L’urgence peut justifier la conclusion d’un contrat de concession de service public sans mise en concurrence

Publié le 26/04/2017

Le Conseil d’État, dans une décision du 14 février dernier, la société Sea Invest Bordeaux, pose comme principe qu’en cas d’urgence résultant, notamment, de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service public par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, cette dernière peut, pour un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service, conclure à titre provisoire un nouveau contrat de concession sans respecter des règles de publicité préalable et de mise en concurrence.

La durée de ce contrat ne saurait toutefois excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de services ou, dans le cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise directe en régie ou pour en redéfinir la consistance.

CE, 14 févr. 2017, no 405157, Sté Sea Invest Bordeaux

Une convention de terminal est conclue dans le cadre de l’article R. 5312-84 du Code des transports entre le Grand Port Maritime de Bordeaux (« GPMB ») et la Société de Manutention Portuaire d’Aquitaine (« SMPA »).

Cette convention confie à cette société le soin de réaliser les investissements nécessaires, d’assurer la pérennité de l’exploitation et de permettre le développement de l’activité conteneurs sur le site du Verdon. À cette fin, la société s’engage à investir sur le terminal, à construire et entretenir les équipements, bâtiments, outillages et terre-pleins nécessaires au maintien et au développement de l’activité portuaire, à assurer l’exploitation technique et commerciale du terminal en ayant la responsabilité des opérations de débarquement, d’embarquement, de manutention et de stockage des conteneurs et autres marchandises.

Cette exploitation donne lieu au versement au GPMB d’une redevance composée d’une part fixe et d’une part variable indexée sur le trafic réalisé.

En contrepartie, la société attributaire se voit mettre à disposition les terrains et ouvrages nécessaires et reconnaître le droit d’exploiter le terminal, le GPMB s’engageant à assurer l’entretien des infrastructures.

Alors même que l’article R. 5312-84 du Code des transports dispose que les conventions de terminal valent autorisation d’occuper le domaine public, la convention litigieuse est, compte tenu des engagements réciproques des parties, regardée comme un contrat administratif dont l’objet principal est l’exécution d’une prestation de services rémunérée par une contrepartie économique constituée d’un droit d’exploitation, et qui transfère au cocontractant le risque d’exploitation.

La convention revêt ainsi, pour ces motifs, le caractère d’une concession de services au sens de l’article 5 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

En dehors du fait que cette qualification a pour effet de faire figurer une telle convention au nombre des contrats visés à l’article L. 551-1 du Code de justice administrative (« CJA »), et relevant en tant que tel de la compétence du juge du référé contractuel, il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que la personne publique qui a vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat de concession, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, grâce à la signature d’un nouveau contrat de concession avec une entreprise tierce sans avoir à respecter les règles de publicité préalable et de mise en concurrence (II).

Néanmoins, le Conseil d’État précise aussitôt que la durée du contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de services ou, au cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance (III).

Aussi importante soit cette décision, les principes posés par le Conseil d’État ne sont, en vérité, pas nouveaux dans la mesure où le juge avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la validité de telles conventions ou de de tels contrats conclus sans publicité préalable et de ranger, à l’occasion, la sanction de « mise en régie » parmi les règles applicables de plein droit aux contrats administratifs (I).

I – La sanction de « mise en régie » comme règle générale applicable aux contrats administratifs même en l’absence de clause contractuelle prévue en ce sens

La mise en régie consiste à exécuter tout ou partie du marché avec le matériel et le personnel du titulaire à ses frais et à ses risques. Elle n’est traditionnellement prévue que pour les marchés de travaux et les marchés publics de fournitures courantes et de services1 pour des prestations qui, par leur nature, ne peuvent souffrir d’aucun retard.

La mise en régie est, selon la jurisprudence, possible pour tous types de contrat dès lors que les pouvoirs coercitifs « sont inhérents à tout contrat passé pour l’exécution d’un service public »2.

Certes, si le contrat a prévu des sanctions pour certains manquements, « on ne saurait y substituer une sanction autre que celles dont les parties sont convenues » comme l’affirmait Romieu dans l’affaire Deplanque3. Mais si ces sanctions sont inadaptées, a fortiori si elles ne sont pas prévues par les parties dans le contrat, d’autres mesures peuvent être prises ou, doivent pouvoir être prises, pour assurer l’exécution du contrat.

