Autorités administratives indépendantes et libertés fondamentales (Janvier – juin 2016)

Publié le 14/12/2016

Sur le premier semestre 2016, les AAI dans le domaine des droits fondamentaux confirment leur tendance à investir toujours plus de questions et à renforcer leurs pouvoirs. La logique des droits fondamentaux amène à cette dynamique. Dans le même temps, le législateur tente par plusieurs voies de rationaliser leurs pouvoirs et leurs interventions, soit par la loi relative aux AAI, soit par des textes plus précis. Cela conduit à des tendances institutionnelles paradoxales. Au-delà, la chronique fera le point sur les outils de protection utilisés pour la protection des droits des personnes en situation de vulnérabilité, particulièrement dans le cadre de l’état d’urgence. Enfin, la troisième partie rassemble un matériau important relatif à la protection des données personnelles ; à côté des étrangers et des mineurs, la protection de la vie privée devient en effet le champ le plus fédérateur des AAI.

I – Des tendances institutionnelles paradoxales

Il apparaît évident que l’essor des AAI dans tous les domaines et leurs actions conjuguées en faveur des droits de l’Homme produit une sensation de désordre et d’empiètement. Elles sont nombreuses à s’occuper des mêmes sujets et à tenter de développer des instruments efficaces. C’est pourquoi, le Conseil d’État1 entend aussi ouvrir son prétoire et tenir compte de l’influence réelle des actes non décisoires des AAI et que le législateur souhaite hiérarchiser leurs interventions. Si jusqu’ici il s’agit de régulation économique et si elles sont contestées, les AAI n’en sont pas moins prises au sérieux et cela aura un effet sur les droits fondamentaux.

A – Des AAI parfois contestées

1 – L’avancement de la loi relative aux AAI

Après l’échec d’une première proposition de loi créant un statut commun des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API) en date du 25 septembre 20142, une nouvelle proposition de loi a été déposée à la présidence du Sénat le 7 décembre 20153. Transmise à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture le 2 juin 2016, elle est en troisième lecture au Sénat depuis le 8 décembre 2016.

Cette proposition de loi ambitieuse a pour but de supprimer les disparités qui embrument actuellement la catégorie des AAI et des API et de créer un nouveau statut unifié et donc clarifié de ces autorités.

Cinq titres se succèdent dans la proposition de loi :

  • Le premier et le deuxième titres définissent respectivement le mandat des membres des autorités indépendantes et les règles de déontologie qui régissent leur fonction. Il est ici possible de reprocher au nouveau statut de ne pas être réellement novateur. En effet, la proposition de loi reprend les grandes idées qui gouvernent les AAI depuis toujours : un mandat non révocable et non renouvelable ainsi que des incompatibilités électives et professionnelles évitant les conflits d’intérêt et garantissant l’indépendance. Le seul apport se situe donc dans la durée fixe du mandat : 6 ans ; alors que ce chiffre peut actuellement varier d’une autorité à l’autre.

  • Le troisième titre concerne le fonctionnement des autorités indépendantes. Il prévoit des dispositions spécifiques au personnel, aux finances et au patrimoine de ces autorités. Ce titre est une réelle innovation car il permet de graver dans le marbre ce qui ne se constate aujourd’hui que dans la pratique ou dans certains règlements d’application marginaux. Cela permettra ainsi aux autorités indépendantes de se voir reconnaître textuellement une véritable autonomie fonctionnelle et financière.

  • Le quatrième titre évoque, quant à lui, le contrôle démocratique a posteriori qui pèse sur les autorités indépendantes. Deux modalités de contrôle sont exposées : d’une part, la transmission au Parlement et au Gouvernement d’un rapport d’activité annuel et d’autre part, un nouveau rapport sur la gestion des AAI et des API qui sera présenté par le Gouvernement chaque année en annexe du projet de loi de finances. Ce dernier constitue une innovation majeure qui devrait entraîner une transparence accrue là où règne aujourd’hui l’obscurité la plus totale. Il permettra ainsi de voir clairement si les autorités indépendantes sont efficaces et utiles, mais également si elles disposent de moyens humains et financiers suffisants pour l’accomplissement de leurs missions en toute indépendance.

  • Le dernier titre contient enfin des dispositions diverses.

La proposition de loi portant statut général des AAI et des API est une innovation certes partielle mais nécessaire pour assurer aux autorités indépendantes une stabilité et une autonomie reconnues. Il est néanmoins possible de lui reprocher quelques lacunes dues à l’absence de volonté de trancher certains points litigieux car trop disparates parmi les AAI, notamment concernant l’autonomie financière.

V. Palma-Amalric

2 – L’Hadopi sauvée ?

