Activité de l’Autorité de la concurrence en 2018

Publié le 02/08/2019

L’activité déployée par l’Autorité de la concurrence en 2018 est, comme les années antérieures, particulièrement riche d’informations. Le présent article s’en tiendra, pour l’essentiel, aux éléments qui présentent une importance particulière en termes juridiques ou économiques. Ils figurent en particulier dans les nombreux avis et décisions rendus par l’Autorité tout au long de l’année et concernent des secteurs d’activité très variés.

Conformément à l’article L. 461-5 du Code de commerce, qui dispose que l’Autorité de la concurrence (ancien Conseil de la concurrence) établit chaque année un rapport public rendant compte de son activité qu’elle adresse au gouvernement et au Parlement et qui comporte en annexe, aux termes de l’article R. 462-4, les décisions prévues à l’article L. 464-8 du même code, le rapport d’activité de l’institution pour 2018 a été publié le 9 juillet dernier. On en retiendra surtout les développements qui présentent une importance particulière en termes juridiques ou économiques.

I – Actualité législative

Le législateur a renforcé les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence en modifiant les dispositions de l’article L. 462-10 du Code de commerce. Ce texte était initialement issu de l’article 37 de la loi Macron du 6 août 2015 qui a mis à la charge des centrales de référencement ou d’achat d’entreprises de commerce de détail une obligation de communiquer tout accord « visant à négocier de manière groupée l’achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs »1. L’article 19 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 20182, dite loi Egalim, l’a modifié en donnant à l’Autorité le pouvoir d’établir un bilan concurrentiel de la mise en œuvre de l’accord. Si des atteintes à la concurrence sont identifiées, les parties s’engagent à prendre des mesures pour y remédier et l’Autorité est habilitée à prendre des mesures conservatoires dès lors que l’une de ces atteintes à la concurrence présente un caractère suffisant de gravité.

II – Activité consultative

L’année 2018, comme les précédentes, a été marquée par une abondante activité consultative. Les avis relatifs à l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet, au secteur agricole et au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions ont plus particulièrement retenu l’attention.

A – Enquête sectorielle sur la publicité en ligne

L’Autorité a rendu publics, dans un avis du 6 mars 2018, les résultats d’une vaste enquête sectorielle sur la publicité en ligne. Elle y a décrit les lignes de forces et les mécanismes de fonctionnement de ce secteur.

Son étude a porté essentiellement sur la publicité dite « display » c’est-à-dire les pavés, bannières, habillages qui sont intégrés au contenu d’un site pour être vus des internautes. Son champ d’investigation s’est donc distingué de la publicité liée aux recherches dite « search1 » qu’elle a étudiée en 2010.

Dans le cadre de l’instruction de l’avis, de nombreux acteurs du marché ont mis en avant des comportements dont ils estiment qu’ils perturbent le jeu de la concurrence. Ceci justifiera une attention soutenue de la part de l’Autorité, y compris pour se saisir d’office le cas échéant pour examiner d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles si elle devait estimer que les éléments pour ce faire sont suffisants. Les situations et pratiques ainsi décrites comprennent notamment (i) des stratégies de couplages ou de ventes liées, de prix bas et d’exclusivité (association de plusieurs services d’intermédiation, association de services d’intermédiation et de fourniture de données de ciblage, association entre un service d’intermédiation et l’accès exclusif à l’inventaire d’un site ; (ii) des effets de levier (certains acteurs ont pointé l’utilisation par effet de levier de positions prépondérantes sur certains marchés de services pour se développer sur d’autres marchés. Les comportements dénoncés concernent les secteurs de l’audit média et des agences média, mais aussi la fourniture de services publicitaires et de services d’exploitation de données aux annonceurs ; (iii) des pratiques discriminatoires (certains éditeurs et intermédiaires considèrent qu’ils subissent des différences de traitement de la part d’acteurs qu’ils estiment dominants dans le secteur de l’intermédiation publicitaire. Ces comportements concernent d’une part, la possibilité de monétiser certains types de contenus, et d’autre part les conditions d’accès des DSP (Demand Side Platforms) aux places de marché et à certains inventaires ; (iv) des freins à l’interopérabilité (plusieurs acteurs ont relevé le développement de freins à l’interopérabilité dans le secteur de l’intermédiation publicitaire, qui pourraient affecter les conditions d’interconnexion de certains intermédiaires avec d’autres dans le cadre des enchères en temps réel et de la mise en œuvre des campagnes de leurs clients annonceurs) ; (v) des restrictions sur les possibilités de collecter et d’accéder à certaines données (pts 248 et s.).

Soulignant par ailleurs la nécessité de développer un cadre législatif qui permette aux éditeurs et aux annonceurs de bénéficier d’un niveau de transparence élevé dans leurs relations avec les intermédiaires publicitaires et les plates-formes de distribution de contenus, et qui garantisse l’absence d’asymétries en matière de transparence et d’exploitation de données des individus, l’Autorité a formulé des observations concernant, d’une part, la mise en œuvre du décret d’application de la loi dite Sapin dans le secteur de la publicité sur internet, qui est entré en vigueur au mois de janvier 2018, et, d’autre part, le projet de règlement européen sur la protection de la vie privée. Selon elle, ces deux ensembles de règles pourraient avoir des effets significatifs dans l’animation de la concurrence et sur les relations commerciales entre les différents acteurs du secteur (pts 263 et s.)3.

B – Secteur agricole

L’Autorité qui, à la suite des États généraux de l’Alimentation, tenus durant le deuxième semestre de l’année 2017, a été saisie, par le ministre de l’Économie et des Finances, d’une demande d’avis concernant l’application des règles de concurrence au secteur agricole, a commencé, dans le présent avis, par décrire le contexte de la consultation en soulignant que l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 14 novembre 2017 dans l’affaire Endives et les modifications, par le règlement dit Omnibus du 13 décembre 2017, du règlement portant organisation commune des marchés (OCM) du 17 décembre 2013 ont précisé les possibilités de pratiques horizontales entre producteurs au sein des organisations de producteurs et des associations d’organisations de producteurs tout en soulignant que si la régulation économique du secteur agricole est spécifique en ce que le TFUE prévoit expressément une limitation de l’application des règles de concurrence à ce secteur (pt 14), celui-ci ne peut être perçu comme un espace sans concurrence. De fait, dès 1962, le législateur européen a affirmé l’application des règles de concurrence au secteur agricole, sous réserve de certaines dérogations (pt 15).

Pour le ministre de l’Économie et des Finances, l’avis de l’Autorité permettra à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d’établir des « lignes directrices pédagogiques visant à sécuriser les actions des filières concernées sous l’angle du droit de la concurrence » (pt 4). Il a également servi de référence aux acteurs du secteur pour l’application de leurs « plans de filière », ainsi que lors de l’examen par le Parlement du projet de loi sur l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole.

La saisine de l’Autorité comportait une série de dix-huit questions s’articulant autour de quatre grands axes.

1 – Les possibilités de pratiques horizontales entre producteurs au sein des organisations de producteurs (OP) et des associations d’organisations de producteurs (AOP)

L’Autorité répond aux questions qui lui ont été posées en rappelant que le législateur européen a toujours encouragé le regroupement des producteurs au sein d’OP et de fait, la constitution d’OP a créé un instrument efficace pour renforcer l’échelon amont face aux déséquilibres des marchés agricoles liés à leur structure : une offre atomisée et une demande concentrée. Les OP assurent, par ailleurs, une sécurisation des débouchés, laquelle est importante pour certains producteurs qui, en raison du caractère périssable de leur production, ne peuvent la stocker en cas de variations des cours. C’est notamment le cas pour les filières les plus soumises à une forte volatilité des prix, comme celles du lait, des fruits et légumes ou de la viande.

Participant de cette dynamique favorable au regroupement en OP, l’arrêt Endives et le règlement Omnibus du 13 décembre 2017 ont contribué à sécuriser et élargir le champ d’action des OP et AOP.

Dans l’arrêt Endives, la Cour de justice a précisé le cadre juridique applicable aux pratiques des OP et des AOP reconnues. Ainsi, la Cour a jugé que les pratiques mises en œuvre au sein même d’OP ou d’AOP formellement reconnues par les États membres peuvent échapper à l’interdiction des ententes si elles s’inscrivent effectivement et strictement dans la poursuite des objectifs assignés à l’OP ou à l’AOP concernée, par le règlement OCM. En revanche, des pratiques de fixation collective de prix minima de vente, de concertation sur les quantités mises en marché ou d’échanges d’informations stratégiques qui auraient lieu entre OP et AOP, sont susceptibles d’être prohibées au titre de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE.

