D’une part, les restrictions à la liberté d’apparence physique peuvent être justifiées par des raisons liées à l’hygiène, à la santé et à la sécurité. Ainsi, la cour d’appel de Paris avait décidé que le fait pour un ouvrier pâtissier d’avoir des cheveux sales et longs qu’il n’arrivait pas à cacher sous sa toque, conformément au règlement intérieur, et qu’il remettait en place avec ses mains sans les laver permettait de justifier tant sa mise à pied que son licenciement17. Dans la même logique, pour des raisons de respect des mesures d’hygiène telles qu’avoir des cheveux propres, la cour d’appel de Colmar avait considéré comme justifié le licenciement d’un cuisinier ayant les cheveux sales et gras18. La même juridiction a considéré comme justifié le licenciement d’une salariée chargée de la logistique dans un service hospitalier d’urgence chirurgicale, car elle avait les cheveux détachés et dans le visage, en méconnaissance du règlement intérieur, outre le fait qu’elle ne changeait pas de gants et manquait d’hygiène en ne se lavant pas les mains19. A également été considéré comme justifié le licenciement d’une employée d’un restaurant Flunch qui avait des cheveux lâchés sans port de charlotte ni calot, créoles aux oreilles et mains non lavées alors qu’elle venait du secteur de la salle où elle était chargée du nettoyage20. Comme on le voit, l’employeur peut donc imposer au salarié d’attacher ses cheveux ou de porter une charlotte de protection, notamment lorsque le salarié est en contact avec des denrées alimentaires ou travaille dans le secteur médical.

Pour des raisons de sécurité, certains métiers nécessitent des protections particulières (port d’un casque, d’une blouse, d’un masque, etc.) qui sont rendues obligatoires par la législation. Aucune dérogation n’est alors possible et le devoir de l’employeur est de faire respecter la loi. Ainsi, la cour d’appel de Lyon avait décidé que l’employeur pouvait imposer au salarié d’avoir des cheveux attachés par mesure de sécurité21. Cette affaire concernait un agent de maintenance qui avait été licencié au motif qu’il n’attachait pas ses cheveux et ne portait pas le casque de sécurité. Dans l’affaire de la barbe islamiste, un consultant expatrié au Yémen arborait une barbe taillée selon les canons « islamistes ». Après l’avoir sommé de tailler autrement son attribut pileux, son employeur l’avait licencié pour faute grave. La Cour de cassation précise à cette occasion que l’objectif de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise permet d’imposer aux salariés une « apparence neutre » dans le règlement intérieur (même s’il ne comporte pas de clause de neutralité religieuse)22.

D’autre part, les restrictions à la liberté d’apparence physique peuvent être justifiées par le préjudice que la coiffure d’un salarié en relation avec la clientèle cause ou risque de causer à l’entreprise23.Pour cette raison, l’employeur peut interdire le port des coiffures considérées comme indécentes et susceptibles de créer un trouble dans l’entreprise ou de choquer la clientèle. Ainsi, en 1998, la cour d’appel de Paris avait décidé que l’employeur pouvait légitimement exiger d’un employé de banque ayant la tête rasée sur les côtés et surmontée d’une crête jaune centrale gominée (« à l’iroquoise ») de revenir à une coiffure plus discrète24. A également été jugée justifiée la rupture du contrat de travail d’un chauffeur-livreur qui avait un crâne rasé et une queue-de-cheval sur la nuque, dans la mesure où son apparence créait pour l’entreprise un risque économique non négligeable, certains clients refusant d’être en contact avec le salarié25.

Dans l’affaire du steward aux tresses africaines ici commentée, telles qu’elles ont été fixées, interprétées et mises en œuvre par la compagnie, la Cour de cassation estime que les contraintes esthétiques relatives à la coiffure du salarié n’étaient pas objectivement dictées par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle, ni proportionnées au but recherché.

B – Une restriction de la liberté non justifiée par les « codes en usage »

Dans son arrêt du 6 novembre 2019, la cour d’appel de Paris avait estimé que la différence de coiffure entre hommes et femmes reposait sur des codes en usage. Selon elle, l’existence de cette différence d’apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination. Cette argumentation a été rejetée par la Cour de cassation.