Près de deux ans après la remise du rapport Lescure, qui préconisait, rappelons-le, la disparition de l’Hadopi avec un transfert concomitant de ses compétences au CSA, le rapport Mézard relatif au bilan et au contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, remis au Sénat le 28 octobre 2015, tire les mêmes conclusions. Il suggère à son tour la suppression de cette autorité car elle « n’aurait pas apporté la preuve de [l’]efficacité du mécanisme de riposte graduée ». Fleur Pellerin, favorable à la survie de cette autorité, avait annoncé, quelques mois plus tôt dans un entretien au Monde (23 septembre 2014), afin de couper court au débat, que l’avenir institutionnel de l’Hadopi était une « question institutionnelle [qui] ne préoccupe plus grand monde aujourd’hui ». Le nombre de députés présents lors de la discussion à l’Assemblée nationale en seconde lecture du projet de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes ne l’aura pas fait mentir. En effet, un amendement déposé par Isabelle Attard prévoyant la suppression de l’Hadopi en 2022, date de la fin du mandat des derniers membres, a finalement été adopté le 28 avril 2016 par 4 voix contre 3 !

La fin de vie de l’Hadopi semblait donc actée. Mais c’était sans compter sur la réaction du Gouvernement qui, sur le fondement d’un amendement déposé puis adopté le 23 mai 2016 en commission des lois au Sénat, a décidé de revenir sur cette disparition au motif qu’elle « assure pleinement ses missions de mise en œuvre de la réponse graduée, de développement de l’offre légale et de régulation des mesures techniques de protection ». Le dialogue entre les parlementaires et l’exécutif semble donc aujourd’hui bloqué. On pourrait être facilement tenté de qualifier cette attitude « d’acharnement thérapeutique ». Espérons toutefois que le sort de cette autorité connaisse un dénouement plus heureux que celui de Vincent Lambert.

J.-P. Orlandini

3 – Le Conseil d’État annule la décision du CSA abrogeant l’autorisant d’émettre de la chaîne TNT Numéro 23

L’actualité contentieuse du CSA se poursuit dans un contexte de tensions entre l’autorité de régulation et le Conseil d’État (CE). On se souvient en effet de l’annulation le 17 juin 2015 par le CE de la décision par laquelle le CSA refusait le passage en TNT gratuite de LCI et Paris Première. La haute juridiction administrative a adressé un nouveau désaveu au CSA dans le contentieux l’opposant à la société Diversité TV, exploitant la chaîne TNT Numéro 23. Dans le cadre de la vente de la société Diversité TV au groupe NextRadio TV, les deux entités ont déposé le 9 avril 2015 auprès du CSA une demande d’agrément de modification du contrôle de la société Diversité TV. L’autorité de régulation a alors décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de la société diffusant la chaîne Numéro 23. Le CSA s’est en effet inquiété de l’ouverture de son capital à une société étrangère, et la conclusion avec celle-ci d’un pacte d’actionnaires prévoyant notamment la cession de l’intégralité du capital de Diversité TV à un tiers dans le courant de l’année 2015. L’assemblée plénière du CSA réunie le 14 octobre 2015 a vu dans ces manœuvres financières « un abus de droit à caractère frauduleux » justifiant l’abrogation de l’autorisation de diffuser sur la TNT qui lui avait été accordée en 2012. La section du contentieux du Conseil d’État n’a pourtant pas manqué d’annuler cette décision inédite, en considérant que l’existence d’une « fraude à la loi, de nature à justifier le retrait de l’autorisation » n’était pas démontrée en l’espèce. Cette annulation a été clairement dénoncée par le CSA, qui dans un communiqué de presse a regretté de ne pouvoir pleinement assumer sa mission « en l’état de la législation ». Le message semble avoir été reçu à l’Assemble nationale, où les députés votaient le 13 juin dernier la mise en place d’une commission d’enquête qui travaillera sur les « conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente » au plus tard jusqu’au 12 décembre 2016.

S. Van Ouwerkerk

B – Des AAI qui renforcent leurs pouvoirs d’action et de suivi

1 – Rôle du Défenseur des droits dans le domaine des lanceurs d’alerte

Alors que le projet de loi (dit Sapin II) relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, déposé le 30 mars 20164, ne prévoyait aucun rôle pour le Défenseur des droits (DDD) à l’égard des lanceurs d’alerte, le texte adopté par l’Assemblée nationale, le 14 juin 20165, prévoit d’une part que le DDD peut être le destinataire d’une alerte, sans être le seul à pouvoir l’être d’ailleurs6 (art. 6 C) et qu’il peut d’autre part accorder au lanceur d’alerte7 à sa demande, une aide financière destinée à la réparation de ses dommages moraux et financiers et à l’avance des frais de procédure exposés en cas de litige (art. 6 F). Cela pourrait sembler bien modeste ! Mais il faut y ajouter les modifications apportées à la loi organique n° 2011-33 relative au Défenseur des droits par la proposition de loi organique (LO)8, adoptée par l’Assemblée nationale le même jour que le projet de loi. Votée après modifications par le Sénat, le 8 juillet, elle a ensuite été examinée par la commission mixte paritaire9. En effet, si les sénateurs ont accepté que le DDD soit chargé d’orienter vers les autorités compétentes toute personne ayant la qualité de lanceur d’alerte dans les conditions fixées par la loi et de veiller aux droits et libertés de celle-ci (art. 4, 5° LO10), ils ont au contraire supprimé 1/ l’aide financière que le DDD était susceptible d’apporter, 2/ le nouveau collège consultatif en matière d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte, créé par la proposition de loi11 (art. 11 LO), 3/ la saisine du DDD par un lanceur d’alerte s’estimant victime de mesures de rétorsion et par les associations d’assistance aux lanceurs d’alerte, 4/ la possibilité pour l’autorité compétente de s’opposer à une vérification sur place dans les locaux administratifs d’une personne publique dans le cadre des investigations du DDD au titre de ses compétences à l’égard des lanceurs d’alerte (art. 22 LO). En revanche, ont été maintenues la modification de l’article 10 LO selon laquelle le DDD ne peut se saisir ni être saisi, si les différends ne relèvent pas des situations prévues par la loi et celle de l’article 20 LO dont le nouvel alinéa dispose que « les personnes ayant saisi le Défenseur des droits ne peuvent faire l’objet, pour ce motif, de mesures de rétorsion ni de représailles »12.