La sanction de mise en régie n’a pas pour effet de mettre fin aux relations contractuelles4.

Des décisions de justice fournissent régulièrement l’occasion de rappeler tout l’intérêt d’une mise en régie du prestataire défaillant5.

Il apparaît à la lecture de la jurisprudence antérieure que la mise en régie doit toujours respecter un certain formalisme. Ainsi, la décision de mise en régie du marché doit être précédée d’une mise en demeure adressée au titulaire du marché par laquelle l’Administration lui enjoint d’exécuter le contrat dans un délai déterminé, et ce même si aucune clause ne le prévoit6.

La décision commentée précise bien que c’est seulement dans l’hypothèse où la personne publique a vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat que les règles générales applicables aux contrats administratifs lui permettent de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, notamment par une entreprise tierce.

De même, et nonobstant l’absence de précision en ce sens, la mise en demeure préalable doit faire état des manquements précis de l’entrepreneur et de la sanction encourue7 et fixer un délai au cocontractant pour qu’il se conforme à ses obligations ; le délai devant être raisonnable8.

Il va également de soi que la décision de « mise en régie » aux frais et risques du cocontractant doit obligatoirement être signée par la personne publique compétente pour conclure la nouvelle convention ou le nouveau marché9.

Quoi qu’il en soit, le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de préciser, de manière extrêmement claire et détaillée, dans une décision du 9 novembre 2016, Société Fosmax, que la sanction de « mise en régie » constitue, pour la personne publique, en l’occurrence le maître d’ouvrage de travaux publics, une faculté existant même dans le silence du contrat10 : « qu’il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que le maître d’ouvrage de travaux publics qui a vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce ou par lui-même ; que la mise en régie, destinée à surmonter l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu’ils entravent l’exécution d’un marché de travaux publics, peut être prononcée même en l’absence de toute stipulation du contrat le prévoyant expressément, en raison de l’intérêt général qui s’attache à l’achèvement d’un ouvrage public ; que la mise en œuvre de cette mesure coercitive, qui revêt un caractère provisoire, qui peut porter sur une partie seulement des prestations objet du contrat et qui n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel existant entre le maître d’ouvrage et son cocontractant, ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat par le maître d’ouvrage ; que la règle selon laquelle, même dans le silence du contrat, le maître d’ouvrage peut toujours faire procéder aux travaux publics objet du contrat aux frais et risques de son cocontractant revêt le caractère d’une règle d’ordre public ; que, par suite, les personnes publiques ne peuvent légalement y renoncer ».

Dans la décision en date du 14 février dernier, le Conseil d’État transpose la solution précitée aux contrats de concession alors même qu’il existait une disposition contractuelle (l’article 18 de la convention de concession originelle conclue le 19 décembre 2014 avec la société Europorte) qui permettait de conclure la convention « transitoire » déférée à la censure du juge.

Ainsi, le Conseil d’État consacre le principe selon lequel en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique, qui a vainement mis en demeure le titulaire d’une concession de service public d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci aux frais et risques de son cocontractant notamment, par une entreprise tierce.

Si cette mesure coercitive se justifiait, pour les marchés de travaux publics dans la décision Société Fosmax en raison de l’intérêt général qui s’attache à l’achèvement d’un ouvrage public, dans la décision commentée Société Sea Invest Bordeaux, une telle mesure se justifie toujours en raison de l’intérêt général qui, cette fois, ne s’attache non pas à la construction de l’ouvrage, mais à la continuité même du service public objet du contrat.

Aussi, la « mise en régie », à l’instar de la modification unilatérale11 et de la résiliation unilatérale du contrat12 par la personne publique pour motif d’intérêt général ou, résiliation pour faute d’une gravité suffisante13, est « une règle générale applicable aux contrats administratifs » c’est-à-dire, qu’elle existe de plein droit même en l’absence de clause contractuelle prévue en ce sens dans le contrat de marché public ou de concession de service.

II – Une sanction ouverte de plein droit en cas de situation urgente indépendante de la volonté de la personne publique et résultant de l’impossibilité pour elle de poursuivre l’exécution du contrat

Ouverte de plein droit la sanction de « mise en régie » n’en reste pas moins soumise à des conditions préalables, strictes.

