Le vol a décollé en avance : quelles conséquences pour les passagers ?

Publié le 02/07/2021

Les avions en retard sont légion. Mais il arrive aussi qu’ils partent… avant l’heure. C’est la mésaventure qui est arrivée, semble-t-il, à une cinquantaine de passagers le 19 juin dernier : un vol Ryanair aurait décollé avec 15 minutes d’avance, sans eux. Pascal Dupont, docteur en droit et Ghislain Poissonnier, magistrat, analysent les recours dont disposent les passagers dans ce type de situation. 

Le vol a décollé en avance : quelles conséquences pour les passagers ?
Innovated Captures / AdobeStock

Selon les faits rapportés par plusieurs sources[1], le vol Ryanair FR3551 du 19 juin 2021, opéré par Malta Air en Boeing 737-800 de 189 sièges, était programmé pour un départ à 7h25 de Toulouse-Blagnac (France), et une arrivée prévue à 8h30 à Fès-Saïss (Maroc). Cependant, la porte d’embarquement a été fermée à 6H55, soit 30 minutes avant le départ et l’appareil a décollé avec 15 minutes d’avance. Une cinquantaine de passagers n’auraient pas pu accéder à bord de l’appareil, alors qu’il semble établi qu’ils étaient arrivés avant l’heure d’enregistrement, en possession de leur carte d’embarquement.

Il arrive régulièrement que les passagers aériens soient victimes de refus d’embarquement dans le cadre de la pratique des surréservations, d’annulations de vols ou de retards de vols. Il est tout de même beaucoup moins fréquent qu’ils soient victimes d’un vol précocement exécuté.

Comment qualifier juridiquement cette situation ?

La situation décrite ne semble correspondre ni à une annulation de vol (celui-ci a bien eu lieu), ni à un retard de vol (celui-ci était en avance). Elle pourrait, en revanche, s’apparenter à un refus d’embarquement des passagers contre leur volonté.

Le règlement n°261/2004[2] fournit le cadre juridique applicable dans cette affaire, puisque les passagers concernés devaient embarquer au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du règlement (art. 3, § 1, a)).

Or, la protection des passagers contre les refus d’embarquement constitue l’objet premier, voire la « raison d’être », du règlement n°261/2004 et ce alors que la Convention de Montréal du 28 mai 1999[3] ne couvre pas un tel cas de figure[4].

Le refus d’embarquement y est défini comme le refus de transporter des passagers sur un vol, bien qu’ils se soient présentés à l’embarquement, sauf s’il est raisonnablement justifié de refuser l’embarquement, notamment pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats (art. 2, j) et art. 3, § 2).

Le règlement européen envisage surtout le refus d’embarquement sous l’angle d’une situation de surréservation : un appel aux volontaires, acceptant de renoncer à leur place en échange de certaines prestations, est même prévu (art. 4, § 1).

Et en pratique, c’est bien le phénomène de la surréservation (« overbooking ») qui est le plus souvent invoqué pour justifier le refus d’embarquement. Toutefois, comme l’a précisé la Cour de justice de l’Union européenne, la notion de refus d’embarquement (art 2, j) et art 4) doit être interprétée en ce sens qu’elle vise non seulement les situations de surréservation, mais également celles relevant d’autres d’autres raisons, tels que des motifs opérationnels[5].

Il ne fait donc guère de doute que les passagers concernés ont été victimes d’un refus d’embarquement contre leur volonté, tel que l’entend le législateur européen et qu’ils bénéficient ainsi d’une protection juridique renforcée.

 Quelles sont dans ce cas les obligations du transporteur ?

Il est logique que le transporteur aérien soit, dans les refus d’embarquement liés à des raisons opérationnelles, délié de son obligation de l’appel au volontariat parmi les passagers, puisque précisément l’avion ne décolle pas ou a déjà décollé.

En revanche, les autres obligations prévues par le règlement européen s’appliquent (art. 4, § 3) et le transporteur a l’obligation d’informer les passagers de leur contenu (art. 14).

Le transporteur aérien doit alors indemniser immédiatement les passagers. S’agissant d’un vol de moins de 1 500 km (en l’espèce 1211 km pour un vol Toulouse-Fès), chaque passager a droit à une indemnisation de 250€ (art. 7, § 1, a)).

Au titre de son obligation d’assistance, le transporteur aérien doit aussi proposer aux passagers le choix entre le remboursement du billet (dans un délai de sept jours) ou un réacheminement vers leur destination finale, dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais ou à une date ultérieure, à leur convenance (art. 8).