Par la suite, le règlement Omnibus a introduit une nouvelle dérogation à l’application de l’article 101, paragraphe 1, en ce qu’il s’étend à tous les secteurs agricoles et assouplit les dérogations précédemment en vigueur dans les secteurs du lait, de l’huile d’olive, de la viande bovine et des grandes cultures. Dans le cadre de leur activité de planification de la production, d’optimisation des coûts de production, de mise sur le marché et de négociations de contrats, les OP et AOP peuvent ainsi bénéficier d’une dérogation à l’interdiction des ententes. La poursuite des activités couvertes par la dérogation ne doit cependant pas conduire à exclure la concurrence ou menacer les objectifs de la PAC, ce qui pourrait conduire l’Autorité ou la Commission européenne à retirer le bénéfice de la dérogation pour l’avenir. Pour l’Autorité, la clarification du cadre juridique opérée par la CJUE et la nouvelle dérogation apportée par le règlement Omnibus devraient permettre de sécuriser juridiquement les activités des OP et des AOP reconnues, et d’aboutir in fine à un renforcement du mouvement de concentration de l’offre, à travers la création de nouvelles OP – dans des secteurs où elles sont encore peu présentes – ou d’AOP – qui restent à ce jour encore peu développées.

2 – Les possibilités d’action des organisations interprofessionnelles (OI)

L’Autorité observe que dans leur mission d’amélioration de la transparence du marché, les OI reconnues peuvent diffuser des indicateurs et des indices, soit émanant d’organismes publics, soit élaborés par elles, à condition que soient utilisées des données passées, agrégées, et si leur construction garantit l’anonymat des données et des entreprises. Les OI peuvent également se saisir du nouvel objectif qui leur a été attribué par le règlement Omnibus, consistant à diffuser des clauses types de répartition de la valeur, combinant un ou plusieurs indicateurs ou indices, sous réserve de respecter les préconisations de l’Autorité émises dans le cadre du présent avis. Si elles souhaitent sécuriser juridiquement les indicateurs, indices et clauses types qu’elles diffusent, les OI peuvent en tout état de cause les notifier à la Commission européenne sur le fondement de l’article 210 du règlement OCM (pt 235).

En revanche, si les OI sont libres de réaliser des analyses économiques prospectives et des études de marché, elles ne peuvent mettre en place des mesures de régulation des volumes ou d’encadrement des promotions, ou une quelconque forme de prix recommandés ou imposés (pt 236).

3 – Les modalités d’application du droit de la concurrence aux démarches dites « tripartites » associant producteurs, industriels et distributeurs

L’Autorité considère que les contrats conclus dans le cadre de démarches « tripartites » ne sont pas susceptibles de soulever a priori de préoccupations de concurrence dès lors qu’ils respectent les conditions posées par le règlement n° 330/2010, c’est-à-dire que les parties ne dépassent pas le seuil de 30 % de parts de marché, qu’ils produisent des gains d’efficience identifiables, qu’ils ne contiennent pas de restrictions caractérisées et qu’il n’y a pas d’effet cumulatif sur les marchés concernés.

4 – Les modalités d’application du droit de la concurrence aux pratiques et accords relatifs aux démarches de qualité

S’agissant des pratiques visant à offrir une production haut de gamme, l’Autorité recommande aux acteurs du secteur agricole de se fonder sur les dispositions d’exemption propres au secteur agricole.

À cet égard, elle observe que le règlement OCM permet aux États membres, à la demande de producteurs, de leurs associations, ou des OI, d’adopter des règles contraignantes pour la régulation de l’offre pour les fromages et le jambon bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographiquement protégée. Les États membres peuvent également définir des règles de régulation de l’offre dans le secteur vitivinicole. Ces dérogations spécifiques aux règles de concurrence fondées sur des considérations en matière de qualité sont exclusivement liées à la gestion des volumes et ne peuvent porter sur les prix4.

C – Relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions

Quelques jours après la publication de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires, l’Autorité a rendu public un avis réservé sur le projet dont elle avait été saisie par le ministre de l’Économie.

Ce projet d’ordonnance, qui a été pris en application de l’habilitation prévue à l’article 15 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi Egalim), prévoit principalement l’entrée en vigueur du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état aux consommateurs, d’une part, et l’encadrement des promotions en valeur (34 %) et en volume (25 %) pour les mêmes produits alimentaires, d’autre part.

Selon l’Autorité, alors que le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions sont censés remédier à des préoccupations ciblées, spécifiquement issues du faible pouvoir de négociation de certains producteurs face à la grande distribution ou à certains transformateurs, ces deux dispositifs, d’une part, introduisent des mécanismes de portée bien plus étendue, et d’autre part, reposent sur une élévation des marges de la grande distribution au détriment des consommateurs finaux plutôt que sur une modification de la relation entre producteurs et distributeurs. Ainsi, précise l’Autorité, « même s’ils n’impactent directement que les produits revendus en l’état avec une marge triple net inférieure à 10 % et les produits faisant l’objet de fortes promotions, les hausses des prix aux consommateurs engendrées par les deux dispositifs peuvent être d’ampleur importante et avoir potentiellement des effets antiredistributifs, alors que l’effet positif attendu vis-à-vis des producteurs les moins armés face à la grande distribution ne sera qu’indirect et donc très incertain ».

L’Autorité émet même un avis défavorable s’agissant de l’encadrement des promotions en volumes en raison des incertitudes significatives qui entourent l’application du texte.

Enfin, dans la mesure où l’objectif du gouvernement vise à rééquilibrer les relations commerciales, l’Autorité suggère que soit recherchée une meilleure mise en œuvre du dispositif sanctionnant les pratiques commerciales restrictives, et notamment celui prévu à l’article L. 442-6 du Code de commerce. Comme l’avait souligné l’Autorité dans son avis n° 15-A-06, plusieurs des caractéristiques de cet article peuvent permettre une sanction dissuasive des comportements délictuels. Le rééquilibrage souhaité peut aussi découler de l’application de plusieurs autres dispositions de la loi Egalim, notamment celles portant sur la contractualisation5.

III – Ententes anticoncurrentielles

A – Élaboration et diffusion de consignes tarifaires par un syndicat professionnel dans le secteur agricole

Quelques semaines après avoir défini les modalités d’application du droit de la concurrence au secteur agricole6, l’Autorité a condamné le syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône (SGVRCR) pour avoir participé à une entente anticoncurrentielle. Pour chaque campagne viticole de 2010 à 2017, les membres du syndicat ont, lors des réunions de ses instances dirigeantes, élaboré des grilles de prix minimum relatifs aux vins en vrac AOC des Côtes du Rhône. La diffusion de ces grilles assurée par le magazine « Le Vigneron », l’organisation de réunions de « secteurs » et l’envoi de newsletters aux adhérents ont été systématiquement assortis d’un discours incitant les vignerons à se référer à ces grilles lors des négociations commerciales.

L’Autorité est entrée en voie de condamnation après avoir écarté les arguments du syndicat visant à justifier la pratique qui lui était reprochée.

Ainsi, en premier lieu, répondant à un argument tiré du contexte de crise que traverse le secteur, l’Autorité a rappelé la jurisprudence de l’Union selon laquelle « il ne ressort, (…) ni des termes (…) du traité, ni de la jurisprudence (…), que l’existence d’une crise sur le marché serait de nature à enlever à des ententes sur les prix leur caractère anticoncurrentiel ». Conformément à ce principe, les recommandations tarifaires adoptées dans le cadre de filières en crise sont régulièrement sanctionnées par l’Autorité (pt 116).

En deuxième lieu, aucune des exceptions aux règles de concurrence concernant le secteur agricole n’est applicable en l’espèce. Tout d’abord, si les articles 209 et 210 du règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (règlement OCM) prévoient des exceptions expresses à l’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE concernant les accords, décisions et pratiques des agriculteurs, de leurs associations ainsi que des organisations interprofessionnelles, celles-ci ne visent pas ceux qui « comportent une obligation de pratiquer un prix déterminé ou en vertu desquels la concurrence est exclue » (pt 119).

En outre, la dérogation, introduite par le règlement européen omnibus7 à l’article 152 1 bis du règlement OCM, ne trouverait pas à s’appliquer dans la présente affaire. En effet, cet article permet aux seules organisations de producteurs (OP) ou aux associations d’organisations de producteurs (AOP) reconnues, concentrant l’offre de leurs membres et mettant sur le marché leur production, de négocier des conditions contractuelles communes à l’ensemble de la production de leurs membres. Or, au cas d’espèce, la pratique sanctionnée a été mise en œuvre par un syndicat de producteurs qui n’a pas la nature d’une OP ni d’une AOP, et ne dispose donc pas des mêmes prérogatives que ces organismes (pt 120).

