Contrat de professionnalisation : l’employeur peut-il vous appliquer une clause de non-concurrence ?
La présente décision, qui aurait mérité une motivation moins elliptique, n’apporte rien de bien nouveau aux règles régissant la clause de non-concurrence d’un salarié, excepté qu’elle l’applique à un titulaire de contrat de professionnalisation, ce qui montre bien les limites de ce type de contrat initialement prévu pour être davantage des formations, même l’alternance, que de simples contrats de travail.
Cass. soc., 14 déc. 2022, no 21-10756
Avec une motivation succincte1, la présente décision accepte l’application d’une clause de non-concurrence (II) dans le cadre d’un contrat de professionnalisation (I).
I – Le contrat de professionnalisation
Même avec ses particularismes, le contrat de professionnalisation reste un contrat de travail dont les bénéficiaires (A), les éléments et la nature (B) méritent d’être précisés.
A – Les bénéficiaires du contrat de professionnalisation
Peuvent bénéficier du contrat de professionnalisation les salariés ou demandeurs d’emploi (1) ainsi que les employeurs (2).
1 – Salariés ou demandeurs d’emploi
Peuvent bénéficier du contrat de professionnalisation les jeunes âgés de 16 à 25 ans révolus afin de compléter leur formation initiale. Cela concerne ceux qui n’ont pas validé un second cycle de l’enseignement secondaire et qui ne sont pas titulaires d’un diplôme de l’enseignement technologique ou professionnel. Le contrat de professionnalisation est aussi ouvert aux demandeurs d’emploi âgés de 26 ans et plus dès lors qu’ils sont inscrits depuis plus d’un an sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par Pôle emploi.
Peuvent aussi être embauchés en contrat de professionnalisation les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). De même pour les personnes ayant bénéficié d’un contrat aidé (contrat unique d’insertion – CUI)2.
2 – Employeurs
Sont éligibles au contrat de professionnalisation tous les employeurs de droit privé assujettis au financement de la formation professionnelle continue, à l’exception de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à caractère administratif.
Les établissements publics industriels et commerciaux (par exemple, la RATP, la SNCF, l’Office national des forêts), assujettis au financement de la formation professionnelle continue, et les entreprises d’armement maritime peuvent conclure des contrats de professionnalisation avec des dispositions spécifiques. Par exemple, des conditions particulières d’application du contrat de professionnalisation aux personnels navigants des entreprises d’armement maritime sont fixées3.
Un employeur auquel l’administration a notifié une décision d’interdiction de recruter de nouveaux apprentis et des jeunes titulaires d’un contrat d’insertion en alternance4, disposition en pratique très rarement utilisée, ne peut conclure un contrat de professionnalisation avec un jeune tant que la décision n’a pas été levée ou que le terme n’est pas échu.
Les employeurs de salariés en contrat de professionnalisation peuvent bénéficier, selon les cas, d’un certain nombre d’aides financières5 :
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exonération des cotisations patronales d’assurances sociales (assurance maladie, maternité, invalidité, vieillesse-décès) et d’allocations familiales et aide de 2 000 € est versée à l’embauche aux entreprises lorsque le salarié est âgé de 45 ans et plus6. Le bénéfice de cette exonération ne peut être cumulé avec celui d’une autre exonération totale ou partielle de cotisations patronales ou l’application de taux spécifiques, d’assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations ;
-
exonération spécifique pour les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ)7, avec une aide pour l’accompagnement personnalisé vers l’emploi dans les GEIQ ;
-
aide forfaitaire attribuée à l’employeur par Pôle emploi pour l’embauche d’un demandeur d’emploi de 26 ans et plus ;
-
des aides sont également prévues afin d’inciter les entreprises à recruter des personnes en situation de handicap en contrat de professionnalisation ou à pérenniser leur emploi ;
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aide pour les entreprises de plus de 250 salariés employant plus de 5 % d’alternants en 2015 (taxe versée en 2016).
B – Les éléments et nature du contrat de professionnalisation
La conclusion du contrat de professionnalisation (1) détermine les conditions de travail (2).
