Maladie professionnelle et secret médical : revirement de jurisprudence relatif à l’étendue du secret médical et ses conséquences

Publié le 29/10/2024
Santé, médecins
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Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 13 juin 2024 opère un revirement de jurisprudence en matière de reconnaissance de maladie professionnelle. La Cour précise que lors de l’instruction d’une demande de reconnaissance du caractère professionnel de l’affection désignée par le tableau n° 42, dans le dossier constitué par les services administratifs de la caisse, susceptible d’être communiqué à l’employeur, l’audiogramme, qui comporte des informations sur le diagnostic de la maladie concernant la victime, est une pièce médicale, couverte comme telle par le secret médical.

Dans cette affaire, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), ayant pris en charge, au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par un des salariés d’une société, a formé un pourvoi contre un arrêt ayant statué dans le litige l’opposant à la société employeur, défenderesse à la cassation.

Cette décision1, qui a été rendue en matière d’atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels (I), mais qui pourrait être généralisée à d’autres situations, pose à la fois le problème des maladies professionnelles et des moyens de les faire apparaître et de les contester, ce qui soulève la difficulté de leur établissement et du rôle du secret médical (II), de son principe, de ses limites et de sa mise en œuvre, notamment à l’égard d’un employeur souhaitant contester le caractère professionnel d’une maladie.

Le principe est qu’est présumée d’origine professionnelle2 toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à celui-ci.

I – La maladie professionnelle liée à l’audition et à des lésions correspondantes

Pour les maladies professionnelles liées à l’audition et aux lésions correspondantes il y a lieu de se préoccuper de leur nature (A) et des conditions de leur reconnaissance (B).

A – Nature

Comme pour bien d’autres, les atteintes auditives provoquées par les bruits lésionnels sont reprises dans les tableaux des maladies professionnelles3. Le tableau indique une désignation des maladies concernées, le délai de prise en charge et une liste limitative de travaux susceptibles de provoquer ces maladies.

En pratique, il y a assez peu de difficultés pour leur établissement, caractérisation et imputation. Il suffit pour l’intéressé d’entrer dans les cases prévues4.

B – Procédure d’établissement

Un salarié qui s’estime victime d’une maladie professionnelle doit, comme ici pour une maladie professionnelle liée à l’audition et aux lésions correspondantes relevant du tableau n° 425, la déclarer auprès de la caisse primaire d’assurance maladie, ce qui peut amener à sa prise en charge (1) à la suite d’une procédure de reconnaissance (2).

1 – Prise en charge

La prise en charge d’une maladie professionnelle au titre du droit des risques professionnels repose sur un système de tableaux de maladies professionnelles6. Le salarié qui, sur son cas, démontre la coïncidence avec les éléments d’un tableau bénéficie de la présomption, simple7, d’origine professionnelle de sa maladie.

Une des colonnes prévoit une liste indicative de travaux susceptibles de générer une ou des maladies professionnelles mais il est admis que le salarié pourrait avoir effectué d’autres travaux.

Il n’y a pas obligation pour le salarié concerné d’avoir exécuté personnellement les travaux prévus, il suffit, pour que la maladie lui soit reconnue, que, sans avoir exécuté lui-même les travaux prévus, il en ait subi les conséquences. En raison de sa présence dans l’atelier pendant que d’autres salariés effectuaient les travaux, situation fréquente dans le cas d’ambiance conduisant à une exposition au risque auditif, même en l’absence de travaux personnellement effectués conduisant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle provoquée par les bruits lésionnels, la maladie peut lui être reconnue8.

2 – Procédure

Dès lors qu’une maladie professionnelle figure dans les tableaux prévus, sa reconnaissance devient relativement plus facile pour la victime (a) mais les décisions peuvent être frappées d’inopposabilité à l’égard de l’employeur (b).

a – Procédure de reconnaissance des maladies professionnelles figurant dans les tableaux

Pour que la maladie puisse être qualifiée de professionnelle, elle doit répondre à certains critères médicaux-administratifs. Des tableaux spécifiques définissent, pour chaque type d’affection, les conditions à remplir.

