La confiance… en l’administration fiscale
Les dispositions fiscales de la loi pour un État au service d’une société de confiance, même si elles peuvent apparaître en deçà des espoirs suscités par l’annonce du projet, renforcent le droit à l’erreur des contribuables et instituent notamment de nouvelles garanties procédurales.
Les députés ont définitivement adopté cet été, de manière relativement confidentielle, la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi confiance » ou « loi ESSOC », dont la plupart des dispositifs sont entrés en vigueur le 12 août 2018 (L. n° 2018-727 du 10 août 2018, JO : du 11 août).
Celle-ci a pu décevoir, au regard des annonces accrocheuses qui avaient été mises en avant lors des débats parlementaires, tels que « le droit à l’erreur » ou encore « la relation de confiance ».
Cela étant, cette loi apporte des améliorations s’agissant des garanties offertes aux contribuables, au regard notamment des rescrits (I), ainsi que des nouvelles possibilités de régularisation (II) et diverses mesures (III).
I) Amélioration des garanties accordées aux contribuables
A) Nouvelles garanties contre les changements de positions de l’administration
Les contribuables peuvent se prévaloir de prises de positions formelles de l’administration, afin de sécuriser fiscalement leur situation de fait ou leurs opérations à venir (conformément aux dispositions des articles L.80 A et L.80 B du LPF).
La « loi confiance » vient compléter ce dispositif, avec deux nouvelles mesures afférentes aux prises de position de l’administration au cours de contrôles fiscaux.
Dans un premier temps, la loi est venue légaliser le dispositif qu’il convient désormais d’appeler le « rescrit contrôle » (lequel résultait auparavant d’une simple tolérance administrative – BOFiP-CF-PGR-30-20 n°10).
Les entreprises ont la possibilité, dans le cadre d’un examen ou d’une vérification de comptabilité, de solliciter une prise de position expresse de la part du vérificateur s’agissant de certains points examinés ne donnant lieu à aucune rectification.
La mise en œuvre de cette garantie implique notamment une demande écrite de l’entreprise avant l’envoi d’une proposition de rectification.
Dans un deuxième temps, la loi met en place une « garantie fiscale » nouvelle, selon laquelle les points examinés au cours d’un contrôle et ne faisant l’objet d’aucune rectification pourraient être considérés comme tacitement acceptés par l’administration et donc opposables à celle-ci ultérieurement.
Selon les termes de la loi, ces points sont toutefois ceux que le vérificateur aura expressément mentionnés sur la proposition de rectification ou l’avis d’absence de rectification comme ne comportant ni insuffisance, ni exactitude ni omission, ni dissimulation.
Cette nouvelle garantie pourra s’appliquer pour les entreprises faisant l’objet d’un examen ou d’une vérification de comptabilité, et également pour les particuliers faisant l’objet d’un examen de situation fiscale personnelle.
Sous réserve de l’application qui en sera faite, et malgré les garde-fous qui sont venus limiter la mise en place d’un véritable rescrit tacite (comme envisagé initialement), ce dispositif pourrait présenter un véritable intérêt pour les contribuables.
Cela étant, son entrée en vigueur n’interviendra que pour les contrôles dont les avis seront adressés à partir du 1er janvier 2019.
B) Création de quatre nouveaux rescrits en matière de taxes d’urbanismes
Les quatre nouveaux dispositifs concernent uniquement les projets immobiliers supérieurs à 50 000 m² de surface taxable.
Le redevable peut demander une prise de position formelle de l’administration, s’agissant des taxes suivantes :
– La taxe d’aménagement (C. urb., art. L. 331-20-1) ;
– Le versement pour sous-densité (C. urb., art. L. 331-40-1) ;
– La taxe pour création de bureaux en Île-de-France (C. urb., art. L. 520-13-1) ;
– La redevance d’archéologie préventive (C. patr., art. L. 524-7-1).
Non visées par le Code général des impôts, celles-ci étaient jusqu’à présent exclues du champ des impositions pouvant faire l’objet d’un rescrit.
