Horaires de travail atypiques : comment prévenir les risques pour la santé des salariés ?

Publié le 20/08/2024
Horaires de travail atypiques : comment prévenir les risques pour la santé des salariés ?
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Les horaires de travail atypiques, de plus en plus courants, ne sont pas sans conséquences pour la santé physique et mentale des salariés. Face à ces rythmes de travail non conventionnels, les entreprises se doivent de mettre en place les mesures de prévention adéquates afin de protéger les salariés concernés.

Aujourd’hui, un nombre important de salariés est concerné par des horaires de travail dits atypiques : travail de nuit, travail posté, travail le week-end, travail selon des amplitudes de journée variables (en deçà de 5 heures et au-delà de 8 heures), travail sur appel ou astreintes, journées de 12 heures et horaires fractionnés par des coupures de plusieurs heures.

Une étude de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) révèle qu’en 2023, 11,1 % de la population active ont travaillé au moins une fois de nuit sur une période de quatre semaines consécutives.

Le travail de nuit est particulièrement répandu dans le secteur de la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac. Il est également courant dans les secteurs du transport et entreposage, de la santé humaine et de l’hébergement-restauration.

En 2017, 44 % des salariés étaient, au cours d’un mois, soumis à au moins un horaire de travail atypique sur leur lieu de travail, à leur domicile ou ailleurs, ce qui représentait 10,4 millions de personnes. 76 % des non-salariés, soit 2,4 millions de personnes, étaient également soumis à au moins un horaire atypique un mois donné.

Les horaires atypiques se concentrent dans certaines familles professionnelles et certains secteurs d’activité, notamment pour assurer la continuité de la vie sociale, la permanence des services de soins, la protection et la sécurité des personnes et des biens, mais constituent aussi une modalité d’organisation du travail utilisée dans un objectif de rentabilisation maximale des équipements notamment.

Les risques liés aux horaires atypiques

S’ils ouvrent droit à des récupérations pour les salariés concernés, ces horaires atypiques les exposent à des durées du travail plus longues que les autres salariés et à de nombreux risques pour leur santé physique et mentale : troubles du sommeil, obésité et prise de poids, diabète de type 2, maladies coronariennes (ischémie coronaire et infarctus du myocarde), hypertension artérielle, accidents vasculaires cérébraux, troubles digestifs, effets sur la santé psychique (irritabilité, anxiété, dépression), addictions, effets négatifs sur la fertilité et la grossesse, et même des risques de cancers du sein et de la prostate qui seraient dus aux perturbations des cycles biologiques selon le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer).

Le rapport réalisé par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) en 2016 montre également une augmentation de la fréquence et de la gravité des accidents survenant lors du travail de nuit notamment.

Les mesures de prévention des risques liés aux horaires atypiques

Au titre de son obligation de sécurité, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés1.

Il doit ainsi procéder à une évaluation des risques liés aux postes concernés et s’assurer que les mesures de prévention déjà en place sont adaptées aux horaires de travail atypiques. L’INRS (Institut national de recherche scientifique) conseille de mettre en place des indicateurs sur la santé des travailleurs, l’ambiance de travail, l’absentéisme, et d’assurer un suivi régulier.

Cette évaluation des risques doit ensuite être nécessairement retranscrite dans le document unique d’évaluation des risques professionnels de l’entreprise et donner lieu à un plan d’actions de prévention.

La principale mesure de prévention est la limitation du recours aux horaires atypiques. L’ANSES recommande notamment de limiter le recours au travail de nuit aux seules situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociales ou la continuité de l’activité économique.

Lorsque le recours aux horaires atypiques est indispensable, des mesures organisationnelles peuvent être mises en place afin de minimiser leur impact sur la vie personnelle et de faciliter l’articulation des temps de travail avec l’exercice des responsabilités familiales et sociales :

• s’assurer que les horaires de début et de fin de poste sont compatibles avec les horaires de transport en commun,

• être attentif à rompre l’isolement des salariés concernés et la monotonie des tâches qui leur sont confiées,

• proscrire le travail isolé,

• en cas de rotation des postes, prévoir du temps pour les transmissions des informations entre les équipes,

• aménager des systèmes de rotation réguliers et flexibles afin de permettre aux salariés d’anticiper leur planning, prévoir des marges de manœuvre pour les échanges d’horaires entre salariés,

• favoriser le maximum de week-end de repos,

• prévoir des temps de repos suffisants entre les postes, idéalement 48 heures après une série de nuits,

• éviter l’organisation en 3 X 8 qui soumet l’organisme à des états de désynchronisation répétés, favoriser les rotations rapides (4 X 8 ou 5 X 8) ,

• proposer une équipe de nuit permanente associée à un 2 X 8,

• diminuer la durée des postes de nuit et le nombre de nuits consécutives (3 nuits maximum), éviter les postes de nuit de plus de 8 heures,

• repousser le plus possible l’heure de prise de poste du matin (après 6 heures),

• insérer les pauses appropriées pour les repas, le repos et la micro-sieste,

• rendre possible le retour en horaires classiques,

• détecter les personnes qui préfèrent travailler le matin ou qui préfèrent travailler le soir et les orienter si c’est possible vers les horaires les plus adaptés,

• adapter la charge de travail et les exigences de vigilance aux moments de baisse de vigilance, planifier en début de poste les tâches nécessitant une forte attention ou avec une charge physique importante,

• limiter autant que possible les efforts physiques et le port de charges,

• affecter en priorité aux horaires de nuit les salariés volontaires.