Déclaration. La maladie doit être déclarée par la victime à la CPAM dans un délai de quinze jours. À la réception des documents, la caisse dispose d’un délai d’instruction de trois mois, qui peut être porté à six mois en cas de difficultés particulières d’instruction. Si la caisse reste inerte pendant ce délai, la maladie est implicitement reconnue. Dès réception de la déclaration complète, la caisse en accuse réception et adresse au demandeur l’imprimé « feuille de maladie professionnelle »9 qui lui permet de recevoir des soins sans faire l’avance des frais. La caisse peut contester la validité de la déclaration ; si les conclusions de l’enquête y conduisent, elle opposera un refus administratif pour absence d’exposition au risque. Le demandeur contestera au besoin le refus de la caisse en contentieux général. Il en est de même si le médecin-conseil, après contact, si nécessaire, avec le médecin traitant et éventuellement avec le médecin du travail, estime que les conditions des tableaux de maladies professionnelles ne sont pas remplies.

Cette décision, si elle est négative, pourra être contestée, d’abord, en recours amiable puis devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, maintenant pôle social du tribunal judiciaire10. L’employeur est informé, ce qui a pour objet de lui permettre de formuler des réserves motivées sur le lien entre la maladie et le travail. La notion de « réserves » demeure livrée à l’appréciation des juges11. L’employeur peut contester le caractère professionnel de la maladie. Il lui appartient de renverser cette présomption, simple, qui admet donc la preuve contraire12 d’imputabilité13 par la production d’éléments probants.

Examen médical ou enquête complémentaire. La CPAM procède à un examen, sous forme de questionnaire, des circonstances ou de la cause de la maladie, ou à une enquête. Avant l’expiration du délai d’instruction, elle informe le salarié concerné ainsi que son employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception, de cette démarche. Elle peut aussi soumettre le salarié à un examen médical par un médecin-conseil.

Délai de prise en charge précisé dans les tableaux. Un délai de prise en charge est une condition de reconnaissance de la maladie, il est précisé dans les tableaux.

Contestations de la procédure. Le juge retient l’indépendance du vice de procédure et de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, ce qui peut entraîner des inopposabilités.

Lopposabilité de la décision de prise en charge ne fait pas obstacle à ce que l’employeur en conteste le caractère professionnel. Une défense fondée sur ce caractère non professionnel est recevable à titre d’exception, donc même après l’écoulement du délai de deux mois qui suit la notification de la décision de prise en charge.

Le principe d’indépendance des rapports caisse-employeur et caisse-salarié ou encore employeur-assuré fait que le risque qualifié l’est définitivement dans la relation que la caisse entretient avec l’employeur.

Le principe d’indépendance, présenté traditionnellement comme protecteur des droits de la victime ou encore de ceux de l’employeur, profite désormais également à la caisse.

Avant de prendre sa décision, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier14, qui doit comprendre la déclaration de maladie professionnelle, les divers certificats médicaux détenus par la caisse, les constats faits par la caisse primaire, les informations parvenues à la caisse de chacune des parties et les éléments communiqués par la caisse régionale15.

Les praticiens-conseils du service du contrôle médical et les personnes placées sous leur autorité n’ont accès aux données de santé à caractère personnel que si elles sont strictement nécessaires à l’exercice de leur mission et dans le respect du secret médical16. Ainsi, le diagnostic de l’hypoacousie de perception, est établi par une audiométrie.

II – Opposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle

Afin d’assurer une complète information de l’employeur, mais en respectant le secret médical dû à la victime, dans le dossier présenté par la caisse à la consultation ne figurent pas, parmi les certificats, les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail, délivrés après le certificat médical initial, qui ne portent pas sur le lien entre l’affection, ou la lésion, et l’activité professionnelle ; aucun manquement au respect du principe du contradictoire ne peut résulter de ce que les certificats médicaux de prolongation n’ont pas été mis à la disposition de l’employeur, ce dernier ayant eu communication de la déclaration de maladie professionnelle, du certificat médical initial, des colloques médico-administratifs et des questionnaires salarié et employeur17. Ceci résulte maintenant d’un revirement de jurisprudence relatif au secret médical et à son opposabilité dans le cadre de la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles, amenant à s’interroger sur le lien entre procédure de reconnaissance des maladies professionnelles et secret médical et les conséquences qu’il y a lieu d’en tirer.

