Quelle protection des élus locaux après la loi du 21 mars 2024 ?
La loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux a été publiée au Journal Officiel du 22 mars 2024. Ce texte de 19 articles vise à améliorer la protection des élus locaux face aux violences et menaces dont ils peuvent être victimes. Il est issu d’une proposition de loi comportant 11 articles a été déposée le 26 mai 2023 au Sénat par l’ancien sénateur et président de la commission des lois François-Noël Buffet.
La proposition de loi comportait initialement 14 articles. Durant les débats parlementaires, le Sénat a ajouté 2 articles et supprimé 1 article à ladite proposition. L’Assemblée nationale a adopté conformes 2 articles et en a ajouté 6, supprimé 1 et rétabli 1 article supprimé dans le texte adopté en première lecture par les sénateurs. Ce sont donc 20 articles comportant une rédaction divergente entre les deux assemblées qui sont donc venus en discussion devant la commission mixte paritaire.
Présenté dans le cadre de la procédure accélérée qui impose une seule lecture par assemblée, ce texte au contenu divergent aboutit finalement à une commission mixte paritaire conclusive, mouture commune respectivement votée par l’Assemblée nationale le 11 mars 2024 et par le Sénat le 14 mars 2024. Au final, sur le texte définitivement adopté, 11 articles résultent d’une rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire et 6 de la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Cette loi est intervenue dans un contexte où les élus sont la cible d’attaques et de violences régulières, traduisant le changement de paradigme qui bouleverse notre société. En effet, il ressort des statistiques du ministère de l’Intérieur que près de 2 265 faits d’atteintes aux élus ont été recensés en 2022, soit une augmentation de 32 % par rapport à 2021 où 1 720 faits avaient été comptabilisés. En 2023, 2 600 atteintes ont été caractérisées, représentant une hausse de près de 15 % par rapport à 2022. Il convient de relever que dans 60 % des cas recensés, ce sont les maires qui sont victimes d’agressions. Dans 20 % des cas, ces sont les conseillers municipaux qui victimes de violences. La répartition des types d’atteintes est la suivante : 50 % relèvent d’outrages, 40 % de menaces et 10 % de violences volontaires, les violences physiques restant marginales et représentant moins de 5 % des cas recensés. La majorité. La majorité des faits est donc constituée de menaces (26 %) et d’outrages (41 %). Ces chiffres montrent donc une tendance à la hausse des agressions envers les élus locaux ces dernières années, avec une prédominance des atteintes verbales (outrages, menaces) par rapport aux violences physiques qui restent minoritaires mais néanmoins préoccupantes de par leur intensité (incendie volontaire du véhicule et du domicile du maire de Saint-Brevin-les-Pins et l’attaque à la voiture bélier contre le domicile du maire de L’Hay-les-Roses).
Dans le cadre de la 5ème enquête du Cevipof sur les maires de France, réalisée pour l’Association des maires de France (AMF), publiée en novembre 2023, 69 % des maires interrogés ont déclaré avoir déjà été victimes d’incivilités (+ 16 points par rapport à 2020), 39 % avoir subi injures et insultes (+ 10 points), 41 % avoir fait l’objet de menaces verbales ou écrites (+ 13 points), 27 % avoir été attaqués sur les réseaux sociaux (+ 7 points) et 7 % avoir subi des violences physiques (+ 2 points).
La loi du 21 mars 2024 est composée de 19 articles répartis dans les trois titres suivants :
Titre Ier : CONSOLIDER L’ARSENAL RÉPRESSIF POUR MIEUX PROTÉGER LES ÉLUS EN CAS DE VIOLENCES COMMISES À LEUR ENCONTRE (articles 1 à 4)
Titre II : AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES ÉLUS VICTIMES DE VIOLENCES, D’AGRESSIONS OU D’INJURES DANS LE CADRE DE LEUR MANDAT OU D’UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE (articles 5 à 12)
Titre III : RENFORCER LA PRISE EN COMPTE DES RÉALITÉS DES MANDATS ÉLECTIFS LOCAUX PAR LES ACTEURS JUDICIAIRES ET ÉTATIQUES (articles 13 à 19)
Nous aborderons dans le présent article les dispositions de ce texte sous trois angles : en premier lieu, sur le renforcement de l’arsenal répressif (I), en deuxième lieu, sur l’amélioration de la prise en charge des élus victimes de violences (II) et enfin en troisième lieu, sur le renforcement du rôle des acteurs judiciaires et étatiques (III).