Il doit exister une situation d’urgence résultant de l’impossibilité pour la personne publique de poursuivre l’exécution du service.

Cette situation, outre qu’elle doit être indépendante de la volonté de la personne publique, doit rendre impossible l’exécution du service public même en régie c’est-à-dire, directement par la personne publique.

La notion « d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ou n’étant pas de son fait » n’est pas une notion nouvelle en droit des contrats.

En effet, l’article 35-II-1° du Code des marchés publics (« CMP ») tel qu’il était en vigueur avant son abrogation par l’ordonnance n° 2015-899 relative aux marchés publics, autorisait le recours aux marchés publics négociés sans publicité préalable ni mise en concurrence pour cause « d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur et n’étant pas de son fait ».

L’ancien Code des marchés publics prenait en compte les circonstances exceptionnelles auxquelles les acheteurs pouvaient être confrontés.

Aussi, était distinguée l’urgence simple, qui permettait de réduire les délais de consultation et l’urgence impérieuse, qui permettait de recourir au marché négocié sans publicité préalable et mise en concurrence.

Le 1° du II de l’article 35 du CMP définissait l’urgence impérieuse comme résultant de « circonstances imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur et n’étant pas de son fait, et dont les conditions de passation ne sont pas compatibles avec les délais exigés par les procédures d’appel d’offres ou de marchés négociés avec publicité et mise en concurrence préalable ».

À l’instar de l’ancien Code des marchés publics, une négociation sans publicité ni mise en concurrence préalables peut être mise en œuvre dans les hypothèses limitativement énumérées à l’article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics14. Or, parmi ces hypothèses, figure « l’urgence impérieuse ».

La jurisprudence identifie traditionnellement trois conditions cumulatives à l’urgence impérieuse : elle nécessite l’existence d’un événement imprévisible ; d’une urgence incompatible avec les délais exigés par d’autres procédures et ; d’un lien de causalité entre l’événement imprévisible et l’urgence qui en résulte15. Chacun de ces critères semble être préservé par la dernière grande réforme des marchés publics.

S’agissant des concessions, il convient de remarquer, et souligner, qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit de dérogation au principe d’une publicité et d’une mise en concurrence préalable à la passation d’une délégation de service public (« DSP ») même en cas d’urgence.

Dans l’ancien régime applicable aux DSP, c’est-à-dire celui applicable avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et du décret n° 2016-86 relatifs aux contrats de concession, seule était envisagée (à l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales, « CGCT », aujourd’hui abrogé) la possibilité de prolonger la convention existante d’une durée d’un an pour un motif d’intérêt général afin de permettre la passation du contrat suivant.

C’est donc de manière remarquée et remarquable que, dans une décision rendue le 4 avril 201616, le Conseil d’État ouvrira une brèche en admettant la possibilité pour une personne publique d’attribuer un contrat de DSP transitoire conclu de gré à gré, sans formalité de publicité et sans mise en concurrence, sous réserve de respecter des conditions strictes liées à l’urgence et à la durée d’une telle convention : « Considérant qu’aux termes de l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (…) Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’État. (…) ; que si l’article L. 1411-12 prévoit que les dispositions de l’article L. 1411-1 ne s’appliquent pas aux délégations inférieures à certains montants, il les soumet également à une publicité préalable ; que les articles R. 1411-1 et R. 1411-2 du même code, pris pour application des articles L. 1411-1 et L. 1411-12, qui fixent les modalités de cette publicité, ne sont assortis d’aucune dérogation ; que, toutefois, en cas d’urgence résultant de l’impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ».

Empreinte d’un pragmatisme certain justifié par des exigences liées au principe de continuité du service public17 spécifiques aux contrats de délégation, cette décision n’en reste pas moins très rigoureuse.

Ainsi en est-il particulièrement de la situation d’urgence résultant de « l’impossibilité soudaine » de la personne publique de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même.

Force est d’ailleurs de relever que dans la décision précitée le Conseil d’État a dénié à la situation qui lui était exposée par la personne publique pour justifier le non-respect des règles de mise en concurrence toute caractéristique d’urgence tirée d’une « impossibilité soudaine » de continuer à faire assurer le service (en l’occurrence une fourrière).