Enfin, toute référence aux prérogatives reconnues par les règlements précités aux organisations interprofessionnelles (OI) est sans pertinence au vu des circonstances de l’espèce. En effet, comme l’a indiqué l’avis précité n° 18-A-04 du 3 mai 2018, « les OI reconnues peuvent diffuser des indicateurs et des indices, soit émanant d’organismes publics, soit élaborés par elles, à condition que soient utilisées des données passées, agrégées, et si leur construction garantit l’anonymat des données et des entreprises. Les OI peuvent également se saisir du nouvel objectif qui leur a été attribué par le règlement Omnibus consistant à diffuser des clauses types de répartition de la valeur, combinant un ou plusieurs indicateurs ou indices, sous réserve de respecter les préconisations de l’Autorité émises dans le cadre du présent avis ». L’avis a précisé en outre que si les OI sont « libres de réaliser des analyses économiques prospectives et des études de marché, elles ne peuvent mettre en place des mesures de régulation des volumes ou d’encadrement des promotions ou une quelconque forme de prix recommandés ou imposés ». Dès lors, le syndicat ne pouvait légitimement s’appuyer sur les études réalisées par l’interprofession en 2007 et 2013 afin d’établir des recommandations de prix minimum destinées aux producteurs (pt 122)8.

B – Interdiction de facto de la vente de produits à partir des sites internet des distributeurs agréés

L’Autorité a enrichi sa pratique décisionnelle en matière de distribution sélective en condamnant le groupe Stihl (l’Autorité a prononcé une sanction pécuniaire de sept millions d’euros ainsi que quatre injonctions à l’encontre de l’entreprise, dont la principale porte sur la modification de ses contrats de distribution sélective afin de supprimer l’obligation de « mise en main » pour les ventes en ligne) pour avoir mis en œuvre, dans le cadre de son réseau de distribution sélective de matériel de motoculture, une entente illicite contraire aux articles L. 420-1 du Code de commerce et à l’article 101 du TFUE, consistant à interdire de facto la vente des produits Stihl et Viking à partir des sites internet des distributeurs.

Elle n’a pas remis en cause le principe du recours à la distribution sélective pour des produits qui, comme ceux concernés en l’espèce, revêtent un certain degré de dangerosité et requièrent, de ce fait, la mise en place de services d’assistance et de conseil afin d’en préserver la qualité, d’en assurer le bon usage et de garantir la sécurité des utilisateurs.

En revanche, elle a estimé qu’en exigeant une « mise en main » entre l’acheteur en ligne et le distributeur à l’origine de la vente impliquant un retrait du produit dans le magasin du revendeur ou une livraison par ce dernier en personne au domicile de l’acheteur, Stihl avait de facto interdit la vente de ses produits à partir des sites internet de ses distributeurs. L’Autorité a précisé à cet égard que l’obligation de « mise en main », qui conduit à proscrire toute livraison par des tiers, supprime de facto les avantages essentiels de la vente sur internet et revient, toujours de facto, à interdire cette modalité de vente (pt 166).

Par ailleurs, aucune disposition nationale fondée sur un objectif de sécurité du consommateur ne subordonne la commercialisation des produits en cause au fait de procéder à une « mise en main » lors d’un contact direct entre le distributeur revendeur et l’utilisateur (pt 192). En outre, l’interdiction de la vente à partir des sites internet des distributeurs, qui n’est pas appliquée par les concurrents de Stihl ou par nombre de grandes surfaces de bricolage, allait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la santé du consommateur et constituait, de ce fait, une restriction de concurrence.

L’Autorité a, en outre, rappelé qu’une restriction qui, comme celle concernée en l’espèce, réduisait la possibilité des distributeurs de vendre des produits hors de leur zone de chalandise physique et limitait le choix des clients désireux d’acheter sans se déplacer, revêtait un degré particulier de nocivité pour la concurrence et constituait, par conséquent, une restriction anticoncurrentielle par objet.

Enfin, l’Autorité a refusé à l’entreprise le bénéfice d’une exemption. En effet l’interdiction, d’une part, ne pouvait bénéficier du règlement d’exemption par catégorie n° 330/2010 du 20 avril 2010 applicable aux restrictions verticales, dans la mesure où elle s’apparentait à une restriction caractérisée des ventes passives (pt 249).

D’autre part, l’interdiction ne remplissait pas les conditions requises pour l’octroi d’une exemption individuelle. En effet, la condition relative aux gains d’efficacité engendrés par la restriction et à son caractère indispensable n’était pas remplie (pt 265).

Stihl avait fait valoir que l’interdiction de la vente à distance serait justifiée par le fait que seule une mise en main lors d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur permettrait, compte tenu de la supériorité incontestable de la communication verbale en termes de compréhension, de s’assurer que ce dernier a reçu et assimilé tous les conseils personnalisés et adaptés et les informations requises pour pouvoir utiliser la machine sans mettre en péril sa sécurité (pt 254).

Il a été rétorqué que, certes, le conseil personnalisé au moment de l’achat permet en principe de s’assurer que la machine que l’utilisateur souhaite acheter est adaptée à sa condition physique (poids, volume, niveau de vibration). Toutefois, les caractéristiques de la machine peuvent figurer en ligne, de sorte que l’utilisateur peut savoir si la machine risque d’être trop lourde ou trop encombrante. Si le conseil du revendeur peut être utile, il n’est pas absolument nécessaire (pt 258).

Par ailleurs, le revendeur peut, certes, effectuer une démonstration du fonctionnement de la machine et donner des consignes de sécurité et d’utilisation. Toutefois, ces consignes sont les mêmes que celles qui figurent dans la notice d’instructions qui accompagne nécessairement la machine. En conséquence, le seul avantage présenté par l’obligation posée par Stihl est l’assurance que l’acheteur entendra les consignes de sécurité (pt 260).

À l’inverse, la restriction de concurrence est particulièrement importante, dès lors qu’elle prive les consommateurs et les revendeurs de presque tous les avantages de la vente en ligne (pt 264).

Un deuxième grief, concernant cette fois l’interdiction de vente des mêmes produits sur les plates-formes en ligne tierces, a été notifié mais l’Autorité, étendant la récente jurisprudence Coty de la Cour de justice de l’Union européenne9, au-delà des produits de luxe, a décidé de ne pas le retenir. Elle a, en effet, considéré que cette pratique permet à Stihl, qui n’a aucun lien contractuel avec ces plates-formes, de s’assurer, de manière à la fois appropriée et proportionnée, que ses produits sont vendus dans des conditions qui préservent son image de marque et garantissent la sécurité du consommateur10.

IV – Abus de position dominante

A – Prix prédateurs dans le secteur des services de traversées maritimes de passagers (non-lieu)

On se souvient que, saisie après un deuxième renvoi, dans l’affaire des vedettes vendéennes, la cour d’appel de Paris avait annulé la décision n° 04-D-79 du 23 décembre 2004 par laquelle l’ancien Conseil de la concurrence avait conclu qu’il n’était pas établi que les pratiques tarifaires mises en œuvre par la régie départementale des passages d’eau de la Vendée pour ses prestations de traversées maritimes de passagers entre le continent et l’Île d’Yeu durant la période estivale avaient enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce.

Elle avait notamment reproché à la décision attaquée d’avoir effectué une inexacte évaluation du périmètre des coûts incrémentaux11.

Appelée à examiner à nouveau les pratiques en cause, l’Autorité a considéré que les prix pratiqués par la régie étaient supérieurs au coût incrémental moyen et étaient donc licites, car situés dans la « zone blanche » du test de coût.

Pour définir les coûts incrémentaux liés à l’activité concurrentielle, l’Autorité a considéré, au vu des éléments du dossier et compte tenu des obligations imposées à la régie au titre de ses missions de service public, que les loyers de la flotte de navires ne constituaient pas des coûts incrémentaux à prendre en compte dans le cadre du test de coût, dans la mesure où ces coûts n’auraient pas pu être évités si la régie n’avait pas exercé d’activité concurrentielle pendant la période estivale. En tout état de cause, l’Autorité a relevé que, même dans l’hypothèse où ces loyers auraient dû être pris en compte pour déterminer le coût incrémental, les prix pratiqués se situaient également en « zone blanche ».

En conséquence, l’Autorité a considéré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure12.

B – Stratégie globale d’éviction dans le secteur de la maintenance informatique (non-lieu)

Saisie par la société Econocom qui reprochait aux constructeurs IBM, HP et Oracle d’avoir mis en œuvre une stratégie globale d’éviction dans le secteur de la maintenance informatique, en refusant l’accès aux mises à jour des microcodes nécessaire à la maintenance des matériels, ou en soumettant cet accès à des conditions tarifaires excessives et discriminatoires, l’Autorité a rendu une décision de non-lieu à poursuivre la procédure.