I – SUR LE RENFORCEMENT DE L’ARSENAL RÉPRESSIF.
1° Aggravation des peines.
L’article 1er qui résulte de la rédaction adoptée par la commission mixte paritaire aggrave les peines encourues pour des faits de violences commises à l’encontre des élus. Trois points sont à relever.
En premier lieu, les peines sont ainsi renforcées afin d’être alignées sur celles prévues en cas de violences contre certains dépositaires de l’autorité publique particulièrement exposés dans le cadre de missions de maintien de l’ordre.
Elles sont ainsi portées soit à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende lorsque les violences ont entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours, soit à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si l’incapacité de travail qui en résulte est supérieure à huit jours.
En deuxième lieu, cet article 1er prévoit que l’infraction visée par l’article 222-14-5 du code pénal peut être, en application de l’article 222-47 du code pénal, sanctionnée d’une peine complémentaire d’interdiction de séjour telle que définie à l’article 131-31 du code pénal.
En troisième lieu, le nouvel article 222-14-5 du code pénal prévoit que la protection légale est accordée au titulaire d’un mandat électif public ou, dans la limite de six ans à compter de l’expiration du mandat, à l’ancien titulaire d’un mandat électif public dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, actuelles ou passées.
Références textuelles concernées : articles 222-12 et 222-13 du code pénal modifiés par l’article 5 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux ; 222-14-5 et 222-47 du code pénal modifiés par l’article 1 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
2° Sanctions en cas d’atteinte aux biens.
L’article 2 modifie l’article 322-8 du code pénal dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Il renforce les sanctions en cas d’atteinte dangereuse aux biens appartenant ou utilisés notamment par des personnes dépositaires de l’autorité publique d’une peine de 20 ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d’amende.
Référence textuelle concernée : article 322-8 du code pénal modifié par l’article 2 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
3° TIG et injures publiques.
L’article 3 résultant de la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale instaure une peine de travail d’intérêt général en cas d’injure, d’outrage ou de diffamation publique à l’encontre d’élus nationaux et locaux ou de personnes dépositaires de l’autorité publique.
Ainsi, l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée sur la liberté de la presse est modifié et prévoit sera punie d’une peine de travail d’intérêt général, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.
Le premier alinéa de l’article 433-5 du code pénal est également modifié pour intégrer la peine de travail d’intérêt général.
L’article 3 créé également une circonstance aggravante lorsque la victime de harcèlement est titulaire d’un mandat électif.
Ainsi, il a créé un 4° bis à l’article 222-33-2-2 du code pénal. Ainsi, le fait de harceler le titulaire d’un mandat électif par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’une peine de 3 ans de prison et d’une amende de 45 000 euros.
Il convient de noter que l’infraction de harcèlement est également constituée lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ou encore lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
Référence textuelle concernée : article 222-33-2-2 du code pénal modifié par l’article 3 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
4° Circonstances aggravantes en cas de mise en danger de la vie d’autrui et d’atteinte à la vie familiale.
L’article 4 résultant d’un texte consensuel issu des travaux de la commission mixte paritaire créé une circonstance aggravante en cas d’atteinte à la vie privée et familiale d’un candidat à un mandat électif national ou local public pendant la durée de la campagne électorale.
Il modifie les dispositions de l’article 223-1-1 du code pénal qui en son premier alinéa sanctionne le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer d’une peine de prison de 3 ans et de 45 000 euros d’amende.
