Le Grand Paris, future capitale mondiale du sport ?
À l’approche notamment des Jeux olympiques de 2024, de nombreux acteurs économiques et institutionnels se mobilisent pour faire du Grand Paris « la référence d’une métropole sportive ». Dans cette perspective, Paris-Île-de-France Capitale Économique et l’ESSEC se sont associés pour mener une étude sur le sujet. Alexandre Missoffe, directeur général de Paris-Île-de-France Capitale Économique, et Édouard Dequeker, ingénieur de recherche pour la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC, nous en dévoilent les grandes lignes.
Les Petites Affiches : Pourquoi voulez-vous faire de la métropole du Grand Paris la référence internationale en matière de sport ?
Alexandre Missoffe : Paris-Île-de-France Capitale Économique réalise chaque année une étude afin de connaître les critères précis qui déterminent les investissements étrangers dans les grandes métropoles. Or nous constatons que les données dites « macroéconomiques », que sont la taille de la population, le nombre de chercheurs ou encore le bassin d’emplois, sont désormais bien assimilées et que les investisseurs scrutent dorénavant d’autres éléments, ceux qui relèvent du « soft power » de ces métropoles. Et s’ils sont capables, ces investisseurs, par exemple, de citer les métropoles les plus technologiques du monde ou les plus durables, ils n’ont pas d’idées précises quant au sujet du sport. Quelle est la métropole mondiale la plus « sport-friendly » du monde ? 85 % des investisseurs ne savent pas répondre à cette question. Aucune grande ville du monde n’a réussi à se placer sur le sujet. Il s’agit donc là, d’après nous, d’une opportunité pour le Grand Paris, une façon de se démarquer et d’attirer.
Le sport rassemble tous les défis qui se dressent devant les grandes métropoles mondiales et notamment dans le contexte du Covid-19. La pratique du sport renvoie à l’idée d’excellence et de performance, mais également de santé dans sa pratique amateur. C’est aussi un facteur de lien social très important. Il n’y a qu’à travers le sport que des classes sociales éloignées peuvent partager des émotions et des moments forts parce qu’elles supportent, par exemple, la même équipe. C’est encore un accélérateur d’innovation pour performer dans le nautisme, la course à pied, le tennis, et dans de nombreuses autres activités. Enfin, le sport est un facteur d’intégration pour des personnes peu qualifiées qui peuvent prouver, à travers des performances de haut niveau, leurs qualités d’abnégation, d’endurance et d’esprit d’équipe. C’est donc fort de ce constat que nous nous sommes fixé comme objectif de faire de Paris la métropole sportive par excellence et incontestée. Notre échéance est celle des Jeux olympiques de 2024.
Notre étude a pour but de documenter la place du sport dans la métropole parisienne et d’établir ainsi des critères pour juger de la « sportivité » d’une métropole. Est-ce par le nombre de terrains rapporté au nombre d’habitants ? Par le nombre de licenciés dans les fédérations ? Par la pratique du sport en entreprise ? C’est pour répondre à ces problématiques, et à d’autres également, que nous avons sollicité Édouard Dequeker et la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC.
Édouard Dequeker : Notre sujet est évidemment transversal. Il couvre aussi bien la pratique professionnelle qu’amateur, l’innovation, l’inclusion socio-économique, le sport en milieu professionnel, ainsi que la santé ou le bien-être des populations. Cette étude est l’occasion de mesurer le rôle de toutes ces facettes du sport en matière d’attractivité de la région parisienne.
Les grandes métropoles, nous le savons, abritent une grande densité d’emplois de services avancés aux entreprises et cherchent à attirer les cadres très qualifiés. Lorsqu’elles pratiquent le sport, ces populations ont une demande spécifique, liée à leur mode de vie, où les frontières entre temps et territoires de travail et de loisirs sont plus floues. Ils souhaitent pouvoir pratiquer quand et où ils le souhaitent, et ainsi disposer d’une offre sur-mesure, ce qui implique une forte adaptation des infrastructures existantes vers plus de flexibilité. Cette possibilité de pratiquer est donc pour le Grand Paris un élément important de rétention de ces talents. À ce titre, la région parisienne affiche un solde migratoire négatif avec le reste du territoire national, en raison de la fuite de nombreux cadres trentenaires et quarantenaires vers les métropoles régionales, dans lesquelles ils vont chercher, au moment où ils fondent une famille, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et cadre de vie. C’est bien le signe que certains arbitrages extraprofessionnels entrent en compte pour des populations.