On peut éprouver une certaine déception13 à la lecture de ces textes si l’on s’attendait à ce que la protection des lanceurs d’alerte génère de véritables nouvelles compétences pour le DDD et ne se limite pas à une simple extension à une nouvelle catégorie de bénéficiaires de compétences déjà existantes. Le 8 novembre 2016, a été adoptée la proposition de loi organique sur les compétences du DDD sur la protection des lanceurs d’alerte par 316 voix contre 138.

H. Simonian

2 – Défenseur des droits, recommandation sur la mise en œuvre de l’état d’urgence

Décrété le 14 novembre 2015 puis prorogé à quatre reprises, l’état d’urgence a déclenché l’application d’une législation spécifique, emportant restriction des libertés. Les recommandations formulées par le Défenseur des droits dans sa décision du 26 mai 2016 portent de façon spécifique sur la conduite des perquisitions administratives par les forces de l’ordre. Sont tour à tour envisagés : le déroulement des perquisitions, l’indemnisation des préjudices occasionnés par celles-ci et le phénomène de dénonciation.

Concernant la conduite des perquisitions, le Défenseur préconise l’uniformisation des documents dressés à leur issue. Il insiste sur la nécessité de rédiger des comptes-rendus d’opération circonstanciés « en particulier lors de la phase d’investissement du logement (en précisant l’usage d’armes, l’usage éventuel de la contrainte physique et les conditions dans lesquelles elle a dû être exercée, l’usage éventuel de menottes, les propos significatifs échangés ». Par ailleurs, chaque personne perquisitionnée devrait se voir remettre les documents suivants : ordre de perquisition, copie du procès-verbal, document d’information sur le droit applicable en matière d’indemnisation. L’ensemble de ces préconisations vise à mettre les individus perquisitionnés en capacité de former une demande d’indemnisation, voire d’ester en justice.

Les règles actuelles d’indemnisation des préjudices liés à l’action administrative sont jugées inadaptées en période d’état d’urgence. Dans ce cadre en effet, il est rappelé que les opérations sont menées sans garantie judiciaire préalable, le juge administratif ne pouvant, pour sa part, intervenir qu’a posteriori. C’est pourquoi, le Défenseur préconise la mise en place d’un mécanisme de réparation spécifique qui pourrait, sous conditions, ouvrir droit à l’indemnisation des préjudices moraux. Il est vrai qu’à la lettre de l’actuelle législation, seuls les préjudices matériels et corporels sont éligibles à réparation. Le Défenseur souligne pourtant l’impact psychologique fort des mesures mises en œuvre, tant sur les personnes visées, que sur les tiers présents lors de l’opération (mineurs ou personnes âgées) : il est fait état de « traumatisme psychologique né du déroulement de l’opération, généralement effectuée de nuit. Dans plusieurs cas, s’en sont suivies des consultations médicales psychologiques ». Plus encore, les atteintes à la réputation ne doivent pas être négligées, spécialement dans les cas où les mesures d’assignation à résidence ne sont pas suivies d’action judiciaire.

Enfin, tout en jugeant que la dénonciation d’un « climat général de délation » serait excessive, le Défenseur rappelle la nécessité de lutter contre un climat délétère de méfiance généralisée voire de stigmatisation. Il convient pour cela que les procureurs de la République soient systématiquement informés, en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, de cas de dénonciations manifestement calomnieuses afin de décider, après enquête, de l’opportunité d’engager des poursuites. Si les préconisations suivantes ne sauraient être remises en cause, il faut noter pour finir que le Gouvernent a annoncé renoncer à la conduite de perquisitions administratives lors de la nouvelle prorogation de l’état d’urgence, ce qu’il n’a pas fait en raison des attentats de Nice.

C. Cubaynes

3 – Contrôleur général des lieux de détention et de privation de liberté : activisme institutionnel et introduction d’un suivi des recommandations faites au Gouvernement

Le CGLPL a tout d’abord renforcé le dialogue avec certaines institutions nationales et internationales. Le rapport d’activité pour 201514, remis au président de la République et au Parlement par le CGLPL, a également fait l’objet d’une audition devant les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale en juin 2016. À cette occasion, le CGLPL est revenu sur les principales conclusions du rapport, et suite aux questions adressées par les parlementaires, il a donné sa position sur les cas psychiatriques dans les prisons, la construction de nouvelles prisons, le traitement de la radicalisation dans les unités dédiées ; le risque d’individualisation du service pénitentiaire, la vidéosurveillance des cellules et l’interdiction du téléphone en prison.