1 – Conclusion du contrat de professionnalisation
Le contrat de professionnalisation est un contrat de travail conclu entre un employeur et un salarié. Il permet l’acquisition – dans le cadre de la formation professionnelle8 continue9 – d’une qualification professionnelle10 : diplôme, titre, certificat de qualification professionnelle (CQP), reconnue par l’État11 et/ou la branche professionnelle12.
À titre expérimental pour une durée de trois ans, le contrat de professionnalisation pourra définir un parcours de formation « sur-mesure » qui ne sera pas nécessairement qualifiant ou certifiant.
Les employeurs et les opérateurs de compétences pourront également définir eux-mêmes, en accord avec le salarié, les compétences à acquérir dans le cadre d’un contrat de professionnalisation. À l’origine prévue jusqu’au 31 décembre 2021, prolongée jusqu’au 31 décembre 2023, cette expérimentation fera l’objet d’une évaluation conduite par un comité national de suivi associant l’État, les représentants des partenaires sociaux et certains opérateurs de compétences. Le comité se réunira au minimum une fois par an.
L’objectif est l’insertion ou le retour à l’emploi des jeunes voire dans certains cas de personnes plus âgées.
Le contrat de professionnalisation peut être conclu dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ou dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.
Lorsque le contrat est à durée déterminée (CDD), il doit être conclu pour une durée comprise entre 6 et 12 mois. Cette durée peut être portée directement à 36 mois pour : les bénéficiaires du RSA, de l’ASS, de l’AAH ou sortant d’un contrat unique d’insertion.
À l’issue d’un contrat à durée déterminée, aucune indemnité de fin de contrat n’est due.
Un contrat de professionnalisation à durée déterminée peut être renouvelé une fois avec le même employeur, dès lors que la seconde qualification visée est supérieure ou complémentaire à la première ou si le bénéficiaire n’a pu atteindre la qualification préparée pour cause d’échec à l’examen, maternité ou adoption, maladie, accident du travail, défaillance de l’organisme de formation.
Le contrat peut également être conclu dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Dans ce cas, les règles de durée maximale (12 ou 24 mois) portent sur la période d’action de professionnalisation, c’est-à-dire la première phase du contrat qui s’effectue en alternance, à l’issue de laquelle le contrat de travail se poursuit dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée de droit commun.
Quelle que soit la forme du contrat (CDD ou CDI), il peut comporter une période d’essai mais elle doit être explicitement mentionnée. Elle répond aux règles de droit commun de la période d’essai13 prévues, selon le cas, pour un CDD ou pour un CDI. Le contrat doit être établi par écrit et signé par l’employeur et le salarié.
Au plus tard dans les cinq jours suivant la conclusion du contrat, l’employeur envoie le contrat de professionnalisation à l’opérateur de compétences (OPCO). Il est conseillé aux employeurs de déposer le dossier avant le début de l’exécution du contrat de professionnalisation, afin de s’assurer auprès de l’OPCO de sa conformité et de la prise en charge des dépenses de formation. L’OPCO dispose de 20 jours pour prendre une décision de prise en charge financière de la formation et rendre un avis sur la conformité du contrat. À défaut de réponse dans ce délai, l’OPCO prend en charge financièrement la formation du contrat de professionnalisation et le contrat est réputé déposé14. Si l’organisme refuse la prise en charge financière au motif notamment que les stipulations du contrat sont contraires à une disposition légale ou à une stipulation conventionnelle, il notifie sa décision motivée à l’employeur et au salarié titulaire du contrat.
Après avis de conformité et confirmation de prise en charge des dépenses de formation, l’OPCO dépose le contrat auprès de la DREETS-DDETS (direction régionale ou départementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) du lieu d’exécution du contrat, sous une forme dématérialisée.
En cas d’inadéquation, de modification d’un élément du contrat, l’employeur et le salarié doivent conclure un avenant au contrat de professionnalisation, dans les limites de la durée de ce contrat. Cet avenant est transmis à l’opérateur de compétences qui finance la formation puis est déposé par ce dernier auprès de la DREETS).
