Congés payés : la décision du Conseil constitutionnel du 8 février 2024, une victoire à la Pyrrhus ?
Le Conseil constitutionnel vient de déclarer conformes les dispositions légales faisant obstacle à l’acquisition de congés payés au cours de périodes d’arrêt maladie. Cette validation ne remet toutefois pas en cause la contrariété de ces dispositions au droit de l’Union Européenne. Le législateur va devoir se positionner.
Cons. const., QPC, 8 févr. 2024, no 2023-1079
Dans sa décision du 8 février 2024, le Conseil constitutionnel juge les dispositions du Code du travail en matière d’acquisition de droits à congés payés en cas de maladie du salarié conformes à la Constitution.
Cette décision, qui s’inscrit dans le contexte du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 13 septembre 2023 en matière de congés payés, constitue un nouvel épisode – un rebondissement même – de la saga des congés payés.
Pour rappel, la Cour de cassation a écarté les dispositions françaises au profit des normes et principes généraux européens rappelés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ce qui permet dorénavant à tout salarié d’acquérir des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie, et ce, sans limitation de durée1.
Quel est le contexte entourant cette saisine du Conseil constitutionnel ?
En l’espèce, au cours de la relation contractuelle, la salariée avait été placée successivement en arrêt de travail pour maladie simple puis pour maladie professionnelle et à nouveau en maladie simple. La salariée a, par la suite, été licenciée pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement. La salariée a alors saisi le conseil de prud’hommes de Bourges en contestation tant de son licenciement que de ses conditions de travail.
C’est au stade de l’appel formé devant la cour d’appel de Bourges que le moyen tiré de la violation par le Code du travail des dispositions européennes a été soulevé. La cour d’appel, par une décision du 18 novembre 20222 a rejeté ce moyen, ce qui a donné lieu à un pourvoi en cassation.
S’interrogeant sur la conformité des dispositions légales à la Constitution, la salariée a alors formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur la question du sort des congés payés en cas de maladie du salarié.
Considérant que ces questions présentaient un « caractère sérieux », la Cour de cassation a, par une décision du 15 novembre 20233, accepté de les transmettre au Conseil constitutionnel.
Quelles étaient les deux QPC soumises au Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel devait tout d’abord déterminer si les articles L. 3141-3 (absence d’acquisition de congés payés en période de maladie simple) et L. 3141-5, 5°, du Code du travail (acquisition de congés payés dans la limite d’un an en cas de maladie professionnelle ou accident du travail) portent atteinte au droit à la santé et au repos garanti par les normes constitutionnelles.
La seconde QPC portait sur le point de savoir si l’article L. 3141-5, 5°, du Code du travail constitue une violation du principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 en ce qu’il institue une différence de traitement entre les salariés selon la cause de l’arrêt maladie (AT/PM ou non professionnelle).
Comment ont-elles été traitées ?
Les réponses du Conseil constitutionnel s’avèrent pour le moins laconiques.
En s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi de 1946 à l’origine des dispositions du Code du travail, le Conseil a considéré qu’« il était loisible au législateur d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non professionnelle. Il lui était également loisible de limiter cette mesure à une durée ininterrompue d’un an » et a dès lors écarté le grief tiré de l’atteinte au droit à la santé et au repos.
S’agissant de la seconde QPC, le Conseil constitutionnel a estimé que « la maladie professionnelle et l’accident du travail, qui trouvent leur origine dans l’exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié. Ainsi, au regard de l’objet de la loi, le législateur a pu prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé pour les salariés en arrêt maladie selon le motif de la suspension de leur contrat de travail », et a en conséquence rejeté par la même le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité.
Quel était l’argument des représentants du patronat concernant l’actuelle législation française sur l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie ?
Il est difficile de répondre à cette question dans la mesure où le dossier documentaire n’est pas encore disponible à l’heure de la réalisation de cet article.
Il a été avancé à l’évidence des développements tenant à la philosophie même du droit à congé payé et des arguments économiques.
En effet, pour bien comprendre l’opposition entre le droit français et le droit de l’Union européenne en la matière, il est nécessaire de revenir aux sources propres à chaque ordre juridique qui sous-tendent le droit à congé payé. Reposant sur le droit au repos et le droit au loisir en droit européen, le droit à congé payé repose en France exclusivement sur le droit au repos. Le congé payé est dès lors la contrepartie du travail effectif.
