L’inconstructibilité de parcelles en zone inondable couvertes par un plan de prévention des risques est sans incidence sur l’erreur
Une cour d’appel a pu déduire à bon droit que le retrait du permis de construire ne pouvait entraîner la nullité de la vente, ni donner lieu à la garantie des vices cachés car l’annulation rétroactive du permis obtenu après la vente était sans incidence sur l’erreur devant s’apprécier au moment de la formation du contrat.
Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, no 15-26226
1. L’arrêt rendu le 24 novembre 2016 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation mérite d’être remarqué tant la question est fréquente en pratique. Les faits, ayant entraîné cet arrêt méritent d’être rappelés1. Par acte authentique reçu par un notaire en date 22 août 2006, M. Charles Z et Mme Huguette A, son épouse, ont vendu à M. B et Mme C, différentes parcelles de terrain. Les pétitionnaires avaient déposé auprès des services compétents une demande d’autorisation de lotir des parcelles dont il s’agit pour lesquelles ceux-ci ont obtenu, le 26 décembre 2007, un permis de construire. À la suite d’un recours gracieux du préfet, le permis de construire a été retiré par arrêté municipal du 7 juillet 2008, pour des motifs de sécurité, le lotissement se trouvant dans un secteur soumis à des risques naturels. Naturellement, M. B et Mme C, invoquant l’inconstructibilité du terrain, ont assigné les vendeurs, devant le tribunal de grande instance M. X, M. Y, ainsi que les autres intervenants à savoir, la société civile professionnelle Mallet et Benoît et la société civile professionnelle Y. D., en nullité du contrat de vente et en indemnisation de leur préjudice.
2. En appel, les juges du fond rejettent ces demandes motifs pris que l’annulation rétroactive du permis de construire obtenu après la vente était sans incidence sur l’erreur devant s’apprécier au moment de la formation du contrat. De plus les juges du fond ont considéré que le retrait du permis de construire ne pouvait entraîner la nullité de la vente, ni donner lieu à la garantie des vices cachés. La Cour de cassation rejette le pourvoi en validant le raisonnement des juges du fond. Pour la Cour de cassation la rétroactivité de l’annulation des documents d’urbanisme est sans incidence sur l’erreur (II), qui s’apprécie au moment de la conclusion du contrat (I).
I – L’effet rétroactif du retrait du permis de construire concernant un secteur soumis à des risques naturels d’inondation
3. Pour la haute juridiction, le retrait du permis de construire ayant un effet rétroactif (B) conduit ainsi le vendeur à garantir l’acheteur pour des faits extérieurs, postérieurs à la vente et non pour un risque d’inconstructibilité (A).
A – Le « risque d’inconstructibilité » dans un secteur soumis à des risques naturels
4. Le droit de l’urbanisme est une matière complexe par nature car elle nécessite une articulation entre les diverses normes urbanistiques entre elles et l’égard d’autres matières2. En effet, c’est un domaine riche en litiges et bien souvent particulièrement complexes sur le plan juridique et qui constituent de véritables enjeux financiers3. Il est précisé, à cet égard que « le “risque d’inconstructibilité”, qui n’avait pas été porté à la connaissance des acquéreurs à la date de conclusion de l’acte de vente, mais qui a seulement été révélé à l’occasion de la procédure contentieuse diligentée par l’exploitant des installations d’abattage de volailles à l’encontre du permis de construire qui leur a été accordé, a été considéré par la cour comme de nature à vicier leur consentement, compte tenu de l’erreur commise sur les qualités substantielles du terrain à construire. Elle relève en effet que les caractéristiques du terrain relatives à sa constructibilité et à son environnement étaient déterminantes de la décision de l’acquérir »4. Au cas d’espèce, le notaire authentificateur de l’acte de vente avait pris soin de faire figurer un état des risques mentionnant que les parcelles étaient en zone inondable et étaient couvertes par un plan de prévention des risques.
