La loi relative aux autorités administratives indépendantes : apports et limites
En décembre 2017, le législateur – organique et ordinaire – est intervenu pour tenter de rationaliser la catégorie quadragénaire des autorités administratives indépendantes. Suite à plusieurs critiques et notamment à des travaux parlementaires approfondis, il semblait nécessaire d’apporter au moins des critères plus lisibles dans la logique de la recherche de meilleure qualité du droit. Au regard de ces lois, les définitions demeurent insuffisamment précises, tandis que le régime juridique de ces autorités semble désormais renforcé en termes de déontologie et de contrôle.
Par une loi organique1 et une loi ordinaire2, le régime des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes a été rationalisé. La notion d’« autorité administrative indépendante » apparaît en France au début des années 1970, notamment pour répondre à des inquiétudes citoyennes face à l’administration de certains domaines sensibles. C’est le projet de fichier dit Safari3 qui apparaît, a posteriori et avec le recul du temps, comme un des facteurs déclencheurs des premières autorités administratives indépendantes. Pour autant l’idée même est plus ancienne. En effet, on observe que « dans la plupart des pays européens, l’idée et l’existence des autorités administratives indépendantes apparaissent lors de deux grandes périodes, l’une dans les années 1970, l’autre dans les années 1990 », la seconde vague concernant en particulier les pays d’Europe centrale et orientale. Les années 2000 voient, quant à elles, se développer une précision et des réformes d’un certain nombre de ces autorités pour mieux prendre en compte les exigences renouvelées du droit européen.
Le modèle des autorités ou agences indépendantes est en effet apparu à la fin du XIXe siècle dans le droit nord-américain, pour rompre dans certaines matières avec l’Administration traditionnelle (regular), dont la caractéristique est d’être directement soumise au pouvoir exécutif.
La première des Public Authorities ou Independent Agencies américaines fut la Interstate Commerce Commission, créée en 1887 pour assurer la régulation et le contrôle du commerce et des transports entre les différents États fédérés. Ce sont, en fait, des organismes publics formellement intégrés au pouvoir exécutif, mais qui bénéficient d’une relative autonomie, puisqu’ils dépendent à la fois de l’exécutif et du législatif, conformément au système constitutionnel américain de « pouvoirs partagés » (shared powers)4. Au Royaume-Uni, on peut citer, dans la même logique, les QUANGOs, Quasi autonomous non-governmental organisations.
Ainsi, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) est créée par une loi de 19785. Dans son article 1er, modifié plusieurs fois, la loi dispose que « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’Homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. / Toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant, dans les conditions fixées par la présente loi ».
Avant même cette création, il faut mentionner la loi de 19736 instituant le médiateur de la République. Sa mission était alors définie en son article 1er comme suit : « Un médiateur de la République, autorité indépendante, reçoit, dans les conditions fixées par la présente loi, les réclamations concernant, dans leurs relations avec les administrés, le fonctionnement des administrations de l’État, des collectivités publiques territoriales, des établissements publics et de tout autre organisme investi d’une mission de service public. / Dans la limite de ses attributions, il ne reçoit d’instruction d’aucune autre autorité ». Ces dispositions sont désormais abrogées, dans la mesure où l’institution du Défenseur des droits, en 20117, se substitue à plusieurs anciennes autorités, dont le médiateur.
Les années 1980 et 1990 voient fleurir une série d’autorités administratives indépendantes dans des domaines aussi variés que l’audiovisuel, la bourse ou encore l’énergie. Le point commun de ces autorités est qu’elles portent sur des domaines sensibles ou renouvelés par les exigences du droit européen notamment. L’État décide progressivement de faire sortir ces domaines de la hiérarchie administrative classique.
La méthode est inédite et les premiers pas incertains. En effet, il faudra s’y reprendre à plusieurs fois pour asseoir durablement certaines autorités administratives indépendantes, comme en atteste par exemple le secteur de l’audiovisuel. Il faut, pour le comprendre, se souvenir de ce que l’audiovisuel était, jusqu’à la fin des années 1970, sous contrôle de l’État. En 1945, au lendemain de la guerre, l’État français a établi son monopole sur la radiodiffusion en créant la Radiodiffusion française ou RDF. Avec l’apparition de la télévision, cet organisme est devenu la Radiodiffusion-Télévision française (RTF), puis l’Office de la radiodiffusion-télévision française en 1964. Le 18 octobre 1967. Une régie publicitaire est créée pour compléter le budget de l’Office jusqu’alors entièrement financé par la redevance. Georges Pompidou défend le projet de l’introduction de la publicité devant l’Assemblée nationale en mai 1968. En 1972, Arthur Conte accède au poste de PDG de l’ORTF mais se heurte rapidement à un contrôle politique encore très présent. Le ministère de l’Information est même rétabli en 1973. En désaccord ouvert avec cette politique, il annonce publiquement qu’il ne supporte plus les interventions politiques qu’il qualifie d’intolérables. Il est immédiatement limogé. Le 23 octobre 1973, le conseil des ministres désigne Marceau Long pour le remplacer. L’ORTF sera finalement démantelé fin 1974. Il est remplacé par sept sociétés différentes : Radio France pour la radio, trois sociétés nationales de télévision (TF1, A2 et FR3), enfin, trois établissements publics : Télédiffusion de France (TDF), la Société française de production (SFP) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA)8.
Il faudra attendre 1982, un an après la fin du monopole d’État sur l’audiovisuel, pour voir la création de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA), première instance de régulation des médias audiovisuels, dans le but de « couper le cordon ombilical » entre le pouvoir politique et les médias. Elle formalise la règle des trois tiers : chaque mois, le gouvernement, la majorité parlementaire et l’opposition parlementaire doivent bénéficier d’un temps de parole égal.
Cette première autorité, dont le but est évidemment de détacher en partie l’audiovisuel de la structure administrative classique, ne durera que quelques années, pour être remplacée par d’autres structures, jusqu’à la mise en place du plus durable Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ainsi, il faut retenir de cette période, l’année 1985 qui voit l’adoption de la loi sur les télévisions privées. La Haute autorité délivrera les autorisations, TDF conserve le monopole de diffusion. Le 30 septembre 1986 est adoptée la loi sur la liberté de communication. Elle remplace la Haute autorité par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) et entérine la privatisation de TF1. Le 28 novembre 1986 sera adoptée la loi Anti-concentration limitant les positions dominantes dans l’audiovisuel et la presse écrite. Le 30 janvier 1989, la CNCL est remplacée par le CSA.
Le 4 août 1989 est adoptée la loi sur la présidence commune de A2 et FR3. Le 1er février 1994 est adoptée une nouvelle loi qui modifie celle du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, et qui permet à un opérateur de détenir jusqu’à 49 % du capital d’une chaîne privée. Enfin, le 21 mars 2000, le projet de loi de la ministre de la Culture, Catherine Trautmann, est adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale. Le texte fortement modifié par rapport à celui adopté en première lecture en mai 1999, prévoit notamment la création d’une holding regroupant les chaînes publiques (à l’exception de La sept-Arte et de Réseau France outre-mer, RFO), la réduction du temps de publicité sur France 2 et France 3 et le renforcement du financement du secteur public. Il traite également de la diffusion numérique terrestre. Cet exemple est archétypique de la difficulté de trouver le bon modèle de régulation. La loi de 2013 modifie la composition du CSA en faisant passer le nombre de ses membres de neuf à sept.
Plusieurs caractéristiques sont communes à ces autorités, en vue de répondre à cette exigence ambiguë de maintien d’une régulation étatique, mais dans des conditions renouvelées, moins mues par la notion de contrôle que par celle d’encadrement.
