Salon du Bourget repoussé à 2023 : « L’économie des salons est un modèle très résilient depuis 150 ans »
Depuis 1909, le salon aéronautique éblouissait les spectateurs et spectatrices et accompagnait les révolutions d’un secteur toujours en expansion… jusqu’à ce que la crise du Covid-19 ferme les pistes, et les opportunités de réunir les aficionados d’aéronautique.
Longue histoire que celle du salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE) autrement nommé salon du Bourget. D’abord simple émanation du salon de l’automobile, la première édition du salon de la locomotion aérienne ouvre ses portes au Grand Palais, en 1909, deux mois après l’exploit de la traversée de la Manche, et à une époque où les pilotes d’avions sont des stars internationales. La première édition est un succès et attire 380 exposants et 100 000 visiteurs !
Depuis, le salon a vécu deux guerres mondiales, des innovations insensées notamment avec le Concorde et l’Airbus A380, et la course aux étoiles (le salon est aussi celui de l’aérospatial !). En 2019, c’est 139 000 visiteurs professionnels de 19 pays différents qui s’étaient pressés dans les allées du « Paris Air Show » comme on l’appelle, rejoints par plus de 176 000 visiteurs grand public.
La 54e édition devait se tenir au printemps 2021 mais le Covid a confiné les visiteurs dans leurs pays et cloué les appareils au sol. Elle aura lieu entre les 19 et 25 juin 2023. « Nous sommes évidemment déçus de ne pouvoir tenir l’édition 2021 du salon du Bourget. Après de longs mois de suspension de toute activité dans le monde, la communauté internationale aéronautique, spatiale et de défense se réjouissait de se retrouver. Nous travaillons dès aujourd’hui à faire que l’édition 2023 soit le salon du renouveau, au service de l’aéronautique et de l’espace au niveau mondial », a déclaré Patrick Daher, commissaire général des salons internationaux de l’aéronautique et de l’espace, et président du groupe Daher.
La pandémie affecte cruellement l’activité des salons, qu’en est-il pour celui du Bourget ? Nous avons posé la question à Gilles Fournier, directeur du SIAE.
Les Petites Affiches : Pourquoi le salon du Bourget est-il si incontournable ?
Gilles Fournier : Tout d’abord parce qu’il s’agit du plus vieux salon aéronautique au monde. La première édition s’est tenue en 1909 au Grand Palais, et c’est parce que l’industrie française s’est rapidement positionnée en tête de la course à l’innovation aéronautique et spatiale (dès le début du XXe siècle) : de Louis Blériot à l’Airbus A380 en passant par le Concorde et Ariane. Depuis 1953, nous sommes installés au Bourget, un aéroport mythique grâce à Charles Lindbergh qui, en 1927, y atterrissait après avoir traversé l’Atlantique en solitaire. Et puis, il y a Paris aussi : le salon n’est qu’à 7 km du centre de la capitale !
Ce cocktail magique, c’est ce qui fait que le salon du Bourget est devenu le plus grand rendez-vous aéronautique au monde, sachant qu’il en existe une quinzaine. Le salon a également une place importante parce qu’en plus d’être un salon ouvert au public, avec des démonstrations aériennes, c’est également un salon professionnel généraliste, avec toutes les applications civiles et de défense. Année après année, l’industrie a donc considéré que c’était son grand rendez-vous annuel.
LPA : En quoi le SIAE a une influence sur le dynamisme de la région Île-de-France, première région du monde en termes de tourisme d’affaires ?
G.F. : L’impact économique du salon est de l’ordre de 400 M€, si on implique ce qui est dépensé par l’organisation et les exposants, les services, les hôtes et hôtesses, les hôtels, les gardiens, les stands mais aussi toute la construction du salon. La Chambre du commerce et de l’industrie (CCI) Paris-Île de France a fait des études : les salons représentent chaque année plusieurs milliards d’euros en économie directe et indirecte. L’activité de tourisme d’affaires, salons et conventions, c’est 50 % des chambrées des hôtels parisiens !
LPA : Quel impact peut avoir la crise du Covid-19 ?