Après avoir considéré que, pour chaque type de serveur ou de solution de stockage, est associé un marché pertinent d’accès aux mises à jour des microcodes, sur lequel chaque constructeur est en monopole pour ses propres matériels, l’Autorité a examiné si cette position pouvait servir de levier aux constructeurs pour fausser la concurrence sur le marché aval de la maintenance du matériel informatique. À cet égard, elle a relevé qu’il existe trois principaux types de relations commerciales selon le moment où est conclu le contrat de maintenance.

Dans la première situation de marché, dans laquelle le client souscrit un contrat de maintenance pour le matériel qu’il vient d’acheter, l’Autorité distingue un marché primaire de l’achat de la machine et un marché secondaire de la première période de maintenance et applique la jurisprudence communautaire Pelikan/Kyocera de 1995 dont il ressort que toute position dominante sur le marché secondaire de la vente des consommables ou de services d’un opérateur actif sur le marché des biens primaires peut être exclue s’il est établi qu’il existe une concurrence suffisante sur le marché primaire de la vente des matériels et si les marchés primaire et secondaire sont étroitement liés aux yeux des clients au moment de leur décision d’achat (pt 95 et s.).

En l’espèce, les deux critères de cette jurisprudence étaient remplis. En effet, d’une part, il ressort des réponses des clients d’Econocom interrogés pendant l’instruction que, lors de leurs achats de serveurs et de matériels de stockage, ils tiennent compte des conditions financières de la première période de maintenance, notamment en raison de son coût et ce d’autant que ces décisions d’achat sont prises par des professionnels expérimentés, conscients de l’importance du coût de maintenance de leur matériel. Dans cette situation, la concurrence joue entre plusieurs solutions globales (machine + maintenance initiale) parmi lesquelles les clients se déterminent directement sans avoir à séquencer leur achat : d’abord le matériel puis, une fois celui-ci acquis, la mise en concurrence du constructeur et des prestataires tiers pour en assurer la maintenance (pt 97).

D’autre part, le marché des serveurs informatiques et des solutions de stockage, sur lequel opèrent de nombreux fabricants dont aucun n’est dominant, est très concurrentiel. Cette concurrence est permanente, beaucoup d’entreprises renouvelant leur parc de matériels de manière plus ou moins continue en raison des dates d’achats échelonnées de leurs différents matériels. Il est donc très peu vraisemblable qu’un constructeur puisse durablement augmenter ses tarifs de maintenance ou dégrader son service sans en subir les conséquences par une baisse de ses ventes de matériels (pt 99).

S’agissant de la deuxième situation de marché, à savoir la maintenance ultérieure d’un matériel devenu mature, l’Autorité a relevé que le bon fonctionnement des serveurs nécessite plus rarement, voire plus du tout, des mises à jour de microcodes, car les machines et les logiciels qu’elles supportent sont stabilisés. Au surplus, le saisissant n’a donné aucun exemple probant d’une exclusion dont il aurait pu être victime dans cette situation de marché.

Enfin, en ce qui concerne la troisième situation de marché, qui couvre les appels d’offres « grands comptes » multimarques, l’Autorité a constaté, d’une part, que les solutions proposées par les constructeurs (contrats de support ou de réassurance) sont largement utilisées par les tiers mainteneurs, dont Econocom, qui ne sont donc, pris dans leur ensemble, pas exclus de ce type de marchés13.

C – Discrimination dans le secteur de l’électricité photovoltaïque (non-lieu)

La décision rendue dans le secteur de l’électricité photovoltaïque a offert l’occasion à l’Autorité de rappeler la jurisprudence relative aux discriminations, et en particulier au critère de désavantage dans la concurrence.

À l’origine de l’affaire, la société SUN’R a saisi l’Autorité en reprochant au groupe EDF diverses pratiques anticoncurrentielles, notamment des pratiques de discrimination qui auraient été mises en œuvre par l’opérateur historique de l’électricité, pour favoriser les producteurs d’électricité photovoltaïque du groupe au détriment des producteurs indépendants tels que la saisissante.

En 2000, le législateur a mis en place une obligation, à la charge d’EDF, d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant des énergies renouvelables. À partir de 2010, les tarifs d’achat de cette électricité ont été revus à la baisse afin de contenir la spéculation qui s’était développée dans le secteur. À cette baisse a succédé un moratoire photovoltaïque qui suspendait l’obligation d’achat pour trois mois.

C’est dans ce contexte qu’ont été mises en œuvre les pratiques en cause. L’Autorité a considéré qu’à l’exception d’une pratique d’antidatage réalisée par RTE pour faire échapper un projet à l’application du moratoire photovoltaïque, les faits dénoncés par SUN’R n’ont pas été établis. Par conséquent, seul ce comportement a fait l’objet d’une analyse afin de déterminer s’il constituait une infraction au droit de la concurrence.

L’Autorité a d’abord rappelé les principes applicables en l’espèce, à savoir la jurisprudence relative au c) de l’article 102 TFUE qui qualifie de potentiellement abusives les pratiques pouvant notamment consister à « appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ».

S’agissant du critère de « désavantage dans la concurrence », la Cour de justice de l’Union européenne a précisé, dans son arrêt British Airways, qu’« il importe, pour que les conditions d’application de l’article 102, second alinéa, sous c), TFUE soient réunies, de constater que le comportement de l’entreprise en position dominante sur un marché non seulement est discriminatoire, mais encore qu’il tend à fausser ce rapport de concurrence, c’est-à-dire à entraver la position concurrentielle d’une partie des partenaires commerciaux de cette entreprise par rapport aux autres » (pt 151)14.

Plus récemment, la CJUE a encore eu l’occasion de rappeler que « la seule présence d’un désavantage immédiat affectant des opérateurs qui se sont vus infliger des prix supérieurs par rapport aux tarifs applicables à leurs concurrents pour une prestation équivalente ne signifie pas pour autant que la concurrence soit faussée ou soit susceptible de l’être. En effet, c’est seulement si le comportement de l’entreprise en position dominante tend, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, à conduire à une distorsion de concurrence entre ces partenaires commerciaux, que la discrimination de partenaires commerciaux qui se trouvent dans un rapport de concurrence peut être considérée comme abusive » (pt 152)15.

Pour l’Autorité, il découle de cette jurisprudence que, dans les cas où aucun désavantage potentiel dans la concurrence, entendu comme l’affectation des intérêts d’un opérateur du fait d’une pratique discriminatoire d’une entreprise en position dominante, n’a pu être démontré au regard des conditions juridiques et économiques concrètes du fonctionnement du marché concerné, il n’est pas possible de retenir une qualification d’abus de position dominante (pt 155).

Elle a par ailleurs observé que les pratiques d’antidatage constituent à l’évidence des comportements fautifs qui pourraient être appréhendés par différentes juridictions, qu’elles soient pénales, civiles ou administratives. Mais elles ne sauraient, pour cette seule raison, constituer en elles-mêmes des infractions au droit de la concurrence, ce en quoi elles ne diffèrent pas d’un grand nombre de comportements fautifs commis par des entreprises, qui peuvent affecter d’autres entreprises sans nécessairement relever du droit de la concurrence (pt 156).

En l’espèce, l’Autorité a considéré que la pratique d’antidatage qu’elle a examinée n’a, en réalité, créé aucun désavantage concurrentiel au détriment des producteurs d’électricité photovoltaïque. Elle a seulement créé une charge financière indue pour la CSPE (contribution au service public de l’électricité instituée par le législateur en 2003) qui compense les écarts entre le prix contractuel garanti au producteur et le prix de marché (pt 170).

Cette pratique, qui n’a pu être qualifiée d’élément contribuant à la mise en œuvre d’un plan d’ensemble, faute d’avoir établi l’existence d’autres éléments de ce plan, ne constitue pas non plus, à elle seule, un abus de position dominante (pt 171).

L’Autorité a en conséquence conclu qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure16.

D – Pratiques excluant du marché les fabricants de décodeurs satellitaires alternatifs à ceux loués par GCP

L’affaire de la commercialisation des décodeurs satellitaires a pour origine la plainte d’un fabricant de décodeurs satellitaires dénonçant les pratiques mises en œuvre par le Groupe Canal Plus (GCP) mettant fin à la possibilité de recevoir les programmes linéaires de Canal + via les décodeurs satellitaires autres que ceux loués par GCP.

L’instruction avait révélé qu’en mettant un terme aux partenariats dits « Canal Ready » que GCP avait conclus avec les fabricants de décodeurs compatibles avec ses offres linéaires, ces derniers étaient privés de la possibilité d’offrir une alternative au décodeur mis à disposition par GCP à ses abonnés. La décision de GCP était en effet susceptible d’exclure ces fabricants du marché de la fourniture de décodeurs satellitaires compatibles avec ses offres payantes, privant ainsi les consommateurs d’alternative dans le choix de leur décodeur.

