Travailler durant 47 ans dans le cadre d’un CDD, est-ce légal ?

Publié le 24/08/2022

Les animateurs de l’émission « Des chiffres et des lettres » ont révélé lundi 22 août dans un communiqué qu’ils étaient employés en CDD depuis respectivement 36 et 47 ans. Me Michèle Bauer, spécialiste du droit du travail, explique en quoi une telle situation est plus que discutable.

Travailler durant 47 ans dans le cadre d’un CDD, est-ce légal ?
Photo : ©AdobeStock/Olivier Le Moal

Mot en 4 lettres : Abus. Comme abus des contrats d’usages pour les animateurs des chiffres et des lettres.

Les animateurs, Bertrand Renard et Arielle Boulin-Prat de l’une des émissions culte de mon enfance, « Des chiffres et des lettres », quittent le jeu a annoncé France 3, le 19 août 2022.

 La chaîne fait référence à la fin d’une longue aventure.

Le site L’Alsace précise que les animateurs auraient refusé une nouvelle version du jeu.

A la lecture de cette information, on suppose qu’ils ont décidé de prendre leur retraite, n’étant plus en phase avec la chaîne.

Que nenni, Bertrand et Arielle ont publié un communiqué lundi, dans lequel ils opèrent la mise au point suivante :

« – ce qui est désigné pudiquement comme un désaccord contractuel a surgi car FTV a exigé une baisse de notre salaire de 60% et a refusé de nous accorder le CDI que nous avions l’outrecuidance de réclamer. La tendance n’est pas à la CDéisation. Car oui, vous avez bien lu, nous sommes en CDD depuis 36 ans pour Arielle, et 47 ans pour Bertrand…(…) C’est inacceptable humainement avant de l’être juridiquement.

-en somme, bien loin de vouloir partir ou quitter l’émission, c’est bien FTV où nous avions travaillé si longtemps qui choisit de se séparer de nous, d’acter seule une rupture qui ne lui a jamais été demandé ».

Nos animateurs préférés travaillaient sous « contrats à durée déterminée » depuis respectivement 36 et 47 ans, mais comment est-ce possible ?

Dans l’audiovisuel, ce recours aux contrats à durée déterminée est habituel comme dans d’autres secteurs d’activité mentionnés à l’article D1241-1 du Code du travail, par exemple le déménagement, le sport professionnel ou encore les travaux publics.

 Il est même encadré par Il est même encadré par un accord collectif interbranche du 12 octobre 1992 complété par de nombreux avenants ainsi que par un accord collectif du 22 décembre 2006.

L’avenant du 8 février 2011 énonce les fonctions de l’activité de diffusion télé et parmi elles, celle d’animateur d’émission qui peuvent faire l’objet d’un contrat à durée déterminée d’usage.

Ces contrats de travail à durée déterminée d’usage sur 47 ans et 36 ans, est-ce légal ?

Les contrats à durée déterminée d’usage peuvent être utilisés dans le domaine de l’audiovisuel. Cela ne signifie pas qu’ils peuvent être conclus pour des durées de 36 ou 47 ans ! Les contrats à durée déterminée d’usage doivent respecter le régime du droit commun des contrats à durée déterminée et notamment l’article L 1242-1 du code du travail qui dispose qu’un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise.

La Cour de cassation, Chambre sociale, dans un arrêt du 9 octobre 2013 a jugé que la requalification des contrats à durée déterminée d’usage était possible dans ces cas-là.

Un autre arrêt du 13 octobre 2021 précise que les Cours d’appel devront vérifier que le recours à l’utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

A mon sens, il sera compliqué, si Arielle et Bertrand ont bien conclu des contrats à durée déterminée d’usage, de démontrer qu’ils étaient par nature temporaires ou alors la définition du temporaire aura bien changé (47 ans est-ce temporaire ?).

Ce qui est sûr, c’est que cet usage d’abuser des contrats à durée déterminée risque de coûter cher à la chaîne qui semble être habituée, le magazine Capital l’a épinglée il y a quelques temps sur son abracadabrante gestion du personnel.

En conclusion, il est bien triste que cette émission perde ses animateurs historiques et encore plus dans ces circonstances révélatrices d’abus et d’une désinvolture condamnable, surtout venant d’un service public subventionné par l’Etat et donc par nous tous.

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