Suite à l’adoption d’un amendement gouvernemental modifiant le régime des fouilles des personnes détenues15, le CGLPL a également adressé une lettre aux membres de la commission mixte paritaire le 3 mai 201616, dénonçant cette mesure comme une « régression importante » du droit. Justifiée, de manière « inadmissible », par la surpopulation pénale, elle risque de rétablir les fouilles intégrales systématiques et porte atteinte au principe d’individualisation des fouilles.

Lors de la 57e session du Comité des Nations unies contre la torture en avril 2016, le CGLPL a pour la première fois été auditionné17. Il a alors souligné plusieurs problématiques : surpopulation carcérale ; prise en charge de la radicalisation islamiste dans les établissements pénitentiaires ; formation du personnel ; prise en charge des migrants ; rétention de sûreté. Il a également dénoncé les mesures adoptées en raison du contexte sécuritaire en France : systématisation des fouilles ; rôle de l’administration pénitentiaire en matière de renseignement ; détournement de la procédure de rétention administrative.

Le CGLPL a ensuite mis en place de nouveaux outils de travail et de diffusion. Pour assurer un meilleur suivi des recommandations, il est proposé dans le rapport d’activité pour 2015 de mettre en place un tableau de bord recensant les préconisations par type d’établissements, ce qui a également été réalisé, de son côté, par l’administration pénitentiaire.

Autre nouveauté, une collection d’analyses thématiques a été initiée, dont le premier rapport spécifique porte sur « L’isolement et la contention dans les établissements de santé mentale » des personnes hospitalisées sans leur consentement alors « doublement privées de liberté »18.

J. Schmitz

4 – CSA – 14 juin 2016 : création du CSA lab

L’évolution institutionnelle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) se caractérise, sous l’impulsion de son président Olivier Schrameck, par la création du « CSA lab » le 14 juin 2016. Par le biais d’un communiqué de presse, le CSA annonce la création d’un laboratoire d’idées sur l’audiovisuel et le numérique qui sera présidé par les conseillers Nathalie Sonnac et Nicolas Curien. Cette entité sera composée de sept autres experts, parmi lesquels des universitaires (Maya Bacache-Beauvallet ; Pascale Idoux et Francesca Musiani) ; hauts fonctionnaires (Olivier Henrard ; Marc Tessier), ainsi que des praticiens (Yann Bonnet et Winston Maxwell). La création de ce « CSA lab » est justifiée par l’étroitesse de plus en plus prégnante entre le numérique et l’audiovisuel. Pour reprendre les mots de Nicolas Curien, il s’agit d’accompagner le CSA, grâce à la diversité de ces neuf acteurs, dans un secteur en « perpétuelle évolution où les outils de régulation actuels doivent être évalués et adaptés ».

Ce groupe d’experts se réunira quatre fois par an et publiera des avis et recommandations sur « l’impact du numérique » dans le secteur de l’audiovisuel ; puis remettra deux rapports chaque année au collège du CSA. Les premiers travaux porteront sur la nouvelle directive européenne « SMA » et, plus précisément, sur la distribution numérique des services audiovisuels. Ils seront concentrés autour de trois axes majeurs : l’économie du secteur et des nouveaux acteurs ; la qualification juridique des nouveaux acteurs ; le rôle des données et des algorithmes.

A. Falgas

5 – CNCDH – Avis sur l’état d’urgence et projet de loi antiterroriste

La CNCDH, après avoir exprimé sa solidarité avec les victimes des attentats, dès le mois de novembre, a, le 15 janvier 2016, rendu un premier avis dans le cadre de son association sollicitée par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Elle y rappelle le caractère exceptionnel et très provisoire de l’état d’urgence. Dans son avis du 18 février 2016, la Commission consultative nationale des droits de l’Homme se montre sévère avec le Gouvernement. Sur la base des chiffres du ministère (3 284 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, une dizaine de fermetures de lieux de cultes, moins d’une dizaine d’interdictions de manifester : pour 29 infractions constatées en lien avec le terrorisme), elle dénonce une très grande disproportion entre les mesures adaptées et leurs résultats en termes judiciaires. Elle dénonce des perquisitions qui ne tiennent pas compte de la vulnérabilité des personnes qui sont au domicile, des comportements policiers disproportionnés, voire spectaculaires, le non-respect de certaines procédures comme la remise d’un récépissé de perquisition, des dégâts matériels, des perturbations importantes sur la vie familiale des personnes assignées à résidence, et peut-être surtout, ce qu’elle nomme des détournements de l’état d’urgence, à savoir l’usage des mesures de lutte antiterroriste contre des manifestants écologistes, des syndicalistes, ou pour réguler l’immigration clandestine. Elle finit par préconiser la cessation immédiate de la mise en œuvre de la législation sur l’état d’urgence.