Afin de répondre aux préoccupations de concurrence identifiées par l’Autorité, GCP s’est engagé à permettre aux industriels tiers de fabriquer des décodeurs recevant non seulement les contenus linéaires mais également les contenus non linéaires, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Les décodeurs seront assortis du logo « myCanal », afin d’indiquer aux consommateurs qu’ils permettent de recevoir les contenus inclus dans cette offre. Les équipements en question devront comporter un module d’accès logiciel qui permettra à GCP de contrôler la sécurité du signal. Les abonnés équipés d’un matériel « Canal Ready » dépourvu du module d’accès et voué à l’obsolescence auront la possibilité de résilier leur abonnement tous les mois s’ils ne souhaitent pas se munir d’un nouveau décodeur ou en louer un auprès de GCP.

L’Autorité a considéré que ces engagements, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, permettent à la fois de répondre à l’impératif de lutte contre le piratage, tout en maintenant une offre de décodeurs alternative aux décodeurs mis en location par GCP. Elle a en conséquence décidé de les rendre obligatoires et de clore la procédure ouverte devant elle17.

E – Hausse de prix excessive et abusive

L’Autorité a condamné la société Sanicorse, sur le fondement de l’interdiction des abus de position dominante, pour avoir mis en œuvre une pratique d’augmentation brutale, significative, persistante et injustifiée des tarifs de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI) en Corse de 2011 à 2015.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence nationale et européenne bien établie qui sanctionne les pratiques abusives des entreprises en position dominante lorsque celles-ci imposent des prix de vente non équitables, constitutifs d’abus d’exploitation.

Les augmentations tarifaires en cause, qui ont atteint en moyenne 88 % entre 2010 et 2012, n’ont pu être objectivement justifiées par aucune des circonstances invoquées par l’entreprise, principalement tirées de l’augmentation de ses coûts et de ses investissements. Elles ont engendré un surcoût illégitime pour les établissements de soins en charge d’une mission de service public et ont également eu pour effet de décourager l’ensemble des clients de rechercher une alternative au fournisseur en monopole, par crainte des mesures de rétorsion tarifaires qui pourraient être prises par Sanicorse18.

F – Pratiques discriminatoires et d’exclusion dans le secteur de la publicité en ligne (rejet de la saisine)

Une société d’intermédiation dans le domaine de la création de site internet, avait saisi en parallèle la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence de pratiques discriminatoires et d’exclusion, constitutives d’un abus de position dominante, qui auraient été mises en œuvre par Google dans son service AdWords. Il était reproché à Google de manipuler les résultats du système d’enchères d’AdWords afin de maximiser le nombre de clients et les revenus de son service. La Commission européenne a rejeté la plainte par une décision en date du 11 avril 2018. Après une instruction distincte et portant sur des faits partiellement différents, l’Autorité a conclu que la saisine était dépourvue d’éléments suffisamment probants, que des raisons propres aux pratiques de la saisissante expliquaient ses performances commerciales limitées et qu’aucune des allégations développées à l’encontre de Google n’apparaissait fondée19.

V – Distribution exclusive en outre-mer

L’année 2018 a été marquée par deux nouvelles décisions sur le fondement de l’article L. 420-2-1 du Code de commerce (issu de la loi Lurel n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer) qui dispose que « sont prohibés, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises »20.

Il s’agit de la décision n° 18-D-03 du 20 février 2018, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane, présentée ci-après à titre d’illustration, et de la décision n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis-et-Futuna, qui n’appelle pas ici de commentaire particulier.

Dans sa décision n° 18-D-03 du 20 février 2018, l’Autorité a constaté que le groupe Dow Agrosciences, qui commercialise le seul piège à appâts à base de biocides dont l’efficacité est actuellement certifiée en outre-mer avait, plusieurs années après l’entrée en vigueur de l’interdiction en mars 2013, maintenu des clauses d’importation exclusive dans les contrats de commercialisation de ses pièges, avec la société Émeraude à La Réunion et la société CTC aux Antilles et en Guyane.

Ces accords n’ont pu bénéficier de l’exemption prévue par le III de l’article L. 420-4 du Code de commerce, faute pour les sociétés mises en cause d’avoir démontré l’existence de motifs objectifs tirés de l’efficacité économique pouvant justifier l’octroi d’une exclusivité d’importation illimitée et d’avoir apporté la preuve ou, à tout le moins une estimation, du bénéfice – qualitatif ou financier – que le consommateur pouvait retirer d’une telle exclusivité d’importation.

L’Autorité a infligé aux entreprises des sanctions pécuniaires modérées (60 000 € à Dow Agrosciences, 10 000 € à Émeraude et 5 000 € à CTC) qui tenaient notamment compte du fait qu’un effet dissuasif et correctif était par ailleurs atteint par la voie d’injonctions. Elle a, en effet, enjoint au groupe Dow Agrosciences de supprimer de ses contrats, pour les deux ans à venir, toute disposition instaurant une exclusivité d’importation et d’informer, dans les deux mois, l’ensemble des sociétés utilisatrices des produits en cause de la suppression des clauses d’importation exclusives.

Notons encore ici, pour ne plus y revenir, que l’Autorité a par ailleurs, sur le fondement de l’article L. 420-2 du Code de commerce, condamné la société Émeraude, importateur-grossiste unique de pièges à appât « Sentri TechTM » pour avoir refusé, de manière discriminatoire, de fournir ces produits à la société Stop Insectes qui possédait la certification requise pour les commercialiser21.

VI – Sanction des pratiques anticoncurrentielles

A – Adaptation de la méthode décrite dans le communiqué Sanctions

Lorsqu’elle détermine les sanctions pécuniaires qu’elle impose, l’Autorité applique les modalités décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions sauf à ce qu’elle explique, dans la motivation de sa décision, « les circonstances particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisant à s’en écarter dans un cas donné ».

L’Autorité a utilisé cette faculté dans l’affaire Stihl. En effet, l’interdiction de vente sur internet imposée par cette entreprise à ses distributeurs agréés a été mise en œuvre à une époque où le droit et la jurisprudence applicable en la matière n’étaient pas clairement fixés avant l’arrêt PFDC de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 octobre 2011. Il existait en effet une incertitude juridique sur la qualification des pratiques visant à interdire les ventes sur internet, incertitude qui devait être prise en considération dans le calcul de la sanction et justifiait, dans les circonstances particulières de l’espèce, de déroger à l’application du communiqué Sanctions.

Il en était de même s’agissant des produits dits dangereux vendus par Stihl, dès lors que cette entreprise pouvait, à juste titre, continuer à s’interroger, après 2011, sur l’applicabilité des principes dégagés dans l’arrêt PFDC, les produits concernés par cet arrêt ne revêtant pas ce caractère de dangerosité22.

B – Assiette des sanctions : pratiques anticoncurrentielles portant sur un appel d’offres

En application du point 23 du communiqué du 16 mai 2011, la valeur des ventes réalisées par l’entreprise mise en cause pour les biens ou les services en relation avec l’infraction est retenue par la pratique décisionnelle de l’Autorité comme assiette du montant de base pour le calcul de la sanction.

Toutefois, aux termes du point 66 du communiqué, cette méthode peut être adaptée « dans les cas de pratiques anticoncurrentielles portant sur un ou plusieurs appels d’offres ponctuels et ne relevant pas d’une infraction complexe et continue. En effet, la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l’ampleur économique de ces pratiques, qui revêtent un caractère instantané, et du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s’abstenir de soumissionner ».

Dans ce cas, l’Autorité considère que « le montant de base de la sanction pécuniaire résultera de l’application d’un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, au chiffre d’affaires total réalisé en France par l’organisme ou par l’entreprise en cause, ou par le groupe auquel l’entreprise appartient, en principe pendant l’exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l’infraction ou du dernier exercice comptable complet s’il en existe plusieurs. Ce coefficient tiendra compte du fait que ces pratiques, qui visent à tromper les maîtres d’ouvrage sur l’effectivité même de la procédure d’appel d’offres, se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter en raison de leur caractère secret » (point 67 du communiqué Sanctions).

L’Autorité a appliqué cette méthode de détermination de la sanction pécuniaire dans l’affaire de la sécurisation des débits de tabac en Isère23.

C – Procédure de transaction

Issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (Loi Macron), et prévue à l’article L. 464-2, III du Code de commerce, la procédure de transaction a pris la suite de l’ancienne procédure de non-contestation des griefs. Elle permet aux entreprises qui ne contestent pas les faits qui leur sont reprochés d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général et ayant donné lieu à un accord des parties.

