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« L’Île-de-France a un pas d’avance dans la féminisation des métiers scientifiques et techniques »

Publié le 22/07/2022

Créée en 2005, l’association « Elles Bougent » est engagée dans la féminisation des équipes techniques et scientifiques des entreprises industrielles. Basée à Paris, elle est aussi implantée dans toute la France à travers 23 délégations régionales, en métropole et outre-mer. Actuellement, 300 entreprises sont membres de l’association. 10 000 marraines et personnes-relais, issues de sociétés industrielles, interviennent auprès de jeunes filles. Des événements organisés avec des collèges, des lycées et des établissements d’enseignement supérieur pour parler et sensibiliser les futures femmes aux métiers de l’industrie. Fondatrice et présidente de « Elles Bougent », Marie-Sophie Pawlak dresse un diagnostic de la féminisation de ces activités, depuis la création de son association.

Actu-Juridique : Quel bilan faites-vous depuis la création de l’association « Elles Bougent » en 2005 ?

Marie-Sophie Pawlak : L’association a connu une croissance continue et exponentielle. Nous avons tous les jours des entreprises qui nous contactent pour devenir membre. Concernant le bilan sur le fond, je constate une progression. En 2005, il y avait à peu près 5 à 10 % des femmes dans les équipes techniques des grandes entreprises industrielles françaises comme Dassault, EDF, Alstom ou PSA. Aujourd’hui, nous approchons des 20 %. Puis, dans les écoles d’ingénieurs, les femmes représentent 20 % à 25 % des étudiants alors qu’elles étaient 10 % il y a 15 ans. Les choses évoluent bien, mais pas assez vite. Nous ne sommes pas dans les proportions qui devraient être la norme. La loi Copé-Zimmermann relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle impose la présence d’au moins 40 % « du sexe le moins représenté » dans ces secteurs. Nous n’y sommes pas encore au niveau du personnel technique et scientifique.

Actu-Juridique : Comment pouvez-vous caractériser cette progression de la féminisation des entreprises industrielles ?

Marie-Sophie Pawlak : En général, quand vous regardez la féminisation, beaucoup d’entreprises affichent un taux de 30 à 35 %. Ce sont des chiffres plus importants par rapport à ceux que je viens de citer. Mais il y a le biais des métiers qui sont encore majoritairement féminins comme l’assistanat, la communication, les ressources humaines, les fonctions dites « support ». C’est le même phénomène quand vous regardez l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, appelé aussi « Index Pénicaud ». Il mesure les inégalités salariales dans une entreprise d’au moins 50 salariés. Ces indices et ces taux ne vont pas dans le détail du personnel scientifique. Les pourcentages donnés ne prennent pas en compte les activités exercées.

Actu-Juridique : Que faudrait-il faire selon vous face à cette situation ?

Marie-Sophie Pawlak : Il faudrait rendre obligatoire la transmission de données sur les fonctions scientifiques et techniques exercées par des femmes. L’idéal serait d’avoir la proportion de femmes en recherche et développement, en méthode, dans les services techniques… Dans toutes les activités pour lesquelles la base scientifique, technique ou technologique doit être forte. Il manque donc cette précision dans le relevé d’indice et dans la façon de mesurer la progression. Au sein de notre association, nous tentons de faire ces mesures avec nos partenaires.

Actu-Juridique : Vous avez tout de même parlé d’une progression de la féminisation des métiers industriels sur ces 15 dernières années. Quels facteurs ont favorisé cette évolution ?

Marie-Sophie Pawlak : D’abord, le sujet de la féminisation est devenu une question abordable. En 2005, au moment de la création de l’association, vous pouviez être catégorisées ou mises au ban des militantes « qui allaient prendre la place des hommes ». À l’époque, j’avais ce sentiment face à certaines réactions. En réalité, on demandait juste de la mixité dans les entreprises industrielles. Le changement est arrivé au moment de la démocratisation de ce sujet. Nous avons eu un ministère des droits des femmes de plein droit, avec la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Tous les ministères se sont occupés de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, y compris en interne.

Plusieurs lois ont aussi favorisé l’émergence de cette question. Il y a donc eu la loi Copé-Zimmermann en 2011. C’est la première loi qui a caractérisé d’intérêt général le sujet de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Pour la fonction publique, il y a eu la loi Sauvadet en 2012, avec dans le titre III des dispositions relatives à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Puis en 2021, il y a eu la loi Rixain visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.

Puis nous avons un président de la République qui a osé dire que la cause quinquennale de son premier mandat serait l’égalité entre les hommes et les femmes. Un vœu renouvelé pour son deuxième quinquennat. Enfin, le phénomène #Metoo a aussi renforcé l’intérêt pour ce sujet d’égalité globalement dans la société.

Actu-Juridique : Quels sont les freins encore existants par rapport à la féminisation des métiers techniques et scientifiques dans l’industrie ?