X. Bioy

6 – Médiateur du livre : premier rapport

Quelques semaines avant de céder son poste à Marc Schwartz, nommé médiateur du livre le 2 juillet 2016, Laurence Engel a remis au ministre de la Culture et de la Communication le premier rapport annuel de l’institution. À l’heure où se dessine une profonde transformation du cadre et du nombre des AAI, le rapport entend principalement défendre une institution « utile parce qu’utilisée ». Il souligne ainsi une activité jugée dense, avec vingt-cinq sollicitations et dix saisines d’office pour l’année 2015. Réponse à des demandes d’avis, interventions hors procédure, procédures de conciliation et consultations ont constitué l’essentiel de l’activité de cette institution chargée de veiller au respect du prix unique du livre. Le principal dossier de l’année a consisté dans l’examen de la légalité de l’offre d’abonnement Kindle Unlimited proposée par la société Amazon, dénoncée comme contraire aux règles de fixation du prix du livre par les éditeurs. Après un avis remis au ministre et une procédure de médiation, le médiateur a permis le dégagement de pratiques conformes à la loi qui ont été diffusées et adoptées par la filière, soulignant la force de la régulation pour résoudre les conflits internes à la filière.

A. Duranthon

7 – Autorité de régulation des communications électroniques : de nouvelles compétences de régulation

Les missions de l’Arcep ont évolué avec les besoins de la société. En effet, l’Autorité a constaté que si le nombre d’appels téléphoniques et de messages (SMS, MMS) est relativement stable, le trafic de données mobiles et donc l’utilisation d’internet est toujours en forte expansion. De ce fait, l’Arcep développe désormais son activité autour d’internet à travers les réseaux fixes et mobiles. L’évolution des compétences de l’Arcep est due à l’adoption de plusieurs lois19 et d’un règlement européen en 201520. C’est notamment la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », qui modifie les compétences de l’Arcep. Quatre grandes innovations sont à noter :

  • le rétablissement du pouvoir de sanction de l’Arcep (par la ratification de l’ordonnance du 12 mars 2014 relative à l’économie numérique) ;

  • le nouveau rôle d’expert neutre au profit du Gouvernement, et non plus seulement au profit du Parlement ;

  • la nouvelle mission en matière de réseaux fixes d’accompagnement de la transition du réseau téléphonique de cuivre vers les réseaux à très haut débit en fibre optique, afin de permettre le déploiement du très haut débit sur tout le territoire français ;

  • la nouvelle mission en matière de réseaux mobiles relative aux obligations de déploiements 2G, 3G et surtout 4G sur tout le territoire français. Dans ce cadre, l’Arcep peut désormais publier un rapport sur l’effort d’investissement des opérateurs mobiles21 et contrôler les obligations de couverture des opérateurs (en réalisant des enquêtes de qualité de service ou de couverture mobile22). Par ailleurs, elle assure actuellement le suivi des expérimentations 5G en France.

Il convient de noter que l’Arcep vient de publier son rapport annuel 2015 (fin juin 2016) à l’intérieur duquel elle fait référence à ses nouvelles compétences de régulation.

V. Palma-Amalric

II – Des actions de protection des droits de personnes en situation de vulnérabilité

Il s’agit bien sûr du cœur de métier des AAI de protection des droits et libertés. Les migrants et les détenus, parfois les deux en même temps constituent la préoccupation majeure de ce premier semestre.

A – CNCDH – Rapport relatif à la lutte contre la traite des êtres humains

La CNCDH a publié le 9 mars 2016 son rapport d’évaluation intitulé : « La lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains », qui s’inscrit dans un double cadre. D’une part, la CNCDH évalue le plan d’action national 2014-2016 de lutte contre la traite, d’autre part elle intervient comme rapporteur national indépendant dans le cadre de la convention de Varsovie du 16 mai 2005 et de la directive 2011/36/UE. Le rapport vise donc deux missions, une évaluation interne des politiques publiques et une concrétisation des obligations européennes et internationales de la France dans la lutte contre la traite. Ce rapport de près de 400 pages – qu’il est évidemment impossible de résumer ici – commence par proposer des définitions, afin de pouvoir cerner le plus objectivement possible ce dont il traite. Notamment, reprenant en substance la définition du Protocole de Palerme de 2000, la traite y est définie par son objectif, qui est « l’exploitation des victimes pour en tirer un bénéfice »23. La traite est alors un ensemble de mécanismes, qui aboutissent à retirer les autres droits à la personne victime. Le rapport note qu’en France est trop souvent fait l’amalgame entre prostitution et traite, or, si la prostitution peut être une forme de traite, toute la traite ne se réduit pas à la prostitution, incluant notamment le domaine du travail manuel, agricole ou manutentionnaire.

Dans cette même veine, le rapport tente de déconstruire certaines idées reçues sur la traite, statistiques à l’appui. Ainsi, les victimes ne sont pas uniquement des femmes, un tiers des victimes de la traite sont des hommes. De même, l’auteur type n’est pas un « exploiteur richissime diplomate24 », bien au contraire. S’il existe indéniablement des réseaux, une partie non négligeable de la traite se fait à petite échelle. Ces exemples permettent d’illustrer en quoi le phénomène de la traite est mal cerné, et donc mal identifié et mal réprimé. En conséquence, les victimes sont mal identifiées et souvent mal prises en charge par les services de l’État, la CNCDH mettant l’accent sur la nécessité d’une meilleure formation des agents de l’État.