5. Il est certain que les parties en l’espèce n’ignoraient pas que le terrain dont ils faisaient l’acquisition était situé dans une zone inondable. Le notaire avait pris la précaution de leur faire signer la fiche intitulée « renseignements d’urbanisme », qui a été annexée à l’acte authentique. La note d’urbanisme renseignait sur le caractère inondable du terrain, certes, mais c’est sur le risque d’annulation du permis de construire que le notaire aurait dû attirer l’attention des acquéreurs tant est si bien que ces derniers avaient d’importantes chances de ne pas contracter. Dans la même veine la Cour de cassation a déjà estimé, par exemple : « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les notaires n’avaient pas manqué à leur devoir de conseil en omettant d’éclairer leurs clients sur les risques qu’ils encouraient en s’engageant avant que le permis de construire n’ait acquis un caractère définitif, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef »5.
B – Le retrait rétroactif du permis de construire sans incidence sur l’erreur
6. La Cour de cassation a ainsi déjà eu l’occasion d’affirmer pour admettre l’annulation du contrat de vente pour erreur sur les qualités essentielles que : « Attendu que, pour débouter M. M. de sa demande en nullité de la vente pour vice du consentement, l’arrêt retient que la constructibilité du terrain vendu constituait pour M. M. une qualité substantielle dont l’existence était déterminante de son consentement, que cette existence devait s’apprécier à la date du 20 mars 1991 et que ce n’était que par l’effet de l’arrêt rendu le 14 janvier 1994 par le Conseil d’État que le terrain vendu en 1991 à M. M. était devenu inconstructible, les juges administratifs ayant dit, pour la première fois, la loi sur le littoral applicable à la ZAC (…) ; Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a débouté M. M. de sa demande en annulation de la vente pour vice du consentement, l’arrêt rendu le 29 avril 1997, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence »6. Plus récemment la haute cour a réaffirmé son analyse en considérant que : « Mais attendu qu’ayant relevé que la constructibilité immédiate du terrain était un élément déterminant du consentement des acquéreurs et constaté que le risque lié à la présence d’une cavité souterraine existait à la date de la vente, la cour d’appel a pu en déduire que la décision de retrait du permis n’avait fait que prendre en compte la réalité de ce risque empêchant les acquéreurs de construire et que la vente était nulle ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs : rejette le pourvoi »7.
7. Pour rejeter la demande en annulation de la vente, dans l’arrêt annoté, la haute juridiction réaffirme en effet sa jurisprudence habituelle, selon laquelle « l’annulation rétroactive du permis de construire obtenu après la vente était sans incidence sur l’erreur devant s’apprécier au moment de la formation du contrat » mais en refusant l’annulation du contrat de vente pour erreur sur les qualités essentielles.
II – Les effets de l’erreur affectant la vente d’un terrain inconstructible
8. Il est généralement admis que l’erreur doit être concomitante à la formation du contrat tant est si bien que le retrait ultérieur du permis de construire ne peut produire aucun effet sur la validité du contrat (A). Pour autant cette solution est perfectible tant la notion de constructibilité est relative et contingente (B).
A – La théorie de l’erreur sur les qualités essentielles : la croyance de l’errans
9. Il est acquis que l’erreur-obstacle est généralement présentée comme une notion à part au sein de la théorie de l’erreur8. Les auteurs expliquent que l’erreur-obstacle regroupe deux hypothèses9. La première est celle de l’error in negotio : les parties errent sur la nature de leur contrat, elles n’ont pas la même convention en vue10. Concernant la seconde hypothèse, elle recouvre la notion de l’error in corpore : les parties ont bien le même contrat en vue, mais elles se méprennent sur l’identité de la chose « objet de la prestation »11. On enseigne traditionnellement que l’erreur-obstacle s’illustre par une absence de consentement plutôt qu’un vice de consentement12 car « (…) ce qui compte, c’est la fausse représentation des obligations des parties qui en est la conséquence ». Il est incontestable que depuis une décision en date du 21 mai 2008, la Cour de cassation a annulé la vente d’un immeuble au motif que le vendeur avait été victime d’une erreur portant sur « l’objet même de la vente, laquelle faisait obstacle à la rencontre des consentements »13. La jurisprudence paraît ainsi aujourd’hui considérer que l’erreur-obstacle dispose d’un régime juridique propre, distinct de celui de l’erreur sur la substance et apparemment plus protecteur des intérêts de l’errans14.