Marie-Sophie Pawlak : Il y a la méconnaissance et les stéréotypes ancrés, induits, inconscients présents dans la tête des hommes et des femmes. Les métiers industriels seraient destinés aux hommes car il faudrait de la force physique. Ce seraient des activités sales et polluantes. Ces images ne correspondent pas à la réalité. Puis, il y a cette histoire fausse aussi des filles qui comprendraient moins bien les mathématiques ou la physique. Par conséquent, elles ont ces a priori en tête. Ces freins sont historiques et perdurent encore aujourd’hui. Au sein de l’association « Elles Bougent », nous faisons tout pour que ces croyances disparaissent. La clé de ce sujet est l’éducation. Dans l’histoire de France, l’éducation était plus patriarcale. Par exemple, en 1802, les lycées pour les garçons sont créés. En 1880, le député Camille Sée fait passer une loi pour ouvrir l’enseignement secondaire aux filles. Mais elles n’auront pas le même programme scolaire que les garçons. Elles auront la morale, la philosophie, la musique, les arts et quelques éléments de sciences. En 1924, le baccalauréat des filles est aligné sur celui des garçons. Il a donc fallu attendre 122 ans pour avoir l’égalité concernant l’enseignement au lycée. Aujourd’hui, le temps s’accélère. Je vois des progrès dans un temps plus concis. Je suis persuadée que nous sommes dans la bonne décennie pour obtenir des avancées très considérables en matière de féminisation dans nos entreprises industrielles et technologiques.

Actu-Juridique : Avec la formation continue et l’accélération dans le développement de nouvelles filières comme le numérique, les femmes en milieu de carrière professionnelle deviennent-elles une cible concernant votre association ?

Marie-Sophie Pawlak : Le sujet de transformation digitale est une opportunité. Le secteur industriel n’est pas le seul à avoir des besoins en ressources humaines techniques et scientifiques. Toute l’économie connait des besoins avec la digitalisation. Pour toucher à ce sujet ou faire du marketing digital, il faut avoir fait des études en conséquence. Il y a un problème de vivier. Les entreprises ont des difficultés dans leur recrutement. Elles ont donc intérêt à embaucher des nouveaux collaborateurs, femmes ou hommes, en s’adressant à tous les profils. Les recruteurs peuvent s’adresser à des jeunes femmes ou bien à un pan de personnes en reconversion, avec des formations rapides pour s’orienter vers des métiers du numérique. Mais au sein de l’association, notre cœur d’activité reste la jeunesse car elle est plus réceptive à notre propos, comparé à des femmes de 40 ou 50 ans en reconversion. C’est plus compliqué pour nous de guider ce public vers les métiers scientifiques et techniques.

Actu-Juridique : Comment analysez-vous le développement de l’entrepreneuriat des femmes ?

Marie-Sophie Pawlak : L’entrepreneuriat des femmes évolue dans le bon sens. D’abord, il y a beaucoup d’associations dédiées aux femmes entrepreneures. Pourtant, quand on regarde le nombre de start-ups créées, le pourcentage des femmes reste très bas, à hauteur de 10 % des créations. Mais l’évolution se fait progressivement. Elles ont aussi plus de difficulté à lever des fonds pour financer leur projet par rapport aux hommes. Il y a encore ce phénomène d’auto-censure, se dire de ne pas viser trop haut dans son projet… Le mouvement est en route. Concernant les entreprises amenées à grossir, pour le moment, les hommes sont majoritaires. Ensuite, à propos des domaines d’activité, la production à grande échelle sera plutôt développée par des hommes, tout comme les activités techniques. Pour le digital, la création et la communication, les sociétés sont créées plutôt par des femmes. C’est le cas aussi des services, des applications pratiques qui peuvent concerner le quotidien.

Actu-Juridique : Constatez-vous une évolution concernant le type d’entreprise qui vous rejoignent aujourd’hui ?

Marie-Sophie Pawlak : Au début, nous avions beaucoup de grands groupes partenaires de notre association. Depuis, de plus en plus d’entreprises de taille intermédiaire ou des PME nous rejoignent. Nous avons même des sociétés de moins de 10 personnes. À l’heure actuelle, nous avons près de 20 % de TPE-PME parmi nos partenaires. Pour adhérer à « Elles Bougent », il y a une cotisation annuelle avec un barème en fonction de l’effectif. En 2005, au moment de la création, on ne descendait pas en dessous de 500 personnes. À l’époque, nous n’y pensions même pas. Aujourd’hui, nous avons ce barème qui va jusqu’à une TPE. Toutefois, il y a majoritairement des entreprises du CAC 40 car c’est l’origine de notre association. Ces grands groupes ont cru en mon projet. Je me suis dirigée vers ces entreprises car la problématique de la représentation des femmes les concernait directement. Fin des années 2000, début des années 2010, les grands groupes se sont saisis de la question de la responsabilité sociétale et environnementale (RSE). Ils ont commencé à embaucher des collaborateurs dans ce domaine comme le responsable à la diversité. Ils avaient les moyens de dédier des personnes aux sujets de la RSE.

Actu-Juridique : Qu’en est-il de la féminisation des métiers industriels en Île-de-France ?

Marie-Sophie Pawlak : La région Île-de-France est différente des autres régions françaises car il y a de nombreux sièges et de centres de recherche et de développement de grands groupes et d’entreprises. Nous avons 2 500 marraines-relais en Île-de-France. C’est un quart de nos effectifs. Il y a aussi une différence entre l’ouest et l’est de la région francilienne. Il y a une tangentielle qui part d’Orsay, qui remonte sur Saint-Quentin-en-Yvelines et jusqu’à Cergy-Pontoise. Il y a une grosse concentration de sièges sociaux, qui se sont décentralisés avec une composante de recherche et développement très importante. Dans l’est parisien, ce n’est pas le cas. Il y a donc un déséquilibre vers l’ouest. Dans cette concentration de sites de recherche et de développement, nous retrouvons plus de femmes. Les sièges sociaux des grandes entreprises se veulent exemplaires à travers leur message de responsabilité sociétale. Ainsi, l’Île-de-France a un pas d’avance au sujet de la féminisation des métiers industriels, scientifiques et technologiques.

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