En effet, au terme d’une analyse des pièces versées au dossier, le juge déduit que le service public pouvait continuer d’être exécuté par la société dans le cadre de l’avenant de prolongation de la délégation qui avait été signé le 31 août 2015, avant d’être retirée par la personne publique aux motifs que cet avenant ne faisait l’objet d’observations de la part du préfet que pour deux de ses clauses.

Par conséquent, l’urgence ne peut et ne pouvait, dans de telles conditions, justifier la conclusion d’une nouvelle convention, même provisoire, sans publicité ni mise en concurrence puisque la continuité du service public pouvait très bien être assurée grâce au maintien de l’avenant de prolongation purgé des deux clauses litigieuses discutées par le préfet.

Quoi qu’il en soit, la décision commentée en date du 14 février dernier semble avoir apporté une atténuation à la brèche ouverte par le Conseil d’État en 2016 dans sa décision Communauté d’agglomérations du centre de la Martinique pour les contrats de concessions dans la mesure où la haute juridiction ne se réfère pas (plus) à la condition tenant au caractère soudain de l’impossibilité de continuer à faire assurer le service.

Dans la décision du 14 février dernier, le Conseil d’État considère même, au contraire, qu’il résulte de l’instruction du dossier que, d’une part, le GPMB a été placé dans une situation urgente du fait de la défaillance de son cocontractant et de l’échec de la médiation organisée par le ministre chargé des Transports empêchant de ce fait toute exploitation du terminal du Verdon et que, d’autre part, le GPMB a justifié d’un motif d’intérêt général tenant notamment à la continuité du service dès lors que le transit mis en place ne permettait pas d’accueillir tous les navires et d’honorer les contrats conclus avec des compagnies de transport maritime.

Et, dès lors que le GPMB n’est pas à même d’en assurer lui-même l’exécution, la convention de « mise en régie » conclue avec une entreprise tierce sans publicité préalable, aux frais et risques du cocontractant, après mise en demeure restée vaine, est légale.

Par conséquent, la requête en annulation de la convention fondée sur le premier alinéa de l’article L. 551-18 du CJA en vertu duquel le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, est rejetée car non fondée.

Ce rejet ne pouvait qu’être davantage justifié en ce que la convention de « mise en régie » passée entre le GPMB et la SMPA a été conclue qu’à titre provisoire.

III – La durée du nouveau contrat de concession de services ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation du service, ou, dans le cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance

Comme exposé plus haut, sous l’ancien régime applicable aux DSP issu de l’article L. 1411-2 du CGCT applicable avant la réforme, les autorités délégantes pouvaient prolonger les conventions de délégation de service public existantes d’une durée d’un an pour un motif d’intérêt général. Cette possibilité était souvent utilisée pour organiser la passation du contrat suivant.

Aussi, avant la décision commentée et la réforme de 2015 et 2016, le législateur était sensible à la durée des concessions conclues de manière « transitoire » entre deux procédures.

Nonobstant l’abrogation de l’article L. 1411-2 du CGCT par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, le juge, tout en ouvrant la brèche précitée, se montrera aussi soucieux d’encadrer dans le temps les conventions de concessions de service signées pour des motifs tirés de l’urgence impérieuse sans respect des procédures de publicité requises.

Plusieurs juridictions administratives du fond, saisies de la validité de conventions signées sans mesures de publicité préalable, avaient déjà admis cette possibilité en la limitant strictement dans le temps à ce qui est nécessaire pour résoudre la situation d’urgence rencontrée18.

En effet, il est bien question pour le juge d’une convention « transitoire » c’est-à-dire, conclue que pour le temps nécessaire à l’organisation d’une nouvelle procédure, sans possibilité de renouveler une telle convention.

Tel est le cas dans la décision Communauté d’agglomération du centre de la Martinique19 lorsque le Conseil d’État pose comme principe et limite à la conclusion de ces nouveaux contrats sans mise en concurrence que la durée « ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation du service, ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ».

Dans la décision commentée, le Conseil d’État précise de manière similaire que c’est pour pallier la défaillance de la société Europorte dans l’attente de la désignation d’un nouveau titulaire de la convention de terminal que la signature d’un tel contrat de concession est admis en méconnaissance des règles de publicité requises.

