Un nouveau système territorial ?
Abadie M., Auby J.-B. et Renaudie O. (dir.), Un nouveau système territorial ?, 2017, Paris, Berger-Levrault, 192 p., 29 €.
Ces dernières années, et tout particulièrement la décennie 2010, ont été marquées par de nombreuses évolutions affectant l’organisation territoriale et l’action publique locale. On pense bien sûr aux lois NOTRe et MAPTAM, qui ont affecté les compétences des collectivités, mais aussi à la réforme de la fiscalité locale de 2010, ou à la réduction sensible des concours de l’État. Tous ces changements, associés à un contexte économique difficile qui fragilise leurs ressources fiscales et accentue encore les attentes des habitants à leur égard, ont conduit à des interrogations, voire à des inquiétudes, au sein des collectivités territoriales.
Pour autant, cette impression de « chantier permanent »1, qui peut en effet générer des incompréhensions voire des craintes, notamment celle d’une forme paradoxale d’immobilisme masquée par une suractivité législative un peu creuse, est peut-être aussi le signe de quelque chose de plus positif, d’une transformation à l’œuvre vers un nouveau système territorial. Celle-ci s’ordonnerait autour de deux pivots, l’échelon régional et celui de l’intercommunalité et serait aussi à l’œuvre dans une forme de différenciation territoriale désormais assumée par le législateur. C’est en tout cas cette hypothèse que s’attachent à interroger les différents contributeurs de cet ouvrage stimulant, qui rassemble à la fois des juristes bien sûr, mais aussi des universitaires issus d’autres disciplines et des praticiens, tant il est vrai qu’un tel sujet nécessite une vision à la fois large et transversale.
La première série de contributions examine le nouveau découpage territorial, qui est sans conteste la facette la plus visible des transformations récentes du paysage local en France.
De ce point de vue, Romain Pasquier confirme bien une « poussée des dynamiques de métropolisation et de régionalisation, sous la conjugaison de processus de convergence communs à l’ensemble de l’Union européenne »2, notamment la réactivation du clivage centre-périphérie dans la nouvelle géographie économique en train de se dessiner. Il souligne cependant, à travers l’analyse de la situation en Bretagne, Île-de-France et Rhône-Alpes, que cette évolution est marquée, selon les régions, par de forts processus de différenciations, en fonction des ressources des différents acteurs, au premier chef des régions et des métropoles, pour imposer leur vision et leurs intérêts respectifs.
Sur le plan de l’efficacité économique, il semble, à suivre les conclusions d’Anne Épaulard, que le nouveau découpage régional soit un succès, si l’on veut bien abandonner l’espoir irréel de trouver le schéma idéal, impossible à déterminer compte tenu de la variété des critères et donc des combinaisons possibles. De manière plus modeste et sans doute plus réaliste, on peut constater que « dans le nouveau découpage territorial, les forces centrifuges sont plus rares que dans le précédent »3.
La question du découpage territorial est également inséparable de celle de l’aménagement du territoire et de la notion, plus récente, d’égalité des territoires, qui a notamment été conceptualisée dans un rapport à la ministre du logement et de l’égalité des territoires4 et qui s’est, entre autres, incarnée dans la création d’un commissariat général dédié5. De ce point de vue, comme le souligne Damien Augias, il faut rompre avec une conception uniforme et centralisée de l’aménagement du territoire autant qu’avec le mythe d’un âge d’or de celui-ci, pour tirer les conséquences des mutations territoriales et ainsi, tout particulièrement, concevoir cette politique d’aménagement et d’égalité des territoires « comme un ensemblier de dispositifs d’action publique épars, interdépendants et situés à tous les échelons du pouvoir »6. De ce point de vue, le nouveau découpage territorial offre de réelles opportunités, notamment en s’appuyant sur les métropoles pour organiser le territoire en réseau.
Et ce sont précisément les métropoles, ainsi que les communes nouvelles, qui font l’objet de la seconde partie de l’ouvrage.
Jean-François Brisson émet à ce propos une hypothèse originale : le développement des métropoles, associé à celui des communes nouvelles, pourrait marquer, à terme, l’épuisement du modèle intercommunal, qui n’aurait été qu’une étape vers la constitution d’entités plus intégrées et dotées d’une plus grande légitimité démocratique. Pour autant, ainsi qu’il l’affirme lui-même, « il ne s’agit sans doute que de projections pour un avenir lointain »7. Ce sont pour l’instant des transformations plus modestes qui sont à l’œuvre, comme un changement d’échelle démographique ou le découplage de l’organisation administrative et politique au sein du bloc communal.