Pour l’exercice d’activités saisonnières15, deux employeurs peuvent conclure conjointement un contrat de professionnalisation à durée déterminée avec toute personne éligible16 : jeunes âgés de 16 à 25 ans révolus souhaitant compléter leur formation initiale, en vue de l’acquisition d’une ou, par dérogation à la règle légale, de deux qualifications17. Les candidats titulaires d’un contrat de professionnalisation conclu en application de ces dispositions peuvent ainsi s’inscrire en vue de l’obtention de deux certificats d’aptitude professionnelle ou de deux spécialités de baccalauréat professionnel à la même session. Dans ce cas, une convention tripartite, signée par les deux employeurs et le titulaire du contrat, et annexée au contrat de professionnalisation, détermine :
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l’affectation du titulaire entre les deux entreprises au cours du contrat, selon un calendrier prédéfini ;
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la désignation de l’employeur tenu de verser la rémunération due au titre de chaque période consacrée par le titulaire aux actions et aux enseignements18 ;
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les conditions de mise en place du tutorat.
Une carte d’étudiant des métiers est délivrée gratuitement aux salariés en contrat de professionnalisation19.
2 – Conditions de travail
Le titulaire d’un contrat de professionnalisation est un salarié à part entière.
a – Principes
Le titulaire d’un contrat de professionnalisation est un salarié à part entière. À ce titre, les lois, les règlements et la convention collective lui sont applicables dans les mêmes conditions qu’aux autres salariés, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec les exigences de leur formation. Les règles spécifiques aux jeunes travailleurs sont applicables en cas de contrat de professionnalisation20.
L’accueil d’un salarié en contrat de professionnalisation au sein de plusieurs entreprises est possible.
Le contrat de professionnalisation peut comporter des périodes d’acquisition d’un savoir-faire dans plusieurs entreprises. Une convention est alors conclue à cet effet entre l’employeur, les entreprises d’accueil et le salarié en contrat de professionnalisation21.
b – Mobilité dans l’Union européenne et à l’étranger
Le contrat de professionnalisation peut être exécuté en partie à l’étranger pour une durée maximale d’un an en principe ; en pratique cela est très rare.
c – Rémunération
Le montant varie en fonction de l’âge du bénéficiaire et de son niveau de formation initial, correspond à un pourcentage du salaire minimum (SMIC)22. Des dispositions conventionnelles ou contractuelles peuvent prévoir une rémunération plus favorable pour le salarié.
d – Temps de travail
Le temps de travail du salarié en contrat de professionnalisation est identique à celui des autres salariés de l’entreprise. Le temps de formation est inclus dans le temps de travail. Les salariés bénéficient du repos hebdomadaire.
Toute la réglementation concernant les jeunes travailleurs de moins de 18 ans s’applique aux mineurs en contrat de professionnalisation.
e – Organisation de l’alternance
La période de professionnalisation (alternance entre enseignements et périodes de travail en entreprise) est située au début d’un contrat à durée indéterminée. Dans le cas d’un contrat à durée déterminée, elle occupe toute la durée du contrat23.
Les enseignements généraux, professionnels et technologiques sont dispensés par un organisme de formation ou par l’entreprise elle-même si elle dispose d’un service de formation interne doté de moyens distincts de ceux des services de production.
Ces enseignements ont une durée comprise entre 15 % et 25 % de la durée totale du contrat de professionnalisation à durée déterminée ou de la période d’action de professionnalisation du contrat à durée indéterminée ; cette durée ne peut pas être inférieure à 150 heures. Un accord de branche peut toutefois porter cette durée au-delà de 25 % : soit pour certains publics (bénéficiaires du RSA, de l’ASS, de l’AAH ou d’un contrat unique d’insertion, demandeurs d’emploi âgés de 26 ans et plus inscrits depuis plus d’un an sur la liste des demandeurs d’emploi, etc.), soit pour certaines qualifications.
f – Tutorat
L’employeur doit obligatoirement désigner, pour chaque salarié en contrat de professionnalisation, un tuteur pour l’accompagner. Celui-ci doit être un salarié qualifié de l’entreprise. Il doit être volontaire, confirmé et justifier d’une expérience professionnelle d’au moins deux ans en rapport avec la qualification visée. Le tuteur salarié ne peut exercer simultanément ses fonctions à l’égard de plus de trois salariés bénéficiaires de contrats de professionnalisation ou d’apprentissage ou de périodes de professionnalisation24. L’employeur peut être lui-même tuteur s’il remplit les conditions de qualification et d’expérience. L’employeur ne peut assurer simultanément le tutorat à l’égard de plus de deux salariés.
