Vers la fin des grèves massives dans le transport aérien ?

Publié le 22/05/2024
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La loi du 28 décembre 2023 poursuit un triple objectif : assurer une meilleure prévisibilité de l’organisation des services de la navigation aérienne pendant les mouvements sociaux, et donc éviter les annulations de vols « à chaud » ; assurer une meilleure adéquation entre l’ampleur du mouvement social et la réduction du trafic, en limitant les abattements de vols préventifs massifs liés à une incertitude sur le nombre de grévistes ; garantir un droit de grève plus effectif et des conditions de travail plus satisfaisantes pour les contrôleurs aériens en rendant inutile le recours préventif au dispositif du « service minimum » en cas de mouvement social. Ira-t-on ainsi vers la fin des grèves massives dans le transport aérien ?

Face aux conséquences des grèves (I), la loi prévoit une obligation de se déclarer gréviste pour tout agent des services de la navigation aérienne dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols (II).

I – Des grèves aux conséquences dommageables

Pour rappel, la première mission des contrôleurs aériens consiste à garantir la sécurité de la circulation des avions dans l’espace aérien français afin d’éviter tout risque de collision avec un autre aéronef.

Les contrôleurs donnent ainsi en temps réel des instructions aux pilotes des avions présents dans le secteur de l’espace aérien qu’ils contrôlent. Ils doivent en outre assurer la fluidité d’un trafic aérien en croissance continue depuis plusieurs années et garantir ainsi la ponctualité des vols.

De nombreux rapports récents des pouvoirs publics observent que les grèves des contrôleurs aériens sont récurrentes et très fréquentes en France. En particulier, le rapport de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relève que « les services de la navigation aérienne ont connu en moyenne plus d’une journée de grève par mois entre 2012 et 2019 » et que « les contrôleurs aériens français exercent davantage leur droit de grève que leurs voisins européens ».

Selon l’étude dite « Ricardo » réalisée en 2017 à la demande de la Commission européenne, les grèves des contrôleurs aériens français ont causé près de 96 % des retards enregistrés dans l’ensemble de l’Union européenne entre 2004 et 2016.

La France réunissait à elle seule 67 % des mouvements sociaux des contrôleurs aériens de l’ensemble de l’Union européenne sur la même période, soit 254 jours de grèves, contre seulement 4 en Allemagne et pas plus de 34 en Italie sur la même période.

Selon les observations fournies par diverses compagnies aériennes au Conseil constitutionnel, « le fait que les survols soient plus impactés par les grèves s’explique par la position géographique centrale de la France en Europe et l’étendue de son espace aérien. De nombreux vols intracommunautaires (par exemple, de l’Allemagne vers l’Espagne ; ou du Royaume-Uni vers l’Italie) doivent emprunter le ciel français ».

Les perturbations entraînent des réactions en chaîne : elles affectent également d’autres vols, « à savoir ceux que les avions retardés par les grèves en France devaient effectuer par la suite. En outre, les survols qui contournent l’espace aérien français augmentent la demande de routes dans les espaces aériens adjacents, et sont à leur tour susceptibles de causer des perturbations supplémentaires en raison notamment de la saturation des services de la navigation aérienne de ces zones » (Observations liées à la décision n° 2023 – 859 DC du Conseil constitutionnel).

Les perturbations du trafic aérien affectent également des millions de passagers, qui se retrouvent dans l’impossibilité de se déplacer.

De plus, ces grèves ont des incidences très négatives sur l’environnement. La fermeture des aéroports ou de l’espace aérien français oblige en effet les compagnies aériennes, lorsqu’elles le peuvent, à dérouter leurs avions en empruntant les espaces aériens des autres États européens afin de ne pas avoir à survoler le ciel français. « S’ils permettent d’assurer les vols, ces changements de route augmentent la consommation de carburant des aéronefs et, par suite, leurs émissions de CO₂. Au-delà de son impact environnemental, l’augmentation des émissions de CO₂ oblige également les compagnies aériennes à acquérir des quotas de CO₂ supplémentaires, ce qui vient alourdir leurs pertes économiques » (Observations liées à la décision n° 2023 – 859 DC du Conseil constitutionnel).