A – Maladie professionnelle et secret médical : revirement de jurisprudence relatif à son opposabilité

Les arguments invoqués par les employeurs pour contester l’existence même de la maladie, ou son caractère professionnel, comme dans la présente espèce, posent la question de la conciliation et de l’équilibre (2) entre le droit de la victime au respect du secret médical18 (1) de sa vie privée19, de ses données médicales20 et la mise en œuvre, au bénéfice de l’employeur, du principe du contradictoire21 au cours de la procédure d’instruction.

1 – Principe du secret médical

L’obligation du secret médical s’impose aux médecins comme un devoir de leur état22. Elle est générale et absolue et il n’appartient à personne de les en affranchir. Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, au sens large, a droit au respect de sa vie privée23 et du secret des informations la concernant24. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne qui sont venues à la connaissance du professionnel. Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

Le secret médical, professionnel, couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.

2 – Équilibre

Droits du malade salarié. Propriété du malade et droit propre au patient25, le secret médical n’appartient qu’au patient, et non au médecin, même dans le cadre de procédure de reconnaissance de maladies professionnelles.

Jusqu’à la présente décision, la Cour de cassation jugeait, de manière constante, que lors de l’instruction d’une demande de reconnaissance du caractère professionnel de l’affection désignée par le tableau n° 42, (atteintes auditives provoquées par les bruits lésionnels) le dossier constitué par les services administratifs de la caisse primaire d’assurance maladie26 doive, à peine d’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge, comprendre les audiogrammes obtenus lors des audiométries qui doivent être réalisées dans les conditions et délais fixés par le tableau27. Une telle jurisprudence soulevait des difficultés au regard des obligations déontologiques auxquelles sont astreints les médecins28 et personnels de santé29. Ceci a amené la Cour de cassation à reconsidérer sa jurisprudence relative à la communication de l’audiogramme30, qui comporte des informations sur le diagnostic de la maladie, et est donc une pièce médicale, comme telle couverte par le secret, qui ne doit pas faire l’objet de communication31.

Il est admis que la transmission, aux services administratifs de la CPAM, du certificat médical initial indiquant la nature de la maladie n’autorise pas la détention de l’audiogramme par les services de la caisse, ni sa communication à l’employeur par le praticien-conseil au cours de la procédure d’instruction32.

Le secret médical ne s’impose qu’au personnel médical. Mais le monde médical n’est pas pour autant propriétaire du secret médical. Le secret médical étant un droit propre au patient, seul le patient peut se plaindre d’une violation du secret médical33.

Droits de lemployeur. L’équilibre entre le droit de la victime au respect du secret médical et le droit de l’employeur34 à une procédure contradictoire35 dès le stade de l’instruction de la déclaration de la maladie professionnelle par la CPAM est préservé par la possibilité pour l’employeur contestant le caractère professionnel de la maladie de solliciter du juge la désignation d’un expert à qui seront remises les pièces composant le dossier médical de la victime.

Afin de permettre la conciliation entre ces droits36, il a été organisé, dès le stade de la saisine de la commission médicale de recours amiable, compétente pour connaître des contestations de nature médicale postérieures au 1er janvier 2019, des modalités de transmission par le praticien-conseil du service du contrôle médical de l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision, sans que puisse être opposé le secret médical37.

Les personnes qui assistent les professionnels de santé, dans le cadre des procédures destinées à permettre d’aboutir, ou non, à la reconnaissance de maladies professionnelles – c’est le cas de l’employeur – doivent recueillir l’assentiment préalable du malade avant d’avoir accès aux données portant sur des éléments couverts par le secret médical38.

Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction39.

Il en résulte que l’assuré doit avoir accès, à sa demande ou à celle de son conseil, au rapport de l’expertise médicale réalisée à l’initiative de l’assureur40.

On a fait valoir que le médecin expert ne peut se voir imposer la présence de personnes n’ayant pas la qualité de médecin pendant l’examen médical de la personne expertisée41. Mais il ne faut pas oublier que le patient n’est pas l’objet du secret mais bien son sujet, dès lors qu’il s’agit d’un droit propre – c’est-à-dire qui n’appartient qu’à lui –, le patient est libre de faire ses confidences à qui il l’entend, sans que les médecins ne puissent s’autodésigner seuls confidents légitimes au motif qu’il s’agit de sa santé. Le secret médical ne s’impose qu’aux médecins, pas au patient, ni aux justiciables expertisés qui demeurent parfaitement libres d’exercer – ou non – un droit dont ils sont les seuls titulaires, mais en matière de maladies professionnelles cela exclut l’employeur qui n’a pas à avoir accès à des données couvertes par le secret médical, d’autant que la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles est régie de telle manière que le caractère contradictoire de la procédure d’inopposabilité est parfaitement respecté sans qu’il y ait besoin de communiquer de tels éléments à l’employeur qui, bien souvent les connaît plus ou moins, et l’on sait que certains employeurs42 demandent à obtenir ces éléments car ils veulent obtenir l’autorisation légale de pratiquer le contrôle médical, voire un contrôle plus étendu de leurs salariés.