C’est donc un rapport ambitieux et conséquent tant sur le fond que sur la forme, mêlant étude du droit positif interne et international et recommandations pour protéger davantage et plus efficacement les victimes de la traite et mieux organiser la répression des faits de traite. À ce titre, le rapport présente 58 recommandations, reprenant les thèmes principaux abordés, qui, si elles sont suivies, permettront d’améliorer le système de lutte contre la traite des êtres humains.

S. Sydoryk

B – Les droits des étrangers

1 – Défenseur des droits, rapport relatif aux droits des étrangers, 9 mai 2016

Le DDD a publié le 9 mai 2016 un volumineux rapport consacré aux droits fondamentaux des étrangers en France. Sa première partie est consacrée à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers. Sur chacun de ces trois points, la critique est sévère : soit le pouvoir décisionnel de l’Administration s’exerce en méconnaissance des limites légales (visas) ou des limites fixées par le droit européen (mesures d’éloignement) ; soit les pratiques administratives portent atteinte aux droits fondamentaux (refoulement aux frontières, mesures d’éloignement) ou bien requièrent des améliorations (réduction de la précarité des titres de séjour).

La seconde partie aborde le contenu des droits fondamentaux qui sont divisés en droits civils et politiques, droits économiques et sociaux et droits spécifiques aux mineurs. À la rubrique « droits civils et politiques », le DDD dénonce des pratiques illégales restreignant la liberté d’aller et de venir dans le but d’éloigner les étrangers de leur lieu de vie. Il demande un renforcement des procédures de contrôle de droit commun afin d’éviter des contrôles discriminatoires et rappelle qu’il faut améliorer l’équilibre nécessaire entre la lutte contre l’immigration irrégulière et le respect des droits fondamentaux des étrangers. Le DDD demande ensuite que l’accès à la justice soit effectivement garanti aux étrangers et il rappelle la nécessité de lutter contre les atteintes à la liberté matrimoniale (mariages blancs et gris).

À la rubrique « droits économiques et sociaux », le DDD s’intéresse d’abord à la protection de la santé des étrangers qu’ils soient en situation irrégulière ou régulière, et il souligne le risque du refus de soins auquel sont exposés les étrangers. Ensuite, il aborde le droit au logement pour dénoncer les discriminations en raison de la nationalité et réaffirmer l’inconditionnalité du droit à l’hébergement d’urgence et l’exigence de conditions matérielles d’accueil décentes pour les demandeurs d’asile. En matière de protection sociale, il recommande une levée des discriminations légales à l’accès aux prestations sociales et la prise en compte de situations spécifiques qui entraînent une exclusion du bénéfice de certaines prestations. Il émet également une série de recommandations relatives au droit au travail qui visent à permettre aux étrangers d’avoir un plus large accès à l’emploi. Enfin, le DDD affirme le droit au compte bancaire sans entrave due aux procédures de contrôle des banques et leur droit d’accéder à ce compte.

La dernière rubrique est spécifiquement consacrée aux mineurs. En réalité, le cas de mineurs est abordé dans tout le rapport au fil des situations étudiées. Nous allons l’étudier séparément.

H. Simonian

2 – Défenseur des droits, trois décisions relatives aux mineurs étrangers

Dans son rapport sur les droits fondamentaux des étrangers en France (9 mai 2016), le DDD constate que minorité et extranéité sont deux facteurs d’entraves aux droits fondamentaux, qu’il s’agisse du droit à la scolarisation pour tous les enfants ou du droit à d’accès aux soins pour les enfants non accompagnés.

Pour ces derniers, le DDD détaille les dysfonctionnements administratifs qui compromettent l’obtention d’une protection au titre du droit d’asile et il revient sur la question récurrente de la détermination de l’âge du mineur, réaffirmant la priorité de la vérification des actes d’état civil sur le recours aux examens osseux, souvent hâtivement réalisés et sans respect de leur cadre légal25. Il mentionne aussi la nécessité de garantir à ces mineurs un accès aux droits et à la justice, particulièrement au droit à avoir un avocat26, droit que trois affaires précédant le rapport avait mis en lumière. En effet, outre le principe de la vérification des documents d’état civil et celui de l’exception du recours aux tests osseux, le DDD avait fait valoir dans ses observations devant la cour d’appel de Toulouse27 le fait que la convocation émise par le juge des enfants n’informait pas le mineur de son droit « de faire choix d’un conseil ou de demander qu’il [lui] en soit désigné un d’office » (CPP, art. 1182) et la cour d’appel de Toulouse avait annulé sur ce fondement la décision du juge des enfants de Castres28.

En matière d’entrée sur le territoire, le DDD demande une nouvelle fois la fin de la privation de liberté pour tous les mineurs isolés demandeurs d’asile qui sont placés en zone d’attente et, en matière de séjour, l’obtention de plein droit d’un titre de séjour, selon les cas « vie privée et familiale » ou « étudiant », pour les mineurs étrangers devenus majeurs.