Les missions du tuteur sont les suivantes :
-
accueillir, aider, informer et guider les bénéficiaires du contrat de professionnalisation ;
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organiser avec les salariés intéressés l’activité de ces bénéficiaires dans l’entreprise et contribuer à l’acquisition des savoir-faire professionnels ;
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veiller au respect de l’emploi du temps du bénéficiaire ;
-
assurer la liaison avec l’organisme ou le service chargé des actions d’évaluation, de formation et d’accompagnement des bénéficiaires à l’extérieur de l’entreprise ;
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participer à l’évaluation du suivi de la formation.
L’employeur doit lui permettre de disposer du temps nécessaire pour exercer ses fonctions et se former.
Le tuteur assure un suivi personnalisé et le formalise dans un document (cahier de suivi par exemple). Ce document doit être présenté en cas de contrôle des agents qui ont la compétence pour l’effectuer25.
g – Obligations respectives des parties au contrat de professionnalisation
L’employeur s’engage à assurer aux bénéficiaires d’un contrat de professionnalisation une formation leur permettant d’acquérir une qualification professionnelle et à leur fournir un emploi en relation avec cet objectif pendant la durée du contrat à durée déterminée ou de l’action de professionnalisation dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. De son côté, le titulaire du contrat s’engage à travailler pour le compte de cet employeur et à suivre la formation prévue au contrat.
h – Rupture du contrat
Si le contrat à durée déterminée (ou la période d’action de professionnalisation s’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée) est rompu avant son terme, l’employeur doit en informer dans les 30 jours qui suivent cette rupture la DREETS, l’OPCO et l’URSSAF.
En dehors de cette particularité, les modalités de rupture d’un contrat de professionnalisation sont différentes selon la nature du contrat de professionnalisation, CDD ou CDI, et sont régies par le droit commun des ruptures du contrat de travail26.
Ce contrat peut être rompu dans les conditions applicables aux contrats à durée déterminée à l’initiative de chacune des parties, laquelle prend alors en charge les conséquences financières éventuelles de cette rupture, y compris le jeu d’éventuelles clauses de non-concurrence.
II – Clause de non-concurrence et contrat de travail
En ces temps de difficultés à recruter pour les entreprises, celles-ci, lorsqu’elles parviennent à embaucher, cherchent à fidéliser les salariés et autant que possible à limiter les risques que ceux-ci aillent travailler chez les concurrents. Cela se fait notamment par le recours aux clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de travail qui, étant une atteinte à la liberté du travail, doivent respecter certains principes (A), ici appliqués dans le cadre d’un contrat de professionnalisation (B).
A – Les principes de la clause de non-concurrence
La clause de non-concurrence a pour objet d’interdire au salarié, après la rupture de son contrat de travail, d’exercer une activité professionnelle concurrente à celle de son employeur initial. Elle doit être distinguée de l’obligation générale de loyauté qui interdit au salarié de se livrer à une activité concurrente de son employeur pendant l’exécution de la prestation de travail27. La clause de non-concurrence est nécessairement écrite. Parce qu’elle restreint la liberté de travail et la liberté d’entreprendre, elle est strictement encadrée par les juges qui ont précisé qu’une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives28. Si une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie, rendant la clause nulle, le juge ne peut, sous couvert de l’appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié, substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties, ce qui est une révision du contrat29 admise par la jurisprudence et, après avoir décidé de l’annulation de la clause, accorder au salarié la contrepartie qu’il estime justifiée30. Pour que la clause de non-concurrence soit valable, elle doit comporter une contrepartie financière31, la nullité d’une telle clause au motif que la contrepartie prévue était « disproportionnée et dérisoire », ce qui « équivaut à une absence de contrepartie, doit être prononcée. Ceci paraît être une application de la jurisprudence classique qui décide de façon générale que la contrepartie dérisoire doit être assimilée à la contrepartie inexistante et justifie en conséquence la nullité du contrat pour absence de cause32, notion disparue des textes avec la réforme du droit des obligations33, mais dans des conditions qui permettent de continuer ses effets. La chambre sociale de la Cour de cassation fonde ses solutions en la matière sur les restrictions qui ne peuvent être que limitées par rapport « aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives »34. La jurisprudence autorise les juges à modifier le périmètre spatial et temporel, voire l’objet des activités visées, de la clause de non-concurrence ce qui atteste ainsi d’un réel pouvoir de réfaction en la matière.