Le secret médical est un secret plus fragile en tant que droit du patient. En tant que droit institué « dans l’intérêt du patient »43, le secret peut faire l’objet d’une renonciation de sa part, il n’y a alors pas véritablement d’atteinte au secret, pas davantage d’atteinte portée à sa vie privée, néanmoins, une telle renonciation ne paraît guère pouvoir être favorable au salarié car elle pourrait avoir comme conséquence de donner à l’employeur des éléments lui permettant de la contester.

La renonciation du patient à la protection de son secret n’est incontestable que lorsqu’elle procède d’une volonté libre et éclairée. Si le patient est contraint d’accepter la divulgation de son secret, la faculté de renonciation au droit au secret en devient un facteur de fragilité.

L’assuré a la possibilité de s’opposer à la divulgation de son secret médical, mais il s’expose alors à ce que le juge en tire des conséquences. En refusant que son secret soit divulgué, le patient prend donc le risque de perdre son procès44. D’où l’insistance de certains employeurs pour obtenir des possibilités d’accès au secret médical que leurs employés pourraient être tentés d’évoquer, ce qui alors ne serait plus sans risque pour les travailleurs, spécialement dans le cadre de la reconnaissance de maladies professionnelles contestées par l’employeur.

Le droit du patient à la préservation de son secret médical se trouve aussi menacé par sa mise en concurrence avec d’autres intérêts.

III – La mise en concurrence du droit au secret

Penser le secret comme un droit qui protège la vie privée, c’est admettre que d’autres intérêts puissent venir contredire celui du patient et sera alors mis en balance avec des intérêts concurrents et livré à un contrôle de proportionnalité.

Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité »45 mais cela est cependant limité à la mesure dans laquelle les informations médicales « sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits », situation que l’on peut trouver dans le cadre de la législation professionnelle. Néanmoins, le texte réserve tout de même l’hypothèse où le patient s’y serait expressément opposé.

Le fait d’envisager le secret médical comme une obligation du professionnel tend à en assurer une meilleure protection.

Ce secret est mieux protégé en tant qu’obligation du médecin en raison de l’interdiction qui lui est faite de divulguer le secret de ses patients, et du caractère strictement limité des exceptions prévues à cette interdiction de divulgation.

L’objet de l’obligation est défini de manière très large, en y intégrant non seulement les informations qui ont trait à la santé du patient, mais aussi « l’ensemble des informations qui concernent la personne et qui sont venues à la connaissance du professionnel dans l’exercice de sa profession46.

La protection accordée au médecin se traduit par l’impossibilité de lui imposer de révéler le secret de ses patients47. Ce devoir du médecin de se taire va très loin puisque le patient lui-même ne peut obliger son médecin à témoigner en justice.

C’est ici l’obligation au secret qui est mise en avant, et même le devoir de protéger le secret, dans un objectif plus général de protection de la santé publique.

Des exceptions existent mais limitées. Seule la loi, et non le juge, peut autoriser, voire imposer, la levée du secret. Le droit au respect du secret médical n’est ainsi pas absolu, il doit en être tenu compte au même titre que le droit à une procédure contradictoire.

La possibilité pour l’employeur d’avoir accès, par l’intermédiaire d’un expert médecin, aux pièces médicales de son salarié lui garantit une procédure contradictoire tout en assurant le respect du secret médical auquel le salarié a droit. Dès lors que les services administratifs de la CPAM ne sont pas en possession des pièces médicales sollicitées, la CPAM n’est pas placée en situation de net avantage dans la procédure48.

Au stade du recours préalable, la jurisprudence choisit délibérément d’exonérer de toute éventuelle sanction l’absence de transmission des éléments médicaux49 et, par conséquent, de priver les employeurs de toute contestation effective à l’encontre des décisions d’ordre médical50.