LPA : Paris et sa région ont accueilli de nombreux événements sportifs internationaux ces dernières années. Les Jeux olympiques et la coupe du monde de rugby approchent également. N’est-ce pas la preuve que le territoire francilien est déjà une référence sportive ?
A.M. : Paris et la France plus généralement, disposent d’un savoir-faire réel pour organiser des grands événements, et cela depuis la Coupe du monde de 1998. À cela s’ajoutent aussi les rendez-vous annuels que sont le Tour de France ou Roland-Garros et qui constituent une audience très importante pour le territoire. Le pays et la région capitale ont donc une image reconnue à l’international. Mais, on parle là du sport pour les athlètes de haut niveau, pas de celui de n’importe quel citoyen. Nous nous intéressons avant tout à la pratique sportive de « monsieur tout le monde », c’est-à-dire le collaborateur d’un grand groupe ou le cadre d’un autre.
Si ces personnes peuvent combler leurs envies de sport dans le Grand Paris parce qu’elles sont fans d’équitation ou de golf, domaines dans lesquels la région est très bien équipée, cela peut jouer quant aux décisions de déménagements ou de délocalisations. Cela ne suffira pas certes pour prendre une décision, mais le sport est devenu un élément incontournable de nos modes de vie contemporains.
Il y a également la question du tourisme sportif. Le Grand Paris peut-il attirer des visiteurs ailleurs qu’à la Tour Eiffel et sur les Champs-Élysées, de par ses atouts sportifs, via des courses à pied notamment à l’instar du marathon de New York ? C’est un enjeu non-négligeable pour ce territoire qui dispose déjà d’un patrimoine culturel et architectural exceptionnel.
E.D. : Les grandes compétitions sportives ont évidemment un impact important sur le rayonnement des villes et territoires qui les accueillent. En revanche, leurs effets durables sur les pratiques sportives des populations sont beaucoup moins évidents. Fait-on plus de sport, sur le long terme, du fait d’une coupe du monde ou des Jeux olympiques ? Il est difficile a priori de le croire et aucune étude ne l’a jusqu’alors montré. Aussi, nous avons tendance à surestimer les effets mécaniques des Jeux olympiques en matière de retombées économiques et de régénération urbaine. Nous voyons là un axe d’amélioration majeur : moins lié à l’événement lui-même que fondé sur une meilleure coordination des acteurs publics et privés du sport, permise par l’organisation d’un grand événement. Ces Jeux seront ce que nous en ferons collectivement.
À ce titre il y a, avec cet agenda des grands événements, un levier possible pour remettre à plat la gouvernance du sport en France, qui reste très structurée par son schéma centralisé, vertical et associatif des années 1960, et qui ne parvient pas à suivre l’évolution des pratiques. Le modèle de la licence prise dans un club amateur, aux heures fixes, n’est plus un passage obligé pour la pratique, tout comme d’ailleurs elle ne suffit plus à la mesurer. Même si certaines ont eu une prise de conscience ces dernières années, les fédérations restent de ce point de vue largement bloquées sur ce schéma licence/club. Les nouvelles demandes des populations métropolitaines sont ainsi captées, en partie, par une offre privée beaucoup plus fluide : le Five et l’Urban Football en sont les exemples les plus frappants, tout comme la multiplication des salles de sport mais également les nombreux événements de running. La perspective des Jeux olympiques doit également être une manière de progresser en matière organisationnelle et culturelle sur ces aspects.
LPA : Comment se situe le Grand Paris sur le sujet du sport face à ses concurrents mondiaux ?