Le deuxième alinéa de cet article a été modifié pour intégrer la protection du candidat à un mandat électif public pendant la durée de la campagne électorale ainsi que celle de sa famille.
Il résulte de de cette nouvelle rédaction que lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public, d’un candidat à un mandat électif public pendant la durée de la campagne électorale ou d’un journaliste, au sens du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les peines sont portées à 5 ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.
Les mêmes peines sont applicables lorsque les faits sont commis dans les mêmes conditions à l’encontre du conjoint, d’un ascendant ou d’un descendant en ligne directe ou de toute autre personne vivant habituellement au domicile de la personne concernée, en raison des fonctions exercées par cette dernière.
De même, l’article 4 procède également à l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article 226-1 du code pénal qui prévoit ainsi que lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, titulaire d’un mandat électif public ou candidate à un tel mandat ou d’un membre de sa famille, les peines sont également portées à 2 ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende.
Référence textuelle concernée : article 223-1-1 du code pénal modifié par l’article 4 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
II – SUR L’AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES ÉLUS VICTIMES.
1° Octroi automatique de la protection fonctionnelle.
L’article 5, résultant des travaux de la commission mixte paritaire, instaure l’octroi automatique de la protection fonctionnelle pour les élus.
En premier lieu, au niveau des maires et élus municipaux, la rédaction nouvel de l’article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales à la commune d’accorder sa protection au maire, aux élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsqu’ils sont victimes de violences, de menaces ou d’outrages à l’occasion ou du fait de leurs fonctions.
En deuxième lieu, au niveau des présidents et des conseillers généraux, la rédaction modifiée de l’article L. 3123-29 du code général des collectivités territoriales prévoit que le département doit accorder sa protection au président du conseil départemental, aux vice-présidents, aux conseillers départementaux ayant reçu délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsqu’ils sont victimes de violences, de menaces ou d’outrages à l’occasion ou du fait de leurs fonctions.
En troisième lieu, au niveau des présidents des conseils régionaux et des conseillers régionaux, l’article L. 4135-29 modifié dispose que la région doit accorder sa protection au président du conseil régional, aux vice-présidents, aux conseillers régionaux ayant reçu délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsqu’ils sont victimes de violences, de menaces ou d’outrages à l’occasion ou du fait de leurs fonctions.
Dans tous les cas de figure, la collectivité de l’élu concerné doit prendre à sa charge, le cas échéant, la réparation de l’intégralité du préjudice qui en a résulté.
S’agissant de la formalisation de la demande de protection fonctionnelle, l’élu concerné doit adresser sa demande à l’exécutif de la collectivité communale, départementale ou régionale concernée.
La loi rend donc automatique, autrement dit sans décision préalable de l’organe délibérant, l’octroi de la protection fonctionnelle élus mentionnés ci-dessus qui sont victimes de violences, de menaces ou d’outrages.
Cette protection fonctionnelle est octroyée aux élus en font la demande, que sous la réserve qu’ils réunissent les conditions pour en bénéficier, notamment quant à la nature des faits qui doivent être en lien avec les fonctions électives.
C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 30 décembre 2015, n° 391800, le Conseil d’Etat a jugé qu’une commune ne pouvait accorder la protection fonctionnelle à un maire ayant tenu des propos constitutifs de provocation à la haine raciale lors d’une réunion publique :
« 5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, lors d’une réunion publique de quartier organisée à Roquebrune-sur-Argens le 12 novembre 2013, le maire de la commune, M.B…, a répondu à des questions de l’assemblée relatives à la présence d’un campement de personnes d’origine rom sur le territoire communal ; que M.B…, après avoir critiqué en termes virulents la présence de ce campement et déclaré que ces personnes avaient provoqué neuf départs de feu dans leur campement, a ajouté : » Ce qui est presque dommage, c’est qu’on ait appelé trop tôt les secours » ; que ces propos, eu égard à leur nature et à leur gravité, procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ; que dès lors le moyen tiré de ce qu’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions a été commise et que les dispositions de l’article L. 2123-4 du code général des collectivités territoriales font légalement obstacle à l’octroi de la protection fonctionnelle à M. B…paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération attaquée ; »
Lorsque la demande de protection fonctionnelle émane du maire, du président du conseil départemental ou du président du conseil régional, ce dernier doit adresser sa demande à l’élu le suppléant ou ayant reçu délégation à cet effet.
