Télétravail : vers un rétropédalage des entreprises ?
Le télétravail, nécessairement mis en place par accord entre le salarié et l’employeur, ne peut être supprimé que par accord des parties.
Depuis la fin de la crise sanitaire, on observe une tendance de plus en plus marquée chez certaines entreprises à revenir sur les accords de télétravail mis en place pendant la pandémie. Le retour en arrière sur le télétravail semble être un phénomène croissant dans les entreprises françaises comme dans les entreprises étrangères. Mais comment revient-on légalement sur le télétravail accordé aux salariés ?
Pour rappel, hors circonstances exceptionnelles permettant à l’employeur d’imposer le télétravail au salarié sans son accord, le télétravail peut être mis en place de trois manières différentes (C. trav., art. L. 1222-9) :
• principalement par accord collectif après avis du CSE (comité social et économique), s’il en existe un dans l’entreprise ;
• à défaut d’accord collectif, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur, après avis du CSE, s’il existe dans l’entreprise ;
• et, à défaut d’accord collectif ou de charte, par un accord formalisé par tout moyen entre l’employeur et le salarié. Dans ce dernier cas, l’accord des parties est généralement formalisé par un avenant au contrat de travail du salarié.
I – Un nécessaire accord des parties pour la mise en place du télétravail
En dehors de circonstances exceptionnelles, telles qu’une pandémie, le télétravail revêt un caractère volontaire.
Dès lors, l’employeur ne peut pas imposer à un salarié travaillant dans l’entreprise de le faire depuis son domicile.
Mais, si l’employeur ne peut pas imposer le télétravail régulier ou occasionnel à un salarié, l’inverse est tout aussi vrai : un salarié ne peut pas s’autoproclamer télétravailleur ! L’accord préalable de son employeur s’impose à lui.
Les juges considèrent ainsi, par exemple, qu’un salarié ne peut pas se prétendre télétravailleur au motif qu’il manquerait d’espace sur son lieu de travail et qu’il doit consacrer une pièce de son domicile à son activité professionnelle. Un accord entre l’employeur et le salarié s’impose pour qu’une situation puisse caractériser le télétravail et permette, le cas échéant, de solliciter des remboursements de frais à ce titre.
Dans un arrêt rendu le 17 février 2021 par la chambre sociale de la Cour de cassation, un contrôleur URSSAF critiquait la seule mise à disposition d’un bureau partagé avec ses collègues sur son lieu de travail, qui ne lui permettait pas d’y installer durablement ses dossiers, d’y amener sa documentation technique et le reste de ses affaires. Ceci le contraignait à consacrer une pièce de son domicile à son activité professionnelle. Dans ces circonstances, le salarié s’estimait être en situation de télétravail, ce qui justifiait à son sens, le remboursement des frais causés par cette activité à son domicile. Le salarié n’a cependant pas obtenu gain de cause auprès des juges. En l’absence de tout accord avec l’employeur, sa situation ne pouvait en effet pas caractériser le télétravail et le salarié n’était donc pas en mesure de se prévaloir de la législation relative au télétravail pour solliciter le remboursement des frais qu’il avait engagés au titre de cette activité1.
II – Un nécessaire accord des parties pour la suppression du télétravail
Trois ans après la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, l’engouement des employeurs semble être retombé et nombreux sont ceux à vouloir rappeler leurs salariés au bureau.
Tout récemment, le géant américain Amazon a adressé un mail d’avertissement demandant aux salariés présents moins de trois jours par semaine sur site de bien vouloir réintégrer les locaux, ce qui a immédiatement conduit à un débrayage des salariés concernés. C’est également Elon Musk, directeur général de Tesla Inc, qui intimait, en 2023, à ses salariés, de manière abrupte, un retour rapide au bureau dans une note indiquant : « Toute personne qui souhaite faire du travail à distance doit être au bureau pour un minimum (et je dis bien un minimum) de 40 heures par semaine ou quitter Tesla ».
De manière plus modérée, plusieurs grandes entreprises françaises ont récemment fait parler d’elles en réduisant ou supprimant les possibilités de télétravail. On pense notamment à BNP Paribas dans le secteur bancaire qui a été, en sortie de crise sanitaire, l’une des premières à annoncer un retour progressif au bureau dès 2022, limitant le télétravail à un jour par semaine pour la majorité de ses salariés. L’Oréal, Vinci, Publicis, Orange, TF1, entre autres, revoient également leurs accords conclus pendant la crise sanitaire, en limitant le recours au télétravail. D’autres, cherchant à rétablir le travail sur site mais sans revenir à la formule d’avant, envisagent une solution palliative, peut-être plus viable comme la mise en place de la semaine de quatre jours.
Renégociation des accords collectifs avec les partenaires sociaux, révision des contrats de travail individuels et modification des clauses relatives au télétravail, incitations au retour en présentiel moyennant une amélioration des espaces de travail ou l’organisation d’évènements d’équipe, encouragement au retour volontaire des salariés, directives managériales imposant un retour au bureau sous peine de sanctions, sont autant de solutions différentes choisies par les entreprises pour un retour en arrière…
Mais quoi qu’il en soit, le retour au télétravail ne peut pas se faire du jour au lendemain et doit respecter un certain formalisme. L’employeur ne peut pas revenir unilatéralement sur le télétravail mis en place d’un commun accord.