Le transporteur a en outre l’obligation de s’acquitter de son obligation de prise en charge des passagers auxquels il a refusé l’embarquement (art. 9). La prise en charge par le transporteur aérien doit se faire sous forme de prestations de restauration, d’hébergement à l’hôtel, de transport et de facilités de communication.

Ryanair ne disposant pas en propre d’un comptoir passager sur Toulouse-Blagnac, il reste à savoir comment ces différentes obligations ont été effectivement respectées ou au contraire négligées, ce qui pourrait donner lieu à l’attribution de dommages et intérêts.

Enfin et surtout, une indemnisation complémentaire peut être mise à la charge du transporteur défaillant (art. 12). En même temps qu’il confère des droits immédiats et minimaux aux passagers en cas de manquement du transporteur à ses obligations, le règlement n°261/2004 n’empêche pas la réparation intégrale ou tout au moins plus étendue que ce que prévoient ces dispositions[6]. Compte tenu de l’ampleur des préjudices dans un tel scénario – séjour touristique écourté avec toutes les conséquences possibles sur les réservations en tout genre, mais aussi rendez-vous d’affaires manqués, perte de salaire – une indemnisation complémentaire du préjudice subi est possible sur le fondement d’autres textes tels la Convention de Montréal ou la Convention de Varsovie[7], voire subsidiairement du Code civil[8], en cas de renvoi devant le juge français comme cela est probable si cette affaire suscite un contentieux. Or le juge national[9], tout comme son homologue européen[10] se montre favorable à l’indemnisation du préjudice subi en raison du manquement du transporteur aérien à ses obligations contractuelles, comme les faits à l’origine de l’espèce semblent l’indiquer.

 

[1] Le Parisien, 19 juin 2021, « un avion Ryanair décolle sans une cinquantaine de passagers pourtant à l’heure », Air Journal, 21 juin 2021, « Oops : Ryanair oublie des passagers à Toulouse »,  Le Figaro, 21 juin 2021, « Toulouse : un avion Ryanair décolle en laissant une cinquantaine de ses passagers à l’aéroport ».

[2] Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n°295/91, JOUE L 46/2 du 17 février 2004.

[3] Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international. Publiée par Décret n°2004-578 du 17 juin 2004 (JORF n°143 du 22 juin 2004). Entrée en vigueur le 4 novembre 2003 et pour l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne le 28 juin 2004

[4] Vincent Correia, JurisClasseur, Fasc. 905 : Transport aérien. 20 décembre 1998, n°58 s., p.176 s.

[5] CJUE, 4 octobre 2012, C-22/11, Finnair Oyj c/Timy Lassooy (refus d’embarquement justifié par la grève du personnel de l’aéroport de Barcelone ayant entraîné la réorganisation des vols).

[6] Laurent Siguoirt, « L’inexécution volontaire de ses obligations par le transporteur aérien », in L’indemnistation et l’assistance des passagers du transport aérien – Regards civilistes sur le règlement n°261/2004, LexisNexis, novembre 2019, p. 69-70.

[7] Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l’unification des règles relatives au transport aérien international. Publiée par Décret du 12 décembre 1932 (JO du 27 décembre 1932). Entrée en vigueur le 13 février 1933. Cette convention continue de s’appliquer aux Etats qui ne sont pas parties à la Convention de Montréal de 1929.

[8] Laurent Siguoirt, Ibidem, p. 71.

[9] CA Paris, 6 février 2014, n°12/09746 (refus d’embarquement sur un vol entre la France et les Etats-Unis ayant entraîné une réduction d’un séjour touristique sur la Route 66 et des frais supplémentaires) ; Cass., Civ., 1ère, 14 février 2018, n°16-20354 (demande d’indemnisation des frais d’hébergement fondée sur l’article 19 de la Convention de Montréal sur un vol Marrakech-Beauvais assuré avec retard par Ryanair) ;

[10] CJUE, 13 oct. 2011, Sousa Rodríguez, C-83/10 : D. 2011. Actu.591 ; obs. X. Delpech ; ibid. 2012. 475, note G. Poissonnier ; RD transp. 2012, n°8, note Ph. Delebecque (réparation du préjudice moral) ; CJUE, 29 juil. 2019, Radu-Lucian Rusu, C-254/18 : D. actu. 27 septembre 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 2117, note Dupont et Poissonnier ; JCP E 202. 1332, n°8, obs. J. Heyman (indemnisation du préjudice résultant de la perte de salaire).

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