Le rapport d’information sur l’évaluation de la loi Macron, présenté le 28 novembre 2018 à l’Assemblée nationale, a dressé un bilan mitigé de la procédure de transaction : si celle-ci apparaît plus attractive que l’ancienne procédure de non-contestation des griefs, les rapporteurs ont observé qu’elle n’offre toujours pas aux entreprises une visibilité suffisante sur la sanction encourue.

On notera encore que, le 21 décembre 2018, l’Autorité a adopté un communiqué de procédure sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de transaction. Ce document vise à aider les acteurs économiques qui souhaitent recourir à ce dispositif, en présentant le déroulement concret d’une procédure de transaction, ainsi que la façon dont l’Autorité l’envisage.

D – Procédure de clémence

Introduite en 2001 dans le droit français de la concurrence, la procédure de clémence, prévue à l’article L. 464-2, IV du Code de commerce, permet aux entreprises ayant participé à une entente d’obtenir une réduction totale ou partielle de la sanction qu’elles encourent en coopérant avec l’Autorité.

Elle a été mise en œuvre dans l’affaire des produits électroménagers, permettant ainsi à l’entreprise BSH de bénéficier, en complément de la diminution de sanction résultant du recours à la transaction, d’une réduction supplémentaire de son montant de sanction, témoignant de l’apport significatif fourni à l’instruction de l’affaire par le nombre et la qualité des éléments de preuve apportés. Deux particularités de cette affaire ont été relevées dans le résumé contenu dans la décision rendue par l’Autorité. D’une part, l’Autorité a décidé, dans le cadre du processus de détermination de la sanction propre à la transaction et, au vu de l’ensemble de l’instruction, d’accorder à l’entreprise BSH une réduction d’amende au titre de la clémence supérieure à celle, indicative, qui avait été retenue dans l’avis de clémence. En outre, et pour la première fois, l’Autorité a décidé de faire application de la notion de « clémence Plus »24, en considérant que certains des éléments supplémentaires apportés à l’instruction par BSH dans le cadre de la clémence lui donnaient droit à une exonération de sanction25.

E – Non-respect d’engagements souscrits dans le cadre du contentieux des pratiques anticoncurrentielles

L’Autorité a infligé au groupe Randstad une sanction de 4,5 millions d’euros pour non-respect des engagements souscrits par lui et rendus obligatoires.

À l’origine de cette affaire, l’ancien Conseil de la concurrence a, par décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, sanctionné les entreprises Adecco, Manpower et VediorBis pour s’être entendues afin de limiter la concurrence entre elles vis-à-vis de leurs clients « grands comptes ». Les entreprises en cause échangeaient des informations, voire discutaient du montant de leurs offres respectives. Aux termes de cette décision, Randstad n’avait pas contesté les griefs et avait souscrit divers engagements, portant notamment sur des mesures « de nature à réduire la transparence du marché ».

Dès 2009, Randstad avait relevé que la commercialisation de certaines prestations dites outils multi-ETT (entreprise de travail temporaire), dont l’outil « e-flex », était susceptible d’engendrer un risque de circulation et d’exploitation d’informations confidentielles de ses concurrents sur le marché du travail temporaire. Randstad s’était en conséquence engagée « à commercialiser e-Flex, via une filiale indépendante du Groupe Vedior France [Groupe Randstad France], Advisio Services [RSR], disposant de son propre personnel et de son support technique isolé ».

L’Autorité a cependant constaté que Randstad n’avait pas respecté cet engagement en nommant simultanément, pendant plus d’un an, le directeur de la stratégie et du développement du groupe Randstad France comme directeur d’Advisio Services.

Conformément à sa pratique décisionnelle, l’Autorité a considéré que le non-respect d’engagements constitue une pratique grave en elle-même. Une telle pratique est d’autant plus grave que la prise d’engagements a lieu à l’initiative des parties mises en cause qui les proposent. Elle a par ailleurs relevé qu’en l’espèce, le manquement était intervenu à peine deux mois après l’entrée en vigueur des engagements et que Randstad n’avait pas immédiatement tenu compte de l’avertissement adressé à ce sujet par l’Autorité26.

VII – Opérations de concentration

A – Modernisation et simplification du droit des concentrations

Le processus de modernisation et simplification du droit des concentrations, entamé en 201727 s’est poursuivi en 2018 autour de deux axes : la création d’un contrôle « ex post » et la simplification des procédures.

Le premier sujet invitait à s’interroger sur le point de savoir si le droit des concentrations devait être complété pour remédier à des insuffisances de contrôle, notamment au vu de la spécificité des rachats d’entreprises numériques ou de hightech (biotech, médicaments), qui peuvent conduire à de fortes valorisations pour des entreprises à faibles chiffres d’affaires.

L’Autorité avait considéré que l’instauration d’un nouveau cas de contrôle des concentrations, fondé sur la valeur de transaction (comme décidé récemment en Allemagne et en Autriche), ne se justifiait pas pour l’économie française. En effet, le nombre d’opérations problématiques qui pourraient être traitées par l’Autorité serait en définitive limité et ne justifierait pas la lourdeur accrue du système de contrôle. L’Autorité a donc écarté cette première approche.

L’Autorité estimait en revanche que l’introduction dans le droit français d’un nouveau contrôle « ex post » et ciblé, sur les modèles pratiqués dans de nombreux pays tels que la Suède, le Royaume-Uni, et les États-Unis) était une piste à explorer. Cette solution présente l’avantage de permettre à l’Autorité de contrôler, à son initiative, un nombre très limité d’opérations qui pourraient s’avérer problématiques en termes de concurrence, notamment en ce qu’elles conduisent à des positions dominantes ou monopolistiques sur des marchés identifiés, ou lorsqu’elles peuvent conduire à diminuer sensiblement la concurrence. L’Autorité a donc lancé une nouvelle phase de consultation, d’une durée de 4 mois, sur cette piste de modification législative28.

S’agissant de la simplification des procédures, l’Autorité a annoncé un important mouvement d’allègement des informations demandées aux entreprises dans le cadre de la procédure simplifiée, ainsi que la création d’une nouvelle modalité de déclaration ultra-simplifiée et via une plate-forme numérique. La plupart de ces mesures, d’ordre réglementaire, ont fait l’objet du décret n° 2019-339 du 18 avril 2019 portant simplification du dossier de notification d’une opération de concentration à l’Autorité de la concurrence.

L’Autorité a enfin engagé un travail plus large de révision de ses lignes directrices relatives au contrôle des concentrations.

B – Acquisition de la société Concept Multimédia par le groupe Axel Springer

Rappelons que la procédure d’examen des opérations de concentration s’articule en deux phases : la phase I aboutit à l’autorisation rapide de l’opération, de façon expresse ou tacite, le cas échéant, sous réserve du respect des engagements pris par les parties ; la phase II suppose un examen approfondi. Les affaires menées en phase II sont suffisamment peu fréquentes pour être notées. En 2018, un examen approfondi n’a été nécessaire qu’à deux reprises : à l’occasion de la reprise par la société Financière Cofigeo de certains titres et actifs du pôle « plats cuisinés » du groupe Agripole29 ainsi que lors de l’acquisition de la société Concept Multimédia, éditrice du portail logic-immo.com, par le groupe Axel Springer, propriétaire du portail immobilier Seloger.com. Cette dernière opération retiendra en premier lieu l’attention. C’était la première fois que l’Autorité se prononçait sur le rapprochement de deux plates-formes, toutes deux spécialisées dans la diffusion de petites annonces immobilières pour le compte des professionnels de l’immobilier et à destination des internautes.

Un tel examen a été décidé dès lors qu’un doute sérieux existait sur le fait que l’opération, qui conférait à la nouvelle entité une part de marché en valeur supérieure à 50 %, puisse produire des effets horizontaux sur le marché des petites annonces immobilières en ligne de professionnels.

Cependant, la consultation effectuée au cours de cette phase II a permis d’écarter tout risque d’atteinte à la concurrence.

Premièrement, les risques de hausse de prix résultant de l’opération ont été écartés dans la mesure où, avant l’opération, les parties n’exerçaient pas l’une sur l’autre de pression concurrentielle significative. Bien que la part de marché de la nouvelle entité soit supérieure à 50 % en valeur, une augmentation sensible de ses prix ne serait pas rentable car elle conduirait à des reports de demande vers les autres portails de petites annonces immobilières, au premier rang desquels Le Bon Coin.

