La déclaration informative adressée par le notaire à la SAFER à l’épreuve de la loi du 13 octobre 2014
La déclaration informative prévue à l’article R. 143-9 du Code rural et de la pêche maritime ne vaut pas offre de vente tant et si bien que la notification par la SAFER de son droit de préemption n’a pas eu pour effet de rendre la vente parfaite.
Cass. 3e civ., 5 nov. 2015, no 14-21854, PB
1. Les esprits chagrins ne manqueront pas de souligner que depuis trop d’années le contentieux du droit de préemption de la SAFER se développe à un rythme effréné que peine à suivre les spécialistes en droit rural. En l’espèce, un propriétaire de parcelles à vocation agricole souhaite les vendre à deux acquéreurs1. Ces derniers déclarent qu’ils ont la qualité de preneur en place et qu’ils exploitent le bien depuis de nombreuses années. Conformément aux articles L. 143-4, L. 143-6 et R. 143-9 du Code rural, le notaire instrumentaire procéda à l’information de la SAFER2. Présumant une fraude des preneurs en place, la SAFER assigne les vendeurs en réalisation de la vente forcée devant le TGI de Digne-les-Bains en soutenant que la déclaration réalisée conformément à l’article R. 143-9 du Code rural et de la pêche maritime valait offre de vente. En appel sa demande est rejetée par la cour d’appel d’Aix en Provence. Contre toute attente, les hauts magistrats estiment que les juges du fond ont « retenu à bon droit que la déclaration prévue à l’article R. 143-9 précité ne vaut pas offre de vente, de sorte que la notification par la SAFER de son droit de préemption n’a pas eu pour effet de rendre la vente parfaite, la cour d’appel en a exactement déduit, sans modifier l’objet du litige ni violer le principe de la contradiction, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant, que la venderesse pouvait valablement revenir sur sa décision de vendre ». Contre toute attente, écrivons-nous, car cette décision est rendue contre l’avis de l’avocat général3, d’autant plus que la loi du 13 octobre 20144 va modifier notamment les modalités d’information de la SAFER.
2. Si pour la Cour de cassation la déclaration informative transmise par le notaire instrumentaire prévue à l’article R. 143-9 du Code rural ne vaut pas offre de vente (I), la question se pose naturellement de l’avenir de cette décision rendue sous l’empire de l’ancienne législation (II).
I – Le droit de préemption de la SAFER, le notaire et la volonté des parties contractantes
3. Pour la haute juridiction, la déclaration informative transmise par le notaire instrumentaire à la SAFER n’est pas une offre de vente (A) qui ne saurait remettre en cause la volonté des parties (B).
A – Le notaire chargé d’une déclaration informative
4. La jurisprudence judiciaire abonde sur la question du droit de préemption des SAFER5 et sur la transmission de la notification réputée valoir offre de vente6. La raison d’être de cette difficulté puise sa source dans les dispositions du Code rural consacrées à la transmission de l’information par le notaire chargé d’instrumenter7. Entre notification réputée valoir offre de vente8 et simple déclaration pour information9 l’hésitation est permise du fait de la complexité du domaine d’application de droit de préemption ainsi que du risque de concurrence et de hiérarchie entre le droit préférentiel des SAFER avec d’autres droits de préemption.
5. Selon la technique éprouvée du renvoi, dont on sait qu’elle est omniprésente dans d’autres matières et notamment en droit du travail, l’article L. 143-8, alinéa 1er du Code rural renvoie aux articles L. 412-8, alinéa 1er et R 143-9, alinéa 1er du même code. S’appuyant sur les recommandations du Conseil supérieur du notariat10, ce renvoi signifie que le notaire chargé de rédiger l’acte de vente et investit d’un mandat légal pour procéder aux formalités de purge11. Le notaire peut être chargé de procéder aux formalités de purge par une réquisition d’instrumenter12.
6. En l’espèce, le notaire instrumentaire adressa la déclaration informative à la SAFER conformément à l’article L. 143-9 du Code rural13. La SAFER contesta la qualité de preneur des acquéreurs dans le cadre d’une déclaration informative qui ne vaut pas offre de vente14. Le jugement tribunal de grande instance de Digne-les-Bains est confirmé par la cour d’appel d’Aix en Provence qui rejeta la demande de la SAFER, confirmant ainsi l’option choisie par le notaire instrumentaire. S’il est admis que la déclaration informative ne cesse de se développer, force est de reconnaître qu’elle suscite l’intérêt autant que la perplexité15.
7. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer dans le même sens dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 décembre 2011, qui considère que : « la déclaration prévue à l’article R. 143-9 du Code rural et de la pêche maritime ne vaut pas offre de vente et qu’elle avait relevé que la SAFER exerçait son droit de préemption sur l’intégralité de la propriété y compris sur la partie affermée à la SCEA dont le droit de préemption était pourtant prioritaire, sans déterminer sur quelle partie du domaine la SCEA jouissait d’un droit de préemption prioritaire, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés »16. La doctrine ne manque pas de critiquer la sévérité de cette position jurisprudentielle, en faisant remarquer que la position prise par le notaire à travers le choix du document adressé – notification ou déclaration – ne semblait ni pouvoir étendre, ni pouvoir réduire les prérogatives de la SAFER17.