Reste la difficile question des mesures d’éloignement et des placements en centre de rétention. Pour les mineurs isolés, le DDD dénonce des placements hâtifs et la pratique observée à Mayotte d’éloignements de mineurs grâce à un rattachement fictif avec un adulte entré irrégulièrement sur le territoire29. De façon générale, il demande que l’intérêt supérieur de l’enfant soit la considération primordiale dans toute décision d’éloignement et il souhaite que la loi interdise le placement en centres de rétention des mineurs, isolés ou non, rejoint en cela par les Défenseurs des droits et Défenseurs des enfants européens, réunis à Paris, le 28 juin 2016, qui ont unanimement enjoint les États à mettre un terme définitif à toute forme de rétention et de détention des enfants migrants30. La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs condamné la France dans cinq arrêts31 en date du 12 juillet 2016 en raison de la rétention d’enfants mineurs et le DDD, dans son communiqué de presse à ce sujet32, ne peut que regretter que la précédente condamnation de la France33 n’ait pas été suivie des réformes nécessaires.

H. Simonian

C – Les détenus

1 – CGLPL – Rapport d’activités 2015

Évoquant les attentats terroristes et la crise des réfugiés, qui interrogent « l’équilibre entre les droits fondamentaux et la sécurité », le rapport pour 201534 souligne « la raison d’être » du contrôle général qui est de « s’assurer qu’en toutes circonstances, même les plus graves, les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés ».

Parmi les points les plus saillants du rapport, le problème récurrent de la surpopulation pénale (68 361 personnes écrouées pour 58 787 places disponibles dans les établissements pénitentiaires et 1 650 matelas au sol) est tout d’abord dénoncé. Cette situation rend les conditions de prise en charge « indignes » et emporte des conséquences « en cascade » (maintien des liens familiaux, droit à la formation, aux activités et aux soins, détérioration des conditions de travail des surveillants…). Tout en rejetant la logique de « l’inflation carcérale » par la construction de nouvelles places de prison, le CGLPL invite à utiliser les nouvelles mesures alternatives à la détention et à réfléchir sur le sens des très courtes peines. Il propose également de mettre en place une « régulation carcérale », sous forme de concertation entre les directeurs d’établissements et les magistrats afin de reporter l’exécution de certaines peines et de prononcer des remises en liberté pour les fins de peine, lorsqu’il y a un taux de surpopulation carcérale inacceptable dans un ressort.

Autre problématique soulevée par le rapport, la difficulté du contrôle exercé dans les locaux de garde à vue, rétention douanière et geôles de tribunaux en raison de la dispersion et de l’hétérogénéité de ces lieux. Un renforcement du contrôle réalisé par l’autorité judiciaire est préconisé et une « double innovation » est adoptée pour améliorer les enquêtes : envoi périodique groupé des rapports de visites pour une analyse transversale des situations au ministre concerné et au garde des Sceaux. Sont également dénoncées des atteintes importantes à la dignité humaine dans les locaux de garde à vue (insuffisance de l’entretien des locaux et de la surveillance des personnes ; enlèvement systématique des effets personnels tels que les lunettes ou soutien-gorge ; menottage systématique).

Enfin, concernant la situation des établissements psychiatriques, dont le nouveau CGLPL a fait une priorité de son mandat, de fortes disparités des pratiques entre établissements ou au sein d’un même établissement sont constatées, ainsi qu’une insuffisance de l’information délivrée aux patients. Le CGLPL préconise une « protocolisation des modalités d’information », la création de permanences d’accès au droit ainsi qu’un renforcement de l’intervention du juge de la liberté et de la détention par la généralisation des audiences foraines et la délivrance d’une formation spécifique des magistrats et avocats.

J. Schmitz

2 – CGLPL – Avis 18 février 2016 : sur les femmes privées de libertés

Représentant 3,2 % de la population carcérale, entre 5 et 6 % des rétentions administratives, 6 % des lieux éducatifs fermés et 38,21 % des patients admis en établissement psychiatriques, les femmes détenues feraient l’objet de « discriminations importantes dans l’exercice de leurs droits fondamentaux »35. Peu nombreuses, leurs droits ne sont pas respectés pour des raisons relevant souvent d’une analyse pragmatique des difficultés de gestion des lieux de privation de liberté. Autrement dit, certains droits leurs sont refusés, non par volonté réelle des administrations de les en priver, mais par nécessité logistique. Par exemple, dans le centre pénitentiaire de Réau, le CGLPL a pu constater que « l’unité sanitaire était fermée aux hommes le jeudi matin dans le but d’y accueillir des femmes. Si ces dernières peuvent être reçues par une infirmière tous les matins dans la salle de soins du quartier pour femmes (…), il n’en demeure pas moins que les femmes n’ont accès à l’unité sanitaire qu’une demi-journée par semaine »36. Ce phénomène est aussi constaté dans l’accès au travail, aux salles de sport, où même à certains ateliers formateurs jugés essentiels dans la réinsertion future des détenus.