III – Si le télétravail a été mis en place par accord collectif ou charte
L’accord collectif ou la charte mettant en place le télétravail, qui contient un certain nombre de clauses obligatoires, doit nécessairement mentionner les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail. L’accord ou la charte doit ainsi intégrer une clause de réversibilité précisant les conditions dans lesquelles un salarié qui effectue un ou plusieurs jours de télétravail par semaine peut revenir à un travail au sein des locaux de l’entreprise : circonstances, conditions, délai de prévenance, formalisme, etc.
L’employeur qui entend revenir sur le télétravail accordé à ses salariés est dès lors tenu de respecter les dispositions de la clause de réversibilité incluse dans l’accord négocié avec les partenaires sociaux ou la charte de mise en place.
Par ailleurs, l’employeur qui entend réviser l’accord sur le télétravail doit respecter les conditions de révision prévues par l’accord et engager une renégociation. Celui qui souhaite modifier une charte peut le faire mais uniquement après consultation du CSE s’il existe dans l’entreprise.
IV – Si le télétravail a été mis en place par accord individuel entre le salarié et l’employeur
Le télétravail peut avoir été mis en place par le contrat de travail ou un avenant, voire aux termes d’un accord oral tacite.
L’employeur qui entend revenir sur le télétravail doit alors respecter les conditions de réversibilité prévues dans le contrat de travail ou l’avenant prévoyant le recours au télétravail.
À défaut d’écrit, il n’est en revanche pas possible de mettre fin au télétravail sans l’accord du salarié, cela constituerait une modification du contrat de travail. L’employeur est donc tenu de recueillir son accord préalable sur la suppression du télétravail, suppression que le salarié est en droit de refuser, ce refus ne pouvant justifier un licenciement.
En effet, dès lors que l’employeur et le salarié ont convenu que la prestation de travail est exécutée par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut pas imposer au salarié d’exécuter son travail au siège de l’entreprise sans l’accord du salarié, et ce même si le télétravail n’a pas été contractualisé ou si une clause de mobilité a été prévue au contrat.
Le déplacement du lieu de travail doit dès lors être considéré comme une modification du contrat, qui en cas de refus du salarié, ne constitue pas une cause valable de licenciement2.
Les juges considèrent que c’est l’organisation contractuelle du travail qui est modifiée lorsque l’employeur entend revenir unilatéralement sur le télétravail et qu’il ne s’agit pas seulement d’une modification du contrat de travail. Ce qui implique que, même en présence d’une clause de mobilité contractuelle, celle-ci ne permette pas à l’employeur d’imposer le retour du salarié au siège de l’entreprise3.
En l’absence d’accord collectif ou de charte, les juges considèrent que demander à un salarié de revenir sur site même seulement quelques jours par semaine après plusieurs années de télétravail total constitue une modification du contrat de travail que l’employeur ne peut imposer unilatéralement au salarié. Peu importe, à cet égard, que cette organisation du travail n’ait jamais fait l’objet d’une formalisation dans le contrat de travail4.
Notons enfin que l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail, obligatoire depuis le 14 avril 2021 pour les entreprises entrant dans son champ d’application, prévoit que les modalités de réversibilité du télétravail régulier doivent être établies par accord individuel et/ou collectif : « Si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche, l’employeur et le salarié peuvent, à l’initiative de l’un ou de l’autre, convenir par accord d’y mettre fin et d’organiser le retour du salarié dans les locaux de l’entreprise, dans l’emploi tel qu’il résulte de son contrat de travail. Si le télétravail fait partie des conditions d’embauche, le salarié peut ultérieurement postuler à tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification. Il bénéficie d’une priorité d’accès à ce poste ».
Par ailleurs, au titre de ses attributions relatives à l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, et notamment aux conditions d’emploi et de travail, le CSE, s’il existe dans l’entreprise, doit être informé et consulté sur le retour au travail sur site des salariés et la suppression du télétravail.
Le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) doit également être actualisé et prendre en compte l’ensemble des risques sur sites auxquels les salariés n’étaient éventuellement plus exposés en raison de l’exercice de leur activité en dehors des locaux de l’entreprise.
Enfin, chaque télétravailleur devant bénéficier obligatoirement, chaque année, d’un entretien portant notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail5, cet entretien annuel est l’occasion d’aborder, de manière concertée, la question de la réversibilité du télétravail avec le ou les salariés concernés et les conditions de retour sur site.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. soc., 17 févr. 2021, n° 19-13783.
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2.
Cass. soc., 12 déc. 2000, n° 98-44580 – Cass. soc., 13 avr. 2005, n° 02-47621 – Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43592 – Cass. soc., 13 févr. 2013, n° 11-22360.
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3.
Cass. soc., 12 févr. 2014, n° 12-23051.
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4.
CA Orléans, 7 déc. 2021, n° 19/01258.
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5.
C. trav., art. L. 1222-10.
Référence : AJU015w5