Il doit en être accusé réception.
L’élu demandeur bénéficie de la protection de la commune à l’expiration d’un délai de cinq jours francs à compter de la réception de sa demande par la collectivité concernée s’il a été procédé, dans ce délai, d’une part, à la transmission de la demande au représentant de l’Etat dans le département ou la région et d’autre part, à l’information des membres du conseil municipal, de l’assemblée départementale ou régionale.
Cette information est portée à l’ordre du jour de la séance suivante de l’organe délibérant.
À défaut de respect de ce délai, l’élu bénéficie de la protection fonctionnelle à compter de la date d’accomplissement de ces obligations de transmission et d’information.
Il convient de noter que l’organe délibérant de la collectivité concernée peut toujours retirer ou abroger la décision de protection accordée à l’élu par une délibération motivée prise dans un délai impératif de quatre mois à compter de la date à laquelle l’élu a bénéficié de la protection de la commune.
Par dérogation à l’article L. 2121-9 du code général des collectivités territoriales, il convient de noter qu’à la demande d’un ou de plusieurs de ses membres, l’exécutif communal, départemental ou régional est tenu de convoquer l’organe délibérant dans ce même délai.
La convocation doit être accompagnée d’une note de synthèse.
Il convient de rappeler que cette protection fonctionnelle recouvre l’ensemble des mesures de protection et d’assistance qui doivent être mises en œuvre par la collectivité publique concernée à l’égard en l’occurrence de ses élus qui sont soit auteurs ou soit victimes de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions ou en lien avec leurs fonctions.
Les dépenses relevant de la protection fonctionnelle sont des dépenses obligatoires pour les communes, départements et régions, lesquelles doivent en conséquence les inscrire à leurs budgets.
Références textuelles concernées : articles L. 2123-35 pour les maires et élus municipaux (modifiés par les articles 5, 7 et 10 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux), L. 2573-10 pour élus des communes de Polynésie française (modifié par l’article 9 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux) , L. 3123-29 pour les présidents de conseils départementaux et les conseillers départementaux et L. 4135-29 du code général des collectivités territoriales pour les présidents de conseils régionaux et les conseillers régionaux (modifiés par l’article 5 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux).
2° Protection particulière des maires agents de l’Etat.
L’article 7, résultant de la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, modifie l’article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales. Elle donne compétence à l’Etat pour l’octroi de la protection fonctionnelle aux élus agissant en qualité d’agent de l’Etat.
Il faut savoir qu’il existe une différence de couverture de la protection fonctionnelle en fonction de la qualité d’intervention du maire.
En effet, lorsque le maire intervient comme représentant de l’Etat (notamment comme officier d’Etat-civil ou officier de police judiciaire), cette protection fonctionnelle est alignée en tous points sur celle des fonctionnaires : il se déclenche dès qu’il est auditionné comme témoin ou autre.
Par contre, lorsqu’il intervient comme agent de la commune et dans ses fonctions d’élu local, la protection fonctionnelle ne peut intervenir que lorsque le maire fait l’objet de poursuites pénales, telle une mise en examen.