Cependant, la multiplication de ce type d’autorités a conduit à s’interroger à la fois sur leur nombre, leur utilité et la nécessité de les réformer, dans leur définition, comme dans leur régime juridique. Le paroxysme de ces interrogations est atteint avec la publication du rapport de la commission d’enquête mise en place sur ce thème, le 4 novembre 2015. Son titre est éloquent : « Les autorités administratives indépendantes (AAI), un État dans l’État », le sous-titre ne l’est pas moins, « Canaliser la prolifération des AAI pour mieux les contrôler ».
Les critiques alors formulées peuvent se résumer en quelques lignes forces. En premier lieu est stigmatisée une création incontrôlée. Le nombre d’autorités administratives indépendantes dépasse alors les 40. La création, initialement parcimonieuse et raisonnable, est suivie d’une inflation désordonnée. En deuxième lieu, et de manière évidemment liée, le manque d’homogénéité de ces structures croît avec le nombre. En l’absence de définition préalable, toute autorité non proprement étatique, mais rattachée à l’action publique, peut se voir qualifiée d’autorité administrative indépendante. Cependant, les pouvoirs et marges de manœuvre de ces autorités, selon les cas, sont très variables. Il en résulte un manque de lisibilité pour le citoyen, et un droit de regard insuffisant par l’État central. C’est cet élément qui explique le sous-titre du rapport « Un État dans l’État ». Or si la philosophie de ce type d’autorité est sans doute louable et conforme à la recherche de modernisation d’un État qui doit être stratège et non omni acteur des sphères technique, culturelle et économique, les dérives qui en ont résulté au fil du temps le sont moins. L’autorité administrative indépendante est progressivement apparue comme un possible prétexte, une potentielle réponse – inadaptée – à un problème ou scandale d’État.
L’amplitude des prérogatives que les textes leur octroient est une source de difficulté à plusieurs titres. Outre le phénomène de concurrence possible de l’État, dans des domaines où le contrôle de l’État est indispensable, la question de la confusion des pouvoirs est rapidement apparue. En effet, des autorités comme l’Autorité des marchés financiers sont dotées de pouvoirs d’information, d’instruction, mais aussi de sanction. Or qu’il s’agisse de principes nationaux ou de principes de droit européen, la question du contrôle est devenue sensible. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme a développé, de longue date, le principe de l’autonomie des notions qu’elle a à traiter. Cela signifie qu’étant le juge des droits fondamentaux, en vertu des traités, à l’échelle européenne, elle reste maître de la définition de chaque notion. Dès lors, fût-elle qualifiée d’« administrative », une autorité indépendante dotée d’un pouvoir de sanction devra selon le degré des sanctions possibles, être soumises aux règles inhérentes au droit au procès équitable.
Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, un tribunal se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel, qui consiste à « trancher, sur la base de normes du droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence 9». La Cour de cassation a d’emblée adopté cette démarche avec son arrêt COB c/ Oury du 5 février 1999, en jugeant que la Commission des opérations de bourse, bien qu’elle ne constitue pas une juridiction, soit soumise aux stipulations de l’article 6 de la CEDH59.
La jurisprudence administrative, compétente sauf exceptions, en matière d’autorités administratives indépendantes, a ensuite balisé le terrain avec plusieurs décisions à la fin des années 1990. Le Conseil d’État a en particulier examiné la participation du rapporteur aux travaux du collège de l’autorité chargée de délibérer et de prononcer, le cas échéant, une sanction. Ainsi, dans son arrêt Didier10, pour juger que la participation du rapporteur aux débats et au vote à l’issue desquels le Conseil des marchés financiers a prononcé une sanction n’emportait « aucune méconnaissance du principe d’impartialité rappelé à l’article 6-1 de la CEDH », il vérifie que le rapporteur n’est pas à l’origine de la saisine, qu’il ne participe pas à la formulation des griefs, qu’il n’a pas le pouvoir de classer l’affaire ou, au contraire, d’élargir le cadre de la saisine, et que les pouvoirs d’investigation dont il est investi pour vérifier la pertinence des griefs et des observations de la personne poursuivie ne l’habilitent pas à faire des perquisitions, des saisies, ni à procéder à toute mesure de contrainte au cours de l’instruction.
La question du contrôle démocratique s’ajoute aux précédentes. Le Parlement n’a qu’un droit de regard limité sur ces autorités. La question du recrutement des membres est aussi cruciale. Si l’une des qualités de ce type d’autorité est d’être composée, au moins en partie, de spécialistes, de professionnels du secteur concerné, la direction a donné lieu à une sorte de haute fonction publique dupliquée dans ces structures. La synthèse du rapport de la commission d’enquête est éloquente sur ce point, en mettant en évidence, « les membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes occupent plus de 30 % des sièges et 60 % des présidences de ces autorités. 22 de ces membres cumulent plusieurs fonctions au sein de deux, trois voire quatre de ces autorités. Dans la durée, certains membres deviennent de véritables « professionnels » des AAI (directeur général, membre puis président) »11. Enfin, le coût financier de ces structures a été estimé souvent trop élevé par rapport aux missions imparties et réalisées.
Dans son étude annuelle pour 2010, le Conseil d’État, qui avait consacré cette étude aux autorités administratives indépendantes, définissait ainsi ces structures : « Selon une approche générale communément admise, les autorités administratives indépendantes peuvent être définies comme des organismes administratifs, qui agissent au nom de l’État et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement. Elles présentent de ce fait une particularité importante au regard des principes traditionnels d’organisation de l’État, qui font aboutir au ministre et soumettent au pouvoir hiérarchique ou de tutelle du gouvernement l’ensemble des administrations étatiques12 ».
À partir de cette série de constats pour le moins alarmant, ce sont 11 propositions concrètes qui ont été formulées à la fin du rapport de la commission d’enquête. Elles ont été assez largement suivies dans la loi de janvier 2017.
Ainsi, même posées par les lois successives et leurs réformes, la lisibilité des autorités administratives indépendantes et de leur fonctionnement a progressivement suscité une série d’interrogations de la part des autorités publiques. Ainsi de plusieurs rapports du Sénat, outre celui précité lié à la commission d’enquête, ont pu être publiés. Par exemple, il y a déjà plus de 10 ans, le Sénat consacrait une étude sur « Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié (tome 1 : rapport)13 ». 8 ans plus tard, un nouveau rapport dressait le constat sévère que, mis à part quelques exceptions de fusions, comme la création du Défenseur des droits en 2011 regroupant plusieurs anciennes autorités, la multiplication s’était poursuivie, en méconnaissance des recommandations formulées 8 ans plus tôt14. Était alors souligné, en 2014 qu’en juin 2006, « lors du dépôt de son rapport, votre rapporteur recensait 39 autorités indépendantes, qu’elles aient le statut d’AAI ou d’API. Au moins 40 autorités indépendantes existent désormais ». Malgré les préconisations de l’office parlementaire qui invitait à une réduction du nombre de ces autorités, leur rythme de création est resté soutenu.
Depuis le dépôt du rapport en juin 2006, le législateur a créé 11 nouvelles autorités indépendantes.15 C’est en janvier 2017 qu’est finalement adoptée la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
Déposées au Sénat le 7 décembre 2015 par Mme Marie-Hélène Des Egaulx, MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard, les propositions de loi avaient été adoptées en première lecture, avec modifications, par le Sénat le 4 février 2016 et par l’Assemblée nationale, avec modifications, le 28 avril 2016. Les propositions de loi avaient été adoptées en deuxième lecture, avec modifications, par le Sénat le 2 juin 2016 et avec modifications par l’Assemblée nationale le 8 décembre 2016. Les textes définitifs des propositions de loi avaient été adoptés en troisième lecture par le Sénat le 10 janvier 2017.