Tel que relevé plus haut, jusqu’à l’arrêt ici commenté, il ressortait de la jurisprudence tant civile qu’administrative que les différences de traitement entre les hommes et les femmes concernant leur coiffure n’étaient pas considérées comme discriminatoires en raison du sexe. À titre d’illustration, la cour administrative d’appel de Marseille avait décidé en 2011 que l’interdiction faite aux policiers de sexe masculin de porter des cheveux longs, alors que cela est permis pour les policiers de sexe féminin (à condition qu’ils soient coiffés en chignon) se justifiait par la « différence de perception sociale de l’apparence des genres masculin et féminin, notamment en termes de figures d’autorité »26. Cette décision a été confirmée par le Conseil d’État sur cet aspect27. La même solution a été retenue par le conseil de prud’hommes de Bobigny dans sa décision du 10 juin 201428, et confirmée par la cour d’appel de Paris le 6 novembre 2019 dans l’affaire du steward aux tresses africaines.

La question à laquelle devait répondre la Cour de cassation était la suivante : les codes sociaux peuvent-ils constituer des critères objectifs justifiant une différence de traitement entre les hommes et les femmes ?

Contrairement à l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille qui avait considéré que la perception sociale de l’apparence des genres masculin et féminin constituait une différence objective de situation, même s’ils exerçaient des fonctions similaires, la chambre sociale de la Cour de cassation considère, quant à elle, que la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, paragraphe 2 de la directive n° 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.

Dans le cas d’espèce, les photos figurant en illustration dans le guide des procédures de la compagnie ne représentent que des hommes ayant les mêmes caractéristiques physiques (blancs, cheveux lisses) et renvoient à un modèle stéréotypé de représentation masculine qui ne prend pas en compte la diversité des personnes susceptibles d’exercer la fonction de PNC, à l’image de Monsieur T. Par ailleurs, le chapitre 50 du mémento du PNC de la compagnie Air France prévoit que « les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette » et que la coiffure doit être « classique, limitée en volume et doit garder un aspect naturel ».

S’agissant de l’aspect naturel, Monsieur T. commence par préciser qu’en tant que steward d’origine ivoirienne, sa nature de cheveux est crépue et ne correspond donc pas à ce qui est présenté dans le guide des procédures de la compagnie.

Pour ce qui est du volume de la coiffure de Monsieur T., sa hiérarchie lui avait fait des remarques dès 2005, alors qu’à cette date il ne portait pas de chignon mais des tresses courtes, plaquées en arrière sur le crâne, coiffure qui n’avait donc pas un caractère volumineux. Lors de sa reprise d’activité en 2007, il portait un chignon pour cacher ses tresses. Le volume de la coiffure ne pouvait donc plus lui être reproché, dès lors que la compagnie avait accepté depuis plusieurs années qu’il effectue ses vols avec une perruque couvrant l’ensemble de sa coiffure, dont le volume était de fait équivalent, voire plus important que celui de son chignon. Bien plus, au vu des photos transmises représentant Monsieur T. en uniforme, il en ressort que sa coiffure était extrêmement nette et soignée. Enfin, elle ne dépassait pas le bord supérieur de la chemise.

S’agissant du caractère « classique » de la coiffure de Monsieur T., cette notion reste imprécise et subjective. Selon le Nouveau Petit Robert, l’adjectif « classique » renvoie à « ce qui est conforme aux usages », « sobre, traditionnel », « qui est conforme aux habitudes ». Le contraire de « classique » est défini de la manière suivante : « original, excentrique »29. À ce jour, il apparaît que seules les sanctions des salariés portant des coiffures excentriques ont été admises30.

Ainsi, dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes, les juges avaient considéré que l’apparence physique d’un informaticien analyste pouvait entraîner la rupture du contrat de travail, dès lors que sa coiffure excentrique était incompatible avec ses fonctions et nuisait gravement aux intérêts de l’entreprise. La cour avait considéré que l’excentricité de sa coiffure, en l’occurrence une coupe « à l’iroquoise », soulignée par de nombreux témoignages, était en effet incompatible avec les usages en vigueur dans les établissements dans lesquels il assurait ses prestations. L’employeur, soucieux de son image de marque auprès de la clientèle, avait valablement pu exiger de lui une présentation correcte, sobre et sérieuse, en adéquation avec ses fonctions31.