B – Prévalence de la volonté des parties contractantes sur du droit de préemption de la SAFER
8. Dans le bras de fer qui s’exerce entre les parties contractantes et la SAFER, il y a un sentiment fort de la part de cette dernière de mettre en avant l’ordre public du droit de préemption. Le mécanisme de l’offre prévu dans le Code rural est bien différent de la notion d’offre progressivement élaborée par la jurisprudence et la doctrine18. Aussi, le régime juridique de l’offre peut être résumé de la manière suivante. Dans l’hypothèse où la notification adressée à la SAFER « vaut offre de vente » en vertu de l’article L. 412-8 du Code rural qui renvoi à l’article L. 143-8 dudit code, tandis que la déclaration de préemption vaut acceptation19. Dans ces conditions, même si le préempteur ne saurait être tenu d’autres obligations que celles portées à sa connaissance, il n’en demeure pas moins vrai que l’offre adressée au préempteur est forcée contre la volonté du vendeur qui a déjà trouvé son acquéreur20. Plus précisément, on peut d’abord raisonnablement soutenir que le droit de préemption est un droit d’acquérir en priorité ante rem venditam21. On pourrait également envisager le droit de préemption comme un droit de substitution d’un acquéreur. Il semble que cette seconde position soit plus pertinente que la première dans la mesure où le droit de préemption n’a de raison d’être que de l’existence d’un accord survenu entre le vendeur et l’acquéreur pressenti22.
9. En l’espèce, les arguments de la SAFER pour déclarer la vente parfaite reposaient essentiellement sur le fait que l’acceptation par cette dernière de la déclaration informative adressée par le notaire instrumentaire suffit à rendre la vente parfaite en l’absence d’exercice d’un droit de préemption pouvant primer le sien. La haute juridiction approuve les juges aixois d’avoir écarté notamment cet argument dans les termes suivants : « Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que la déclaration prévue à l’article R. 143-9 précité ne vaut pas offre de vente, de sorte que la notification par la SAFER de son droit de préemption n’a pas eu pour effet de rendre la vente parfaite, la cour d’appel en a exactement déduit, sans modifier l’objet du litige ni violer le principe de la contradiction, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant, que la venderesse pouvait valablement revenir sur sa décision de vendre ».
10. Cette solution rendue par la haute juridiction risque cependant d’encourager les contournements du droit de préemption de la SAFER, comme le souligne fort justement un auteur en précisant : « c’est le succès des montages frauduleux qui motive le législateur a toujours plus étendre l’empire du droit de préemption (aux démembrements de la propriété, aux donations…) »23.
II – L’avenir de la déclaration informative adressée à la SAFER
11. Cette décision rendue sous l’empire de l’ancienne législation (A), doit naturellement être mise en perspective avec les nouvelles dispositions d’information créées par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 (B).
A – Sous la menace d’un contentieux latent
12. Cet arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation ne devrait pas disparaître complètement de la jurisprudence relative au droit de préemption de la SAFER. On sait que le droit rural est un droit jurisprudentiel lié à la complexité des textes. Il apparaît notamment douteux que la solution rendue par les hauts magistrats satisfasse les SAFER. Le moins que l’on puisse dire est que les dispositions de l’article L. 143-8, alinéa 1er du Code rural ne brillent pas par leur clarté. L’arrêt commenté offre une illustration de la notion de formalités, telle qu’appréhendée dans le cadre de la purge du droit de préemption. Apparemment non lassées de l’abondant contentieux suscité par le droit de préemption, les SAFER n’hésiteront pas à saisir la Cour de cassation comme en témoigne l’arrêt d’espèce.
13. Dans le même veine la Cour de cassation a considéré que : « Me X avait procédé à la notification du projet de vente à la SAFER dans les conditions prévues par l’article L. 412-8 du Code rural en sa qualité de professionnel investi d’une mission légale, et qu’il n’était pas tenu de joindre à la notification un avant-contrat, un mandat exprès d’instrumenter et la signature du propriétaire et qu’aucun élément ne permettait de mettre en cause le fait que la SAFER ait pu légitimement croire que le notaire avait le pouvoir d’engager la SCI Megève, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’un mandat apparent, a retenu à bon droit que la SAFER avait régulièrement exercé son droit de préemption en acceptant le prix et les conditions de la vente formulés dans la notification »24. Toutefois, la précaution est de mise car l’arrêt rendu le 4 octobre 2000 ne permet pas de répondre exactement à une autre question concernant la relation du notaire avec le vendeur voire avec le vendeur et l’acquéreur. Il est recommandé dans ce cas d’être muni d’un mandat spécial d’instrumenter25.