Saisi d’un recours déposé le 11 janvier 2017 par le Premier ministre de la proposition de loi organique, le Conseil constitutionnel avait, dans sa décision du 19 janvier 2017, jugé la loi conforme à la Constitution. La loi organique réserve au législateur la compétence de créer une AAI ou une API. La loi fixera également les règles relatives à la composition et aux attributions ainsi que les principes fondamentaux relatifs à l’organisation et au fonctionnement de ces autorités.
On notera d’emblée, dans l’intitulé, une distinction entre deux types d’autorités dont le seul vocabulaire formel ne saurait suffire à éclairer le lecteur non averti. Cette loi vise ainsi à la fois à apporter des éléments de définition aux autorités administratives et aux autorités publiques indépendantes (I), tout en en dessinant un régime juridique commun renforçant les exigences en termes de déontologie (II).
I – L’insuffisante précision des définitions des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes
La loi se présente avec ambition en disposant que « Les titres Ier à IV de la présente loi constituent le statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes dont la liste est annexée à la présente loi ». Cependant, si la loi vise à instaurer un régime commun et lisible (B), force est de constater que la définition même de ces autorités est peu présente dans la loi (A).
A – Une définition encore insuffisante
L’article 2 de la loi nous renseigne sur les « autorités publiques indépendantes » qui ont « la personnalité juridique », mais ne dit rien des autorités administratives indépendantes. Faut-il en déduire que les autorités administratives –et non publiques – indépendantes n’ont pas la personnalité juridique ? Comme nous l’avons rappelé plus haut, dans l’histoire des autorités administratives indépendantes, certaines se sont vues doter de la personnalité juridique par la loi, d’autres non. Désormais, toute autorité publique indépendante dispose de la personnalité juridique. C’est donc un pas marqué vers une autonomisation de ces autorités par rapport à l’État. Mais il reste que certaines autorités administratives indépendantes ont la personnalité morale quand d’autres ne l’ont pas.
Cependant force est de constater l’insuffisante précision des termes et des notions. L’on cherchera en effet, en vain, dans le texte de la loi de 2017, la différence de définition entre autorités publiques indépendantes et autorités administratives indépendantes. Cela n’est finalement pas étonnant, car une étude de 2014 avait déjà souligné la « pertinence douteuse de la distinction entre AAI et API à la lumière de la multiplication des API ».
Le rapport de l’office parlementaire de 2006 prenait acte de l’apparition, avec la création de l’Autorité des marchés financiers (AMF) par la loi n° 2003-706 du 1er août 2013 de sécurité financière, d’une nouvelle catégorie : les autorités publiques indépendantes (API).
À la différence des AAI et à l’instar des établissements publics, les API sont dotées de la personnalité morale, ainsi que le précise fréquemment la loi. Cela emporte trois conséquences : – la capacité d’ester en justice ; – l’autonomie financière, puisqu’aux termes du 1° du I de l’article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), une ressource établie au profit de l’État peut faire l’objet d’une affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale ; – la responsabilité, susceptible d’être mise en cause dans des contentieux indemnitaires.
Observant que « le passage du statut d’autorité administrative indépendante à celui d’autorité publique indépendante [était] conçu à lui seul comme une garantie du renforcement de l’indépendance de l’organisme concerné », le rapport de 2006 s’interrogeait sur la pertinence de cette conception. Pesant les avantages et les inconvénients de ce statut, il concluait par un appel au législateur à faire un usage parcimonieux de cette nouvelle catégorie. En était alors ressortie la « Recommandation n° 5 : limiter le développement des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale aux seules instances dont l’activité se prête à la perception de taxes ou de droits et soumettre l’adoption de ce statut à une évaluation approfondie de ses avantages et inconvénients16 ».
La définition est une question centrale, ancienne et récurrente des autorités administratives indépendantes. Ainsi, En 1977, lorsque la commission des lois du Sénat propose que la future Cnil soit une autorité administrative indépendante, elle entend créer une entité fondamentalement hybride17.
Le rapport de la commission des lois indique en effet qu’il s’agit d’une autorité administrative, dont les décisions « relèvent donc sans ambiguïté de l’appel devant la juridiction administrative », mais aussi d’une autorité indépendante, « c’est-à-dire que ses membres ne sont pas soumis à quelque hiérarchie que ce soit ».
L’Assemblée nationale proposait quant à elle, de faire de la Cnil un service du ministère de la Justice18. L’innovation proposée par le Sénat fut retenue au moment où le ministère de l’Intérieur envisageait de centraliser les bases de données des services de police, sans débat public préalable.
Afin de marquer l’indépendance de la future CnilNIL et d’améliorer sa représentativité et sa compétence technique, la commission des lois du Sénat proposait également que la plupart de ses membres soient élus. Les magistrats appelés à rejoindre le collège de la CnilNIL devaient donc être élus par l’assemblée générale de la haute juridiction à laquelle ils appartenaient (Conseil d’État, Cour de cassation, Cour des comptes). En outre, les personnalités qualifiées appartenant au collège devaient satisfaire des exigences de compétence.
Peut-on considérer que la loi de 2017 apporte une réponse satisfaisante en matière de définition ? Il est possible de répondre « oui, mais ». En effet, le texte de la loi ne précise pas la différence entre chaque type d’autorité. En outre, on observe une réduction drastique du nombre de ces autorités. En effet, comme il a été indiqué plus haut, les rapports et études successifs sur les AAI/API, stigmatisant une certaine prolifération incontrôlée de ces autorités, en avaient dénombré plus d’une quarantaine. Or la liste donnée en annexe n’en retient que 26 qui sont les suivantes : Agence française de lutte contre le dopage ; Autorité contrôle des nuisances sonores aéroportuaires ; Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ; Autorité de la concurrence ; Autorité de régulation de la distribution de la presse ; Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières ; Autorité de régulation des jeux en ligne ; Autorité des marchés financiers ; Autorité de sûreté nucléaire ; Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires ; Commission d’accès aux documents administratifs ; Commission du secret de la défense nationale ; Contrôleur général des lieux de privation de liberté ; Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ; Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ; Commission nationale du débat public ; Cnil ; Commission de régulation de l’énergie ; CSA ; Défenseur des droits ; Haute autorité de santé ; Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ; Haut conseil du commissariat aux comptes ; Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet ; Haute autorité pour la transparence de la vie publique ; Médiateur national de l’énergie.
Derrière cette liste à la Prévert se cachent des situations très variées selon les autorités concernées. La loi ne dit d’ailleurs pas qui est « AAI » et qui est « API ». Il faut donc se reporter à la loi instituant chacune des autorités concernées pour le savoir.
On devine alors que plusieurs anciennes autorités administratives indépendantes qualifiées d’emblée comme telles ou reconnues a posteriori comme dotées de cette caractéristique, sont en quelque sorte déchues de leur statut. L’article 24 de la loi, inscrit dans le titre V consacré aux dispositions diverses et finales, chapitre 1, intitulé « Suppression de la qualité d’autorité administrative indépendante », procède à ce que l’on pourrait appeler un écrémage allusif. En effet, à aucun moment il n’est dit que telle AAI est supprimée, mais seulement quelques passages, soit d’une loi, soit d’un code, sont modifiés, si bien que les termes laissent désormais comprendre que les autorités en question n’entrent pas dans la catégorie à laquelle la loi du 21 janvier 2017 est consacrée. Ainsi selon l’article 24 de cette dernière loi : « I.- Le chapitre II du titre Ier du livre VI du Code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du I de l’article L. 612-1, les mots : “autorité administrative indépendante” sont supprimés ;
2° Après le cinquième alinéa de l’article L. 612-10, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
“Les membres du collège de supervision, du collège de résolution et de la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution se conforment aux obligations de dépôt des déclarations prévues au I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique”.
