Harcèlement au travail : un manuel pour accompagner les victimes

Publié le 03/01/2022

Longtemps tabou, le sujet du harcèlement au travail s’installe depuis quelques années dans le débat public. Toutefois, les chiffres restent alarmants. C’est pour aider les salariés qu’Élise Fabing a publié un Manuel contre le harcèlement au travail. L’avocate parisienne, spécialiste du droit du travail, cofondatrice de Alkemist avocat et connue pour son activité sur les réseaux sociaux, y dévoile informations pratiques et conseils juridiques. Basé sur son expérience professionnelle, ce « guide pratique » doit permettre de « rendre accessible le droit au plus grand nombre ».

Actu-juridique : Votre manuel a été publié il y a deux mois. Quels ont été les premiers retours à son sujet ?

Élise Fabing : De nombreux lecteurs m’ont fait part de leurs avis positifs, cela m’a évidemment beaucoup touché. La presse s’est aussi montrée plutôt intéressée et positive à l’égard du livre. C’est une victoire importante pour moi. C’est la preuve d’abord de l’intérêt du sujet mais aussi d’une plus grande sensibilisation de la population sur le harcèlement au travail.

Tout a démarré lors des confinements avec les comptes « balance » sur les réseaux sociaux (#balancetonagency et #balancetastartup) que j’ai beaucoup soutenu et aidé à développer. Ce livre est en quelque sorte la continuité de ces actions et de mon combat pour l’accès au droit. En réalité, lors des lives que l’on réalisait sur les comptes pour vulgariser le droit et le rendre accessible à tous, j’étais très souvent sollicitée par des personnes qui me demandaient où trouver l’ensemble des conseils que nous communiquions. L’idée de ce livre a donc été de constituer un guide pratique, pour accompagner dans leurs démarches, les salariés victimes de violences au travail. Ce manuel évoque la question du diagnostic du harcèlement, la sensibilisation, mais aussi bien sûr la constitution du dossier, les recours qui sont envisageables, les informations quant aux juridictions, ou encore ce que l’on peut attendre en terme d’indemnisation avec des chiffrages. Pour m’épauler j’ai fait appel à une psychiatre, une DRH, et à une spécialiste du recrutement et une coach. Avec elles nous proposons un tour complet de cette problématique du harcèlement au travail et ne laissons rien au hasard ou sans réponse. J’ai souhaité également insérer des témoignages de mes clients et de nombreuses démonstrations pratiques issues de mes dossiers. Les lecteurs peuvent ainsi mieux s’identifier et mieux cerner ce qui ne va pas dans l’exercice de leur activité.

AJ : Ce n’est donc pas un ouvrage juridique en tant que tel ?

E.F. : Non, il s’agit véritablement d’un guide pratique. Les lecteurs me disent à travers leurs retours, et c’était mon objectif initial, que c’est un livre facile à lire et à appréhender. C’est un engagement de longue date : rendre accessible le droit du travail au plus grand nombre. Mon but était d’écrire quelque chose de pragmatique et percutant. Lire ce manuel c’est comme prendre un rendez-vous dans mon cabinet : on diagnostique, on réfléchit, et on chiffre. Attention tout de même, un livre ne peut se substituer à un rendez-vous avec un professionnel mais il peut être une porte d’entrée pour discuter et mettre des mots sur un sujet évidemment complexe. J’ai toujours été frappée par la méconnaissance des salariés sur leurs droits.

AJ : Un des enjeux aussi de votre manuel c’est l’assimilation par les victimes du harcèlement. Beaucoup de personnes refoulent ce qui relève de l’évidence ?

E.F. : Oui c’est crucial. Trop de personnes viennent me voir dans mon cabinet, à bout de nerfs, et n’arrivent pas à évoquer ouvertement le harcèlement dont elles sont victimes. Il y a une forme de déni très important causé par cette volonté de toujours paraître fort et performant dans une société qui attend cela de nous. Ne pas être heureux au travail est perçu comme un échec social. Au sein de ma clientèle, plutôt des hauts cadres parisiens, l’obligation d’être un bon élève est très pesante. Certains de mes clients n’en parlent à personne, même pas à leur conjoint par crainte du jugement ou du déclassement social. Ainsi ce manuel, et tout ce qui est fait grâce au travail des comptes « balance » sur les réseaux doivent permettre de faire prendre conscience qu’il s’agit d’un fléau et non d’un phénomène qui ne concernerait qu’une petite minorité. Aujourd’hui, 30 % des salariés estiment avoir été victimes d’agissements hostiles de la part de leurs employeurs. Cela fait huit millions de personnes tout de même ! Or, en 2019, il n’y a eu que 1 500 requêtes aux prud’hommes pour dénoncer du harcèlement moral. Le gap est énorme, il faut donc en parler et continuer à sensibiliser.

