Médaille du travail : règles et prescription de l’action
Les contentieux relatifs à la médaille du travail sont rares et, lorsqu’ils existent, portent surtout sur le problème de la gratification qui doit, ou non, l’accompagner et, dans ce cas, ils concernent généralement sa prescription.
Cass. soc., 11 mai 2023, no 21-15187
Une société a formé le pourvoi contre l’arrêt rendu par la cour d’appel. Elle invoque qu’une de ses salariés s’est vu décerner la médaille du travail accompagnée d’une gratification versée le 6 mai 2014. Le 29 mars 2017, la salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de gratification de médaille du travail et de congés payés afférents. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que l’action en rappel de la gratification médaille n’était pas prescrite, puis de le condamner à verser à la salariée une certaine somme à titre de complément pour le solde de la médaille du travail1.
La réponse de la Cour est que, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’un rappel de gratification allouée au titre de la médaille du travail en vertu d’un engagement unilatéral de l’employeur est soumise à la prescription triennale2, celle applicable aux créances salariales. La cour d’appel, qui a décidé que l’action de la salariée n’était pas prescrite, a fait l’exacte application de la loi.
Il y a donc lieu, après rappel des règles applicables à la médaille d’honneur du travail (I) et à l’éventuelle gratification correspondante, de se pencher sur les conditions de sa prescription (II).
I – La médaille d’honneur du travail
La médaille d’honneur du travail3, créée en 1948, est une distinction honorifique. Elle a pour but de récompenser l’ancienneté de services d’un salarié du secteur privé. Les années accomplies dans le secteur public ne sont pas prises en compte pour l’obtention de la médaille. Néanmoins, il devient de plus en plus difficile pour les salariés de rester suffisamment longtemps dans une entreprise pour pouvoir y prétendre, d’autant que les périodes de chômage ne sont pas non plus prises en compte. La qualité des initiatives prises dans l’exercice de la profession et les efforts pour acquérir une meilleure qualification sont des éléments qui sont aussi regardés.
Certains proposent la création d’une médaille d’honneur du travail, sur le modèle de celle existant actuellement, destinée à récompenser l’ancienneté des services et la qualité du travail des artisans, des commerçants et des personnes exerçant une activité libérale4.
Les salariés, de nationalité française ou non, ou les retraités peuvent l’obtenir sous condition d’ancienneté.
Les services pris en compte pour le calcul de l’ancienneté peuvent avoir été effectués auprès d’un nombre illimité d’employeurs.
Certaines périodes d’absence sont considérées comme des périodes de travail :
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temps passé au titre du service national ;
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congés de maternité5, congé de paternité6 et congés d’adoption7 (dans la limite d’un an maximum) ;
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stages rémunérés pour la formation professionnelle, l’apprentissage8, congés individuels de formation9, congés de conversion10, CDD conclus dans le cadre de la politique de l’emploi ;
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les périodes de chômage ne comptent pas dans le calcul de l’ancienneté.
Toutefois, les personnes suivantes peuvent obtenir la médaille sans avoir l’ancienneté requise :
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salariés de nationalité française ayant résidé outre-mer ou à l’étranger pour des périodes d’activité exercées hors métropole ;
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mutilés du travail : accidenté du travail qui a subi une blessure portant atteinte à son intégrité physique de façon irréversible, dont le taux d’incapacité est d’au moins 50 % ;
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salariés dont l’activité présente un caractère de pénibilité qui justifie la possibilité de partir en retraite anticipée.
La médaille d’honneur du travail comprend quatre échelons dépendant de l’ancienneté des services effectués :
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médaille d’argent : 20 ans ;
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médaille de vermeil : 30 ans ;
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médaille d’or : 35 ans ;
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grande médaille d’or : 40 ans.
La démarche peut être faite par l’intéressé ou par son employeur.
Selon le lieu d’habitation, la demande peut être faite en ligne ou par courrier et doit être assortie des justificatifs suivants :
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photocopie d’une pièce d’identité (recto-verso) ;
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photocopies des certificats de travail de chaque employeur. Le certificat de travail peut être remplacé par une attestation établie par deux témoins et visée par le maire de la commune de résidence, qui justifiera la raison pour laquelle un certificat ne peut pas être fourni ;
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attestation récente du dernier employeur ;
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pour les personnes ayant accompli des services militaires (ou assimilés), attestation des services accomplis au titre du service national ou photocopie du livret militaire ;
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pour les mutilés du travail : accidenté du travail qui a subi une blessure portant atteinte à son intégrité physique de façon irréversible, photocopie du relevé des rentes.