L’association qui gère le fonds de garantie des salaires (AGS) doit garantir l’intégralité du paiement de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence35.
En matière de clause de non-concurrence, l’existence du préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond sans que le salarié puisse se prévaloir d’un préjudice automatique36.
Dans une affaire, il a été jugé que compte tenu de sa durée fixée à trois ans, la clause de non-concurrence, qui avait pour effet d’interdire au salarié de mettre en œuvre ses qualités personnelles de négociateur, était manifestement excessive dans un domaine où il n’existait pas à proprement parler de clientèle attachée au cabinet, faisant ainsi ressortir que la clause de non-concurrence n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’employeur37. Une clause de non-concurrence peut valablement interdire toute activité dans une entreprise concurrente, dès l’instant qu’elle est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et qu’elle n’empêche pas le salarié de retrouver un autre emploi, compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle38. La clause de non-concurrence comportant une disposition par laquelle la contrepartie financière serait minorée en cas de rupture pour faute du salarié n’est pas nulle, mais doit être réputée non écrite39 en ses seules dispositions minorant la contrepartie en cas de faute40.
Il existe des règles spécifiques aux VRP (voyageur, représentant et placier)41.
Opposabilité de la clause. La clause de non-concurrence n’engage que les parties au contrat. Elle ne peut porter atteinte à la liberté du travail d’un tiers42, fût-il le conjoint du salarié ou uni à celui-ci par un lien de parenté ou d’alliance.
Avec les difficultés de recrutement dans certains secteurs d’activité, les pratiques de débauchage de salariés43 sont particulièrement d’actualité44, et les employeurs sont tentés de les utiliser très largement même dans le cadre de contrat de professionnalisation, ce qui cependant peut étonner.
B – Application la clause de non-concurrence au contrat de professionnalisation
En France comme à l’étranger45, la fidélisation des salariés devient aujourd’hui une des problématiques majeures de la stratégie des ressources humaines (RH) en entreprise. L’attractivité et la rétention des talents peuvent être dynamisées par les outils RH et une stratégie d’engagement des employés. La fidélisation des employés a pour objectif de conserver leurs talents et de réduire le turn-over. La fidélisation des employés passe par leur engagement qui lui-même est favorisé par une bonne atmosphère de travail, une reconnaissance du travail des employés. La fidélisation des salariés est au cœur de la stratégie des ressources humaines de l’entreprise, compte tenu de son importance dans certaines entreprises. Comme dans la présente espèce, cela va jusqu’à inclure des clauses de non-concurrence dans les contrats de professionnalisation.
La banque défenderesse à la cassation avait engagé une salariée par contrat de professionnalisation, pour une durée d’un an en qualité de conseiller clientèle. Elle a été licenciée et a alors saisi la juridiction prud’homale afin, notamment, d’obtenir le paiement de la contrepartie due au titre de la clause de non-concurrence.
L’employeur reproche à l’arrêt de la cour d’appel de le condamner à payer à la salariée une somme au titre de la clause de non-concurrence, alors « que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail ne s’appliquait qu’aux salariés affectés à un poste de “conseiller en patrimoine, animateur financier, gestionnaire de portefeuille, spécialiste patrimonial ; directeur d’agence (quelle que soit la clientèle affectée à l’agence) ; directeur adjoint d’agence ; sous-directeur d’agence ; conseiller de clientèle entreprises ; conseiller de clientèle institutionnels ; conseiller de clientèle professionnels ; conseiller de clientèle particuliers et professionnels ; métiers de la direction des affaires financières” et qu’en décidant que la clause s’appliquait à la salariée sans avoir recherché si la salariée occupait l’un des 12 métiers listés de manière exhaustive ni constaté qu’elle aurait exercé effectivement l’un de ces métiers limitativement énumérés, la cour d’appel a violé les textes applicables »46.