A.M. : Il est encore difficile, pour le moment, d’établir un classement qui permettrait de définir précisément la place de la région parisienne dans cette course mondiale. Nous avons néanmoins ciblé des marges de progression, voire des faiblesses dans le modèle parisien. À commencer par le sport scolaire et universitaire. Nous sommes très en deçà, cela ne doit être une surprise pour personne, des performances anglo-saxonnes, particulièrement américaines. L’autre grande insuffisance réside dans la pratique du sport dans le monde professionnel. Il faut réussir à développer nos usages sur le sujet. C’est essentiel pour la santé, la performance et pour créer un esprit d’équipe, particulièrement dans les plus grandes entreprises. Le travail n’est plus simplement un lieu où l’on se contente de s’installer derrière un écran d’ordinateur, et à plus forte raison avec la crise du Covid. Il faut donc penser la pratique du sport dans un quartier comme La Défense par exemple. Comment fait-on pour que des personnes qui travaillent sur un même périmètre se parlent, se rencontrent et collaborent éventuellement ? Le sport permet tout cela à la fois. Il ne faut plus le considérer comme un domaine à part. Il fait parti d’un tout qui doit permettre de développer un état d’esprit et une âme particulière au Grand Paris.
E.D. : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les distinctions dans les pratiques sont davantage nationales que régionales. En Europe, les différences culturelles concernant le sport sont forgées par le système éducatif et l’organisation de la vie des plus jeunes. Au risque d’être un peu cliché, la France se veut d’abord un pays de culture, où la pratique sportive occupe une place plus marginale. En témoigne son rôle très limité dans les cursus scolaires, jusqu’au très faible niveau d‘infrastructures universitaires – ce qui pour le coup est très pénalisant dans la compétition des villes mondes – et la difficulté de nos décideurs publics à regarder le sport comme une véritable filière économique et un levier d’innovations. Il y a un frein socioculturel dans notre pays sur ce sujet, que nous tentons à notre mesure de faire évoluer.
A.M. : Oui, et c’est d’autant plus vrai dans la crise actuelle. Pendant le premier confinement, nous ne pouvions sortir que pour deux raisons impérieuses. Manger, soit la subsistance au sens le plus propre, et faire du sport. C’était là une reconnaissance bienvenue de l’importance de la pratique du sport pour le bien-être psychique et physique de la population. Paradoxalement, le deuxième confinement a remis à « sa place » le sport. Si tout le monde se mobilise pour la culture, et c’est évidemment souhaitable, qu’en est-il du sport ? Les élites françaises ont, il me semble, encore un mépris pour le monde du sport. En résumé, l’opéra et le théâtre c’est formidable, les clubs de sport beaucoup moins. Et il s’agit là d’une réalité historique. De grands auteurs anglophones ont écrit des ouvrages qui se basaient sur le sport. Je pense à Oscar Wilde, Conan Doyle, William Faulkner ou encore Ernest Hemingway. En France, ce n’est pas le cas.
LPA : Les inégalités sociales et économiques qui traversent la région se retrouvent-elles aussi dans le sport ?
E.D. : Nous savons grâce aux travaux de l’Institut régional pour le développement du sport (IRDS) qu’il y a une disparité marquée, selon les territoires, dans les pratiques et la densité des équipements sportifs. Les critères les plus discriminants pour la pratique sportive sont la catégorie socioprofessionnelle et le niveau de diplôme. Actuellement, en Île-de-France, le sport le plus pratiqué est le football comme sur le reste du territoire. Cependant, d’autres activités sont particulièrement surreprésentées en région parisienne : le tennis et l’équitation. Ce sont évidemment des activités très marquées d’un point de vue sociologique. De manière générale, le département des Hauts-de-Seine est celui qui compte le plus de sportifs (55 % à raison d’une heure par semaine). À l’inverse la Seine-Saint-Denis est celui qui en compte le moins (44 %). On retrouve aussi cette dichotomie est/ouest en matière de densité d’équipements, qui recouvre assez bien la carte des revenus fiscaux. Cela reflète l’histoire urbaine longue de l’agglomération parisienne, où la banlieue a été pensée comme un territoire « servant » de la ville-centre, accueillant les équipements dont celle-ci avait besoin : axes autoroutiers, aéroports, décharges, stations d’épuration ou cimetières. La capitale gardait, elle, les équipements à haute valeur ajoutée et concentrait ainsi le pouvoir économique et politique. Il s’agit là, d’ailleurs, d’une spécificité parisienne. Londres, New York ou Tokyo sont des villes certes très inégales mais fondées sur une construction plus polycentrique où vous n’observez pas une telle fracture centre/périphérie.
