Quand la discrimination capillaire entend intégrer le Code du travail
L’Assemblée nationale a adopté, le 28 mars 2024, en première lecture, une proposition de loi visant à intégrer la discrimination capillaire dans la liste des motifs discriminatoires. Prochaine étape : examen par le Sénat puis promulgation de la loi après une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel.
Le Code du travail prévoit qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de :
• son origine ;
• son sexe ;
• ses mœurs ;
• son orientation sexuelle ;
• son identité de genre ;
• son âge ;
• sa situation de famille ;
• sa grossesse ;
• ses caractéristiques génétiques ;
• la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur ;
• son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ;
• ses opinions politiques ;
• ses activités syndicales ou mutualistes ;
• son exercice d’un mandat électif ;
• ses convictions religieuses ;
• son apparence physique ;
• son nom de famille ;
• son lieu de résidence ;
• sa domiciliation bancaire ;
• son état de santé ;
• sa perte d’autonomie ;
• son handicap ;
• sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ;
• sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte.
La proposition de loi
Après avoir été largement soutenue par certains, moquée par d’autres, la proposition de loi sur la discrimination capillaire a été adoptée par l’Assemblée nationale à 44 voix pour et 2 contre.
Elle vise à intégrer dans le champ de la répression pénale des discriminations toute discrimination ou distinction fondée sur la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux.
Le rapport déposé par le député Olivier Serva à l’appui de la proposition de loi fait référence à une étude menée par Dove et LinkedIn en 2023 aux États‑Unis mettant en évidence que les deux tiers des femmes noires américaines se sentent contraintes de devoir lisser leurs cheveux pour améliorer leurs chances d’être embauchées, tandis qu’une femme noire américaine sur cinq a déjà été renvoyée chez elle depuis son travail à cause de ses cheveux.
Il évoque également notamment le cas, en France, de l’ancienne ministre Sibeth Ndiaye, touchée par une vague de propos haineux au motif de son port de cheveux naturels et texturés.
Les discriminations à l’égard des personnes aux cheveux texturés auraient ainsi un impact certain sur l’estime de soi et la santé mentale de ces personnes.
Le rapporteur soutient par ailleurs que la discrimination capillaire peut toucher chacun d’entre nous, prenant pour exemple les femmes blondes subissant aussi des discriminations à raison de leurs cheveux qui les font considérer comme insuffisamment compétentes, les personnes rousses faisant l’objet de préjugés, de stigmatisations et de stéréotypes qui peuvent se traduire par des actes de harcèlement, des violences et des discriminations et les hommes chauves, ayant moins de chance d’obtenir un entretien d’embauche et donc un emploi.
Outre les effets sur la santé mentale qu’elles entraînent, les discriminations capillaires auraient également des conséquences sur la santé physique notamment dues aux produits utilisés pour lisser les cheveux contenant du formaldéhyde et de l’acide glyoxylique, qui provoqueraient des risques de cancer de l’utérus et des insuffisances rénales aiguës.
Le rapporteur prend enfin le soin de préciser que cette proposition de loi n’aura nullement pour conséquence d’empêcher des employeurs d’imposer des contraintes capillaires pour des raisons justifiées, en particulier d’hygiène et de sécurité, les dispositions législatives en la matière, notamment l’article 225-3 du Code pénal, n’étant pas modifiées et demeurant naturellement applicables.
Ces considérations étant posées, quel est l’intérêt de légiférer en la matière et d’introduire la discrimination capillaire, si celle-ci peut être rattachée à l’apparence physique, critère déjà retenu dans la liste des motifs discriminatoires énoncés par le Code du travail ?
Au terme de ce rapport, l’interdiction de la discrimination capillaire dans loi répondrait à une réalité sociale et à la nécessité de combler un vide qui, s’il n’est pas forcément juridique, existe en pratique, en témoigne la rareté de décisions prises sur ce fondement…
Une affaire largement médiatisée opposant un steward à la compagnie Air France, jugée par la Cour de cassation le 23 novembre 2022, illustrerait ainsi les difficultés de se placer sur le terrain de la discrimination reposant sur l’apparence physique, en particulier s’agissant de discrimination capillaire. Pour rappel, le steward coiffé de tresses africaines s’était vu refuser l’embarquement par la compagnie au motif que cela méconnaissait le manuel des règles de port de l’uniforme de la compagnie qui prescrivait, pour les hommes, que les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette, la longueur devant être limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. Pour justifier la discrimination, la Cour de cassation avait relevé notamment que les exigences liées à l’exercice de la profession de steward ne justifiaient pas d’interdire aux hommes une coiffure autorisée pour les femmes, se plaçant ainsi sur le terrain de la discrimination liée au sexe en raison d’une différence de traitement entre femmes et hommes et non de l’apparence physique.
Cette proposition de loi entend dès lors prohiber et sanctionner les discriminations reposant :
• sur le type de coupe de cheveux, telles qu’une coupe afro, une coupe dite twist-out, une coupe courte dite pixie, des dreadlocks ou encore une coupe associant des extensions capillaires ;
• sur la couleur, qu’elle soit naturelle, par exemple s’agissant des discriminations touchant les personnes blondes, ou résultant d’une coloration ;
• sur la longueur ;
• sur la texture, qu’elle soit lisse, frisée, crépue ou bouclée.
Au cours du débat parlementaire, quelques voix se sont élevées dans l’hémicycle, rappelant que les juges disposent déjà de l’arsenal juridique nécessaire pour sanctionner les atteintes portées aux personnes suivant leurs caractéristiques physiques.
Certains députés ont ainsi mis en avant la possible redondance avec des textes existants et le risque de créer une inflation législative. D’autres ont estimé que l’accent devait être mis sur la sensibilisation et la prévention plutôt que sur la seule répression.
Il en fallait peu pour que d’autres soulignent que ce texte, tiré par les cheveux, se situe à un cheveu de la perplexité, s’interrogent sur le réel besoin de couper les cheveux en quatre en France, et déplorent que cette proposition de loi donne l’impression que le Parlement perd de vue l’essentiel avec de tels débats, certes ébouriffants, alors qu’il y a tant à faire au niveau législatif…
Reste à voir si le Sénat, amené à examiner prochainement le texte, va démêler cette affaire !
Sources
Rapport du député Olivier Serva
Article L. 1132-1 du Code du travail : liste des motifs discriminatoires
Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-14.060 : affaire Air France
Référence : AJU013i1