Dans le cas du steward aux tresses africaines, il ressort, au vu des photos transmises et représentant Monsieur T. en uniforme, que sa coiffure ne présentait aucun caractère d’excentricité. Par conséquent, la Cour de cassation a considéré que les codes sociaux ne sont pas des critères objectifs qui justifient une différence de traitement entre les hommes et les femmes. Elle estime que la cour d’appel s’est bornée à faire état d’une différence d’apparence admise à une période donnée entre hommes et femmes (en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage) et à affirmer que « ce type de différence qui reprend les codes en usage ne peut être qualifiée de discrimination ». Elle conclut au fait que la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail.

La Cour de cassation s’appuie sur le fait que, dans la pratique, les codes sociaux font l’objet d’une interprétation évolutive. Compte tenu de l’évolution de la société, elle estime que l’approche des juges du fond correspond à des codes datés et pourrait donc, à l’avenir32, être remise en cause. La preuve en est que les cheveux teints, gominés (gel), et le rasage partiel des cheveux (calvitie) paraissent aujourd’hui couramment acceptés. Certains secteurs restent pourtant réfractaires, « voire hostiles », à ces modalités d’expression corporelle. Une attitude qu’il faudrait corriger au regard des évolutions de la société33.

En somme, l’obligation d’adopter un type de coiffure est interdite depuis longtemps comme portant atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles34. Désormais, la différence de traitement entre les hommes et les femmes dans leur façon de se coiffer est également interdite lorsqu’elle n’est justifiée par aucune exigence professionnelle essentielle et déterminante. Il revient donc à l’employeur, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir normatif et de son pouvoir de direction, de veiller à ne pas commettre de discrimination entre hommes et femmes en raison de l’apparence physique, sauf à établir une justification objective et sérieuse.

L’état de la jurisprudence démontre que les restrictions posées par les employeurs concernant la coiffure de leurs salariés doivent être appréciées in concreto en fonction des postes occupés et au regard de l’évolution de la société. Comme l’indique la doctrine, la jurisprudence opère un numéro d’équilibrisme35qui consiste à faire de la perception sociale une condition objective permettant tantôt de justifier, tantôt de rejeter une différence de traitement entre hommes et femmes dans la façon de se coiffer. L’autorisation ou non de certaines coiffures en fonction du sexe ou de l’identité devrait donc être analysée au cas par cas, en fonction des professions.

