Michael Hausfeld, l’avocat d’Iris Duquesne, la « Greta Thunberg française »

Publié le 25/06/2020

Elle s’appelle Iris Duquesne, elle a 16 ans et elle est surnommée la « Greta Thunberg française » depuis qu’elle a porté plainte, avec une quinzaine d’autres adolescents, contre cinq des pays les plus pollueurs du monde, dont la France. Le but de cette action ? Dénoncer l’inaction des dirigeants sur le plan climatique, que ces jeunes perçoivent comme une atteinte à la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. Aux côtés de son homologue suédoise, Iris Duquesne est allée, en septembre 2019, s’exprimer directement devant les Nations unies. La lycéenne, d’origine bordelaise, habite désormais aux États-Unis. Dans ce combat, elle n’est pas seule, puisque c’est aux côtés de l’avocat américain Michael Hausfeld, qu’elle évolue. Spécialiste des questions de droits humains – il a fait partie des premiers avocats à affirmer que le harcèlement sexuel était une forme de discrimination, a représenté les autochtones d’Alaska dont les vies ont été affectées par le déversement pétrolier d’Exxon Valdez en 1989 ou encore a négocié un accord historique de 176 millions de dollars avec Texaco (compagnie pétrolière nord-américaine) dans une affaire de discrimination raciale – il prend cette nouvelle mission très à cœur. Nous avons pu nous entretenir avec lui.

Les Petites Affiches : Quand et comment avez-vous rencontré la jeune militante française Iris Dusquesne ?

Michael Hausfeld : La contestation venant de jeunes qui se battent contre le réchauffement climatique dure depuis plusieurs années maintenant. J’ai été contacté par un certain nombre d’organisations qui m’ont démarché pour savoir s’il y aurait un moyen de porter une plainte portant sur le réchauffement climatique, dans le cadre d’une procédure judiciaire. Nous avons commencé à travailler sur le dossier il y a environ deux ans, et la communauté des ONG a remarqué que nous étions intéressés à l’idée de poursuivre le combat. Ensuite, nous avons été en contact avec Greta Thunberg, puis avec un groupe appelé Friend of the Sea. Iris Duquesne en était membre. Nous avons commencé des recherches pour savoir quelle plainte pourrait être portée contre quels pays et sous quelle forme judiciaire, ce qui permettrait de favoriser la conscientisation, tout comme d’attirer une attention légale sur la question du réchauffement climatique et les droits des enfants. Cela nous a pris environ un an et demi, au terme duquel nous avons été en mesure d’établir le bon corpus législatif sur lequel nous baser, dans quelle juridiction porter la plainte, etc. Nous nous sommes concentrés sur le comité onusien des droits de l’enfant, qui est une institution internationale, de façon à ce que nous puissions atteindre les lois internationales et donner une plus grande portée sur un problème complètement global, qui ne s’applique pas seulement à quelques enfants en particulier, mais à tous les enfants de façon générale. Par la suite, nous avons interviewé un certain nombre de jeunes pour qu’ils deviennent de potentiels requérants, et nous avons sélectionné ceux qui se sont montrés le plus réceptif à cette idée et le plus prêts à s’engager dans le processus.

LPA : Quels étaient les critères précis ?

M.H. : Nous avons organisé des entretiens avec la totalité d’entre eux. L’un des critères objectifs était la durée de leur engagement, son importance, car nous voulions être sûrs qu’ils allaient vouloir s’impliquer sérieusement. Nous voulions mieux connaître ce qu’ils avaient fait depuis qu’ils s’étaient engagés, quelle connaissance ils avaient de leur propre situation et du réchauffement climatique, et si nous pensions qu’ils avaient le temps et les capacités de s’engager dans une procédure qui pourrait être un défi de taille, incluant notamment de s’exprimer devant des panels de gens assez impressionnants. Une fois choisis, ces jeunes ont bénéficié d’une formation portant sur la façon de s’exprimer publiquement, comment faire la preuve de leur intelligence tout comme de leur connaissance des problèmes écologiques, et comment évoquer à quel point le réchauffement climatique les affecte, eux comme les autres.

LPA :  Cela a-t-il été difficile de trouver le moyen légal d’agir ?

M.H. : Il y a beaucoup de plaintes dans le monde contre le réchauffement climatique émanant de citoyens, mais assez peu sont portées spécifiquement par les jeunes. Parmi ces affaires, peu d’entre elles ont été un succès. Cela a donc pris pas mal de temps pour concrétiser une stratégie, qui combinerait les principes internationaux, les droits des enfants et les lois environnementales, le tout connecté à la science, qui, dans le meilleur des cas, pourrait produire un résultat applicable internationalement.