Il convient de noter que cette différence de traitement a été soumise au Conseil constitutionnel par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une décision n° 2024-1106 QPC du 11 octobre 2024, (Commune d’Istres), le Juge de la rue de Montpensier a confirmé la constitutionnalité de cette différenciation dans la mesure où selon sa lecture les agents publics ne se trouvent pas dans la même situation que les élus en charge d’administrer une commune :
« 13. Si, depuis la loi du 20 avril 2016 mentionnée ci-dessus, les agents publics bénéficient en outre d’une telle protection lorsqu’ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale, ils ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune, au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d’exercice de leurs fonctions. Compte tenu de cette différence de situation, le législateur n’était donc pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle. »
Cependant, dans cette décision, le Conseil constitutionnel invite le cas échéant dans son considérant 14 le législateur à faire évoluer cette protection fonctionnelle :
« 14. Dès lors, s’il serait loisible au législateur d’étendre la protection fonctionnelle bénéficiant aux élus municipaux à d’autres actes de la procédure pénale, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi. »
Nous souscrivons à une telle évolution rédactionnelle, car il n’y a pas objectivement de différence réelle qui justifierait une étendue différente de la protection fonctionnelle selon le maire agit ou non au nom de l’Etat. Une telle évolution textuelle devrait concerner l’ensemble des élus concernés afin que l’élu concerné soit assisté par un conseil dès sa mise en cause et en amont de toutes poursuites pénales, d’autant qu’une telle assistance permettrait notamment que soient apportés des éléments pertinents au stade de l’enquête policière sur les faits reprochés ou dénoncés.
Article impacté par cet article : article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales modifié par les articles 5, 7 et 10 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
3° Prise en charge du coût de la protection fonctionnelle.
L’article 10, résultant de la rédaction de l’Assemblée nationale, a trait à la prise en charge des restes à charge ou des dépassements d’honoraires au titre de la protection fonctionnelle.
Ainsi le nouvel neuvième alinéa de l’article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales dispose que la protection fonctionnelle implique notamment la prise en charge par la commune de tout ou partie du reste à charge ou des dépassements d’honoraires résultant des dépenses liées aux soins médicaux et à l’assistance psychologique engagées par les bénéficiaires de cette protection.
La protection fonctionnelle peut être étendue aux conjoints, enfants et ascendants directs des maires ou des élus municipaux les suppléant ou ayant reçu délégation lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages.
Elle peut être accordée, sur leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des maires ou des élus municipaux les suppléant ou ayant reçu délégation, décédés dans l’exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l’origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu’exerçait l’élu décédé.
La commune est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs de ces infractions la restitution des sommes versées à l’élu intéressé.
Elle dispose en outre aux mêmes fins d’une action directe qu’elle peut exercer, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale.
Il est à noter que la commune doit souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus concernés.
Il convient de relever que dans les communes de moins de 10 000 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’Etat.
Référence textuelle concernée : article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales modifié par les articles 5, 7 et 10 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
4° Protection assurantielle et BCT.
L’article 11, issu de la rédaction de la commission mixte paritaire, prévoit la faculté de saisine du bureau central de tarification pour les élus pour l’assurance des permanences électorales et des lieux accueillant des réunions électorales.
Il insère ainsi dans le code des assurances après le tire V un titre V bis intitulé « L’ASSURANCE DES RISQUES LIÉS À L’EXERCICE D’UN MANDAT ÉLECTIF ».
Le nouvel article L. 253-1 du code des assurances dispose ainsi que le titulaire d’un mandat électif ou la personne s’étant publiquement déclarée candidate à un tel mandat qui s’est vu refuser la souscription d’un contrat par au moins deux entreprises d’assurance couvrant en France les risques de dommages des biens meubles et immeubles tenant lieu de permanence électorale ou accueillant des réunions électorales peut saisir un bureau central de tarification prévu à l’article L. 212-1.
Il revient à ce bureau central de tarification doit fixer le montant de la prime en contrepartie de laquelle l’entreprise d’assurance intéressée est tenue de garantir le risque mentionné au premier alinéa du présent article. Il peut déterminer le montant d’une franchise qui reste à la charge de l’assuré.
Il précise que l’entreprise d’assurance qui maintient son refus de garantir le risque dont la prime a été fixée par le bureau central de tarification est réputée ne plus respecter la réglementation en vigueur et encourt, selon le cas, soit le retrait des agréments prévus aux articles L. 321-1, L. 321-7 et L. 329-1, soit les sanctions prévues à l’article L. 363-4 du code des assurances.