Un salarié a été victime d’un accident qui a été pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la CPAM compétente.

L’employeur a ultérieurement contesté l’imputabilité des arrêts de travail et des soins prescrits et saisi la commission médicale de recours amiable, en désignant un médecin-conseil pour recevoir le rapport médical. Ce médecin-conseil de l’employeur désigné n’a jamais été rendu destinataire des documents médicaux sollicités et n’a pas pu soumettre ses observations à la CMRA. En l’absence de réponse de la CMRA dans le délai imparti, l’employeur a saisi le tribunal judiciaire sur rejet implicite, en faisant valoir :

• à titre principal, que la communication du rapport médical au médecin-conseil désigné doit être automatique51, de sorte que la CPAM a violé les dispositions prévues et le principe du contradictoire52 ;

• à titre subsidiaire, que la mise en œuvre d’une mesure d’instruction (expertise médicale judiciaire ou consultation sur pièces du dossier médical du salarié de l’entreprise) est nécessaire, permettant ainsi de contester un élément d’ordre médical devant le tribunal judiciaire.

La jurisprudence estime qu’au stade du recours préalable, ni l’inobservation des délais, ni l’absence de transmission du rapport médical et de l’avis au médecin mandaté par l’employeur n’entraînent l’inopposabilité à l’égard de ce dernier de la décision de prise en charge par la caisse des soins et arrêts de travail prescrits jusqu’à la date de consolidation ou guérison, dès lors que l’employeur dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l’expiration du délai de rejet implicite53 et d’obtenir, à l’occasion de ce recours, la communication du rapport médical54.

Ainsi, sans porter atteinte au droit à un procès équitable55 ni rompre l’égalité des armes entre l’employeur et l’organisme de sécurité sociale, le juge du contentieux de la sécurité sociale n’est pas tenu d’user de la faculté d’ordonner une mesure d’expertise dès lors qu’il s’estime suffisamment informé.

Labsence deffet de la non-transmission du rapport médical sur lopposabilité de la décision de la CPAM. Lorsque le recours préalable est formé par l’employeur, le secrétariat de la CMRA notifie, par tout moyen conférant date certaine, son rapport56 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur à cet effet. Le secrétariat informe l’assuré ou le médecin mandaté par l’employeur, par tout moyen lui conférant la possibilité de faire valoir ses observations.

En pratique, ce rapport médical n’est que très rarement transmis au médecin-conseil de l’employeur.

Au stade du recours préalable, ni l’inobservation des délais, ni l’absence de transmission du rapport médical et de l’avis au médecin mandaté par l’employeur n’entraînent l’inopposabilité à l’égard de ce dernier de la décision de prise en charge par la caisse primaire dès lors que l’employeur dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l’expiration du délai de rejet implicite57 et d’obtenir, à l’occasion de ce recours, la communication du rapport médical58.

La possibilité offerte à l’employeur de poursuivre son recours devant le pôle social du tribunal judiciaire est considérée comme une garantie suffisante, l’employeur doit se contenter d’une décision de rejet implicite de cette commission amiable et saisir la juridiction de sécurité sociale pour faire valoir ses droits, ce qui revient à dénuer de tout intérêt un recours gracieux préalable, pourtant paradoxalement obligatoire pour l’employeur59.

Labsence deffet de la non-transmission du rapport médical sur la mise en œuvre dune mesure dinstruction. Selon l’employeur, à supposer que le praticien conseil de la caisse primaire puisse, en présence d’une contestation sur son contenu, se dispenser de transmettre son rapport médical tant à la CMRA compétente qu’à la juridiction de sécurité sociale, sans que l’inopposabilité de la décision de la caisse primaire soit encourue, il incombe alors au juge d’ordonner une mesure d’instruction60.

L’équilibre entre les droits des parties suppose une transmission des éléments médicaux au médecin mandaté par l’employeur afin qu’une discussion contradictoire puisse avoir lieu.

On a cherché à faire valoir que l’organisation d’une mesure d’instruction permettant que soient analysés les éléments du dossier médical du salarié est le seul moyen pour l’employeur de retrouver une égalité des armes avec la CPAM, laquelle, par l’entremise du médecin-conseil, a la capacité de se faire communiquer des avis ou conclusions de nature médicale.