L’ensemble des justificatifs doit être scanné.
La médaille est décernée par arrêté du ministre du Travail ou, sur délégation, du préfet à l’occasion des 1er janvier et 14 juillet de chaque année.
Le dossier doit parvenir à son destinataire :
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pour obtenir la médaille le 14 juillet, avant le 1er mai de l’année en cours ;
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pour obtenir la médaille le 1er janvier, avant le 15 octobre de l’année précédente.
L’ancienneté est calculée à la date du 1er janvier ou du 14 juillet, et non pas à la date d’envoi de la demande.
L’intéressé peut obtenir un ruban (ou rosette) et un diplôme rappelant les services pour lesquels il est récompensés.
Une médaille peut être frappée et gravée à ses frais ou à ceux de son employeur (en cas d’accord de ce dernier), par commande envoyée à la Monnaie de Paris ou à un fabricant privé.
Un diplôme est également attribué, transmis au siège de l’employeur. Il n’est pas possible d’en obtenir un duplicata.
La remise de la médaille d’honneur du travail ne donne droit à une gratification de l’employeur que si cela est prévu dans la convention collective ou l’accord collectif d’entreprise. L’employeur peut verser une somme d’argent et/ou accorder un ou plusieurs jours de congé.
Si la somme versée par l’employeur est inférieure au montant d’un salaire mensuel, elle ne fait pas partie des revenus salariés imposables.
II – Prescription
La médaille est une distinction honorifique pour laquelle il n’y a pas d’obligation légale de gratification, celle-ci n’étant prévue que dans le cadre des conventions collectives ou accords d’entreprise. Cela pose donc la question de sa prescription et des principes applicables à celle-ci (A), qui va se régler par la nature de la créance devant être considérée comme de nature salariale (B). Elle se révèle donc être une prescription triennale et non biennale.
A – Prescription en droit du travail : principes
La prescription, en général11 et spécialement en droit du travail12, a fait l’objet de dispositions législatives13, dont l’effet, sinon le but, est de limiter l’accès des salariés aux conseils de prud’hommes14 et autres juridictions du travail. La prescription de droit commun est devenue quinquennale mais cette réforme laisse subsister de nombreux délais plus courts, spécialement en droit du travail (trois ans en matière salariale, deux ans pour les litiges relatifs à l’exécution du contrat de travail, un an en matière de licenciement). Cela va dans le sens de certains employeurs qui, au nom de leur sécurité juridique, y ont vu, en niant le besoin de sécurité juridique des salariés15, un moyen d’éliminer bon nombre d’actions devant les conseils des prud’hommes16 en les déclarant irrecevables du fait d’une prescription acquise. Il faut donc se pencher sur les délais de prescription (1) et ses effets (2).
1 – Les délais de prescription en droit du travail
Le délai de la prescription dépend de la nature de la demande, et non de son fondement17. Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit18. La durée des prescriptions en droit du travail est plus courte que celle du droit commun. Dans les litiges individuels du travail, plusieurs délais de prescription sont applicables. À quelques exceptions près, ils sont bien plus courts que la prescription quinquennale de droit commun19 et varient d’un à trois ans, sauf pour discriminations et/ou harcèlements où ils sont plus longs20.
Les parties qui le souhaitent et qui sont en situation de le faire devraient pouvoir aménager conventionnellement la durée de la prescription via une clause insérée dans le contrat21, sans qu’elle puisse être réduite à moins d’un an ni étendue à plus de dix ans22.
2 – Les effets de la prescription
Par l’effet de la prescription, le débiteur n’est plus tenu de payer la dette.
Par souci de limiter les contentieux, les délais de prescription deviennent courts, voire trop courts pour rester compatibles avec le droit au juge23.
Dans le cas d’un contrat susceptible d’entraîner une requalification, la prescription court à compter de sa conclusion24.
B – Nature de la créance
Il faut prendre en considération la nature de la créance25 : c’est l’objet de la demande, et non pas son fondement, qui permet d’identifier le délai de prescription à mettre en œuvre26.
Le législateur a modifié les règles de prescription en droit du travail en en raccourcissant drastiquement les délais27. Pour ce qui est des actions relatives à l’exécution du contrat de travail, ceux-ci sont limités à deux ans et trois ans pour les créances salariales28.
En considérant comme une créance salariale la gratification conventionnelle qui peut accompagner une médaille du travail et en l’assortissant donc d’une prescription triennale (trois ans) et non biennale (deux ans), la présente espèce rend une décision favorable aux salariés mais, compte tenu de la durée réelle de la vie de travail, ils devraient être assez peu nombreux à en bénéficier.