Deuxièmement, l’offre couplée susceptible d’être mise en œuvre par la nouvelle entité sur le marché des petites annonces immobilières en ligne ne serait pas susceptible de conduire à l’élimination significative de la concurrence, tant dans une approche statique que dynamique. Si une telle offre peut entraîner une baisse du nombre d’annonces et du chiffre d’affaires des concurrents de la nouvelle entité, cette réduction demeurerait limitée et ne serait pas aggravée sur le long terme.

Troisièmement, les risques d’effets coordonnés entre la nouvelle entité et le groupe Le Bon Coin ont également pu être écartés dans la mesure où la condition de détection, un des trois critères nécessaires pour identifier un tel effet, n’est pas remplie. Ces deux acteurs, qui présentent d’importantes différences dans leurs positionnements et modèles commerciaux, opèrent sur un marché où la transparence des prix est limitée.

Enfin, tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux entre la diffusion en ligne et la diffusion dans la presse écrite de petites annonces immobilières a été écarté, principalement en raison du déclin du marché des petites annonces immobilières dans la presse écrite30.

C – Reprise par la société Financière Cofigeo de certains titres et actifs du pôle « plats cuisinés » du groupe Agripole : utilisation du pouvoir d’injonction

La reprise par la société Financière Cofigeo de certains titres et actifs du pôle « plats cuisinés » du groupe Agripole (William Saurin, Panzani, Garbit) retiendra l’attention pour deux raisons31. D’abord c’est l’une des rares opérations de concentration qui a donné lieu à une injonction de l’Autorité. Ensuite, le ministre de l’Économie a réagi à cette décision en faisant application, pour la première fois, de son pouvoir d’évocation d’une décision de l’Autorité.

Cofigeo est principalement active sur le marché de la fabrication et de la commercialisation de plats cuisinés, notamment sous les marques « Raynal & Roquelaure » et « Zapetti ». Les actifs repris par Cofigeo concernent la fabrication et la commercialisation de plats cuisinés, notamment sous les marques « William Saurin », « Panzani » et « Garbit ».

Au terme de l’opération, la nouvelle entité serait devenue le leader incontesté sur la plupart des marchés étudiés, avec plus de 80 % du marché des plats cuisinés italiens (PCI) et plus de 70 % de celui des plats cuisinés exotiques (PCE). Par ailleurs, Cofigeo aurait commercialisé l’ensemble des marques notoires de ces marchés : William Saurin, Panzani, Garbit, Raynal & Roquelaure et Zapetti.

Dans son examen de l’opération, l’Autorité a établi que Cofigeo et les sociétés cibles étaient les plus proches concurrents sur les marchés des plats cuisinés en conserve. La grande distribution les mettait ainsi en concurrence afin d’obtenir les meilleurs prix.

De plus, sur les marchés des PCI et des PCE, les capacités de production disponibles des concurrents étaient faibles et l’entrée de nouveaux opérateurs ou d’opérateurs étrangers à brève échéance sur le marché français était peu probable. La grande distribution n’aurait donc plus eu de fournisseurs alternatifs crédibles sur les marchés des PCI et des PCE.

À l’issue de son analyse, l’Autorité a donc conclu que l’opération, si elle n’était pas assortie de mesures correctives, entraînerait, sur les marchés des PCI et des PCE, des risques importants de hausses significatives des prix au détriment, in fine, du consommateur.

En l’absence d’engagements proposés par Cofigeo répondant à ces préoccupations de concurrence, l’Autorité a fait usage de son pouvoir d’injonction afin d’autoriser l’opération. Il s’agit de la seconde application de ce pouvoir depuis 2009 (date à laquelle l’Autorité s’est vu confier le contrôle des concentrations)32, qui permet exceptionnellement d’autoriser une opération avec des remèdes au lieu de l’interdire.

L’Autorité a ainsi enjoint à Cofigeo de céder la marque Zapetti, utilisée sur les marchés des PCI et des PCE, ainsi qu’un site de production permettant son exploitation et la production de MDD (marques de distributeurs) sur ces mêmes marchés. Ces injonctions visaient à permettre à un opérateur concurrent de fournir rapidement une alternative crédible aux produits de la nouvelle entité et, ainsi, d’éviter des hausses de prix sensibles du fait de l’opération33.

Un autre intérêt de l’opération examinée réside dans l’utilisation par le ministre de l’Économie de son pouvoir d’évocation. Il s’agit de la première application de ce pouvoir. Rappelons à cet égard que dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l’Autorité, le ministre peut évoquer l’affaire, pour des motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence (les motifs d’intérêt général comprennent notamment le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale et la création ou le maintien de l’emploi) et, le cas échéant, compensant l’atteinte portée à cette dernière par l’opération34.

En l’espèce, le ministre de l’Économie et des finances a, le 19 juillet 201835, décidé d’autoriser l’opération de concentration sans mise en œuvre de cession d’actifs, sous réserve d’un engagement relatif au maintien de l’emploi. Pour le ministre, la stratégie industrielle dans laquelle s’inscrit cette concentration, indispensable pour redynamiser le secteur, aurait été remise en cause par l’obligation de céder des actifs. Les conséquences économiques qu’auraient entraînées de telles cessions pour le groupe Cofigeo faisaient apparaître un risque significatif en termes d’emploi.

D – Non-respect d’engagements souscrits dans le cadre du contrôle des opérations de concentration

Le non-respect des engagements (ou conditions) dont sont assorties les autorisations de concentration est passible de mesures prévues à l’article L. 430-8, IV du Code de commerce, et peut notamment faire l’objet de sanctions pécuniaires. Deux décisions retiendront l’attention à cet égard : une décision du 27 juillet 2018 infligeant une amende à Fnac Darty pour non-respect d’engagement et une décision du 14 juin 2018 prononçant un non-lieu dans une procédure de non-respect d’engagement mise en œuvre à l’encontre de la société Boiron dans le secteur de l’homéopathie.

1 – Sanction infligée à Fnac Darty

On se souvient que, dans sa décision du 27 juillet 2016 relative à la prise de contrôle de Darty par la Fnac, l’Autorité avait autorisé l’opération mais, ayant constaté que celle-ci était de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la vente au détail de produits bruns (téléviseurs, équipements hi-fi et audio…) et de produits gris (micro-ordinateurs personnels, écrans, périphériques, téléphonie), en raison de la disparition de la pression concurrentielle préexistante entre les parties dans plusieurs zones, en particulier à Paris, elle a soumis son autorisation à la cession, avant le 1er août 2017, de divers magasins à Paris et dans la région parisienne.

Dans sa décision du 27 juillet 2018, elle a constaté que Fnac Darty a manqué à ces engagements puisqu’elle n’a présenté ni contrat de cession, ni repreneur, pour le magasin Fnac Beaugrenelle, que le repreneur présenté pour l’acquisition des magasins Darty Belleville et Darty Saint-Ouen n’a pas été agréé et qu’aucun contrat de cession avec un autre repreneur pour ces deux magasins n’a été conclu dans le délai prévu. L’Autorité a en conséquence infligé à l’entreprise une sanction pécuniaire de 20 millions d’euros et lui a enjoint de céder les magasins Darty Montmartre et Darty Passy à un opérateur concurrent, agréé par l’Autorité de la concurrence, dans un délai de neuf mois, en substitution des engagements de cession non exécutés. Ces injonctions visaient à rétablir la structure concurrentielle des marchés de la vente au détail de produits bruns et gris à Paris, dans les six zones concernées par l’absence de cession des magasins Fnac Beaugrenelle, Darty Belleville et Darty Saint-Ouen36.

2 – Non-lieu dans une procédure de non-respect d’engagement

L’Autorité a rendu sa première décision de non-lieu dans une procédure de non-respect d’engagement. Était en cause l’engagement n° 1, portant sur le maintien de la qualité de l’offre de la nouvelle entité en ce qui concerne les médicaments en nom commun (c’est-à-dire les médicaments directement issus d’une souche homéopathique par dilution), pris en 2005 par le laboratoire Boiron à l’occasion du rachat du laboratoire Dolisos dans le secteur des médicaments homéopathiques.

Certes, le laboratoire Boiron n’a pas respecté une partie de ses obligations à cet égard, mais l’instruction a mis en évidence des difficultés d’interprétation de l’engagement du fait de l’ambiguïté du vocabulaire utilisé et de l’imprécision des conditions dans lesquelles le laboratoire pouvait y déroger en adaptant son offre commerciale à l’évolution de la demande.