Un décret en Conseil d’État doit préciser les modalités d’application de cet article, notamment les critères permettant, en fonction de chaque scrutin, de définir les modalités de saisine du bureau central de tarification applicables aux candidats à un mandat électif public.
Les dispositions de l’article 11 entreront en vigueur à compter du 21 mars 2025.
Référence textuelle concernée : article L. 253-1 du code des assurances modifié par l’article 11 V de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
5° Protection fonctionnelle pour les candidats.
L’article 12 insère dans le code électoral après le chapitre V bis du titre Ier un chapitre V ter intitulé « Protection des candidats » avec six nouveaux articles.
Issu des travaux de la commission mixte paritaire, cet article procède ainsi à l’élargissement du bénéfice de la protection fonctionnelle de l’Etat aux candidats aux élections et au remboursement des frais de sécurisation engagés par les candidats.
Ce dispositif s’applique aux candidats ayant déclaré leur candidature au représentant de l’Etat
dans le département et ayant effectivement pris part au moins au premier tour de l’élection.
Chaque candidat bénéficie pendant les six mois précédant le premier tour de l’élection et jusqu’au tour de l’élection auquel il participe de la protection aux articles L. 134-1 à L. 134-12 du code général de la fonction publique, cette protection étant assurée par l’Etat.
S’agissant de la prise en charge des dépenses de sécurité, l’État peut rembourser certaines dépenses liées à la sécurité des candidats, notamment la surveillance des permanences électorales et la protection physique du candidat. Le nouvel article L. 52-18-2 du code électoral soumet cette prise en charge à deux conditions cumulatives : d’une part, lorsque de telles dépenses ne peuvent pas être prises en charge par un service public administratif vu leur caractère électoral et d’autre part, que la menace justifiant une mesure de protection envers le candidat soit avérée.
Les dépenses engagées par le candidat consistent sur ce point en d’une part, la fourniture de services ayant pour objet la surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles tenant lieu de permanence électorale ou accueillant des réunions électorales ainsi que la sécurité du candidat se trouvant dans ces immeubles ou dans les véhicules de transport public de personnes et d’autre part, la protection de l’intégrité du candidat.
Concernant la procédure de remboursement, les demandes doivent être soumises à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans un délai spécifique après le premier tour.
Un décret en Conseil d’État devra définir les critères de menace, les plafonds de remboursement et les modalités de transmission des informations pour l’application de cet article 12.
Ces dispositions entreront en vigueur à compter du 21 mars 2025.
Références textuelles concernées : articles L. 52-18-1, L. 52-18-2 et L. 52-18-3 du code électoral créés par l’article 12 V de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
III – SUR LE RENFORCEMENT DU RÔLE DES ACTEURS JUDICIAIRES ET ÉTATIQUES.
1° Procédure de dépaysement des affaires mettant en cause les élus municipaux.
L’article 11 prévoit le dépaysement dans la juridiction la plus proche des affaires dans lesquelles un maire ou un adjoint au maire est mis en cause comme auteur.
Il apporte ainsi une modification à l’article 43 du code de procédure pénale.
Lorsque le procureur de la République est saisi de faits mettant en cause, comme auteur dans l’exercice de son mandat, un maire ou un adjoint au maire, le procureur général peut, d’office, sur proposition du procureur de la République et à la demande de l’intéressé, transmettre la procédure au procureur de la République auprès du tribunal judiciaire le plus proche du ressort de la cour d’appel ou au procureur général près la cour d’appel la plus proche, afin que celui-ci la transmette au procureur de la République auprès du tribunal judiciaire le plus proche.
Cette juridiction devient alors territorialement compétente pour connaître l’affaire.
Il convient de préciser que cette décision du procureur général constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est susceptible d’aucun recours.
Ce dispositif de dépaysement présente des difficultés pour l’exercice des droits de la défense d’élus ultramarins poursuivis du fait que la juridiction la plus proche de leur tribunal judiciaire et de leur cour d’appel naturels se trouve en général dans une zone géographique séparée par l’océan et donc très éloignée et de plus accessible uniquement par la voie aérienne.
