Revue Délibérée : de la réflexion critique pour une meilleure pratique et compréhension du droit
Depuis 2017, une revue montée avec le Syndicat de la magistrature et en partenariat avec les éditions La Découverte propose un regard nouveau sur la justice, explorant à chaque numéro une thématique passionnante.
Sa couleur rose vif pourrait laisser penser que la thématique serait légère et joyeuse, mais il n’en est rien. Dans le numéro 24 de la revue Délibérée, sortie en mars 2025, c’est la thématique de la nationalité qui est explorée à travers plusieurs articles : « La nationalité et ses juges » (par Jules Lepoutre, professeur de droit public), « Dénaturaliser sous Vichy » (par Claire Zalc, directrice de recherche à l’EHESS), « De la preuve au soupçon » du chercheur Émilien Fargues, de la sociologue Myriam Hachimi-Alaoui et de Nicolas Blanc (juge en disponibilité, membre du Syndicat de la magistrature), « À Mayotte, la fabrique des étrangers » de Rémi Carayol, journaliste indépendant, « Le genre et la nationalité », de l’historienne Linda Guerry et « Une bonne conscience à peu de frais, le principe d’égalité hommes-femmes » de Lisa Carayon, professeur de droit à Sorbonne Paris Nord. Comme l’explique la rédaction dans son éditorial et contrairement à ce que l’on peut imaginer, ce sujet mérite d’autant plus d’être exploré, qu’il n’a pas toujours existé : « La nationalité, au sens moderne d’un outil permettant de désigner celles et ceux qui ont le droit d’être sur le territoire et de voter aux élections nationales, est une construction juridique récente, datant de la fin du XIXe siècle ». De multiples angles qui montrent aussi qu’on parvient à aller au fond des choses en croisant les regards sur les sujets juridiques et judiciaires (praticiens, savants, usagers, observateurs). En travaillant à froid – loin des tourments de l’actualité –, la revue propose d’embrasser à la fois la théorie, les institutions, les discours et les pratiques, pour les considérer comme des enjeux de société à part entière. À la rédaction en chef de la revue, deux membres du Syndicat de la magistrature, Juliette Renault, magistrate qui a exercé en tant que juge des enfants au tribunal judiciaire de Nantes et de substitute du procureur au pôle « mineurs-famille » du parquet de Nanterre et Lara Danguy des Deserts, magistrate également, passée par le cabinet de Christiane Taubira quand elle était garde des Sceaux, puis juge d’instruction à Nantes. Cette dernière a accepté de répondre aux questions d’Actu-Juridique sur l’élaboration de cette revue, ses objectifs et ses ambitions. Rencontre.
Actu-Juridique : Comment avez-vous rejoint l’équipe de la revue et dans quel but ?
Lara Danguy des Deserts : Depuis 2004, je suis magistrate et pénaliste. J’ai exercé au parquet, à l’application des peines, à l’instruction et en administration centrale au sein de l’administration pénitentiaire (aménagement de peine) et j’ai été conseillère de Christiane Taubira sur les questions pénitentiaires. J’ai obtenu ensuite un détachement pour intégrer le ministère des Affaires étrangères et du Développement international en tant que chargée de mission « Justice pénale internationale » jusqu’en 2018. Puis je suis devenue vice-présidente chargée de l’instruction au TGI de Nantes (Loire-Atlantique). Je lisais bien sûr la revue dès ses premiers numéros, et quand j’ai vu, en 2022, qu’ils recherchaient quelqu’un pour reprendre la coordination de la revue, cela correspondait à un moment où je voulais prendre un peu de recul sur le fonctionnement de la justice, avec toutes les difficultés que l’on peut rencontrer dans un tribunal aujourd’hui. J’étais en pleine réflexion sur le métier de magistrat et je réfléchissais à mettre un pied dans l’édition, qui m’attirait depuis toujours, c’était une quête de sens et une envie de participer à une réflexion collective.