C) Création d’un nouveau recours en cas de contrôle sur pièces
Actuellement la Charte du contribuable vérifiée accorde, en matière de vérification et d’examen de comptabilité, ainsi qu’en matière d’ESFP, les possibilités de recours suivants :
– Saisine du supérieur hiérarchique du vérificateur ;
– Puis le cas échéant, celle de l’interlocuteur départemental.
La présente loi apporte la possibilité d’exercer un recours auprès du supérieur hiérarchique (mais pas de l’interlocuteur départemental) aux contribuables ayant reçu une proposition de rectification dans le cadre d’une procédure de rectification contradictoire à l’issue d’un contrôle sur pièces.
Dans la mesure où ce recours est ouvert dans le délai équivalent à celui d’un recours contentieux, celui-ci pourra être exercé non seulement avant, mais également, après la mise en recouvrement et le paiement des suppléments d’impôt (contrairement à ce que permet la doctrine administrative en matière de vérification et d’examen de comptabilité, ainsi qu’en matière d’ESFP).
Ce dispositif constitue donc une réelle avancée pour les contribuables.
D) Expérimentation d’une durée de contrôle limitée au sein des PME
À titre expérimental, pour une durée de 4 ans et uniquement dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, l’ensemble des contrôles opérés par les administrations (Urssaf, concurrence, consommation et répression des fraudes, contrôles fiscaux ou douaniers, etc.) à l’encontre des PME ne pourront pas dépasser pour un même établissement :
– Une durée cumulée de neuf mois ;
– Sur une période glissante de trois ans.
Un décret doit préciser les modalités d’application de cette disposition.
E) Vers une nouvelle procédure de rescrit, par voie d’ordonnance
Dans le cadre d’une nouvelle « relation de confiance » (en référence au dispositif expérimental mis en place en 2013, qui permettait à des entreprises de soumettre volontairement à l’administration des éléments déclaratifs, en vue d’une validation de leurs déclarations) entre les entreprises et l’administration fiscale, la « loi confiance » autorise le gouvernement à instituer par ordonnance, un nouveau dispositif de rescrit.
Cette ordonnance devrait intervenir dans un délai de neuf mois à compter du 11 août 2018.
Celle-ci pourrait constituer un point majeur dans l’évolution des relations entre les entreprises et l’administration fiscale, en favorisant la voie d’une collaboration mutuelle, mais elle implique un changement de culture radical.
II) Des nouvelles possibilités de régularisation des erreurs
Mettant en avant le « droit à l’erreur » pour les contribuables de bonne foi, la « loi confiance » a institué ou légalisé différents dispositifs ayant en commun de permettre aux contribuables de régulariser leur situation pour bénéficier de diminutions d’intérêts de retard ou d’une exonération d’amende, selon les cas.
A) Régularisations d’erreur permettant une diminution des intérêts de retard
Le taux de l’intérêt de retard applicable à l’ensemble des rappels d’imposition, pour les intérêts courus depuis le 1er janvier 2018, s’élève à 0,2 % par mois de retard (soit 2,4 % au bout d’un an), contre 0,4 % par mois auparavant.
La « loi confiance » permet désormais aux contribuables, sous certaines conditions, de régulariser leur situation tout en bénéficiant d’un taux réduit d’intérêts de retard sur les rappels d’impôts occasionnés :
– en cas de régularisation spontanée d’une erreur de déclaration avant tout contrôle, l’intérêt de retard applicable est réduit de moitié ;
– en cas de régularisation « spontanée » en cours de contrôle, l’intérêt de retard applicable est réduit de 30 % (jusqu’alors réservée aux vérifications et examens de comptabilité, ce dispositif est désormais applicable aux contrôles sur pièces et examens contradictoires de situation fiscale personnelle).
Ces deux mesures de faveur concernent les cas d’erreurs ou omissions, commises de bonne foi par le contribuable, dans une déclaration initialement souscrite dans les délais prescrits.