LPA : Certains de ces jeunes ont-ils également lancé une action légale dans leur pays de naissance ?

M.H. : Certains l’ont fait, oui, mais pas la majorité d’entre eux. Mon cabinet suit la seule action légale qu’ils ont tous décidé de poursuivre collectivement et qui se déroule sur une base internationale, et non destinée à cibler un seul pays nationalement.

LPA : Comment avez-vous choisi les cinq pays – Argentine, Brésil, Allemagne, France, Turquie – qui sont ciblés dans la plainte ?

M.H. : La Convention des droits de l’enfant est l’accord le plus exécutif d’un point de vue global. Presque 200 pays l’ont signé et se sont, en théorie, engagés à respecter ces droits. Mais parmi les 200 signataires, seuls 46 de ces pays reconnaissent la juridiction du Comité des droits de l’enfant dans le cas d’une potentielle plainte que des enfants pourraient porter. Donc nous avions 46 pays, dont nous savions que s’il y avait une plainte pour violation de ces droits, ils seraient en capacité d’apparaître devant ce Comité, afin que ce dernier détermine s’il y avait ou non, violation. Nous avons ensuite regardé lesquels étaient les plus gros émetteurs de carbone et lesquels avaient une histoire qui permettrait de démontrer le bien-fondé de la plainte des jeunes gens.

LPA : Comment les pays attaqués ont-ils réagi ? Quelle est la dimension contraignante de la ratification du traité ?

M.H. : Une fois que des pays ont ratifié la Convention, ils sont tenus à une obligation envers le Comité, celle de répondre aux messages portés par les jeunes. Trois des pays : Brésil, Allemagne et France, ont contesté ou même refusé même d’écouter les messages sur la crédibilité des plaintes. Ils affirment que personne n’est seul responsable du réchauffement climatique. Au pire, ils disent qu’ils y ont contribué. Et si aucune personne n’est responsable du réchauffement climatique, alors ils ne pouvaient pas être responsables d’y contribuer.  Ensuite, ils ont avancé qu’ils étaient des nations souveraines, et que de ce fait, ils ne peuvent être tenus responsables que pour des actes commis ailleurs que sur leur territoire, un peu comme l’adage « Ce qui se passe à Las Vegas, reste à Las Vegas » ! Mais quand un pays cause des émissions dans l’atmosphère, elles ne s’arrêtent pas à la frontière ! Ils disent en substance, surtout l’Allemagne, que même s’ils savent que leurs émissions ne restent pas seulement sur leur territoire et causent du mal ailleurs, ils ne peuvent pas être tenus pour responsables, car c’est au-delà de leurs frontières.

LPA : Vous attendiez-vous à ces réactions ?

M.H. : Oui, on s’y attendait parce que c’est sommairement ce que ces pays disent déjà en dehors des procédures légales. Mais nous avons été déçus, parce que ces arguments n’ont aucun sens. Les deux autres pays ont, quant à eux, demandé plus de temps pour objecter, et ces objections sont attendues prochainement.

LPA : À quel stade du processus en êtes-vous actuellement ?

M.H. : La prochaine étape consiste à attendre les réponses de la France, de l’Allemagne et du Brésil concernant le bien-fondé de la plainte. Nous répondrons à cela, puis l’Argentine et la Turquie vont étudier la recevabilité de la plainte et son bien-fondé. C’est après que le Comité pourra déterminer à la fois la recevabilité de la plainte et son bien-fondé.

LPA : Avez-vous le sentiment de voir naître une nouvelle génération d’activistes jeunes et très engagés ?

M.H. : Oui, absolument ! Ce n’est pas une chose à part dans leur vie, c’est littéralement leur vie qui est en jeu. C’est leur futur. Tout ce qui a été écrit jusqu’à présent par la communauté formée de scientifiques respectés montre clairement que le réchauffement climatique va changer le monde en une plus mauvaise version. Le changement climatique va augmenter le taux de mortalité à cause des maladies, surtout pour les jeunes, qui sont particulièrement vulnérables aux changements ou aux altérations que la science attend, causés par le réchauffement. Ils le prennent très au sérieux, comme une menace à leur santé et à leur vie.

LPA : Comment communiquez-vous avec les jeunes issus des quatre coins du monde ?