AJ : Comment s’est créée la revue et quel est son lien avec le Syndicat de la magistrature ?
Lara Danguy des Deserts : Ce n’est pas la première fois que le Syndicat de la magistrature avait créé un média. Il y avait eu Justice, créé en 1969 et qui s’est arrêtée en 2007, mais c’était plus une revue syndicale – auto produite – et pilotée par les organes du syndicat avec un journaliste, rédacteur en chef. Il y avait six numéros par an et l’abonnement au journal était inclus avec l’adhésion au Syndicat. Mais les réseaux sociaux ont simplifié la communication avec les syndiqués. Il a rapidement été question de nourrir la réflexion plus que d’informer, de sortir le nez du guidon et réfléchir aux enjeux de société où s’inscrit la justice. Le but était de sortir des organes du syndicat, de travailler en autonomie, avec un comité de rédaction indépendant rassemblant magistrats et personnalités extérieures. Créer une revue ouverte sur la société transparaît à la fois dans son fonctionnement interne et dans sa cible, ce qui explique que nous nous soyons associés à une maison d’édition ayant pignon sur rue. Il y a plus d’air et on est obligés de se remettre en question car autour de la table il y a des universitaires, des juristes, des sociologues, des historiens du droit, la salariée d’une association d’éducation populaire, une avocate, un psychiatre. Cela permet de mettre en tension les problèmes, d’aborder les choses d’une façon à laquelle on n’a pas pensé. Une fois par mois, nous nous nous réunissons et décidons les thèmes, les angles, les listes d’articles, puis on doit tout mettre en musique.
AJ : Comment cet espace de réflexion critique sur des questions aussi variées que la lutte, le statut des procureurs, l’évolution des régimes probatoires, etc., s’organise-t-il ?
Lara Danguy des Deserts : On alterne entre sujets judiciaires et sujets plus larges, par exemple quelque chose de très technique sur le fonctionnement du parquet et, en regard, une analyse sur la criminalisation de la pauvreté. Le choix du thème du dossier central se fait en discutant en comité de rédaction. Un thème peut ressortir et emporter la conviction et ensuite on va l’affiner en faisant des groupes de travail pour définir l’angle. Dans les derniers numéros, on a eu « Poursuivre la lutte », « La faute aux pauvres », « Parquet : gratter le vernis » ou « Crimes internationaux : une justice verrouillée ». Dans chaque dossier il y a un ou deux articles de cadrage historique ou notionnel, puis on décline par des articles concrets sur le sujet. Dans la partie Variations, on peut trouver des articles sans lien entre eux mais traitant tous de justice, de droit, de liberté. Puis dans la dernière partie, nous donnons de la place à un/une invitée à qui l’on propose une interview où il ou elle peut apporter son regard singulier. Puis nous avons une partie de droit comparé, Justice partout, qui est passionnante : dans ce numéro nous traitons par exemple de la judiciarisation des questions sociales au Japon. Enfin, dans la rubrique Justice pour tous, nous donnons la parole à des justiciables. L’idée est d’avoir accès à un parcours en justice, connaître le point de vue de l’autre côté de la barre. Dans ce numéro nous donnons à voir combien l’accès à l’aide juridictionnelle peut être compliqué. Dans le précédent, nous traitions le procès Orange et les suicides qui ont touché certains salariés.
AJ : Jamais d’actualités ?
Lara Danguy des Deserts : Parfois, nous sommes tentés par des sujets d’actualités, mais on essaie plutôt de trouver un sujet qui n’est pas traité. On préfère rester décalés, éloignés aussi de l’actualité du Syndicat ! Il se passe souvent un an entre le choix des sujets et la sortie. Par exemple sur ce dossier thématique sur la nationalité, nous ne doutions pas qu’il s’agirait d’un sujet d’une brûlante actualité avec la politique menée par notre gouvernement ou bien ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Le numéro qui va suivre, par exemple, concerne le handicap et pose une question : « Comment dévalider la justice ? »
Référence : AJU017g7