B – L’émergence d’une obligation générale d’information
14. Supprimant la distinction de la notification et de la déclaration au profit d’une obligation d’information unique et généralisée26, la loi du 13 octobre 2014 ainsi que deux décrets d’application des 31 juillet 201527 et 18 août 201528, ont modifié les modalités d’information et du droit de préemption des SAFER29. À partir du 1er janvier 2016, ce formalisme informatif impose au notaire instrumentaire de faire connaître aux SAFER, conformément aux articles L. 141-1-1 et R. 141-2-1 du Code rural et de la pêche maritime, des informations, ratione materiae, concernant des biens ou droit mobiliers ou immobiliers à vocation rurales objet d’une mutation à titre onéreux ou à titre gratuit, en pleine propriété ou démembrés. Le champ d’application de l’obligation d’information rationae loci concerne tous les biens à vocation rurale situés dans le ressort où se situent les biens cédés30.
15. En cas de non-respect de l’obligation d’information d’une opération entrant dans le champ d’application du droit de préemption, la SAFER est en droit d’agir en nullité de la vente. A contrario, si l’opération n’entre pas dans le champ d’application du droit de préemption, conformément à l’article L. 141-1-1, III du Code rural et de la pêche maritime, « (..) l’autorité administrative peut, d’office ou à la demande de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural, prononcer une amende administrative, égale au moins au montant fixé à l’article 131-13 du Code pénal pour les contraventions de la cinquième classe et au plus à 2 % du montant de la transaction concernée. Les frais résultant des mesures nécessaires à l’exécution de cette sanction sont à la charge du contrevenant (…) ». On peut noter que le cédant ou le notaire est visé comme auteur de la notification31.
16. Gageons que la loi du 13 octobre 2014 devrait échapper à ce travers jurisprudentiel qui illustre la complexité de l’état du droit rural en matière de droit de préemption de la SAFER.
Notes de bas de pages
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1.
« Vente au preneur et portée de la déclaration informative à la SAFER » : Defrénois flash 30 nov. 2015, p. 1, n° 131e6. Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », JCP N 2015, 1223, spéc. n° 48.
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2.
Guide de l'utilisation des imprimés d’information SAFER : Conseil supérieur du notariat / Fédération nationale de la SAFER,
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3.
Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », préc.
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4.
Rivier M., « Les nouvelles missions des SAFER après la loi d’avenir pour l’agriculture » : Defrénois 30 août 2015, p. 790, n° 120m7.
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5.
Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural.
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6.
Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », préc.
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7.
Ibid.
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8.
C. rur. pêche maritime, art. L. 412-8 et R. 143.
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9.
C. rur. pêche maritime, art. L. 143-4, L. 143-6 et R. 143-9.
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10.
« Le VIP, données juridiques » : Revue du Conseil supérieur du notariat, supp. 1981-2, p. 29, in Guide de l'utilisation des imprimes d’information SAFER : Conseil supérieur du notariat / Fédération nationale de la SAFER, op. cit. ; Recueil de solutions d'examens professionnels, t. III : Droit de la construction – Droit rural, urbanisme et environnement ; Recueil d'examens professionnels, Vente de fond rural, Lextenso, p. 461 et s.
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11.
Ibid.
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12.
Ibid.
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13.
Defrénois flash, 30 nov. 2015, p. 1, n° 131e6.
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14.
Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », préc.
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15.
Dabosville B., L'information du salarié. Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, vol. 123, n° 403, p. 334.
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16.
Barbièri J.-J. et Roussel F., « Étendue du droit de préemption de la SAFER en cas de vente en bloc portant sur des biens partiellement exemptés », JCP N 2012, 1236, spéc. n° 21.
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17.
Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », préc.
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18.
Aubert J.-L., Notions et rôles de l'offre et de l'acceptation dans la formation du contrat, Flour J. (préf.), LGDJ, 1970, nos 6 et s. Collard F., « Le droit de préemption de la SAFER prévaut sur la volonté des parties », JCP N 2015, 1113, spéc. n° 26.
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19.
Prigent S., « Préemption d'une SAFER : l’impossible condition », AJDI 2015, p. 696.
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20.
Collard F., « Le droit de préemption de la SAFER prévaut sur la volonté des parties », préc.
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21.
Pillet G., « Préemption et retraits », n° 86, Rép. droit immobilier Dalloz.
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22.
Celle B., La vente d'un bien rural au regard des droits de préemption, université de Reims Champagne-Ardenne, 2014.
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23.
Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », préc.
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24.
Cass. 3e civ., 4 oct. 2000, n° 99-11268.
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25.
Guide de l’utilisation des imprimes d’information SAFER, préc., p. 7.
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26.
Grimonprez B., « SAFER : mal déclarer n'est pas vendre », préc.
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27.
JO 2 août 2015, p. 13250 : Defrénois flash 7 sept. 2015, p. 11, n° 130b8.
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28.
JO 2015, p. 14578 : Defrénois flash 7 sept. 2015, p. 11, n° 130b8.
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29.
« Vente au preneur et portée de la déclaration informative à la SAFER », préc.
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30.
Besson S., Bosse-Platière H., Collard F., Travely B., « Le bel avenir promis à la SAFER par la loi du 13 octobre 2014 », JCP N 2014, 1351, spéc. n° 48.
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31.
Ibid.