Dans cette logique, en présence d’un arrêt de travail qui suppose par définition une absence de travail, aucun droit à congé payé ne devrait être généré.
Certains considèrent par ailleurs que la période de repos qui est accordée dans le cadre de l’arrêt de travail permet également de disposer d’un certain temps libre pour s’adonner à des loisirs, de sorte que l’acquisition des droits à congé durant un arrêt maladie reviendrait à accorder du repos sur du repos.
Parmi les arguments économiques, les représentants des employeurs n’ont certainement pas manqué de relayer les inquiétudes des employeurs s’agissant du coût d’un tel revirement de jurisprudence chiffré a minima à 2 milliards d’euros par an à la charge des entreprises. Ce montant pourrait être en réalité autrement plus conséquent en fonction des règles de prescription qui seront retenues par la jurisprudence et/ou le législateur. Il y a lieu de relever en outre que cette charge supplémentaire risque de fragiliser davantage des secteurs – notamment ceux du médico-social, du bâtiment et du nettoyage – qui sont déjà en tension.
Quels sont les points de vue des syndicats, notamment de la CGT, sur la décision du Conseil constitutionnel et son impact sur les droits des salariés ?
Même s’ils sont, à notre connaissance, peu à s’être exprimés au jour de la rédaction de cet article, les syndicats ne peuvent de toute évidence qu’être déçus par cette décision.
Pour autant, la CGT s’est fendue d’un communiqué le jour même de la publication de la décision intitulé « Conseil constitutionnel et congés payés : une défaite qui ne gâche pas une victoire » précisant que « si la décision rendue aujourd’hui est évidemment décevante – une censure symbolique aurait été bienvenue pour enfoncer le clou –, (…) les dispositions contestées du Code du travail sont bel et bien enterrées ».
Quelle est la portée de cette décision ? Pourquoi la décision du Conseil constitutionnel ne remet-elle pas en cause l’arrêt récent de la Cour de cassation concernant le droit européen du travail ?
Cette décision se révèle riche d’enseignements.
Elle apparaît, avant toute chose, surprenante puisque des dispositions législatives peuvent ainsi être contraires au droit européen, tout en respectant la Constitution, ce qui, il faut bien le dire, n’est pas courant et sème le trouble dans la hiérarchie des normes. La remise en cause des dispositions européennes sur le fondement de la Constitution ne peut survenir qu’en cas de contrariété à un « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », ce qui n’est pas le cas des conditions d’acquisition des congés payés.
La portée de cette décision reste néanmoins limitée juridiquement. Elle n’efface en effet pas les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, ni ne répond aux différentes incertitudes laissées par ceux-ci notamment en ce qui concerne la prescription. Poursuivant deux finalités différentes, ces deux positions sont strictement indépendantes (le « contrôle de constitutionnalité » opéré par le Conseil constitutionnel a pour effet de s’assurer de la conformité de la loi aux normes constitutionnelles, là où la Cour de cassation entend contrôler la conformité de la loi aux dispositions européennes, autrement appelé « contrôle de conventionnalité »).
L’effet sera également limité dans les faits pour les entreprises qui se verront opposer l’arrêt du 13 septembre 2023 à l’appui de demandes de rappels de jours de congés payés ou d’indemnité compensatrice par des salariés ou anciens salariés. Au vu des efforts déployés en particulier par les représentants des employeurs pour obtenir gain de cause, la décision sonne, en réalité, un peu comme une victoire à la Pyrrhus…
Quelles sont les prochaines étapes maintenant ?
Le ministère du Travail a d’ores et déjà indiqué son souhait de se mettre en conformité avec la législation européenne une fois la décision du Conseil constitutionnel rendue.
C’est désormais chose faite et il appartient à présent au législateur de clarifier la situation en posant un cadre. Même si les marges de manœuvre apparaissent limitées, plusieurs pistes restent envisageables : limiter le report des congés payés en cas d’arrêt maladie à 15 mois, limiter le droit à congé payé pendant un arrêt à quatre semaines par an ou encore préciser le délai de prescription applicable.
En tout état de cause, les nouvelles dispositions devront, pour être pleinement applicables, passer sous les fourches caudines de la CJUE, pour reprendre une autre expression issue de l’antiquité. La saga des congés payés est loin, très loin, d’être terminée…
Référence : AJU012r4