La haute juridiction précise qu’en dépit de la communication du rapport-médical, par le médecin-conseil de la caisse primaire, à la CMRA ou au médecin mandaté par l’employeur, le juge du contentieux n’est pas tenu d’user de cette faculté s’il s’estime suffisamment informé.

Cette absence de mesure d’instruction ordonnée pour pallier la carence de la caisse à produire le rapport médical au stade précontentieux ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable, ni ne rompt l’égalité des armes entre l’employeur et l’organisme de sécurité sociale.

La Cour de cassation considère que l’absence de communication à l’employeur des examens médicaux du salarié et des observations médicales du médecin-conseil s’explique par le secret médical auquel est tenu le praticien61.

Certains ont pu regretter cette position dans la mesure où l’employeur, du fait de l’absence de communication du rapport médical et du rejet de la mesure d’instruction sollicitée, n’a pas pu analyser l’ensemble des éléments du dossier. C’est oublier qu’il s’agit là d’éléments couverts par le secret médical dont on ne voit pas à quel titre il ne serait pas opposable à l’employeur.

D’autant plus qu’en pratique une telle situation est exceptionnelle, notamment en matière de reconnaissance de maladies professionnelles, surtout celles relevant des tableaux, la situation est suffisamment évidente pour qu’il n’y ait pas besoin de lourdes investigations médicales.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 13 juin 2024, n° 22-22786.
  • 2.
    CSS, art. L. 461-1.
  • 3.
    CSS, art. L. 461-1 et annexes.
  • 4.
    CSS, art. D. 215-1, annexe VI, tableau n° 42 pour le régime général, n° 46 pour le régime agricole.
  • 5.
    M. Keim-Bagot, obs. ss Cass. 2e civ., 19 sept. 2019, n° 18-19993, F-PBI, « Tableau n° 42 des maladies professionnelles : portée de la liste limitative des travaux », BJT nov. 2019, n° BJT112g4.
  • 6.
    CSS, art. L. 461-2, annexes.
  • 7.
    CSS, art. L. 461-1, al. 2.
  • 8.
    C. Berlaud, « Exposition au risque auditif même en l’absence de travaux personnellement effectués », GPL 8 oct. 2019, n° GPL360x9, obs. ss Cass. 2e civ., 19 sept. 2019, n° 18-19993, F-PBI, Sté Groupe Pierre Henri c/ CPAM de L’Eure.
  • 9.
    Formulaire S6201 b.
  • 10.
    L. n° 2019-222, 23 mars 2019 : JO, 24 mars 2019.
  • 11.
    É. Tamion, « La contestation par l’employeur de la prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles », LPA 10 févr. 2017, n° LPA123y1.
  • 12.
    C. civ., art. 1354, al. 2.
  • 13.
    Y. Saint-Jours, « La réhabilitation de la présomption d’imputabilité spécifique aux risques professionnels », D. 2003, Chron., p. 2975.
  • 14.
    CSS, art. R. 441-13.
  • 15.
    M. Richevaux, « Coronavirus et maladies professionnelles », LPA 30 avr. 2021, n° LPA154f7.
  • 16.
    CSP, art. R. 4127-4.
  • 17.
    C. Berlaud, « Opposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle », GPL 4 juin 2024, n° GPL463x7, obs. ss Cass. 2e civ., 16 mai 2024, n° 22-15499, FS-B.
  • 18.
    M. Cottet, « Le secret de la personne protégé par le médecin : le secret médical », LPA 14 nov. 2016, n° LPA119u9, spéc. p. 36.
  • 19.
    C. civ., art. 9.
  • 20.
    CSP, art. L1110-4.
  • 21.
    CPC, art. 16.
  • 22.
    Cass. crim., 8 mai 1947, Degraene.
  • 23.
    C. civ., art. 9.
  • 24.
    CSP, art. L. 1110-4, I.
  • 25.
    F. Guéranger, « Un secret médical à dimension variable », GPL 27 sept. 2022, n° GPL440k4, obs. ss Cass. crim., 13 oct. 2020, n° 19-87341, F-PBI, Épx F.
  • 26.
    CSS, art. R. 441-13.
  • 27.