En outre, celles-ci sont subordonnées au paiement des droits simples dus par le contribuable (le paiement devant être effectué en même temps que la déclaration rectificative, s’il s’agit d’impôts non recouvrés par voie de rôle, et au plus tard à la date limite de paiement portée sur l’avis d’imposition, s’il s’agit d’impôts recouvrés par voie de rôle).
À cet égard, ces deux dispositifs s’accompagnent, pour les contribuables qui ne seraient pas en mesure de payer les droits à la date requise, de la possibilité de s’engager à les acquitter dans le cadre d’un plan de règlement accepté par le comptable public.
B) Exonération d’amendes pour défaut de production de certains documents ou d’informations
Dans un premier temps, la loi légalise la possibilité déjà admise par la doctrine administrative, permettant la régularisation du défaut de déclaration des honoraires et commission, au titre des trois années précédentes, sans application de l’amende de 50 % des sommes non déclarées (prévue par l’article 1736 du CGI).
Cette régularisation peut désormais avoir lieu même au cours d’un contrôle fiscal.
Dans un deuxième temps, la loi introduit une possibilité de régularisation spontanée ou sur demande de l’administration, en cas de défaut de production de certains documents, sans application de l’amende de 5 % sur les sommes omises (prévue par l’article 1763 du CGI, et dont le taux peut être ramené à 1 % lorsque les sommes correspondantes sont effectivement déductibles).
Les documents visés par la mesure sont les suivants :
– Tableau des provisions ;
– Relevé des frais généraux ;
– États spécifiques aux groupes intégrés ;
– État et registre des plus-values en sursis d’imposition ;
– État de suivi des moins-values ;
– État de suivi des plus-values en cas de transfert du siège ou d’un établissement à l’étranger.
Jusqu’à présent la seule tolérance administrative qui existait en la matière, visant l’état de suivi des plus-values en sursis et ne permettait d’éviter l’application de l’amende de 5 %, que si l’administration estimait l’entreprise en situation de « moralité fiscale irréprochable » (notion floue et non définie, laissée à sa libre appréciation).
Cette nouvelle voie de régularisation se révèle donc particulièrement intéressante, en instaurant un véritable « droit à l’erreur » pour les contribuables de bonne foi, en cas de première infraction commise au cours de l’année civile et des trois précédentes.
Il convient toutefois de relever que ce droit est encadré de conditions temporelles notamment.
III) Diverses mesures facilitent les relations entre l’administration et les contribuables
A) Libre accès aux valeurs foncières déclarées à l’administration
Un nouveau dispositif prévoit de rendre accessible, à l’ensemble des contribuables, les éléments d’information que l’administration détient au sujet des valeurs foncières déclarées à l’occasion des mutations intervenues au cours des cinq dernières années.
Cet accès généralisé concernerait autant les particuliers que les personnes morales (publiques ou privées), et s’effectuerait selon une procédure électronique (sans qu’aucune mesure d’identification ou de justification préalable ne soit exigée – contrairement notamment au dispositif « Patrim » déjà existant pour les particuliers).
Un décret doit cependant préciser les modalités d’application de cette disposition.
B) Élargissement des compétences des commissions administratives des impôts
Les commissions des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires peuvent désormais se prononcer sur la qualification de charge déductible ou d’immobilisation de toute dépense engagée par une entreprise (sans restriction de leur compétence aux seules dépenses afférentes aux travaux immobiliers).
C) Dispense de télédéclaration et de télépaiement dans les zones blanches
Les contribuables personnes physiques qui résident dans des « zones blanches », celles où aucun service mobile n’est disponible, sont dispensés de l’obligation de télédéclaration de leurs revenus et de télépaiement de leurs impôts.
Un grand nombre des dispositifs ainsi mis en place doivent encore être complétés par décrets ou ordonnance (et commentés par l’administration), ce qui permettra d’en apprécier pleinement la portée.
Toutefois, il ressort d’ores et déjà que ces mesures apportent des avancées certaines en faveur de l’amélioration des rapports des contribuables avec leur administration fiscale.