Essonne (91)

En Essonne, les dernières années du pétrole made in France se préparent

Publié le 14/09/2021
Pétrole
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Difficile d’imaginer des puits de pétroles battant les airs comme au Texas, à quelques encablures de Brétigny-sur-Orge (91). Et pourtant : le bassin parisien est avec le bassin aquitain la première zone pétrolifère de France.

La campagne autour de Brétigny-sur-Orge est verdoyante : les champs de céréales partagent le panorama avec des petits bois, des étangs, des fermes et l’immensité de l’ancienne base militaire, en passe de devenir une sorte de Tempelhof (du nom de l’ancien aéroport berlinois) hyper dynamique. Au détour des routes de campagne, vous serez peut-être étonnés de voir basculer de haut en bas des chevalets pompant du pétrole. Oui comme ceux que l’on voit dans les films ! Car piégés à quelque 1 500 mètres de profondeur s’étend le gisement de Vert-le-Petit, qui date du Callovien inférieur… et que l’homme a décidé d’extraire de là il y a de nombreuses années.

L’exploration et l’extraction du pétrole dans le bassin parisien datent toutes deux de la fin des années 1950. À cette époque, avec la Guerre froide qui guette, et conscient que les gisements sont très conséquents, le gouvernement veut tendre vers l’autosuffisance pétrolière et concentre ses efforts sur la Seine-et-Marne. C’est à Coulommes, près de Meaux, que le premier forage tape dans le mille en 1958, et à plus de 1 800 mètres de profondeur : la commune a conservé le premier chevalet de pompage, non loin de l’église, comme souvenir. Depuis, plus de 2 000 puits ont été creusés dans le bassin sédimentaire parisien, et aujourd’hui, la société canadienne Vermilion est le premier producteur de pétrole made in France (mais reste petite joueuse face aux géants comme Total ou BP) : elle extrait du sous-sol francilien plus de 7 000 barils par jour, entre Brétigny-sur-Orge et Provins, principalement.

Créée en 1994, la société a racheté en 1997 les concessions franciliennes du groupe Esso. C’est alors un contrat de confiance qui s’engage avec le ministère des Mines qui soumet la petite société à un examen minutieux, celle-ci doit présenter les compétences techniques et scientifiques et les garanties suffisantes pour faire les investissements nécessaires. « Avec l’exploitation de ces sous-sols vient l’obligation de rendre les sites en l’état », nous explique Pantxika Etcheverry, responsable HSE chez Vermilion. « C’est une question de souveraineté nationale et d’indépendance sur certaines matières stratégiques. Il faut garder en tête que le sous-sol appartient à l’État. Il faut que les sociétés privées qui exploitent les substances présentent des garanties, c’est normal », assure-t-elle.

Une mini production locale qui reste profitable, mais jusqu’à quand ?

Avec une production domestique de 10 000 barils par jour en France, Vermilion extrait une goutte d’eau pour étancher une soif gargantuesque. La consommation mondiale s’élève chaque jour à l’équivalent de deux millions de barils de pétrole. Et pourtant, l’affaire reste rentable pour la petite société, spécialisée dans les exploitations déjà entamées par les gros acteurs du secteur (en l’occurence Esso) : « Ça reste rentable, c’était très vrai il y a quelques années, mais ces dernières années c’est plus difficiles car nous rencontrons de nouveaux défis. Jusqu’à présent, la France était un pays d’accueil pour cette activité. Les coûts unitaires étaient intéressants car la fiscalité était favorable jusqu’à il y a peu. On paie des redevances à l’État, aux collectivités locales, c’était gérable et les communes nous ont très bien accueillis avec ces redevances au prorata du tonnage… Concernant le coût de l’acheminement, nous avions de la chance : toute la production d’Essonne était dirigée à la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne, qui vient d’être fermée suite à des incidents de pipeline. Maintenant notre pétrole est acheminé vers la raffinerie du Havre, par camion, ce qui représente un coût plus important », explique la responsable. Nous ajoutons que l’empreinte carbone est également différente, tout l’enjeu de la production locale étant de limiter les transports. Mais selon la société, ces convois par camion restent bien moins consommateurs en carbone que les importations par pétrolier.

Vermilion, comme d’autres petits producteurs, n’ont en effet pas peur d’utiliser des arguments « verts » pour justifier l’exploitation des gisements pétroliers et la tâche peut être ardue.Plusieurs épisodes ont placé en porte-à-faux la société : les levées de boucliers quand aux soupçons prêtés à Vermilion de faire dans l’extraction de gaz de schiste (en 2015), plusieurs accidents qui ont touché ces dernières années des infrastructures à Vaulx-le-Pénil sur un pipeline reliant le site d’extraction à la raffinerie (en 2020) ainsi qu’une fuite dans un puits à Champeaux (en 2013). Il s’agit d’accidents rares selon la société qui accuse tout de même le coup et reconnait des difficultés à conclure des partenariats vertueux avec les collectivités locales, dernièrement. Des partenariats existent pourtant sur le territoire aquitain. « Dès 2008, Vermilion a pensé aux économies locales et circulaires. On a assez rapidement pensé à faire profiter les collectivités locales, on extrait beaucoup d’eau chaude à ces profondeurs et on peut exploiter la géothermie ». La société permet de chauffer sept hectares de serres près de Parentis-en-Born. « Dans le 64, on va chauffer un industriel qui va produire de la spiruline, dans le bassin d’Arcachon on va chauffer un lycée. On est en prospection en Essonne et Seine-et-Marne, mais il faut disposer d’un foncier autour des installations, qui sont très chers. On essaie de reproduire ce que l’on fait à Parentis-en-Born, on a un projet qui a failli voir le jour près d’Itteville, chauffer des logements sociaux et une école mais ça n’a pas pu se faire. Maintenant, on repart pour informer les agriculteurs et les collectivités de l’intérêt de ces partenariats ».

Un avenir plus vert ?

Alors que Total a annoncé en 2020 la reconversion prochaine de la raffinerie de Grandpuits en usine de production de bioplastique et de biocarburant, Vermilion est bien obligée elle aussi de penser différemment l’avenir du pétrole en Île-de-France, surtout que son permis d’extraction se termine en janvier 2040. « Nous sommes des personnes pragmatiques, nous allons garder les compétences et les exploiter différemment », souligne Pantxika Etcheverry. « Nous avons déjà entamé une réflexion stratégique : il y a un vrai business possible avec l’exploitation de la géothermie, il faut voir comment nous pourrions être aidés vers cette transition. Nous nous sommes aussi insérés dans des réflexions sur l’hydrogène, sur le stockage de CO2 de gaz vert. Il faut voir combien cela coûte de maintenir nos puits pétroliers pour produire de la géothermie. Nous allons aussi voir dans quelles mesures nous pouvons extraire du lithium dans les eaux de nos puits en Essonne. De façon générale, nous essayons de structurer de la R&D avec nos moyens ».

Selon la responsable HSE, ce nouvel horizon pour le premier producteur de pétrole ne pourra se faire qu’en partenariat avec des collectivités territoriales toujours réticentes, et parfois à raison, à serrer la main du roi du pétrole francilien. « Si nous allons au-delà des positions dogmatiques et travaillons ensemble, notre activité pourrait à terme avoir une empreinte carbone positive, être une démonstration que le circuit court fonctionne », promet Pantxika Etcheverry. L’avenir proche nous le dira, en attendant les chevalets des puits de pétrole au sud-est de Paris peuvent continuer de tourner, pendant encore 19 ans.

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