Autre phénomène d’importance, que nous présentent Françoise Laprin et Paul Manon, la mutualisation des services dans les intercommunalités transforme également le système territorial, à la fois intrinsèquement, par les évolutions organisationnelles qu’elle entraîne, mais aussi parce qu’elle implique nécessairement un engagement politique, pour la porter et en particulier pour répondre aux craintes qu’elle peut susciter, chez les agents et chez les élus des communes petites ou périphériques, qui en redoutent souvent les conséquences.
Fanny Ruiz-Vuillaume clôt cette seconde partie par une étude intéressante car portant sur un objet à la fois circonscrit et révélateur : la réception du droit de préemption urbain par l’intercommunalité. Technique8, ce sujet n’en comporte pas moins des enjeux larges et transposables à de nombreuses autres questions, puisqu’il impose de réfléchir au moyen d’atténuer le sentiment de dépossession qu’il provoque au sein des communes.
La transformation du paysage territorial passe aussi par de nouveaux outils, objet de la troisième et dernière partie de l’ouvrage.
Ils ne sont d’ailleurs pas toujours sans défauts. Nadine Dantonel-Cor souligne ainsi, en ce qui concerne les schémas de la loi NOTRe, que « la question de leur utilité se pose »9. En effet, ils sont très nombreux, puisque la loi mentionne douze schémas, dont, de surcroît, la prescriptivité est variable et les procédures d’élaboration comme de modification et de révision combinent longueur et complexité. On peut noter au passage que ce processus conforte l’idée au cœur de l’ouvrage selon laquelle régions et métropoles sont au fondement du nouveau système territorial, car ce sont bien elles qui jouent un rôle prépondérant dans la mise en place de ces schémas.
Autres outils fondamentaux pour les collectivités, ceux concourant à leur autonomie financière font l’objet d’une transformation qui conduit, selon Michel Bouvier, à ce que, désormais, « l’autonomie financière (puisse) se définir comme une autonomie de gestion assortie d’une autonomie fiscale limitée »10.
Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que les collectivités se dotent d’outils pour s’adapter à un nouveau système financier. Éric Portal nous montre ainsi qu’elles les développent à la fois en interne, à travers à la fois des outils pluriannuels de gestion et la mise en œuvre d’une logique de performance et d’optimisation économique et financière11, mais aussi dans leurs rapports avec d’autres entités, notamment par la contractualisation avec d’autres acteurs publics.
Les collectivités auront d’autant plus à la fois un réel intérêt et la possibilité de se doter d’outils que la différenciation territoriale se développe, comme le souligne Cédric Hauuy. Il s’agit de permettre une meilleure adaptation aux spécificités locales, garante d’une réponse plus pertinente aux besoins des habitants.
Finalement, que retenir de ces multiples contributions, dressant un large panorama des mutations en cours au niveau local ? Certainement que les choses changent, que quelque chose de nouveau est en train de s’esquisser, un nouveau système que nous avons du mal à encore cerner totalement, notamment parce qu’il est plus complexe, moins uniforme que le traditionnel modèle français auquel nous sommes habitués. Mais c’est là certainement la conséquence logique d’une indispensable adaptation à un monde sans cesse plus mouvant. En définitive, comme l’exprime Jean-Pierre Balligand dans sa postface, « c’est un tout autre usinage de l’action publique territoriale qui se dessine ainsi ». Nul doute que les acteurs locaux sauront s’en emparer.
Notes de bas de pages
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1.
Estèbe P., « L’égalité des territoires, une passion française », 2015, Paris, PUF, La Ville en débat, p. 81.
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2.
Estèbe P., op cit., p. 23-24.
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3.
Estèbe P., op.cit, p. 50.
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4.
Laurent Éloi, « Vers l’égalité des territoires – Dynamiques, mesures, politiques », 2013 Paris, La Documentation française.
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5.
On pourra se reporter, pour quelques éclaircissements sur ses missions, au décret n° 2014-394 du 31 mars 2014 portant création du Commissariat général à l’égalité des territoires : JO n° 0078, 2 avril 2014, texte n° 6.
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6.
Estèbe P., op. cit., p. 59.
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7.
Estèbe P., op.cit., p. 66.
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8.
V. nota. sur le sujet : Soler-Couteau P., « Loi ALUR et PLU : la généralisation progressive de l’intercommunalité », RDI 2014, p. 314.
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9.
Soler-Couteau P., « Loi ALUR et PLU : la généralisation progressive de l’intercommunalité », préc., p 108.
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10.
Soler-Couteau P., préc., p. 128.
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11.
Sur ces notions souvent mal connues, v. par ex. : Lion B., « Quelle performance locale ? », RFFP févr. 2015, n° 129, p. 85.