II.- Le chapitre II du titre Ier du livre IV de la première partie du Code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 1412-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
“Le comité exerce sa mission en toute indépendance” ;
2° Au premier alinéa du I de l’article L. 1412-2, le mot : “autorité” est remplacé par le mot : “institution”.
III.- Le deuxième alinéa de l’article 1er de la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007 relative à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme est complété par une phrase ainsi rédigée :
“Elle ne reçoit ni ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale.”
IV.- Le onzième alinéa du II, le III et le VII de l’article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français sont supprimés.
V.- Le Code du cinéma et de l’image animée est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 212-10-8, il est inséré un article L. 212-10-8-1 ainsi rédigé : « Art. L. 212-10-8-1.-La Commission nationale d’aménagement cinématographique prend ses décisions sans recevoir d’instruction d’aucune autorité. Ces décisions sont insusceptibles de réformation. » ; 2° Après l’article L. 213-6, il est inséré un article L. 213-6-1 ainsi rédigé : « Art. L. 213-6-1. Le médiateur du cinéma intervient au règlement des litiges et prend ses décisions sans recevoir d’instruction d’aucune autorité. Ces décisions sont insusceptibles de réformation. »
VI.- L’article L. 751-7 du Code de commerce est complété par un V ainsi rédigé :
“V.- La Commission nationale d’aménagement commercial n’est pas soumise au pouvoir hiérarchique des ministres.”
VII.- La loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion est ainsi modifiée :
1° Au début du premier alinéa de l’article 5, les mots : « Il est institué une commission des sondages » sont remplacés par les mots : « La commission des sondages est » ;
2° L’article 6 est ainsi rédigé : « Art. 6.-La commission des sondages est composée de neuf membres :
“1° Deux membres du Conseil d’État élus par l’assemblée générale du Conseil d’État ;
2° Deux membres de la Cour de cassation élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation ;
3° Deux membres de la Cour des comptes élus par l’assemblée générale de la Cour des comptes ;
4° Trois personnalités qualifiées en matière de sondages désignées, respectivement, par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale.
La commission élit en son sein son président.
En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.
Les membres de la commission des sondages sont nommés pour un mandat de 6 ans non renouvelable.
Ne peuvent être membres de la commission les personnes qui perçoivent ou ont perçu dans les trois années précédant leur désignation une rémunération, de quelque nature que ce soit, de médias ou d’organismes réalisant des sondages tels que définis à l’article 1er.
Dans les 3 années qui suivent la fin de leur mandat, les anciens membres de la commission ne peuvent percevoir une rémunération, de quelque nature que ce soit, de médias ou d’organismes réalisant des sondages tels que définis au même article 1er.
Les neuvième et dixième alinéas du présent article sont applicables au personnel de la commission ainsi qu’aux rapporteurs désignés par cette dernière.
Chacun des membres mentionnés aux 1° à 3° peut se faire remplacer par un suppléant nommé dans les mêmes conditions.” ;
3° À la fin du premier alinéa de l’article 7, les mots : « pris en application de l’article 5 ci-dessus » sont remplacés par le mot : « applicables » ;
4° L’article 8 est abrogé.
VIII.- Le 2° du VII est applicable dans un délai de 3 mois après la promulgation de la présente loi. Les mandats des membres de la commission des sondages en cours à cette date cessent de plein droit ».
Il faut donc sans doute déduire, de cet article, combiné à l’annexe établissant la liste législative des AAI et API, que toutes les structures mentionnées à l’article 24 ne sont désormais plus des autorités administratives indépendantes. Sait-on pour autant et désormais comment il faut les qualifier ?
En outre, pour savoir comment d’anciennes autorités administratives ou publiques indépendantes sont modifiées, il faut lire les articles contenus dans le chapitre 2 de la loi de 2017, consacré aux « Coordinations au sein des statuts des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ». L’ensemble est donc insuffisamment lisible quant aux définitions, même si quelques critères sont désormais plus lisibles en tant que caractéristiques des autorités administratives indépendantes.
B – La détermination de critères de définition
En effet, la loi apporte une série de critères de définition de ce type d’autorités, sans apporter de distinction assez précise entre chacune, conduisant à se demander si le maintien de la distinction est utile ou pas.
La loi nous renseigne ainsi sur une série d’éléments relatifs à la durée du mandat des membres des autorités administratives – et publiques – indépendantes. Ce sont les articles 5 à 8 de la loi qui apportent ces précisions. Il faut retenir que le mandat de ces membres peut varier de 3 à 6 ans. La spécificité existe pour les députés et sénateurs qui seraient aussi membres d’une telle autorité. En pareille situation, leur mandat de membre de l’autorité cesse avec la fin de leur mandat parlementaire.
L’article 5 de la loi précise encore : « Il est pourvu au remplacement des membres 8 jours au moins avant l’expiration de leur mandat. En cas de décès ou de démission volontaire ou d’office d’un membre, il est pourvu à son remplacement dans les 60 jours. À défaut de nomination d’un nouveau membre à l’expiration de ces délais, le collège de l’autorité, convoqué à l’initiative de son président, propose, par délibération, un candidat à l’autorité de nomination, dans un délai de 30 jours ».
Le principe de l’indépendance se voit notamment garanti par l’irrévocabilité des fonctions, comme en dispose l’article 6 de la loi, tout en prévoyant des cas possibles de fin de fonctions comme suit. En cas d’empêchement à exercer les fonctions de membre du collège, le mandat peut être suspendu, pour une durée déterminée, soit à la demande du membre concerné, soit par le collège, à la majorité des trois quarts des autres membres, sur proposition de l’un d’entre eux.
Il ne peut être mis fin aux fonctions d’un membre du collège que dans les formes prévues pour sa nomination soit en cas de démission, soit, sur proposition du président ou d’un tiers des membres du collège, après délibération, à la majorité des trois quarts des autres membres du collège que l’intéressé, constatant un manquement grave à ses obligations légales ou une incapacité définitive empêchant la poursuite de son mandat. Cette délibération ne peut intervenir qu’après que l’intéressé a été en mesure de produire ses observations dans un délai qui ne peut être inférieur à 1 semaine.
Le vote a lieu à bulletin secret hors la présence de l’intéressé.
Un membre d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante qui se trouve dans une situation d’incompatibilité met fin à celle-ci dans un délai de 30 jours à compter de sa nomination ou de son élection. À défaut d’option dans ce délai, le président de l’autorité administrative indépendante ou de l’autorité publique indépendante, ou un tiers au moins des membres du collège lorsque l’incompatibilité concerne le président, le déclare démissionnaire.
Selon l’article 7 de la loi, le mandat des membres des autorités administratives/publiques indépendantes est renouvelable une fois. Enfin, en vertu de l’article 8 de la loi, il n’est pas possible d’être membre de plusieurs autorités ainsi qualifiées, sauf lorsque les textes prévoient la représentation de l’un auprès de l’autre.
Enfin, toujours s’agissant de la composition, mais concernant aussi le régime juridique, l’article 8 prévoit le principe de séparation entre la fonction de membre du collège d’une autorité considérée et la fonction de membre d’une commission des sanctions le cas échéant. L’on retrouve ici les règles inhérentes au procès équitable déjà évoquées en introduction. Ce qui conduit à aborder le régime juridique de ces autorités particulièrement à travers le prisme de la déontologie.
II – La mise en place d’un régime juridique commun assorti d’exceptions
Le titre premier de la loi est consacré à l’organisation des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. C’est un régime commun qui est ainsi prévu, à la fois quant à la durée des fonctions des membres de ces autorités, aux règles inhérentes au principe d’indépendance. Le titre II de la loi est entièrement consacré à la déontologie des membres et des agents des autorités administratives/publiques indépendantes. La recherche d’un régime juridique commun (A) n’a pas empêché la persistance de régimes dérogatoires (B).