La réponse de la Cour de cassation est que, après avoir relevé que la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de la salariée faisait référence à des métiers et non à une classification précise et que les fiches de paie mentionnaient une affectation au poste de conseiller de clientèle, la cour d’appel, qui a constaté que l’intéressée exerçait des fonctions de conseiller de clientèle et a par son interprétation souveraine exactement retenu que cette clause de non-concurrence était applicable à l’intéressée, a justement rejeté le pourvoi.
Il n’en reste pas moins que cette décision pose des questions auxquelles sa motivation pour le moins elliptique ne répond pas. On peut s’interroger par exemple sur le montant de la clause de non-concurrence au regard d’une durée de contrat prévue pour un an. Mais surtout, avec une telle décision, le contrat de professionnalisation prévu initialement comme un simple instrument de formation en alternance ne va-t-il pas devenir un contrat ordinaire mais au rabais par rapport au contrat de travail de droit commun ?
Notes de bas de pages
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1.
M. Richevaux, « De l’allégement à la disparition des motifs jugements ou apparences ? … : Cass. civ. 11 mars 1985 », D. 1986, p. 591.
-
2.
R. Rissoan, « La formation professionnelle nouveaux outils et nouvelles pédagogies », ENI, e-learning.
-
3.
D. n° 2005-146, 16 févr. 2005.
-
4.
C. trav., art. L. 6225-6.
-
5.
D. n° 2012-660, 4 mai 2012.
-
6.
D. n° 2011-524, 16 mai 2011, relatif à l’aide à l’embauche des demandeurs d’emploi de 45 ans et plus en contrat de professionnalisation.
-
7.
C. trav., art. D. 6325-23 et C. trav., art. D. 6325-24.
-
8.
R. Rissoan, « La formation professionnelle nouveaux outils et nouvelles pédagogies », ENI, e-learning.
-
9.
J.-L.Guyo et C. Mainguet, La formation professionnelle continue, 2006, Librairie Eyrolles.
-
10.
C. éduc., art. L. 335-6.
-
11.
RNCP.
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12.
CQP.
-
13.
C. trav., art. L. 1221-19 à L. 1221-26.
-
14.
DGEFP, circ. n° 2012/15, 19 juill. 2012.
-
15.
C. trav., art. L. 1242-2, 3°.
-
16.
C. trav., art. L. 6325-1, 1°.
-
17.
C. trav., art. L. 6314-1.
-
18.
C. trav., art. L. 6325-13.
-
19.
A., 30 déc. 2011, relatif à la carte d’étudiant des métiers.
-
20.
C. trav., art. D. 4153-15 à D. 4153-17 – C. trav., art. R. 4153-38 à R. 4153-52.
-
21.
C. trav., art. D. 6325-30 à D. 6323-32.
-
22.
C. trav., art. L. 6325-8, Rémunération en % du salaire minimum de croissance (SMIC).
-
23.
C. trav., art. L. 6325-11.
-
24.
L. n° 2014-288, 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
-
25.
C. trav., art. L. 6361-5.
-
26.
C. trav., art. L. 1233-3 – C. trav., art. L. 1243-4.
-
27.
P. Zajac, L’obligation de fidélité du salarié, thèse, N. Decoopman (dir.), 1994.
-
28.
Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45135 : Bull. civ. V, n° 239, 3e esp. ; D. 2002, Somm., p. 2491, note Y. Serra, et p. 3111, obs. J. Pelissier ; JCP G 2002, II 10162, note F. Petit ; SSL, n° 1085, p. 9, note A. Chirez ; JCP E 2002, 1511, note D. Corrignan-Carsin ; D. 2003, Somm., p. 1222, obs. B. Thullier ; Contrats, conc. consom. 2002, comm. 141, obs. M. Malaurie-Vignal ; JCP E 2003, 12, obs. P. Morvan, et 15, obs. C. Masquefa – Cass. soc., 29 janv. 2003, n° 00-44882 : Bull. civ. V, n° 27 ; RJS 2003, n° 455 ; Travail et prestations sociales 2003, comm. 134 – Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41343 : Travail et prestations sociales 2003, comm. 212 ; D. 2003, IR, p. 1007 – Cass. soc., 29 avr. 2003, n° 01-42026 : Bull. civ. V, n° 143 – et Cass. soc., 24 juin 2003, n° 01-43715 : D. 2004, Somm., p. 1161, obs. M. Gomy.