M.H. : Ces jeunes ont une connaissance rigoureuse des situations autour d’eux, ce que cela signifie pour eux et ce qu’ils veulent en faire. Nous sommes en communication constante avec eux, nous avons mis au point une newsletter qui leur communique toutes les actions potentielles que nous pouvons mener, et quels sont les prochains pas à envisager. Nous avons un site de conversation ouvert, nous sommes aussi en contact avec leurs parents. Et il n’y a rien de ce que nous faisons dont ils ne sont pas au courant ou qu’ils n’ont pas validé auparavant.

LPA : Dans ce contexte, quel est le rôle des parents ?

M.H. : Quand on s’occupe de jeunes mineurs, il est très important qu’ils se sentent à l’aise et en confiance, surtout dans le cadre d’une relation avec un avocat. C’est important pour moi en tant que professionnel, mais aussi en tant que père et grand-père. Il faut que chacun puisse comprendre que c’est un effort conjoint. La coordination ne peut se faire en dehors de la confiance.

LPA : Comment s’est passé leur passage aux Nations unies en septembre 2019 ?

M.H. : Nous avons été très fiers d’eux, car ils ont dû faire face à des questions très précises émanant de reporters expérimentés, venant du monde entier. Ils ont dû répondre également à des questions plus personnelles, car le monde voulait savoir quelles étaient leurs histoires mais ils ont aussi répondu à des questions très scientifiques : que signifie le réchauffement climatique ? Quelles sont ces causes ? Comment cela les affecte maintenant, et dans les années à venir, etc. Ils se sont très bien exécutés, ils étaient très confiants dans le processus, ils comprenaient parfaitement ce qui allait être accompli, et ils étaient dans un environnement très accueillant à l’Unicef.

LPA : Comprenez-vous la dureté des attaques que subissent les militants en raison de leur jeune âge, comme en témoignent les critiques acerbes qu’a rencontrées Greta Thunberg ?

M.H. : Il faut beaucoup de courage de leur part, non seulement pour exprimer leurs sentiments, mais aussi pour entendre les critiques qui les attaquent, non pas sur le bien-fondé de leur démarche, mais sur des sujets personnels. C’est toujours un mélange d’attaques sur leur combat mais aussi sur ce qu’ils sont eux-mêmes : parfois, on voit leur solidarité et leur force s’exprimer, parfois, c’est beaucoup plus difficile pour eux.

LPA : Quattendez-vous des recommandations du Comité des droits de l’enfant ?

M.H. : Nous attendons toujours une date, mais nous aimerions demander au Comité d’accélérer le rendu de ses recommandations, car la situation ne va pas en s’améliorant.

LPA : La crise sanitaire actuelle nourrit-elle encore davantage votre réflexion, notamment sur le fait que la nature semble avoir repris ses droits en même temps que la baisse des émissions (usines, voitures…) diminuait ?

M.H. : Je ne dirais pas que la crise nourrit notre argumentation, mais je crois qu’il y a des leçons à tirer sur la réaction des gouvernements à la crise. Quand ils sont confrontés à une crise, véritable question de vie ou de mort, les gouvernements ont l’obligation d’agir et de fournir l’assistance sociale nécessaire à leurs citoyens afin de protéger les vies. Dans de telles situations, il faut s’en tenir à la science. Et quand se produit une crise internationale qui affecte les vies et la santé, la communauté internationale doit communiquer et coopérer, s’ils veulent répondre efficacement à la crise. On n’a plus qu’à convaincre les dirigeants que la crise climatique est aussi urgente que la crise sanitaire…

LPA : Jusqu’à présent, vous avez mené une carrière que l’on pourrait qualifier d’engagée. Accompagnez la plainte de ces jeunes, est-ce une façon de s’inscrire dans la même continuité ?

M.H. : Oui, c’est la continuation de mes combats précédents. J’ai toujours ressenti qu’il y a des situations où des gens, quel que soit leur combat, méritent d’être entendus de façon efficace. J’ai passé ma carrière à leur fournir la représentation qu’ils méritent, afin que les injustices dont ils sont victimes soient réparées.

LPA : Une fois les recommandations du Comité rendues, comment pourrez-vous vous assurer que les États signataires les respectent bien ?

M.H. : Il faut toujours vérifier ce que les États font, pas seulement leurs mots, mais aussi leur conduite. Le Comité pourra le faire, puis les pays d’origine eux-mêmes, puisqu’il existera désormais des principes de lois montrant que les États sont responsables dans leur propre système judiciaire.

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