125 ans de droit civil au Pays du Soleil Levant : Gustave Boissonade, père français du droit japonais moderne
Hier le 16 juillet 2023, le Code civil japonais a célébré son 125e anniversaire. Entré en vigueur en 1898, le corpus apparaît dans une période charnière de l’histoire du Japon. En effet, le « Minpō-ten » naît au cours de l’ère Meiji (1867-1912), une période de réforme et d’ouverture pour l’archipel japonais. La fin de l’isolationnisme donne naissance à une codification civiliste, fruit d’un juriste… français.
Souhaitant s’élever au rang de puissance internationale, le Japon s’inspire des systèmes juridiques de l’Occident. Dans cette course à la modernité, le pays donne sa chance à un agrégé en droit, Gustave Boissonnade, qui deviendra le père moderne du droit civil japonais. En l’honneur des 125 ans du Minpō-Ten, notre rubrique Histoire du droit revient sur un lien franco-japonais juridique et unique.
Le Japon à l’ère Meiji : quand ancestralité embrasse modernité
Le 9 novembre 1867, le Japon entre dans l’ère Meiji dite « l’ère du gouvernement éclairé » : faisant suite à l’ère Keiō (« l’ère joyeuse »), le pays réforme son modèle politique, diplomatique et social. Depuis 1616, l’archipel nippon était gouverné par la famille Tokugawa qui exerçait la fonction politique de shogun tandis que l’empereur du Japon conservait une fonction symbolique et divine. Le régime féodal et la politique isolationniste imposés par les Tokugawa sont toutefois renversées en 1853 lorsque la flotte américaine de l’amiral Matthew Perry amarre à Edo (ancien nom de Tokyo).
L’influence occidentale sur la société nippone se fait ressentir et divise conservateurs et réformistes. Les Tokugawa tentent de rester au pouvoir mais les souverains (daimyos) proches de l’empereur ont raison du dernier shogun, Tokugawa Yoshinobu, qui remet ses pouvoirs au souverain Mutsuhito. Incarnant désormais le pouvoir politique, l’empereur déplace sa résidence officielle de la capitale ancestrale de Kyoto à la capitale administrative de Tokyo, qui devient le nouveau centre du Japon. Mutsuhito prend le nom de Meiji Tennō et entame une politique d’ouverture et de réforme du pays.
Chemins de fer, service militaire, création du yen, système d’éducation nationale et Constitution… Le Japon tente de conserver ses traditions malgré sa course à la modernisation. Le pays est sous la pression des pays occidentaux qui imposent des relations diplomatiques déséquilibrées à cause des « traités inégaux » (telle que la convention de Kanagawa signée avec les États-Unis le 31 mars 1854). Représentant à la fois une menace et un modèle, l’Occident inspire et émule le Japon. La nation se tourne donc vers un pays dont le Code civil fut copié, traduit et adapté à travers le monde : la France.
Du Code Napoléon au code nippon : la naissance du Code Boissonade
Au même moment, à mille lieux de Tokyo, un juriste français enseigne à la faculté de droit de Paris. Docteur en 1852, agrégé en 1864, Gustave Émile Boissonnade est un éminent professeur de droit. En 1873, alors qu’il donne une conférence de droit constitutionnel devant un auditoire japonais, Boissonade rencontre Hisanobu Samejima. Ambassadeur du Japon à Paris, ce dernier recherche un juriste français capable de codifier un corpus de droit civil pour le Japon. Le pays du Soleil Levant a posé ses yeux sur la France du fait de l’aura internationale du Code Napoléon de 1804. L’agrégé de la Sorbonne signe dès lors un contrat avec le gouvernement japonais et quitte Paris en 1873.
Engagé pour une mission de trois ans, Boissonnade restera au Japon pendant plus de vingt ans. Avant de s’attaquer au droit civil, Boissonade propose un projet de Code pénal adopté en 1782. Dès 1879, il entame la rédaction d’un projet de Code civil, aidé de juristes japonais. Le code Boisonnade est achevé en 1889, au bout d’une décennie de travail. Mais le texte rencontre l’opposition de nationalistes japonais : considéré peu conforme aux mœurs locales, le code est rejeté… en partie. Le corpus sert de socle à un nouveau projet qui, une fois révisé, entre en vigueur le 16 juillet 1898. L’esprit de Boissonade aura donc permis d’allier la modernité de la France à la tradition du Japon.
En parallèle à ses travaux, Boissonade s’est aussi consacré à l’enseignement. En 1883, l’agrégé de la Sorbonne devient directeur de l’École de droit de Tokyo, l’actuelle université Hōsei (qui abrite une tour portant son nom). La Sorbonne et Hōsei sont donc liés par une histoire commune du droit à travers Boissonade, dont le buste trône au sein de ces deux universités prestigieuses. De la codification à l’enseignement, le juriste s’est érigé en une importante figure du lien franco-japonais : à la veille de ce 125e anniversaire, la Maison Franco-Japonaise de Tokyo rendait hommage à cette amitié à travers un séminaire intitulé « Boissonnade, le droit japonais et l’avenir du droit japonais ».
Référence : AJU009m5