Quoi qu’il en soit, la prévisibilité accrue du trafic permettra de mettre fin aux annulations à chaud de vols, dont les conséquences étaient particulièrement dommageables.

Certes le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le juge constitutionnel a néanmoins reconnu que ce principe peut être concilié avec d’autres intérêts, comme la sauvegarde de l’intérêt général « auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ».

Le législateur peut donc apporter des limitations au droit de grève afin notamment d’assurer la continuité du service public. Selon le Conseil constitutionnel, « en ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle ».

« Ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays », (Cons. const.,  25 juillet 1979, n° 79-105, citée par le rapport de l’Assemblée nationale).

Ainsi, l’obligation de déclaration préalable de grève a été jugée conforme à la Constitution dans la mesure où elle concerne des salariés « dont la présence détermine directement l’offre de service ».

II –  Une obligation de se déclarer gréviste

En l’état actuel du droit, la DGAC n’est en effet pas en mesure de connaître avec précision, avant le début d’un mouvement de grève, le nombre de contrôleurs aériens qui seront effectivement grévistes.

La loi n° 2023-1289 du 28 décembre 2023 prévoit ainsi que, dans le cas où un préavis de grève a été déposé dans les conditions prévues à l’article L. 2512-2 du Code du travail, tout agent assurant des fonctions de contrôle, d’information de vol et d’alerte et dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols doit informer l’autorité administrative, au plus tard à midi l’avant-veille de chaque journée de grève, de son intention d’y participer.

À noter. Des dispositions similaires s’appliquent déjà, depuis 2007, aux agents indispensables à l’exécution des services publics de transport terrestre, et, depuis 2012, aux agents du transport aérien dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols.

En outre, selon la loi n° 2023-1289 l’agent qui a déclaré son intention de participer à la grève et qui renonce à y participer doit en informer l’autorité administrative au plus tard à 18 heures l’avant-veille d’une journée de grève.

À noter. Cette information n’est requise ni lorsque la grève n’a pas lieu ni lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève.

Sur la base de ces informations, l’autorité administrative décidera, le cas échéant et au plus tard à 18 heures l’avant-veille de chaque journée de grève, de la mise en place du tour de service applicable lors de la journée de grève afin d’assurer les missions définies à l’article L. 114-4 du Code général de la fonction publique (CGFP).

Ce tour de service doit être défini après avis du comité social d’administration compétent. Dans le cas où l’autorité administrative décide de ne pas mettre en place ce tour de service, les agents mentionnés à l’article L. 114-5 du CGFP autres que ceux exerçant des fonctions d’autorité ne sont plus soumis à l’obligation de demeurer en fonction.

Les journées de grève sont définies comme chaque période distincte de vingt-quatre heures à compter de l’heure du début de la grève envisagée mentionnée à l’article L. 2512-2 du Code du travail, sans préjudice de la durée du mouvement de grève.

En outre, précise la loi, les informations issues des déclarations individuelles des agents ne peuvent être utilisées que pour l’organisation de l’activité durant la grève dans les conditions précitées, pour informer les passagers des adaptations du trafic aérien consécutives au mouvement de grève et, anonymisées, pour l’information des organisations syndicales. Elles sont couvertes par le secret professionnel. Leur utilisation à d’autres fins ou leur communication à toute autre personne est passible des peines prévues à l’article 226-13 du Code pénal.

À noter. L’agent qui n’a pas informé l’autorité administrative de son intention de participer à la grève dans les conditions précitées est passible d’une sanction disciplinaire.

Cette sanction peut également être prise à l’encontre de l’agent qui, de façon répétée, n’a pas informé l’autorité administrative de son intention de renoncer à participer à la grève ou de reprendre son service.

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