Dans le cadre d’une démarche globale de prévention, des mesures techniques et des mesures individuelles doivent également être prévues, notamment :

• adapter l’environnement lumineux : prévoir une exposition à une lumière d’intensité assez importante avant et/ou en début de poste puis la limiter en fin de poste,

• exposer les travailleurs de nuit à une lumière vert/bleu de faible intensité pour favoriser l’éveil,

• aménager des salles de pause et de repos de qualité,

• mettre en place un suivi régulier des indicateurs de santé et de sécurité,

• réduire l’exposition aux nuisances sonores, thermiques, chimiques afin de limiter la poly-exposition aux risques,

• sensibiliser et former les salariés concernés aux risques et à l’hygiène de vie : alimentation, activité physique, gestion du sommeil,

• conseiller les salariés sur les stratégies de sommeil de récupération et de resynchronisation,

• proposer des visites régulières auprès de la médecine du travail,

• adapter les mesures aux spécificités individuelles (âge, sexe, chrono-type),

• informer les salariés sur les impacts du travail de nuit ou autre horaire atypique sur leur santé.

Le rôle de la médecine du travail dans la prévention des risques liés aux horaires atypiques

Les services de santé et de prévention au travail ont également un rôle important à jouer dans la mise en place des horaires atypiques.

Outre le suivi médical spécifique des salariés concernés, ils sont les mieux à même de leur prodiguer une information et des formations spécifiques sur les risques encourus, l’hygiène de vie et de sommeil, les modalités d’exposition à la lumière.

Depuis le 1er janvier 2017, les travailleurs de nuit bénéficient d’une visite d’information et de prévention, réalisée préalablement à leur affectation sur le poste, par le médecin du travail ou, sous l’autorité de celui-ci, par le collaborateur médecin, l’interne en médecine du travail ou l’infirmier2. À l’issue de la visite, le salarié bénéficie de modalités de suivi adaptées déterminées dans le cadre du protocole écrit élaboré par le médecin du travail, selon une périodicité qui n’excède pas une durée de trois ans3. Dans le cadre de ce suivi, le médecin du travail peut prescrire, s’il le juge utile, des examens spécialisés complémentaires qui sont à la charge de l’employeur.

Les salariées enceintes, venant d’accoucher ou allaitantes bénéficient également de dispositions particulières et de mesures protectrices lorsqu’elles travaillent de nuit4. À leur demande ou à celle du médecin du travail, elles peuvent être affectées à un poste de jour pendant la durée de leur grossesse notamment, sans diminution de leur rémunération. Lors du congé postnatal ou lors du retour du congé maternité, le médecin du travail peut demander une prolongation d’un mois de ce congé. Lorsque l’affectation à un poste de jour est impossible, l’employeur doit communiquer par écrit les motifs du refus à la salariée ou au médecin du travail. Le contrat de travail se trouve alors suspendu jusqu’à la date de début du congé légal de maternité et éventuellement durant la période complémentaire suivant la fin de ce congé, la salariée bénéficiant d’une garantie de rémunération5.

Par ailleurs, le travail en équipes successives et alternantes et le travail de nuit faisant partie des facteurs de pénibilité visés par le Code du travail, l’employeur est tenu de déclarer l’exposition des travailleurs à ces facteurs de risques professionnels au-delà des seuils fixés par l’article D. 4163-2 du Code du travail.

Au regard de ces dispositions, le médecin du travail peut conseiller l’employeur afin de prévenir ou réduire la pénibilité au travail.

Le rôle des représentants du personnel dans la prévention des risques liés aux horaires atypiques

De même, le CSE (Comité social et économique), qui doit être associé à la mission de prévention de la pénibilité, peut procéder à l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité et doit être associé à la réflexion sur les horaires de travail.

Le Code du travail prévoit également que l’employeur doit lui présenter le rapport annuel sur la santé et la sécurité dans l’établissement dans lequel le travail de nuit et les questions de pénibilité doivent être traitées spécifiquement. Est également soumis au CSE le programme annuel de prévention des risques professionnels dans lequel figurent les mesures de prévention de la pénibilité. Le CSE émet un avis sur ces deux documents.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. trav., art. L. 4121-1.
  • 2.
    C. trav., art. R. 4624-18.
  • 3.
    C. trav., art. R. 4624-17.
  • 4.
    C. trav., art. R. 4624-19.
  • 5.
    C. trav., art. L. 1225-9 et C. trav., art. L. 1225-10.
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