-
29.
D. Mazeaud, « La révision du contrat », LPA 30 juin 2005, p. 4.
-
30.
Cass. soc., 16 mai 2012, n° 11-10760, PB : LEDC juill. 2012, p. 7, obs. G. Pillet ; Gaz. Pal. 19 juill. 2012, n° J0274, p. 14, note S. Le Gac-Pech ; Gaz. Pal. 10 oct. 2012, n° J1217, p. 17, obs. D. Houtcieff ; JCP S 2012, 1329, note G. Loiseau ; RDT 2012, p. 488, obs. B. Géniaut.
-
31.
Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45135 : Bull. civ. V, n° 239.
-
32.
J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, L’acte juridique, 15e éd., 2012, Sirey, p. 253, n° 261 ; pour une étude détaillée, v. J. Ghestin, Cause de l’engagement et validité du contrat, 2006, LGDJ, p. 174, nos 256 et s., EAN : 9782275030692 – Cass. com., 21 sept. 2011, n° 10-21900, PB : RDC 2012, p. 47, note E. Savaux ; RDC 2012, p. 130, note J.-B. Seube ; Contrats, conc. consom. 2011, comm. 252, note L. Leveneur ; Dr. & patr. 2012, n° 211, p. 64, obs. P. Stoffel-Munck.
-
33.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
-
34.
C. trav., art. L. 1121-1.
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35.
Cass. soc., 20 juin 2006, n° 04-48493 : Lexbase Hebdo 29 juin 2006, n° 221, éd. Sociale.
-
36.
Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28293 – Cass. soc., 13 sept. 2017, n° 16-13578 – Cass. soc., 28 sept. 2017, n° 16-12852, F-D.
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37.
Cass. soc., 16 déc. 1998, n° 96-42849 : CSBP 1999, n° S108, p. 117.
-
38.
Cass. soc., 18 déc. 1997, n° 95-43409 : Bull. civ. V, n° 459 ; LPA 20 mai 1998, p. 23, note M. Malaurie-Vignal ; D. 1998, Somm., p. 213, note Y. Serra ; Gaz. Pal. Rec. 1998, pan., p. 63.
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39.
S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, 2006, Économica.
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40.
F.-J. Pansier, « De la différence entre “clause nulle” et “clause réputée non écrite” », obs. sous Cass. soc., 8 avr. 2010, n° 08-43056, M. X c/ Sté Samse : CSBP juin 2010, p. 205 – Cass. soc., 21 avr. 2010, n° 08-45023.
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41.
Cass. soc., 12 oct. 2011, n° 09-43155, FS-PB – Cass. soc., 17 mars 1970 : Bull. civ. V, n° 202 – Cass. soc., 9 mai 1973 : Bull. civ. V, n° 294.
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42.
Cass. soc., 4 juin 1998, n° 95-43133 : CSBP 1998, n° S102, p. 12.
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43.
M. Richevaux, « Le débauchage de salarié », LPA avr. 2022, n° LPA201n0.
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44.
M. Richevaux, « L’utilisation par l’employeur des mesures d’instruction in futurum en cas de concurrence déloyale ou de débauchage de personnel », obs. sous Cass. 2e civ., 24 mars 2022, n° 20-21925 : Actu-Juridique.fr 26 juill. 2022, n° AJU004y7.
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45.
B. Boubakary, « Socialisation organisationnelle et fidélisation des salariés : une analyse à l’épreuve des faits dans les PME camerounaises », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2019/62 (vol. XXV), p. 105-126.
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46.
C. civ., art. 1103 et C. trav., art. L. 1221-1.
Référence : AJU007s9