A – La recherche d’un régime juridique commun
S’agissant des membres, l’on retrouve les trois mousquetaires que sont l’indépendance, les incompatibilités, les déclarations financières et d’intérêt. L’article 9 détaille les éléments de l’indépendance des membres, en même temps que les exigences impliquant un devoir de réserve. Les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes exercent ainsi, selon cet article, leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts, au sens de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Dans l’exercice de leurs attributions, les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ne reçoivent ni ne sollicitent d’instruction d’aucune autorité.
S’agissant des exigences inhérentes au devoir de réserve, ce même article précise que les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ne prennent, à titre personnel, aucune position publique préjudiciable au bon fonctionnement de l’autorité à laquelle ils appartiennent.
De même, les membres et anciens membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes sont tenus de respecter le secret des délibérations. Ils sont soumis au secret professionnel, dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. Ils font preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont ou ont eu connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.
L’article 10 détaille la liste des incompatibilités avec les fonctions de membres d’une autorité telle que décrite par la loi. Ces incompatibilités sont larges et concernent tout membre à l’exception des députés et sénateurs. Elles portent sur la présidence d’exécutifs locaux, ainsi que d’établissements publics de coopération intercommunale. La loi prévoit des incompatibilités spécifiques pour les présidents des autorités administratives/publiques indépendantes. Il s’agit de :
« 1° La fonction de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire ;
2° La fonction de vice-président de l’organe délibérant ou de membre de l’organe exécutif d’une collectivité territoriale mentionnée au I ;
3° La fonction de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte ;
4° La fonction de membre du bureau de l’assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire ».
Outre ces incompatibilités liées à des fonctions publiques, la loi pose le principe de l’incompatibilité des fonctions avec des fonctions de chef d’entreprise, de gérant de société, de président ou membre d’un organe de gestion, d’administration, de direction ou de surveillance ou une nouvelle activité professionnelle au sein d’une personne morale ou d’une société qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-16 du Code de commerce si cette personne morale ou cette société a fait l’objet d’une délibération, d’une vérification ou d’un contrôle auquel il a participé au cours des 2 années précédentes.
La loi précise encore que lorsque le mandat est exercé à temps plein, il est incompatible avec d’autres activités professionnelles, à l’exception des traditionnelles activités liées à l’exercice de travaux scientifiques, littéraires, artistiques ou d’enseignement, sous réserve d’autorisation du président de l’autorité concernée.
Enfin, dans le registre des incompatibilités et de la composition de ces autorités, la loi vient apporter une réponse à des critiques régulièrement émises dans les rapports précités. La loi prévoit ainsi désormais que lorsque des membres venant des juridictions administrative, judiciaire ou financière sont prévus quant à la composition de telle autorité administrative/publique indépendante, alors il n’est pas possible que d’autres membres émanant de ces mêmes structures soient nommés, à l’exception du président. C’est ici une réponse à la critique selon laquelle ces autorités sont toujours composées des mêmes hauts fonctionnaires, souvent issus de l’École nationale d’administration. Ces nouvelles dispositions peuvent ainsi laisser espérer une possible diversification du recrutement de ces structures administratives/publiques, indépendantes.
La loi prévoit qu’un règlement intérieur, adopté par le collège sur proposition de son président, précise les règles d’organisation, de fonctionnement et de déontologie au sein de chaque autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante. Il est publié au Journal officiel. Selon l’article 15 de la loi, une autorité administrative indépendante ou une autorité publique indépendante peut saisir pour avis une autre autorité de toute question relevant de la compétence de celle-ci.
Les règles relatives aux personnels sont somme toute classiques et précisent que ces autorités peuvent recruter aussi bien des fonctionnaires que des contractuels. Ce qui correspond à la philosophie des autorités administratives indépendantes, dotées d’une forte composante administrative, mais aussi de personnels devant avoir des compétences spécifiques dans les domaines de compétence des autorités selon leurs domaines d’action.
Le titre IV de la loi est entièrement consacré au contrôle des autorités administratives/publiques indépendantes. Ce contrôle est à plusieurs volets et doit être salué en ce qu’il répond à une forte et relativement ancienne demande de meilleur contrôle au-delà des aspects strictement juridictionnels. Le Conseil d’État, dans son étude sur le sujet en 2010 se prononçait comme suit. Il stigmatisait en effet, par-delà l’exercice du contrôle juridictionnel ou du contrôle financier, un vrai problème qui est celui de la façon dont les autorités administratives indépendantes sont amenées à rendre compte de leur action de façon globale et politique, devant les instances institutionnelles démocratiques que sont le Parlement et le gouvernement et plus généralement devant le milieu professionnel concerné, sinon même devant l’opinion publique. L’étude indique en particulier que l’indépendance reconnue aux autorités administratives indépendantes ne doit pas priver le gouvernement des moyens de faire face à ses responsabilités, en particulier s’agissant de la sauvegarde de l’ordre public et des intérêts généraux et de la prise en compte des orientations de politique générale. L’étude préconise en ce sens une présence mieux organisée du gouvernement auprès des autorités administratives indépendantes, notamment sous la forme d’un commissaire du gouvernement, comme cela est déjà en partie pratiqué ; elle préconise aussi que lorsqu’il s’agit de faire face à des situations de crise grave, tel ou tel ministre puisse demander à être entendu par le collège de l’autorité en cause, voire que le gouvernement soit doté du pouvoir de prendre les mesures qui s’imposent en cas de carence de l’autorité, sous le contrôle du juge.
Pour ce qui est du Parlement, qui incarne par nature l’exercice du contrôle démocratique, le rapport insiste sur la nécessité que soient recherchés les voies et moyens d’un meilleur contrôle des autorités administratives de sa part, notamment dans le cadre de la réforme en cours de l’ordonnance du 2 janvier 1959, en permettant à celles des autorités dont l’importance des moyens le justifie, de discuter plus directement de leur budget devant le Parlement. Le rapport préconise également d’examiner les conditions d’une évaluation périodique, notamment par les offices parlementaires d’évaluation de la législation et des politiques publiques, de l’activité des autorités administratives indépendantes les plus importantes.
L’étude insiste aussi sur l’importance du rapport et des publications des autorités administratives indépendantes qui sont une façon pour elles de rendre compte de leur activité aux pouvoirs publics et au-delà, à la communauté des citoyens, ainsi qu’aux représentants des intérêts qu’elles sont en charge de contrôler. L’étude préconise également d’examiner les conditions d’une ouverture vers le public ne serait-ce que pour éviter le tête-à-tête régulateur régulé. Une des voies utilisables est de soumettre à une large consultation par internet les solutions que les autorités envisagent de promouvoir ou de proposer au gouvernement comme cela se pratique d’ores et déjà d’ailleurs assez largement en France19.
En premier lieu, l’article 21 systématise le contrôle politique de ces autorités. Toute autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante adresse chaque année, avant le 1er juin, au gouvernement et au Parlement, un rapport d’activité rendant compte de l’exercice de ses missions et de ses moyens. Il comporte un schéma pluriannuel d’optimisation de ses dépenses qui évalue l’impact prévisionnel sur ses effectifs et sur chaque catégorie de dépenses des mesures de mutualisation de ses services avec les services d’autres autorités administratives indépendantes ou autorités publiques indépendantes ou avec ceux d’un ministère. Le rapport d’activité est rendu public. L’article 22 précise en outre qu’à la demande des commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, toute autorité administrative indépendante ou autorité publique indépendante rend compte annuellement de son activité devant elles. L’avis d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante sur tout projet de loi est rendu public.