10. La doctrine n’a pas manqué de se pencher sur cette problématique. Les enjeux de cette question sont formulés de manière interrogative par le professeur Philippe Stoffel-Munck qui écrit : « Lorsque, par la fiction de la rétroactivité d’une annulation, cette réalité est rétrospectivement modifiée, à quoi comparer la croyance de l’errans : à la situation telle qu’elle existait de son temps, indépendamment de l’annulation ultérieure, ou à celle telle qu’elle s’en trouve remodelée par la fiction juridique de la rétroactivité ? »15. Il est permis de considérer avec la doctrine que l’errans peut se prévaloir d’éléments ayant altéré l’objet du contrat postérieurement à sa formation16 dont la rétroactivité de l’annulation du permis de construire peut compliquer la situation juridique17. Il apparaît que la notion de permis de construire est d’un maniement délicat d’autant plus lorsqu’il n’est pas devenu définitif18.
B – La relativité de la notion de constructibilité
11. Il reste que la solution s’accorde mal avec la question fondamentale soulevée par l’arrêt rapporté. Comme l’observe la doctrine dans une note sous une décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin 2014, n° 13-18446, s’inscrit dans la même veine : « C’est que la qualité dont l’absence est recherchée n’est pas celle, matérielle, du terrain (présence d’une cavité, caractère inondable, proximité d’un abattoir…), mais le caractère, juridique, de la constructibilité »19. Il n’est pas douteux que cette notion renvoie au droit de l’urbanisme qui l’utilise à maintes reprises20. Pour autant la sécurité juridique exige une clarification de la notion de constructibilité qui permette aux pétitionnaires de connaître l’étendue de cette notion qui s’impose à eux.
Notes de bas de pages
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1.
« L’annulation rétroactive du permis de construire obtenu après la vente est sans incidence sur l’erreur qui doit s’apprécier au moment de la vente » ; v. « Vente : l’inconstructibilité évolue en terrain plus stable », Dalloz actualité, déc. 2016. « Incidences du retrait du permis de construire obtenu après la vente », Defrénois flash 5 déc. 2016, n° 136z9, p. 1 ; Coustet T., « Vente : l’inconstructibilité évolue en terrain plus stable », Dalloz actualité.
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2.
Niel P.-L., « L’appréciation du rapport de compatibilité entre le PLU et les normes urbanistiques intermédiaires et nationales », LPA 23 mai 2016, n° 113s9, p. 9.
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3.
« Définition de stratégies de contrôle », Le Lamy Gestion et Finances des collectivités territoriales, n° 245-16.
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4.
Gillig D., « Distance d’éloignement entre une installation classée et une habitation de tiers », Environnement et dév. durable 2009, comm. 73.
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5.
Brusorio-Aillaud M., « Retrait d’un permis de construire après réitération d’une vente sous condition suspensive d’obtention de celui-ci : quid de la nullité de la vente et de la responsabilité du notaire ? », JCP N 2007, 1240, spéc. n° 36.
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6.
Cass. 3e civ., 13 juill. 1999, n° 97-16362 : Ibid.
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7.
Stoffel-Munck P., « Quelques retours au classicisme dans la formation du contrat ? », Dr. & patr. mensuel, 1er janv. 2015, n° 243.
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8.
Durand F., « La nullité pour erreur-obstacle », LPA 25 mars 2010, p. 3.
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9.
Gaudeffroy P., L’erreur-obstacle, thèse, 1924, Paris. Le nouvel article 1132 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dispose : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ».
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10.
Delage P.-J., « Le malentendu partiel sur la chose objet de la prestation », RLDC 2015/1, n° 122.
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11.
Ibid.
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12.
Genicon T., « b) Erreur-obstacle : nullité pour erreur (excusable) sur l’objet », RDC 2008, p. 716.
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13.
Durand F., « La nullité pour erreur-obstacle », art. préc.
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14.
Ibid.
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15.
Stoffel-Munck P., « Quelques retours au classicisme dans la formation du contrat ? », art. préc.
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16.
Houtcieff D., « Chronique de droit commun des contrats n° 1 », LPA 6 févr. 2008, p. 6.
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17.
Ibid.
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18.
Passim.
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19.
Serinet Y.-M., « Retour sur l’erreur née de la déclaration rétroactive d’inconstructibilité du terrain », JCP G 2014, doctr. 1195 ; Pimont S., « l’acquéreur d’un terrain devenu inconstructible depuis la vente peut-il agir contre son auteur ? », RLDC 2015/2, n° 123.
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20.
Collart Dutilleul F., « Date d’appréciation de la constructibilité d’un terrain vendu », RDC 2004, p. 335.