Cela paraît contestable au regard de l’économie du droit de la non-discrimination dans la mesure où « seules des considérations très fortes peuvent permettre de justifier des différences de traitement en raison du sexe »36. L’égalité des sexes étant un droit fondamental, les différences de traitement ne pourraient être admises que de manière exceptionnelle et dans des circonstances particulières où l’employeur aura justifié qu’elles poursuivent un objectif légitime et qu’elles sont nécessaires, appropriées et proportionnées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 30 avr. 1963 : D. 1963, p. 428, note A. Rouast ; RTD civ. 1963, p. 570, obs. G. Cornu.
  • 2.
    Voir le commentaire de cette affaire dans les Grands arrêts de la jurisprudence administrative, 21e éd., 2017, Dalloz, p. 524 (sous TC, 15 janv. 1968).
  • 3.
    Halde, délibération n° 2011-16 du 4 avril 2011, p. 4.
  • 4.
    Loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ainsi que le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005.
  • 5.
    Depuis le 1er mai 2011, la Halde a été remplacée par le Défenseur des droits ; v. loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits : JO n° 0075, 30 mars 2011.
  • 6.
    Cons. prud’h. Bobigny, 10 juin 2014, n° 12/00262.
  • 7.
    CA Paris, 6-3, 6 nov. 2019, n° 14/08200.
  • 8.
    C. cass., communiqué de presse, « Steward sanctionné par sa compagnie aérienne pour le port d’une coiffure avec des tresses », https://lext.so/gDFqOy, consulté le 26 décembre 2022.
  • 9.
    Halde, délibération n° 2011-16 du 4 avril 2011, p. 1.
  • 10.
    Halde, délibération n° 2011-16 du 4 avril 2011, p. 1.
  • 11.
    Défenseur des droits, déc.-cadre n° 2019-205,2 oct. 2019, relative aux discriminations dans l’emploi fondées sur l’apparence physique, p. 5.
  • 12.
    Défenseur des droits, déc.-cadre n° 2019-205,2 oct. 2019, relative aux discriminations dans l’emploi fondées sur l’apparence physique, p. 31.
  • 13.
    Aux termes de l’article L. 1132-1 du Code du travail, « (…) aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations… ».
  • 14.
    CAA Marseille, 27 janv. 2009, n° 06MA03390 et 06MA03389 et CAA Marseille, 29 nov. 2011, n° 11MA00838.
  • 15.
    CJUE, 14 mars 2017, n° C-188/15, Micropole Univers.
  • 16.
    Des considérations subjectives ne peuvent justifier une limitation à la liberté d’apparence du salarié par son employeur. C’est le cas par exemple d’un employeur qui, pour licencier un salarié, considère que ce dernier porte sa barbe comme une provocation politique et religieuse, donc comme « l’expression de ses convictions politiques ou religieuses ». C’est le cas également de l’employeur qui tient compte des souhaits particuliers d’un client (hostile au fait que la barbe d’un salarié soit taillée dans un style qu’il juge islamiste) pour licencier le salarié. À défaut de démontrer l’existence de « risques de sécurité spécifiques » ou d’un « danger objectif » liés au port de la barbe, le licenciement du salarié doit être considéré comme discriminatoire et donc nul. V. Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 18-23743.
  • 17.
    CA Paris, 28 mars 1989, n° 86/35799.
  • 18.
    CA Colmar, 15 janv. 2013, n° 11/05558.
  • 19.
    CA Colmar, 28 juin 2016, n° 15/00109.
  • 20.
    CA Aix-en-Provence, 7 mai 2013, n° 12/05865.
  • 21.
    CA Lyon, 19 mars 2015, n° 13/10102.
  • 22.
    P. Morvan, « L’apparence vestimentaire ou capillaire du salarié », https://lext.so/n0Y2T-, consulté le 27 décembre 2022.
  • 23.
    En 2001, la Cour de cassation avait considéré comme justifiée l’interdiction, faite à un salarié en contact avec la clientèle d’une agence immobilière, de se présenter au travail en survêtement (Cass. soc., 6 nov. 2001, n° 99-43988). Dans l’affaire du bermuda, la Cour de cassation avait décidé que le salarié peut se voir interdire, sous peine de sanction disciplinaire, de porter un bermuda sous sa blouse alors que le règlement intérieur prescrit le port d’un pantalon (Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40273).
  • 24.
    CA Paris, 7 janv. 1998, n° 86/34010.
  • 25.
    CA Reims, 6 mars 1998 : Juris-Data n° 04654.
  • 26.
    CAA Marseille, 27 janv. 2009, n° 06MA03390 et 06MA03389 et CAA Marseille, 29 nov. 2011, n° 11MA00838.
  • 27.
    Seule la sanction d’exclusion de 12 mois dont 9 avec sursis à l’encontre d’un sous-brigadier qui continuait à porter des cheveux longs jusqu’aux épaules, malgré un blâme et des mises en garde réitérées, a été jugée excessive ; v. CE, 11 févr. 2011, n° 326604.
  • 28.
    Cons. prud’h. Bobigny, 10 juin 2014, n° 12/00262, Traoré c/Air France.
  • 29.
    Halde, délibération n° 2011-16 du 4 avril 2011, p. 6.
  • 30.
    Défenseur des droits, déc.-cadre n° 2019-205, 2 oct. 2019, relative aux discriminations dans l’emploi fondées sur l’apparence physique, p. 26.
  • 31.
    CA Rennes, 6 sept. 2005, n° 04/00583.
  • 32.
    Défenseur des droits, déc.-cadre n° 2019-205, 2 oct. 2019, relative aux discriminations dans l’emploi fondées sur l’apparence physique, p. 28.
  • 33.
    Défenseur des droits, déc.-cadre n° 2019-205,2 oct. 2019, relative aux discriminations dans l’emploi fondées sur l’apparence physique, p. 38.
  • 34.
    Circ. DRT 5-83, 15 mars 1983, n° 1242, Bulletin officiel du ministère Chargé de l’emploi, n° 16, 21 mai 1983.
  • 35.
    O. Guillaumont, « Quelle coupe de cheveux pour les policiers de sexe masculin ? », JCP A2009, n° 27, 2161.
  • 36.
    CEDH, gde ch., 22 mars 2012, n° 30078/06, Konstantin Markin c/Russie.
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