L’article 23 prévoit enfin que le gouvernement présente, en annexe générale au projet de loi de finances de l’année, un rapport sur la gestion des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes :« 1.- Cette annexe générale récapitule, par autorité et pour le dernier exercice connu, l’exercice budgétaire en cours d’exécution et l’exercice suivant :
a) Le montant constaté ou prévu de leurs dépenses et leur répartition par titres ;
b) Le montant constaté ou prévu des produits des impositions de toutes natures, des subventions budgétaires et des autres ressources dont elles bénéficient ;
c) Le nombre des emplois rémunérés par ces autorités ou mis à disposition par des tiers ainsi que leur répartition présentée : par corps ou par métier et par type de contrat ; – par catégorie ;- par position statutaire pour les fonctionnaires ;
d) Le loyer, la surface utile brute du parc immobilier de l’autorité ainsi que le rapport entre le nombre de postes de travail et la surface utile nette du parc immobilier ;
e) Les rémunérations et avantages du président et des membres de l’autorité.
2.- Elle présente également, de façon consolidée pour l’ensemble des autorités administratives et publiques indépendantes, l’ensemble des crédits et des impositions affectées qui leur sont destinés et le total des emplois rémunérés par eux ou mis à leur disposition par des tiers.
3.- Cette annexe générale comporte enfin, pour chaque autorité publique indépendante, une présentation stratégique avec la définition d’objectifs et d’indicateurs de performance, une présentation des actions et une présentation des dépenses et des emplois avec une justification au premier euro. Elle expose la répartition prévisionnelle des emplois rémunérés par l’autorité et la justification des variations par rapport à la situation existante et comporte une analyse des écarts entre les données prévues et constatées pour les crédits, les ressources et les emplois, ainsi que pour les objectifs, les résultats attendus et obtenus, les indicateurs et les coûts associés ».
Elle est déposée sur le bureau des assemblées parlementaires et distribuée au moins 5 jours francs avant l’examen du projet de loi de finances de l’année qui autorise la perception des impôts, produits et revenus affectés aux organismes divers habilités à les percevoir. La loi, tout en cherchant à simplifier et rationaliser, maintient des régimes dérogatoires.
B – La permanence de dispositions dérogatoires
Il faut en premier lieu rappeler la spécificité du Défenseur des droits, qui, outre le fait qu’il rassemble plusieurs anciennes AAI, se voyait déjà doté d’un fondement constitutionnel. Son rôle a d’ailleurs tendance à s’accroître au gré de lois qui ne lui sont pas expressément consacrées. Il en est ainsi notamment de son rôle de conseil et d’orientation des lanceurs d’alerte. Les lois organique et ordinaire de 2017 ne renvoient pas à cette spécificité, tout en organisant d’autres dispositions particulières.
L’article 4, par des dispositions qui ne brillent pas par leur clarté, prévoient une série de dérogations, selon les termes suivants :
« Pour l’application de la présente loi, les dispositions des titres Ier à IV mentionnant le président d’une autorité administrative indépendante s’appliquent au Défenseur des droits, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et au Médiateur national de l’énergie.
Les articles 5 à 12 et l’article 21 ne sont pas applicables au Défenseur des droits. Par dérogation à la première phrase de l’article 14, il établit le règlement intérieur de l’institution, dont les règles déontologiques s’appliquent également aux adjoints, aux membres du collège et à ses délégués.
L’article 5, les deuxième à dernier alinéas de l’article 6 et les articles 7 et 11 ne sont pas applicables au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Par dérogation à la première phrase de l’article 14, il établit le règlement intérieur de l’autorité.
La dernière phrase du second alinéa de l’article 5, les deuxième à avant-dernier alinéas et la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 6, le second alinéa de l’article 7 et l’article 11 de la présente loi ne sont pas applicables au Médiateur national de l’énergie. Par dérogation à la première phrase de l’article 14, le Médiateur établit le règlement intérieur de l’autorité. Par dérogation à l’article 19, il établit le budget de l’autorité publique indépendante sur proposition du directeur général ».
Plusieurs dispositions dérogatoires sont précisées dans le texte de la loi, avec renvoi à d’autres textes, avec un certain manque de lisibilité de l’ensemble. Ainsi l’hétérogénéité que le Conseil d’État avait bien souligné, déjà dans son rapport de 2010 cité plus haut, ne disparaît pas par l’avènement de la loi de 2017. Les propos qu’il tenait en 2010 semblent ainsi pouvoir être maintenus. Pour ce qui est de leurs missions, l’étude en distingue 5 principales : des missions de médiation au sens strict du terme ; des missions de protection des libertés publiques ; des missions d’évaluation pluridisciplinaire et d’expertise ; des missions de garant de l’impartialité de la puissance publique et enfin des missions de régulation. La mission de régulation mérite une mention particulière, compte tenu des incertitudes et débats qui ont pu entourer le concept de régulation. Sur ce thème, pour lequel le Conseil d’État avait alors proposé une étude de droit comparé, on pourra regretter que la loi n’apporte pas d’éclaircissements.
Pour ce qui est de leurs pouvoirs ; ceux-ci sont multiformes : pouvoirs d’émettre un avis, de formuler des propositions ou des recommandations ; pouvoir de prononcer des injonctions ; pouvoir de prendre des décisions individuelles ; pouvoir réglementaire ; pouvoir d’investigation et de contrôle ; pouvoir de sanction. Certaines de ces autorités combinent pratiquement l’ensemble de ces pouvoirs ; d’autres n’en exercent qu’un certain type. Là encore, sur ce constat, la loi n’apporte pas de lignes transversales qui permettraient de savoir que toute AAI ou API est susceptible d’exercer tout ou partie de la palette de pouvoirs et prérogatives.
Pour ce qui est des moyens financiers et humains dont elles disposent, certaines autorités ne bénéficient pas de dotation budgétaire spécifique ni même de personnel propre ou en très petit nombre. Inversement, on peut mesurer le poids d’autres autorités aux moyens qui leur sont affectés (COB 254 emplois et 350 MF ; CSA 221 emplois et 206 MF ; ART 142 emplois et 92 MF…).
Le seul point sur lequel il semble possible d’estimer que la loi apporte une simplification et une rationalisation sur l’assertion que le Conseil d’État posait en 2010 et qui concerne le statut des autorités en cause, qu’il s’agisse de l’importance de leur collège, du mode de désignation des membres, de la durée et des conditions d’exercice des mandats. Les dispositions que nous avons citées plus haut apportent une certaine homogénéisation en la matière.
En somme, la loi innove moins qu’elle ne systématise. Elle ne répond que partiellement aux critiques sur la notion même d’autorité administrative indépendante. Si l’on doit souligner une certaine recherche d’homogénéisation quant aux durées des mandats, modalités de nomination notamment, il semble aussi nécessaire de relever qu’en matière de principes déontologiques, de plus précises références aux principes inhérents à la participation de la France à la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH) auraient été bienvenues.
Il importe en effet de rappeler ici la jurisprudence en la matière. Par trois décisions du 3 décembre 1999, le Conseil d’État a été conduit à se prononcer sur la compatibilité de la présence du rapporteur au délibéré du Conseil des marchés financiers statuant en matière disciplinaire, de la Cnil et de la section disciplinaire de l’ordre des médecins avec le principe d’impartialité rappelé par l’article 6, § 1, de la Convention EDH.
Dans la décision D., l’assemblée du contentieux du Conseil d’État a jugé que la participation du rapporteur aux délibérations par lesquelles le Conseil des marchés financiers, statuant en matière disciplinaire, prononce des sanctions à l’encontre des professionnels des marchés réglementés ne méconnaît pas les stipulations de l’article 6, § 1, de la Convention EDH.