Ainsi, la convention doit prendre fin avec la désignation, par le GPMB, au plus tard dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la mise en régie, du nouveau titulaire de la convention de terminal à l’issue d’une nouvelle procédure de mise en concurrence mise en œuvre conformément aux dispositions de l’article R. 5312-84 du Code des transports.

De manière fondamentale, la convention de mise en régie, conclue par le GPMB, avait confié à la société cocontractante tierce, pour une durée maximale de dix-huit mois, l’intégralité des droits et obligations issus de la convention de terminal initial, toujours en vigueur.

Cette dernière condition liée à la durée de la convention conditionne par conséquent tout autant que l’urgence la légalité de la passation de contrat de concession de service sans mise en concurrence.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CCAG de fournitures courantes et de services, art. 32 ; CCAG travaux, art. 48.1, 48.2, 48.5 et 48.6.
  • 2.
    CE, 6 mai 1985, n° 44130, OPHLM d’Avignon c/ Guichgard M : RDP 1985, p. 1706.
  • 3.
    CE, 31 mai 1907 : Lebon, p. 513, concl. Romieu J. ; D. 1907, p. 3.81, concl. Romieu J. ; RD publ. 1907, p. 678, note Jèze G. ; S. 1907, p. 3.113, note Hauriou M.
  • 4.
    CE, 23 janv. 1981, n° 06760, Commune d’Aunay-sur-Odon.
  • 5.
    V. en ce sens par ex. CAA Bordeaux, 8 janv. 2013, n° 11BX01796.
  • 6.
    CE, 28 sept. 1984, n° 28467, Sté Strickbick.
  • 7.
    CE, 26 nov. 1993, n° 85161, SA du nouveau port de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
  • 8.
    Ainsi, est-il de 15 jours dans le CCAG-Travaux, art. 48.1.
  • 9.
    CE, 25 nov. 1994, nos 85341 et 85647, Société Mastelloto.
  • 10.
    CE, 9 nov. 2016, n° 388806, Sté Fosmax : Juris-Data nos 2016-023504 et 2016-388806.
  • 11.
    CE, 2 févr. 1983, n° 34027, Union des transports urbains et régionaux : Rec. p. 33. Á noter toutefois que toute modification d’un contrat de concession en cours d’exécution doit obéir aux nouvelles règles de modifications issues de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et du décret d’application n° 2016-86 du 1er février 2016.
  • 12.
    CE, ass., 2 mai 1958, nos 32401, 32402, 32507 et 32562, Distillerie de Magnac-Laval : Rec., p. 246.
  • 13.
    La résiliation est de plein droit lorsque le titulaire du contrat se trouve dans l’impossibilité absolue d’en poursuivre l’exécution.
  • 14.
    Le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession prévoit la possibilité de déroger aux règles de publicité et de mise en concurrence préalables dans les deux cas suivants :
  • 15.
    « 1° Le contrat de concession ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité.
  • 16.
    2° Lorsque aucune candidature ou aucune offre n’a été reçue ou lorsque seules des candidatures irrecevables au sens de l’article 23 ou des offres inappropriées au sens de l’article 25 ont été déposées, pour autant que les conditions initiales du contrat ne soient pas substantiellement modifiées et qu’un rapport soit communiqué à la Commission européenne si elle le demande ».
  • 17.
    CE, 8 févr. 1999, n° 150919, Préfet de la Seine-et-Marne – CJUE, 18 nov. 2004, n° C-126/03, Commission c/ Allemagne, pt. 23.
  • 18.
    CE, 4 avr. 2016, n° 396191, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique.
  • 19.
    Dans une décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a considéré que la continuité des services publics a le caractère d’un principe à valeur constitutionnelle : Cons. const., 25 juill. 1979, n° 79-105 DC, quant au Conseil d’État, il l’a qualifié de « principe fondamental » : CE, 13 juin 1980, n° 17995, Mme Bonjean, publié au Recueil Lebon.
  • 20.
    V. en ce sens CAA Marseille, 21 juin 2007, n° 05MA00197, Commune de Sanary-sur-Mer – TA Nice 10 nov. 2006, n° 0505756, Comité Intercommunal de défense des usagers de l’eau c/ Communauté d’agglomération de Fréjus Saint-Raphaël – ou encore CE, 4 avr. 2016, n° 396191, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique.
  • 21.
    CE, 4 avr. 2016, n° 396191, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique.
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