Nous insistons sur la capacité du sport à favoriser l’inclusion des personnes éloignées de l’activité économique et sociale dans la métropole. C’est un enjeu de compétitivité pour le Grand Paris, puisque nos travaux (à la Chaire d’Économie urbaine de l’ESSEC) montrent clairement les effets négatifs pour la croissance métropolitaine d’un trop fort niveau de populations exclues de la production de valeur. À ce titre, l’écosystème du sport professionnel comme amateur s’appuie sur une grande variété d’emplois, de tous niveaux de qualifications, et constitue un levier essentiel d’insertion. Il faut également ajouter à cela une inégalité entre hommes et femmes qui se superpose à l’analyse sociologique. Le décrochage de la pratique féminine à partir de l’adolescence a été très étudié par des sociologues. Cela ne signifie pas aujourd’hui que les femmes pratiquent nécessairement moins ; mais elles le font différemment, de manière beaucoup plus autonome, dans la sphère privée ou furtivement dans l’espace public. Elles n’ont pas, on le sait bien, accès dans les mêmes conditions que les hommes à l’occupation et à la sédentarité dans l’espace public. C’est un autre enjeu de société majeur.
A.M. : J’ajouterai que le sport a la capacité de créer un sentiment de fierté et d’appartenance à un territoire. Prenez par exemple les symboles que sont le Red Star Football Club et le Stade de France en Seine-Saint-Denis, ou encore Paris La Défense Arena à Nanterre.
Pour de nombreux quartiers, le sport est également un moyen d’apprentissage des valeurs essentielles en vue d’intégrer ensuite le monde professionnel. Le sport enseigne la persévérance, la rigueur dans l’effort ou encore le travail collectif. Pour des jeunes qui ne sont pas toujours à l’aise dans le cadre scolaire, c’est éminemment important.
E.D. : Rappelons également que la banlieue parisienne est un vivier impressionnant de talents. Une part importante des effectifs des équipes nationales de football, basket, handball, pour ne citer que ces sports, sont issus de la région parisienne. De ce point de vue là, le Grand Paris est extrêmement compétitif comparé aux autres métropoles mondiales.
LPA : Pour vous le sport doit également se structurer par l’innovation…
E.D. : C’est un sujet qui avance. L’écosystème entrepreneurial dans le sport s’est structuré dans le Grand Paris autour du Tremplin, un incubateur pour les start-up sportives, ou du collectif SporTech. Ces structures permettent de structurer peu à peu un écosystème et de donner à voir toutes ses potentialités : qu’il s’agisse d’améliorer l’expérience des spectateurs (sportainment), les performances sportives ou la pratique amateur (en optimisant par exemple les horaires des équipements existants pour faire davantage correspondre offre et demande). Comme pour les autres domaines de l’innovation, nous disposons de ressources primaires importantes dans le Grand Paris, mais dont la transformation en valeur économique est insuffisante à cause du manque d’investissements. Pour accélérer cette dynamique nous pensons qu’il serait par exemple utile de structurer un grand fonds d’investissement dédié au sport. Nous sommes encore très très loin des États-Unis de ce point de vue.
A.M. : Innover c’est aussi se réinventer. Un point insuffisamment évoqué est la place de Paris dans l’accueil des grandes organisations internationales sportives. Lausanne est mondialement connue pour être le siège, notamment, de l’Union des associations européennes de football (UEFA), du Comité International Olympique (CIO) et d’à peu près toutes les grandes fédérations sportives existantes. Comment Paris, ville de Pierre de Coubertin, très bien dotée en infrastructures et transports, a-t-elle pu se laisser avoir à ce point-là ? Il y a une vraie réflexion à mener là-dessus. Paris peut, et doit devenir la capitale mondiale des organisations internationales sportives ! Pour des raisons économiques d’abord, car toutes ces organisations emploient beaucoup de monde et organisent de nombreux événements, mais pour son image et son histoire avec le sport également.
Pour ce faire, il faut travailler à de bonnes conditions d’implantations et penser à la structuration d’un cluster. Près de la Porte Maillot peut-être, à l’ouest de Paris, à proximité de Roland-Garros, le stade Jean Bouin, le Parc des Princes ou encore Le Tremplin.