    Cass. 2e civ., 11 oct. 2018, n° 17-18901.
  • 28.
    CSP, art. R. 4127-4.
  • 29.
    J. Lefebvre, Déontologie des professions médicales et de santé, 2011, Les Études Hospitalières.
  • 30.
    Cass. 2e civ., 13 juin 2024, n° 22-15721 ; C. Berlaud, « Maladie professionnelle et secret médical : revirement de jurisprudence », GPL 9 juill. 2024, n° GPL465d6, obs. ss Cass. 2e civ., 13 juin 2024, n° 22-22786, FS-PBR.
  • 31.
    CSS, art. L. 461-5.
  • 32.
    CSS, art. L. 461-5.
  • 33.
    Cass. crim., 13 oct. 2020, n° 19-87341, F-BPI.
  • 34.
    Sicard, « Quelles limites au secret médical partagé ? », D. 2009, p. 2634.
  • 35.
    CPC, art. 16.
  • 36.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 37.
    C. pén., art. 226-13.
  • 38.
    CSP, art. L. 1110-4, III – Code de déontologie médicale, art. 72.
  • 39.
    CPC, art. 16.
  • 40.
    R. Schulz, « Principe de la contradiction, secret médical et droit d’accès au rapport d’expertise médicale », RGDA déc. 2021, n° RGA200l5, obs. ss Cass. 2e civ., 14 oct. 2021, n° 20-11980, FB.
  • 41.
    Président de la section déontologie et éthique du CNO des médecins, lettres des 25 juin et 27 sept. 2018.
  • 42.
    M. Richevaux, « Commerce et valeurs fondamentales de la société », Cahiers du CEDIMES 2/2015.
  • 43.
    CSP, art. R. 4127-4 – CE, 17 juin 1998, n° 156532.
  • 44.
    Cass. 1re civ., 15 juin 2004, n° 01-02238 : Bull. civ. I, n° 171 – Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-12742 : Bull. civ. I, n° 128.
  • 45.
    CSP, art. L. 1110-4, V.
  • 46.
    CSP, art. L. 1110-4.
  • 47.
    Arrêts Watelet et Decraene.
  • 48.
    C. Berlaud, « Jurisprudence – art. 6 – droit à un procès équitable », Gaz. Pal. 3 mai 2012, n° I9648, p. 29, obs. ss CEDH, 5e sect., 27 mars 2012, n° 20041/10, Eternit c/ France.
  • 49.
    CSS, art. L. 142-6.
  • 50.
    M. Ferreri, « Absence de transmission du rapport médical à l’occasion de l’exercice par l’employeur d’un recours médical préalable », GPL 5 mars 2024, n° GPL460d9, obs. ss Cass. 2e civ., 11 janv. 2024, n° 22-15939, SASU X c/ CPAM de l’Aube, FS-B.
  • 51.
    CSS, art. R. 142-8-3.
  • 52.
    CPC, art. 16.
  • 53.
    CSS, art. R. 142-8-5.
  • 54.
    CSS, art. L. 142-10 – CSS, art. R. 142-16-3.
  • 55.
    CEDH, art. 6.
  • 56.
    CSS, art. R. 142-8-3, modifié par le D. n° 2019-1506, 30 déc. 2019 et dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2020.
  • 57.
    CSS, art. R. 142-8-5.
  • 58.
    CSS, art. L. 142-10 – CSS, art. R. 142-16-3 ; « Arrêts de travail : effet sur l’opposabilité de la décision de la caisse à l’employeur en cas d’absence de transmission du rapport médical à l’occasion de l’exercice d’un recours médical préalable », JCP S 2024, n° 2, act. 23.
  • 59.
    C. Blanc Laussel, « Absence d’effet de la non-transmission du rapport médical lors du recours médical préalable devant la commission médicale de recours amiable de la caisse », Lexbase, Le Quotidien, 8 févr. 2024.
  • 60.
    CSS, art. L. 142-10 et L. 142-10-1 ; aux termes de l’article R. 142-6 du Code de la sécurité sociale dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2020, la juridiction peut ordonner toute mesure d’instruction, qui peut prendre la forme d’une consultation clinique ou sur pièces, exécutée à l’audience, par un consultant avisé de sa mission par tous moyens, dans des conditions assurant la confidentialité, en cas d’examen de la personne intéressée.
  • 61.
    CEDH, 5e sect., 27 mars 2012, n° 20041/10, Eternit c/ France.
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