Article référent : article 43 du code de procédure pénale modifié par l’article 13 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
2° Renforcement des informations transmises aux maires.
L’article 14, résultant d’une rédaction consensuelle de la commission mixte paritaire, procède au renforcement de l’information du maire sur les suites judiciaires données aux infractions constatées sur son territoire.
Ainsi les deux et quatrième alinéas de l’article L. 132-3 du code de la sécurité intérieure ont été modifiés à cet effet.
Le maire est ainsi systématiquement informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions causant un trouble à l’ordre public commises sur le territoire de sa commune.
De même, il est systématiquement informé, dans un délai d’un mois, par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions signalées par lui en application du second alinéa de l’article 40 du même code.
Référence textuelle concernée : article L. 132-3 du code de la sécurité intérieure modifié par l’article 14 V de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
3° Protocole Etat – élus – transmission d’informations.
L’article 14 II, résultant de la rédaction de la commission mixte paritaire, prévoit que des
conventions prévoyant un protocole d’information des maires sur le traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre des élus peuvent être signées entre les associations représentatives des élus locaux, le représentant de l’Etat dans le département et le procureur de la République.
4° Communication du parquet au sein des supports de la collectivité locale.
L’article 15, résultant des travaux de la commission mixte paritaire, créé un espace de communication réservé au procureur de la République dans les bulletins municipaux et autres supports.
Ainsi, il insère après le premier alinéa dans l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales un alinéa aux termes duquel le procureur de la République du ressort de la cour d’appel compétent sur le territoire de la commune peut, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article et dans le respect de l’article 11 du code de procédure pénale, diffuser dans un espace réservé toute communication en lien avec les affaires de la commune.
Référence textuelle concernée : article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales modifié par l’article 15 de la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
5° Application de la loi en outre-mer.
L’article 17 prévoit une application de plein droit aux territoires ultramarins de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna et aux terres australes et antarctiques qui sont soumises au principe dit de « spécialité législative » selon lequel un texte législatif ne peut s’appliquer sur ces territoires que si la loi le prévoit expressément.
Pour les autres territoires ultramarins, les dispositions de cette loi sont applicables de droit, sauf dispositions contraires prises par le législateur.
6° Rapports prévus sur l’élargissement de la protection fonctionnelle et les violences faites aux élus.
La loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux a prévu l’obligation pour le gouvernement de remettre deux rapports importants dans le délai de trois mois suivant la promulgation de la loi, soit le 24 juin 2024.
Le premier rapport est prévu par l’article 18 dont la rédaction résulte des travaux de la commission mixte paritaire.
Il porte sur l’opportunité d’élargir la protection fonctionnelle d’une part, à tous les élus locaux, y compris à ceux qui n’exercent pas de fonctions exécutives et d’autre part, aux conjoints, aux enfants et aux ascendants directs des conseillers départementaux et régionaux lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, de violences, de voies de fait, d’injures, de diffamations ou d’outrages.
En effet, en l’état actuel, la protection fonctionnelle automatique est accordée principalement aux élus exerçant des fonctions exécutives (maires, adjoints, présidents et vice-présidents de conseils départementaux et régionaux).
Ce rapport vise à évaluer la possibilité d’étendre cette protection à l’ensemble des élus locaux, qu’ils aient ou non des responsabilités exécutives.
Le deuxième rapport est prévu par l’article 19 dont la rédaction est issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Il institue l’obligation pour le gouvernement de remettre au Parlement un rapport d’une part, recensant les actions menées pour lutter contre les violences faites aux élus et leurs résultats et d’autre part, dressant le bilan des suites données aux plaintes déposées par les élus auprès des services de police ou de gendarmerie pour les faits de violences dont ils sont victimes.
La dissolution prononcée de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024 par le président de la République et l’organisation d’élections législatives anticipées ont rendu impossible le respect des dates de remise des deux rapports précités.
Référence : AJU479542