Il a pu être souligné que la solution retenue par le Conseil d’État est différente de celle prise par la Cour de cassation au sujet de la commission des opérations de bourse que nous avons déjà citée20, et du Conseil de la concurrence21. Mais le Conseil d’État avait alors souligné que « la portée de ce désaccord ne doit pas être exagérée ».
La divergence entre la solution du Conseil d’État et celle de la Cour de cassation ne porte, selon le communiqué de presse du juge administratif suprême sur ces affaires, pas sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention EDH à la procédure suivie devant le Conseil des marchés financiers. Bien que celui-ci ne soit pas une juridiction au sens du droit interne mais une autorité administrative indépendante, le Conseil d’État a jugé que, dans la mesure où la formation disciplinaire du Conseil des marchés financiers décide du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens de l’article 6, § 1 de la Convention, le principe d’impartialité, qui figure au nombre des garanties instituées ou rappelées par cet article, devait s’appliquer dès le stade du prononcé de la sanction par cette autorité administrative. Dans certains cas en effet, la méconnaissance de ce principe peut entacher la procédure de vices tels qu’un recours ultérieur devant la juridiction administrative qui, pouvant être saisie de la légalité des sanctions infligées par le Conseil des marchés financiers, n’est pas de nature à les effacer. Sur ce point, le Conseil d’État adopte une position identique à celle de la Cour de cassation au sujet de la Commission des opérations de bourse et du Conseil de la concurrence22.
En revanche, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État a jugé, pour le cas de la procédure devant le Conseil des marchés financiers, que la participation du rapporteur aux débats et au vote à l’issue desquels la sanction est infligée n’était pas contraire au principe d’impartialité rappelé par l’article 6, § 1 de la Convention. C’est sur cette seconde étape du raisonnement juridique que le Conseil d’État s’écarte de la position de la Cour de cassation. Pour statuer comme il l’a fait, le Conseil d’État s’est livré à un examen très précis des pouvoirs du rapporteur devant cet organisme. Après avoir cité les textes organisant l’ensemble de la procédure disciplinaire devant le Conseil des marchés financiers, il a relevé « que le rapporteur, qui n’est pas à l’origine de la saisine, ne participe pas à la formulation des griefs ; qu’il n’a pas le pouvoir de classer l’affaire ou, au contraire, d’élargir le cadre de la saisine, que les pouvoirs d’investigation dont il est investi pour vérifier la pertinence des griefs et des observations de la personne poursuivie ne l’habilitent pas à faire des perquisitions, des saisies ni à procéder à toute autre mesure de contrainte au cours de l’instruction ». Ces pouvoirs, qui sont d’ailleurs identiques à ceux dont dispose la formation disciplinaire collégiale du Conseil des marchés financiers elle-même, constituent donc des pouvoirs d’instruction faisant partie de l’office même de cette formation et ne sont nullement assimilables ni à des pouvoirs de poursuite, ni aux pouvoirs conférés au juge d’instruction devant les juridictions pénales. Dans ces conditions et selon un mode de raisonnement analogue à celui adopté, dans des hypothèses voisines, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), le Conseil d’État a jugé que la participation du rapporteur au délibéré n’était pas contraire au principe d’impartialité.
Cette solution ne préjuge pas de celles qui seront adoptées par le Conseil d’État lorsque celui-ci aura à connaître de sanctions infligées par des organismes au sein desquels le rapporteur est doté de certains pouvoirs de poursuite ou de formulation des griefs. Mais elle ouvre la voie à un examen au cas par cas de chacune des procédures suivies par les organismes administratifs du type du Conseil des marchés financiers qui sont chargés d’infliger des sanctions administratives.
Dans une deuxième décision (L.), la section du contentieux du Conseil d’État a transposé ce raisonnement à propos de la participation du rapporteur aux délibérés de la section disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins et a écarté, là aussi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité. L’applicabilité de l’article 6, § 1, de la Convention EDH à la procédure suivie devant la section disciplinaire de ce Conseil national ne présentait en l’espèce aucune difficulté dès lors qu’il s’agit d’une juridiction statuant sur des droits et obligations de caractère civil au sens de l’article 6, § 1, de la Convention23.
Dans une troisième décision du même jour24, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État a estimé que la participation du rapporteur à la délibération par laquelle la Cnil avait adressé un avertissement à une entreprise, à la suite d’une plainte dont elle avait été saisie au sujet du traitement automatisé de son fichier client, était légale. L’affaire se présentait dans des conditions différentes des deux affaires précédentes. En effet, la mesure prise par la Cnil qui faisait l’objet de la contestation ne constitue pas une accusation en matière pénale au sens de l’article 6, § 1, de la Convention EDH. Dans ces conditions, ces stipulations ne lui sont pas applicables. Quant au principe général d’impartialité qui régit l’intervention des autorités administratives, dont le Conseil d’État a d’ailleurs rappelé l’existence et qui constitue de longue date un principe du droit public, il n’a pas pour effet, selon lui, d’interdire la présence du rapporteur au délibéré de la séance au cours de laquelle la Cnil adresse un tel avertissement25.
Comme le souligne une des études du Sénat sur le sujet des AAI, la jurisprudence du Conseil d’État a évolué pour reconnaître que « au sens du droit européen », les autorités administratives indépendantes constituent des tribunaux lorsque des sanctions sont prononcées26.
Quelques années plus tard, le Conseil d’État a renforcé sa jurisprudence en la matière en affirmant que : « Considérant que, quand ils sont saisis d’agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le Code monétaire et financier, le conseil de discipline de la gestion financière et la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers doivent être regardés comme décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens des stipulations précitées de la Convention EDH ; que compte tenu du fait que les décisions susceptibles d’être prises successivement par le conseil de discipline de la gestion financière puis par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers sont soumises au contrôle de pleine juridiction du Conseil d’État, la circonstance que la procédure suivie devant eux ne serait pas en tous points conforme aux prescriptions de l’article 6, § 3, n’est pas de nature à entraîner dans tous les cas une méconnaissance du droit à un procès équitable ; que cependant – et alors même que le conseil de discipline de la gestion financière et la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers ne sont pas des juridictions au regard du droit interne –, l’application du principe des droits de la défense, rappelé par l’article 6, § 1, de la Convention EDH et précisé par le a. du § 3, de l’article 6, qui exige la communication préalable des griefs, par le b. qui impose que la personne poursuivie dispose de temps pour se défendre, le c. en tant qu’il lui donne droit de se défendre elle-même ou de recourir à l’assistance d’une personne de son choix, le d. qui garantit l’égalité des droits pour l’audition des témoins et le e. qui prévoit la possibilité d’une assistance gratuite d’un interprète, est requise pour garantir, dès l’origine de la procédure, son caractère équitable par le respect de la conduite contradictoire des débats ; que, dès lors, la méconnaissance de cette exigence peut, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions des organismes en cause, être utilement invoquée à l’appui d’un recours formé, devant le Conseil d’État, à l’encontre d’une de leurs décisions ; qu’en revanche, le droit à l’assistance gratuite d’un avocat relève des modalités particulières propres à l’exercice de procédures juridictionnelles ; que, par suite, sa méconnaissance ne peut utilement être invoquée par des requérants à l’encontre d’une décision de ces organismes27 ».