G.F. : L’arrêt global de l’activité aura forcément des répercussions. À mon sens il y a deux types d’impact : ce que l’annulation peut coûter aux exposants en termes de dépenses engagées, d’acomptes versés. Pour nos exposants, en termes de coût pur et dur, c’est zéro car nous les avons remboursés, donc il n’y a eu que peu de dépenses engagées (de catering, de recrutement d’hôtesses par exemple). Les conséquences sont énormes pour nous, mais on assume nos responsabilités. Quant à l’impact sur l’absence de retombées, on ne peut pas le quantifier. Un salon, c’est une économie locale où il se signe des contrats déjà négociés en amont. Mais quand on interroge les exposants, ils disent tous que ce rendez-vous manqué est un drame car c’est un lieu où ils font leur business.
LPA : Le salon est repoussé à 2023. Avez-vous pensé à le rendre virtuel ?
G.F. : Selon moi, un salon virtuel cela ne veut rien dire. Le salon virtuel est au salon ce que le restaurant virtuel est au restaurant. Un salon, c’est l’éveil des cinq sens, d’où émane un sixième sens, l’émotion. Derrière un écran, il ne nous reste que la vue et l’ouïe. Ce serait un non-sens total de rendre virtuel le salon du Bourget. Les conférences, les webinaires, oui mais pas les salons. Pour les professionnels, un salon, c’est la magie de la rencontre, c’est se voir, se toucher, prendre un café, dîner au restaurant, c’est comme cela qu’on fait les affaires. Mais l’économie des salons est un modèle très résilient depuis 150 ans, depuis les grandes expositions universelles, les grandes foires-expositions. Ce modèle perdure depuis son origine : on a traversé les grandes guerres, les révolutions numériques, et le modèle n’a pas changé. On peut essayer de se promener dans des allées virtuelles mais quand on voit les commentaires du Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, qui s’est tenu en ligne en janvier dernier, on voit que ce n’est pas simple. Ils n’ont eu que quelques centaines d’exposants au lieu des 2 000 habituels, et les visiteurs ont été très déçus car la connexion était laborieuse. Il n’y avait pas la magie de la rencontre. Cela fait 30 ans que je travaille dans les milieux des salons et je vois la magie que c’est pour la communauté. Plusieurs mois avant une édition du salon, les discussions dans le milieu finissent toujours par un « On se voit au Bourget ». C’est irremplaçable. Pour signer un contrat, rien ne vaut la rencontre. Et pour les visiteurs, un des grands intérêts du Bourget, ce sont les démonstrations aériennes : filmer un show aérien et le diffuser sur Youtube, çela n’aurait pas de sens.
LPA : En 2019, ce sont 140 milliards de contrats qui ont été signés au salon. L’expansion du secteur aéronautique vient de subir un choc : le retour à la normale n’est pas envisagé avant 2026…
G.F. : Lors du salon, la signature du contrat ce n’est qu’une dernière étape. Ce n’est pas le salon qui génère ces signatures. Nous sommes organisateurs de salon dans plusieurs secteurs en crise, le secteur événementiel est à l’arrêt tout comme le secteur aéronautique et spatial. C’est un peu difficile avec une baisse de la production de 40 % mais c’est aussi un secteur résilient, on espère vraiment un retour de l’activité à 2023. On a choisi cette date lointaine, parce que l’agenda international est compliqué avec les Jeux olympiques de 2024.
LPA : Le salon du Bourget, c’est aussi des métiers : comment allez-vous vous adapter à la crise sociale qui touchera bientôt tous les secteurs de l’aéronautique ?
G.F. : Il faut maintenir les compétences, c’est la priorité : c’est difficile de former et de garder des compagnons hautement qualifiés dans le milieu des salons. Dans le secteur aéroportuaire et aérien, c’est autre chose. Globalement en France, on parle de 30 000 emplois supprimés sur 350 000 donc on est à moins de 10 % de baisse d’effectifs, malgré une baisse de la production de 40 %. On peut être sûrs que cela repartira, car les gens ont et auront envie de voyager. Malgré l’aviation bashing et les critiques d’un certain nombre d’orthodoxes, je pense qu’on ne vivra pas sans avion. D’ailleurs, pour l’organisation du salon, nous sommes la première entreprise au monde certifiée événement responsable ISO 20121, six mois après que la loi soit sortie. On continue à travailler sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), on y est très attachés. Avant le « E » environnemental, il a le « S » de social, alors pendant cette crise nous avons fait en sorte de conserver nos salariés. 40 % d’entre eux sont en activité partielle de longue durée (APLD) : nous n’avons pas envie de perdre la compétence, la cohésion d’équipe donc on continue de travailler sur d’autres chantiers, on est partiellement au bureau. Concernant la gestion des déchets, nous optons pour le tri pour que notre impact soit le plus faible possible.