Essonne (91)

Catastrophe de Brétigny-sur-Orge : « Nous sommes délivrés » !

Publié le 16/11/2022
Accident train
Rechitan Sorin/AdobeStock

Le 26 octobre, le tribunal d’Évry a reconnu la SNCF coupable d’homicides et blessures involontaires neuf ans après la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne) qui avait coûté la vie à sept personnes et fait des centaines de blessés. Un verdict particulier pour les victimes et leurs familles.

Le 12 juillet 2013, Thierry Gomès a perdu ses deux parents dans l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge. Le président de l’association des familles de victimes de la catastrophe, baptisée Entraide et Défense des Victimes de la Catastrophe de Brétigny-sur-Orge (EDVCB) a eu le temps pendant huit semaines d’apprécier toutes les particularités architecturales du tribunal d’Évry… En effet, il a suivi depuis le début du printemps les séances qui se suivent et ne ressemblent pas ! À l’issue des débats, en juin dernier, le procureur Rodolphe Juy-Birmann avait demandé que la SNCF, chargée de la maintenance, soit condamnée à la peine d’amende maximale (450 000 euros) : « C’est toute une conception du service public qui s’est effondrée », avait déploré le procureur, fustigeant « une entreprise dans le déni », qui n’assume pas d’avoir « banalisé l’urgence » au détriment de la sécurité des usagers.

Le 26 octobre, après des mois d’attente pour les victimes et leurs familles, les mis en cause, les dizaines d’experts et les magistrats, le verdict est tombé : 300 000 euros d’amende est infligée à la SNCF. La présidente a relaxé deux autres accusés : un ancien cadre cheminot, qui avait effectué la dernière tournée de surveillance huit jours avant le drame, et le gestionnaire des voies SNCF Réseau (ex-Réseau Ferré de France). « Moyennement soulagé » du jugement, le représentant des victimes se dit soulagé que le procès fasse date dans l’histoire de la sécurité ferroviaire en France et ailleurs. Il a répondu à nos questions à l’issue du verdict. Entretien.

Actu-Juridique : Ce verdict est la fin d’une très longue procédure judiciaire. Comment vous sentez-vous et comment se sentent les membres du collectif ?

Thierry Gomès : Nous sommes délivrés. Après neuf ans d’attente, cette dernière audience est pour certains le bout du chemin. Qu’il y ait appel ou non… Pour la plupart des proches de victimes, et pour certaines victimes elles-mêmes, on va pouvoir passer à autre chose. La SNCF est condamnée pour cet accident et c’est une fin en soi. Bien sûr la relaxe de la RFF a pu nous laisser dans l’interrogation : même si la SNCF était donneuse d’ordre, il y avait une responsabilité de contrôle et de sécurité. Nous n’avons pas compris pourquoi sur ce sujet, le procureur ne s’est pas montré plus incisif. Pour les deux personnes physiques, en revanche, nous entendons parfaitement la relaxe : le cheminot venait d’être muté, personnellement je ne pense pas qu’il aurait pu changer quoi que ce soit à ce qu’il s’est passé. Dans les écoutes téléphoniques mises en place par le tribunal, on comprend qu’il regrettait le manque de moyens qui lui rendaient la tâche compliquée au quotidien.

Nous voulions par contre que la SNCF soit condamnée avec la récidive, ce qui a été fait, la société avait en effet été condamné à vingt-cinq reprises entre novembre 1999 et le 25 janvier 2021 (dont treize fois pour homicide involontaire) mais nous n’avons pas compris que la peine requise par le procureur n’ait pas été suivie, d’autant que la SNCF a fait obstacle pendant la procédure judiciaire à la recherche de la vérité par le biais d’une lenteur dans les productions de pièce, voire ce que l’on a pu qualifier comme des falsifications, des mensonges sous couvert d’oublis. Confronté à ce manque de collaboration, le tribunal d’Évry avait même été obligé de mettre en place des écoutes téléphoniques, une technique plus utilisée sur les dossiers de trafic de stupéfiants, comme nous l’avait dit le procureur.

Actu-Juridique : Avez-vous le sentiment que toute la vérité a été dite ?

Thierry Gomès : Nous n’avons pas le sentiment que l’instruction ait été au bout de cette affaire. Un sentiment de gêne a prédominé certaines séances face à des témoignages pour le moins embrouillés, avec des personnes jugées très consciencieuses dans leur travail qui ne se souviennent plus de détails importants. Et puis il y a eu ce vol d’ordinateur (un mois après le déraillement, un responsable de la maintenance s’était fait voler son ordinateur, plus tard réapparu mais expurgé d’informations importantes, NDLR) qui n’a pas été élucidé… Pour nous il y a eu une volonté d’étouffer cette affaire. L’avocat des accusés s’est montré satisfait devant le verdict, cela me fait dire qu’il y a quelque chose qui cloche…

Actu-Juridique : Vous voilà collectivement forts d’une expertise, qu’allez-vous en faire maintenant ?

Thierry Gomès : On a bien compris ce milieu, même si les rapports d’instruction et d’expertises méritent beaucoup de concentration. En huit semaines, nous avons pris notre dose. Cette affaire nous a permis d’avoir des contacts, de rencontrer certains cheminots à la retraite qui pourraient nous accompagner dans le futur. Ce qui est certain, c’est que nous allons mener des combats pour que cela n’arrive plus, travailler sur la sécurité, les réglementations, les délégations entre RFF et la SNCF. Être attentifs à la mise en concurrence avec de nouveaux gestionnaires, l’accompagnement des collectivités (avec de plus en plus de TER). On va essayer de travailler auprès des collectivités et les préfectures (il existe des commissions de sécurité routière au niveau des préfets, on voudrait créer la même chose au niveau ferroviaire et associer les problèmes liés aux passages à niveau, la SNCF ayant été condamnée pour l’accident de Saint Médard). Par ailleurs, je suis en train de tisser un réseau avec des associations européennes (comme les victimes de la catastrophe de Trévise en Italie ou de Saint-Jean-de-Compostelle en Espagne). En tant que membres de la FENVAC on va voir ce qu’il est possible de faire pour représenter au mieux les victimes dans l’avenir.

Plan
X