On sait en effet que les pouvoirs des autorités administratives/publiques indépendantes sont variés, nombreux et ont appelé une série de précisions jurisprudentielles. Le cumul28 de ces pouvoirs, au regard tant de la théorie des apparences que de l’autonomie des notions portées par la CEDH aurait pu conduire le législateur à clarifier une fois pour toutes les fonctions de chaque instance, la nécessité de dissocier les acteurs de la poursuite29 au sens générique du terme des acteurs de la sanction, toujours au sens générique du terme. Enfin, après lecture et analyse de la loi, on ne discerne toujours pas l’intérêt d’une distinction entre AAI et API. Retenir la notion désormais connue d’« autorité administrative indépendante » semblerait plus pertinent dans une démarche de lisibilité et de qualité du droit.
Notes de bas de pages
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1.
L. org. n° 2017-54, 20 janv. 2017, relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes : JO, 21 janv. 2017.
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2.
L. n° 2017-55, 20 janv. 2017, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes : JO, 21 janv. 2017.
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3.
Ainsi relaté sur le site internet de la Cnil, Et si l’on croisait tout ou partie des fichiers administratifs français ? Le projet, sobrement intitulé Safari, initié en 1973 par le ministère de l’Intérieur, fut révélé en 1974 par un article du Monde. Le scandale déboucha, en 1978, sur l’adoption de la loi Informatique et libertés.
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4.
https://www.senat.fr/rap/r05-404-1/r05-404-12.html#toc10
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5.
L. n° 78-17, 6 janv. 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
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6.
L. n° 73-6, 3 janv. 1973.
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7.
L. n° 2011-334, 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits.
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8.
http://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/ortf-50-ans/
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9.
CEDH, 27 août 1991, n° 13057/87, Demicoli c/ Malte.
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10.
V. les arrêts Didier et Leriche, 3 déc. 1999.
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11.
http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/enquete/4_pages_AAI.pdf
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12.
http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Les-autorites-administratives-independantes-Rapport-public-2001
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13.
https://www.senat.fr/rap/r05-404-1/r05-404-1.html
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14.
Rapport d’information de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois n° 616 (2013-2014) – 11 juin 2014.
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15.
Ibid.
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16.
https://www.senat.fr/rap/r13-616/r13-6162.html#toc65
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17.
Le rapport fait au nom de la commission des lois par M. Jacques Thyraud sur le projet de loi relatif à l’informatique et aux libertés, Sénat n° 72 (1977-1978).
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18.
V. le rapport fait par M. Foyer au nom de la commission des lois, n° 3125 (1977-1978).
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19.
Étude préc. du Conseil d’État en 2010, http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Les-autorites-administratives-independantes-Rapport-public-2001.
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20.
Cass. ass. plén., 5 févr. 1999, n° 97-16440, Commission des opérations de bourse c/ Oury et agent judiciaire du Trésor.
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21.
Cass. com., 5 oct. 1999, n° 97-15617, SNC Campenon Bernard et a. c/ ministre de l’Économie et des Finances.
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22.
Source : communiqué de presse du Conseil d’État sur ces trois affaires préc. de 1999.
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23.
Communiqué de presse du Conseil d’État sur ces trois affaires.
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24.
Caisse de crédit mutuel de Bain-Tresboeuf et Groupement d’intérêt économique Fédéral Service.
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25.
Communiqué de presse du Conseil d’État sur ces trois affaires.
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26.
Propos du Conseil des marchés financiers, CE, ass., 3 déc. 1999, n° 207434, Didier : Rec., p. 399 ; RFDA 2000, p. 584, concl. Seban A., v. aussi CE, 4 févr. 2005, n° 269001, Sté GSD Gestion et, à propos de l’Autorité des marchés financiers – CE, 2 nov. 2005, n° 271202, Sté Banque privée Fideuram Wargny, concl. Guyomar M., cité dans https://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-222.html#fn258
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27.
CE, 27 oct. 2006, n° 276069.
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28.
Lors d’un entretien, Alain Bazot, président de l’UFC–Que Choisir, estime que : « Le problème des AAI est qu’elles n’ont d’administratives que le nom. Elles deviennent totalement judiciaires, ce qui est une entorse à la séparation des pouvoirs ». Ce n’est pas ainsi que les autorités elles-mêmes se définissent, voire se ressentent, et l’on observe de nombreuses différences entre elles à ce propos. Ainsi, le président du Conseil de la concurrence affirme régulièrement que ce Conseil n’est pas une juridiction mais un régulateur général des marchés de biens et services. L’argument est explicité par le Conseil de la concurrence dans sa réponse au questionnaire, par une argumentation reposant sur une évolution, qui est l’inverse de celle observée à propos des autres autorités qui se juridictionnalisent, puisqu’il s’agit de démontrer que la nature quasi juridictionnelle du Conseil de la concurrence s’est effacée au fil du temps : « Le Conseil de la concurrence a été créé par l’ordonnance du 1er décembre 1986 pour assurer une mise en œuvre indépendante du droit de la concurrence. Initialement cette mission comportait principalement un volet contentieux, avec la possibilité de prononcer des sanctions et des injonctions, et un volet consultatif, avec la possibilité de rendre des avis soit sur des questions générales de concurrence ou en matière de concentration. Avec la construction d’une jurisprudence et plusieurs modifications législatives, les moyens d’action du Conseil se sont élargis, notamment pour le prononcé de mesures conservatoires et les modes négociés de règlement des contentieux. Ainsi, le caractère d’autorité administrative quasi juridictionnelle qui était le plus visible dans les premières années du fonctionnement du Conseil de la concurrence s’est atténué et l’institution est aujourd’hui pleinement dans un rôle d’autorité de régulation économique, même si la répression des pratiques anticoncurrentielles reste au cœur de ses missions ». De la même façon, l’Autorité des marchés financiers, dans sa réponse au questionnaire, souligne que « L’AMF se rapproche probablement plus d’une autorité administrative que d’une juridiction… ». Mais de son côté, la Commission de régulation de l’énergie, dans sa réponse au questionnaire, estime qu’elle « est une autorité administrative indépendante, dotée de certains pouvoirs quasi juridictionnels ». Sur la même ligne, la Halde se désigne, dans sa réponse au questionnaire, comme « une autorité administrative dont certaines missions s’inscrivent dans des procédures quasi juridictionnelles ». De la même façon, le Haut conseil du commissariat aux comptes estime, dans sa réponse au questionnaire, qu’il « se rapproche d’une autorité administrative et d’une juridiction ». On mesure ici que l’absence de cadre général conduit à des représentations dispersées, alors même qu’il s’agit d’autorités administratives indépendantes en l’espèce assez semblable et que la qualification a des incidences essentielles sur le régime procédural applicable, notamment les droits de la défense (v. infra). Il peut arriver que la qualification soit simplifiée du fait d’une pluralité d’autorités en fonction de la pluralité des missions. C’est ainsi que le CECEI, dans sa réponse au questionnaire, estime que « le CECEI se conçoit comme une autorité administrative, la Commission bancaire ayant quant à elle par la loi, le rôle de juridiction disciplinaire ». cité in https://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-222.html#fn258
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29.
Le Sénat se prononçait déjà comme suit dans l’étude citée en note précédente : « La question réglée de la distinction entre l’instruction et le jugement ». C’est à ce titre que désormais lorsque le pouvoir de sanction est en cause, les autorités administratives indépendantes distinguent la fonction d’instruction et la fonction de jugement, en prenant soin que la personne qui est en charge de mener l’instruction, c’est-à-dire de se forger une conception du cas envisagé, en disposant des pouvoirs et d’instruments pour ce faire, ne doit pas participer à la formation de jugement, pas même être présent à l’occasion du délibéré, en raison du préjugé que, par l’accomplissement même de sa mission, elle pourrait communiquer aux autres membres de l’Autorité, d’autant plus enclins à le suivre, quand bien même elle serait démunie du droit de vote, qu’elle a généralement la connaissance la plus achevée du cas.