AJ : Quels premiers conseils donneriez-vous à une personne qui s’interrogerait quant à une situation qu’elle vit sur son lieu de travail ? Que faut-il faire avant tout ?

E.F. : Je crois que la première chose à faire est de s’écouter. Et d’écouter son corps plus précisément. Être victime de harcèlement moral ou sexuel au travail s’accompagne généralement de séquelles physiques. Perte ou prise de poids, fatigue exagérée, sensibilité exacerbée, angoisses quotidiennes, sont autant de signes qu’il faut savoir écouter pour préserver sa santé physique et psychique. Il est anormal que le corps s’exprime de la sorte. Il ne faut pas hésiter dès lors à consulter un médecin, un psychiatre.

Aussi, je conseille aux lecteurs de commencer, dès qu’ils sont en mesure de le faire, à constituer un dossier en suscitant l’écrit et en accumulant un maximum de preuves. Les preuves sont le nerf de la guerre dans ces dossiers. J’explique dans le manuel comment faire. Ensuite, bien sûr, il faut alerter. Qui ? Quoi ? Comment ? Tout dépend des cas, du type d’entreprise, et des situations de chacun. On alertera pas la même personne s’il s’agit d’un harcèlement dit « horizontal », c’est-à-dire de la part d’un collègue, ou « vertical », c’est-à-dire de la part d’un supérieur hiérarchique. Cela dépend aussi de la confiance que l’on a dans ses supérieurs ou collègues. Je donne de nombreuses pistes à ce propos dans le manuel.

AJ : Qu’entendez-vous concrètement par « susciter l’écrit » ?

E.F. : Susciter l’écrit c’est posséder des preuves du harcèlement à l’écrit. J’ai souvenir de l’une de mes clientes qui était très souvent victime de gestes déplacés de la part de son supérieur. Or une fois il s’est avéré que l’un de ses collègues avait été témoin de ces agissements. Elle a eu la bonne idée d’échanger des messages avec lui pour évoquer ce qui venait de se passer. Ainsi elle disposait d’une preuve écrite et c’est un argument extrêmement important pour caractériser le harcèlement. Le juge prud’homal s’intéresse notamment dans ce type d’affaire à la « présomption de preuves ». Il faut donc disposer d’un faisceau d’indices qui tend à prouver qu’il y a eu harcèlement. À ce propos tout message peut être utile que ce soit un mail ou un SMS. Même quand on alerte quelqu’un, que ce soit la personne responsable des ressources humaines, ou le médecin du travail, il est important d’envoyer un mail pour remercier, par exemple, de la tenue d’un rendez-vous ou pour évoquer le harcèlement dont on est victime. Il y a donc des façons de faire pour disposer des meilleures chances de son côté et pouvoir négocier une indemnisation de départ. Car quelle que soit l’issue d’une procédure pour harcèlement le contrat de confiance est souvent rompu et il paraît très difficile de poursuivre une quelconque collaboration.

AJ : La crise sanitaire a-t-elle permis à des salariés de prendre conscience qu’ils étaient victimes de harcèlement ou au contraire a-t-elle contribué à renforcer l’omerta dans un contexte économique fragile ?

E.F. : Étant donné ma fonction je ne vois pas d’effets positifs dus à la crise sanitaire. Une chose est certaine, le Covid-19 a eu un impact sur le nombre de dossiers constitués dans mon cabinet. Généralement, les situations économiques telles que nous les avons connues, et que nous connaissons encore, ne permettent pas de ressortir le meilleur des entreprises. Des employeurs peuvent profiter de la crainte de perdre son emploi pour avoir de mauvais comportements. Aussi, le télétravail et toutes les questions qui ont accompagné la crise sanitaire ont eu un effet sur des salariés qui se sont davantage concentrés sur une quête de sens et prennent conscience, pour certains, de conditions de travail toxiques. Nombre de mes clients, notamment au moment de retourner en entreprise, ont fait des crises d’angoisse terribles. Avec le travail à distance ils avaient réussi à se défaire de mauvaises habitudes et n’ont pas pu repartir dedans.

À ce propos, je suis extrêmement surprise de voir que les sujets du harcèlement, du mal-être au travail, ou encore des burn-out, ne soient jamais mentionnés par les candidats à l’élection présidentielle. C’est comme si ces problèmes n’existaient pas alors qu’une crise majeure a permis tout de même de révéler et de mettre en avant toutes ces questions. Les sujets ne manquent pas pourtant. La justice sociale française est notamment très peu protectrice. Il y a des réformes de fond à mener pour rétablir un équilibre entre les entreprises qui sont les parties fortes au contrat de travail et les salariés qui sont fragilisés par le lien de subordination économique.

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