Après avoir examiné les différentes interprétations possibles de l’engagement en cause et le contexte économique et juridique dans lequel il devait s’appliquer, l’Autorité a considéré qu’il ne pouvait être envisagé d’interpréter l’engagement n° 1 comme assimilant l’obligation de maintien de la qualité de l’offre à celle de maintien d’une liste de médicaments homéopathiques en nom commun répertoriés dans la nomenclature commerciale des laboratoires Boiron en 2004. En outre, indépendamment de l’interprétation de l’engagement lui-même, l’Autorité a relevé que le processus de réenregistrement des souches homéopathiques, engagé en 2007 et en voie d’achèvement, a changé assez profondément la nature de l’obligation de maintien de la qualité de l’offre. Cette modification du contexte à la fois économique et juridique de l’opération de concentration, intervenue après la date de son autorisation, va rendre de plus en plus difficile, voire impossible, le contrôle d’une obligation en partie fondée sur le dispositif de 1984, désormais caduc, dès lors que l’engagement a été pris sans limite de durée et qu’aucune autorité publique ne dispose de la compétence pour faire appliquer les dérogations qu’il prévoit.

L’Autorité a conclu en conséquence qu’il n’a pas été établi que les laboratoires Boiron n’ont pas respecté l’engagement n° 137.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour un exemple d’application de l’article L. 462-10, v. le communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence du 16 juillet 2018, consacré aux rapprochements à l’achat entre Auchan/Casino/Metro/Shiever d’une part, et Carrefour/Système U d’autre part.
  • 2.
    JO, 1er nov. 2018.
  • 3.
    Aut. conc., avis n° 18-A-03, 6 mars 2018, exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet ; Arcelin L., « L’avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet : un avis “point d’étape” », RLC 2018/74, n° 3431.
  • 4.
    Aut. conc., avis n° 18-A-04, 3 mai 2018, secteur agricole ; en dehors du cadre juridique strictement défini par cet avis, il n’est pas possible de déroger au droit des ententes. L’Autorité a dès lors pu condamner le syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône (SGVRCR) pour avoir élaboré et diffusé entre 2010 et 2017 des consignes tarifaires à ses membres (v. infra, Aut. conc., n° 18-D-06, 23 mai 2008, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône).
  • 5.
    Aut. conc., avis n° 18-A-14, 23 nov. 2018, relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.
  • 6.
    V. supra, Aut. conc., avis n° 18-A-04, 3 mai 2018, secteur agricole.
  • 7.
    Règl. (UE) n° 2017/2393 du PE et du Cons., 13 déc. 2017.
  • 8.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-06, 23 mai 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac des Côtes du Rhône.
  • 9.
    La Cour de justice a précisé que la clause par laquelle un fournisseur de produits de luxe interdit à ses distributeurs agréés de vendre ses produits sur une plate-forme internet, telle qu’Amazon, qui opère de façon visible à l’égard des consommateurs, ne tombe pas sous le coup du droit des ententes, pour autant qu’un certain nombre de conditions sont respectées (CJUE, 6 déc. 2017, n° C-230/16, Coty Germany GmbH/Parfümerie Akzente GmbH, pt 24 ; Commission européenne, Competition Policy Brief 2018-01, avr. 2018 ; Catala Marty J., « Distribution sélective et interdiction de vendre aux market places : pas d’incompatibilité de principe », RLC 2018/68, n° 3313 ; Marcinkowski M., « Internet à l’épreuve de la sélectivité : le sort des places de marché », RLC 2018/69, n° 3340).
  • 10.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-23, 24 oct. 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture ; dans cette affaire, le premier président de la cour d’appel de Paris a ordonné le sursis à exécution (dans l’attente de la décision de la cour d’appel de Paris sur le bien-fondé du recours au fond) des injonctions prononcées par l’Autorité (CA Paris, 23 janv. 2019, n° 18/26546, ord.).
  • 11.
    Les coûts incrémentaux sont ceux qui ne seraient pas engagés par l’entreprise si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle.
  • 12.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-07, 31 mai 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur des services de traversées maritimes de passagers entre le continent et l’Île d’Yeu.
  • 13.
    Aut. conc., déc n° 18-D-10, 27 juin 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la maintenance informatique.
  • 14.
    CJUE, 15 mars 2007, n° C-95/04P, British Airways c/ Commission, pt 144.
  • 15.
    CJUE, 19 avr. 2018, n° C-525/16MEO, Serviços de Comunicações e Multimédia SA c/ Autoridade da Concorrência.
  • 16.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-11, 4 juill. 2018, pratiques mises en œuvre par le groupe EDF dans le secteur de l’électricité photovoltaïque.
  • 17.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-14, 24 juill. 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des décodeurs de signaux de télévision par satellite.
  • 18.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-17, 20 sept. 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux en Corse.
  • 19.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-13, 20 juill. 2018, pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la publicité en ligne.
  • 20.
    Pour les premières condamnations, v. Aut. conc., déc n° 16-D-15, 6 juill. 2016, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outre-mer ; Aut. conc., déc. n° 17-D-14, 27 juill. 2017, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outre-mer.
  • 21.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-03, 20 févr. 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane ; Venayre F., « Droits exclusifs d’importation outre-mer : se poser les bonnes questions avant d’interdire ? », RLC 2018/71, n° 3372.
  • 22.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-23, préc.
  • 23.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-05, 13 mars 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère.
  • 24.
    Communiqué de procédure, 3 avr. 2015, relatif au programme de clémence français : « si l’entreprise qui présente la demande (de clémence) est la première à fournir des preuves incontestables permettant à l’Autorité d’établir des éléments de fait supplémentaires ayant une incidence directe sur la détermination du montant des sanctions pécuniaires infligées aux participants à l’entente, l’Autorité ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les fournit ».
  • 25.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-24, 5 déc. 2018, pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits électroménagers ; Trifounovitch Y., « Sanction par l’Autorité de la concurrence dans le secteur du gros électroménager : du caractère novateur des décisions de transaction et de l’attractivité préservée de la clémence », RLC 2019/79, n° 3511 ; Dumarçay M., « Clémence-transaction : la combinaison procédurale gagnante ? Regards sur la décision de l’Autorité de la concurrence sanctionnant l’entente sur le marché des produits électroménagers », RLC 2019/80, n° 3527.
  • 26.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-09, 21 juin 2018, respect des engagements pris par la société Randstad dans la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-05 du 2 février 2009.
  • 27.
    Arhel P., « Activité de l’Autorité de la concurrence en 2017 », LPA 26 juill. 2018, n° 137p0, p. 8.
  • 28.
    Aut. conc., communiqué de presse, 7 juin 2018.
  • 29.
    V. ci-après, C.
  • 30.
    Aut. conc., déc. n° 18-DCC-18, 1er févr. 2018, prise de contrôle exclusif de la société Concept Multimédia par le groupe Axel Springer.
  • 31.
    Elle retient également l’attention en ce que cette opération fait suite au démantèlement du groupe Financière Turenne Lafayette (FTL), qui était la structure de tête du groupe Agripole et a donné lieu à d’autres cessions. Dans ce cadre, l’Autorité est déjà intervenue pour autoriser, sans conditions, la reprise du pôle « charcuterie » du groupe FTL. Par ailleurs, à l’occasion de la notification de la reprise relative au pôle « plats cuisinés », la société Financière Cofigeo a sollicité le bénéfice de la dérogation prévue au 2e alinéa de l’article L. 430-4 du Code de commerce pour les sociétés en liquidation ou en redressement judiciaire, qui lui a été accordé par l’Autorité de la concurrence le 12 juillet 2017. La société Financière Cofigeo a ainsi été autorisée à procéder à la réalisation effective de l’acquisition des sociétés cibles, dans l’hypothèse où son offre de reprise serait retenue par le tribunal de commerce. La dérogation était justifiée par le fait que de telles offres doivent, en général, être inconditionnelles pour être jugées recevables par le tribunal.
  • 32.
    Le premier usage du pouvoir d’injonction a eu lieu lors du réexamen de l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Canal Plus : Aut. conc., déc. n° 12-DCC-100, 23 juill. 2012, Vivendi Universal et GCP/TPS et CanalSatellite ; Mouy N., « L’évolution des marchés de l’audiovisuel vers de nouveaux modes de consommation, non linéaires, dans la décision de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus », RLC 2013/35, n° 2313.
  • 33.
    Aut. conc., déc. n° 18-DCC-95, 14 juin 2018, reprise par la société Financière Cofigeo de certains titres et actifs du pôle « plats cuisinés » du groupe Agripole.
  • 34.
    C. com., art. L. 430-7, 1, II.
  • 35.
    BOCCRF n° 7, 7 août 2018.
  • 36.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-16, 27 juill. 2018, respect des engagements annexés à la décision n° 16-DCC-111 du 27 juillet 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac.
  • 37.
    Aut. conc., déc. n° 18-D-08, 14 juin 2018, respect des engagements pris à l’occasion de l’autorisation du rachat de la société Dolisos par la société Boiron dans le secteur de l’homéopathie.
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