Notes de bas de pages
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1.
C. trav., art. L. 1471-1.
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2.
C. trav., art. L. 3245-1.
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3.
D. n° 84-591, 4 juill. 1984, relatif à la médaille d’honneur du travail – A., 30 juin 1948, relatif à la médaille d’honneur du travail, art. 8. BOFIP-IMPOTS, n° BOI-RSA-CHAMP-20-50-40, relatif aux exonérations d’impôt sur le revenu ayant un caractère de reconnaissance nationale. Rép. min. Travail, de l’Emploi et de la Santé, n° 119923 : JOAN, 27 déc. 2011.
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4.
AN, proposition de loi n° 4437, 6 mars 2012, G. Lefrand et a. : « Faut-il élargir l’attribution de la médaille du travail ? », Defrénois 30 mars 2012, n° 40448, p. 324.
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5.
C. trav., art. L. 1225-16 à L. 1225-28.
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6.
C. trav., art. L. 1225-35 – C. trav., art. L. 1225-36.
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7.
C. trav., art. L. 1225-37 à L. 1225-46-1.
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8.
C. trav., art. L. 6221-1 à L. 6227-12.
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9.
C. trav., art. L. 6322-1 à L. 6322.
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10.
C. trav., art. R. 4138-28 à R. 4138-29.
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11.
M. Richevaux, L’essentiel du régime des obligations, 2018, Ellipses, Fiches n° 38, « Prescriptions droit commun ».
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12.
M. Richevaux, L’essentiel du régime des obligations, 2018, Ellipses, Fiches n° 39, « Prescriptions particulières ».
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13.
C. trav., art. L. 1471-1 : F. Dumont, « Les prescriptions en droit du travail : éléments de réflexion sur l’analyse de la prescription », JCP S 2006, 1747, spéc. n° 39.
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14.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
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15.
M. Poirier, « À propos de la retranscription gouvernementale de l’ANI du 11 janvier 2013 : “sécurisation de l’emploi” ou “sécurisation des décisions patronales” ? », Dr. ouvr. 2013, p. 240.
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16.
M. Poirier, « Quoi de neuf du côté des conseils de prud’hommes en France ? », in I. Daugareilh (dir), L’accès à la justice sociale. La place du juge et des corps intermédiaires, 2019, Bruylant, spec. p. 69 ; I. Sayn, « Quelle réponse aux obstacles procéduraux à la saisine de la juridiction : la réforme des juridictions de la protection sociale », in I. Daugareilh (dir), L’accès à la justice sociale. La place du juge et des corps intermédiaires, 2019, Bruylant, spec. p. 93 ; M.-A. Moreau et C. Bright, « L’accès à la justice et les droits fondamentaux des travailleurs : aspects de droit international privé », in I. Daugareilh (dir), L’accès à la justice sociale. La place du juge et des corps intermédiaires, 2019, Bruylant, p. 213
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17.
V. Orif, « L’identification de la prescription ne dépend pas du fondement mais de la nature de l’objet de la demande », obs. ss Cass. soc., 23 juin 2021, n° 18-24810, Sté Elior services propreté et santé c M. U., FS-B, GPL 2 nov 2021, n° GPL428g3.
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18.
C. trav., art. L. 1471-1.
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19.
C. civ., art. 2224.
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20.
C. trav., art. L. 1471-1, al. 2, mod. par ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017.
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21.
C. civ., art. 2254.
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22.
Cass. soc., 22 nov. 2017, n° 16-16561.
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23.
Conv. EDH art. 6, 13 et 53 : J. Dutheil de la Rochère, « Droit au juge, accès à la justice européenne », Pouvoirs 2001/1, n° 96, p. 123 à 141.
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24.
C. Berlaud, « Point de départ de la prescription de l’action en requalification de CDD », note ss Cass. soc., 3 mai 2018, n° 16-26437, GPL 6 déc. 2022, n° GPL443i2.
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25.
Cass. soc., 23 juin 2021, n° 18-24810, FS-B : GPL 2 nov. 2021, n° GPL428g3, note V. Orif ; S. Riancho, « Précisions sur la prescription », BJT oct. 2021, n° BJT200o4.
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26.
J.-G. Huglo, « La tension entre l’exigence d’une jurisprudence cohérente et la multiplicité de la norme en droit du travail », SSL, n° 2004, p. 3 à 6, spéc. p. 5.
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27.
B. Gauriau, « La diminution des délais de prescriptions » : Dr. soc. 2013, p. 833 et s. C. trav., art. L. 1471-1.
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28.
C. trav., art. L. 1471-1.
Référence : AJU009g7