À ces difficultés logistiques s’ajoute un maillage territorial déséquilibré des centres pénitentiaires37, qui, associé au faible nombre de femmes incarcérées, amène à des remises en question importantes de leurs droits et libertés : atteinte aux droits familiaux, femmes détenues mineures souvent mélangées avec les détenues majeures, accès restreint au régime des semi-libertés, etc. Aussi le CGLPL propose-t-il pour pallier ces remises en question deux angles d’attaque : d’une part la mise en œuvre de moyens économiques et logistiques visant à rétablir l’égalité homme/femme (construction d’un centre féminin dans le sud de la France, prise en compte des spécificités féminines…) et d’autre part, une remise en question partielle et raisonnable de la séparation entre les hommes et les femmes en milieu carcéral. Une position ambitieuse pour le CGLPL qui devrait au moins pour partie être suivie par l’État français, le ministre de la Justice, ayant indiqué, dans ses observations du 7 mars 2016, la création d’un quartier de centre de détention pour femmes à Marseille.

G. Lichardos

3 – Cnil : avis du 19 mai 2016, arrêté relatif à la vidéosurveillance des détenus

La vidéosurveillance dans les établissements pénitentiaires était jusqu’à maintenant limitée aux espaces collectifs38 et aux cellules de protection d’urgence39. L’arrestation de Salah Abdeslam a changé la donne. En l’état du droit, il n’était pas possible de surveiller ce détenu 24h/24. Le ministre de la Justice a souhaité combler ce « vide juridique » afin de garantir la protection et la sécurité de ce détenu. Saisie par le ministre de la Justice, la Cnil a ainsi rendu le 19 mai 2016 un avis au sujet d’un projet d’arrêté portant création de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention. Un certain nombre de réserves ont été émises par la commission à propos du champ d’application de l’arrêté (restriction du champ des détenus concernés, détermination des motifs qui justifient la vidéosurveillance), de la durée de conservation des données et de la mise en œuvre du dispositif (information du détenu, caméra dans les lieux d’intimité, etc.). La plupart des recommandations de la Cnil ont été prises en compte, des garanties ont été apportées et l’arrêté est entré en vigueur le 9 juin 201640. La loi du 21 juillet 2016 a néanmoins légalisé une surveillance constante sous certaines garanties quant à l’accès aux images et l’intimité de lieux d’aisance.

C. Morot

III – La préoccupation croisée de la protection des données personnelles

Par leurs compétences techniques autant que par leur vaste champ de compétence, les AAI sont plusieurs à être confrontées à l’enjeu toujours renouvelé des données personnelles. L’adoption définitive du nouveau règlement européen en avril 201641 nécessitera encore leurs interventions et alertes.

A – Comité consultatif national d’éthique – Avis relatif aux tests génétiques n° 124

L’avis du Comité consultatif national d’éthique relatif à l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit et publié le 21 janvier 2016, porte sur « l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit ». Ce dernier fait suite à l’avis n° 120 « sur les questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel », qui abordait déjà la question de la généralisation du séquençage ADN à très haut débit et ses implications médicales et sociétales. Les récents progrès techniques ont en effet permis la mise au point de nouvelles technologies de séquençage qui permettent de séquencer plus rapidement et pour un moindre coût des pans entiers du génome, voire le génome entier des personnes. Si l’ambivalence de l’information génétique n’est pas nouvelle, la réflexion peut être renouvelée à l’aune des techniques disponibles pour la générer. Trois questions principales ont été ouvertes par le CCNE.

La première concerne la place de la génétique dans l’évolution de la pratique médicale. Les nouvelles technologies de séquençage mettent à jour des données dont la valeur informative est variable. Le Comité met alors en garde les généticiens contre le risque de se tromper dans la prédiction. Il préconise ainsi de « mettre en œuvre un contrôle renforcé de la pertinence et de la sécurité des applications qui seront faites des connaissances issues de l’analyse du génome, mais qui sache tenir compte de l’évolution des standards mathématiques de la médecine fondée sur des preuves (evidence based medicine) ». D’autre part, le CCNE souligne que si ces dernières permettent d’entrevoir une médecine de précision, elles risquent également d’altérer le modèle traditionnel d’élaboration, de production et de marchandisation des médicaments, qui repose sur un marché centré autour de médicaments communément qualifiés de « blockbusters ».

La seconde interrogation porte sur le risque que ces technologies font peser sur le respect de la vie privée des individus. Celles-ci génèrent des masses importantes de données qu’il faut gérer, stocker, analyser, et qui viendront alimenter le Big data. Le Comité rappelle à juste titre la nécessité de soumettre ces données personnelles aux principes de la loi informatique et libertés42, et promeut la reconnaissance d’un droit à l’autodétermination informationnelle43, visant à améliorer le contrôle des individus sur l’utilisation qui est faite de leurs données.

Enfin, le Comité rappelle que « les déterminants majeurs de santé, et donc de prédiction de santé publique sont à trouver dans les conditions de vie » et fait ainsi état des risques de captation par la génétique de la prévention en santé publique.

A. Pigeon

B – Cnil – Suites du litige concernant le déréférencement avec Google

Le litige entre Google et la Cnil concernant le déréférencement ne s’est pas arrêté à la mise en demeure prononcée par la Cnil envers Google le 21 mai 2015, et commentée à l’époque dans cette même chronique. La Cnil a condamné Google le 10 mars 2016 à verser une amende de 100 000 € pour non-respect du « droit à l’oubli ». Ce droit consacré par la CJUE dans un arrêt de 201444 permet aux internautes de demander que des liens vers des pages web soient supprimés de la liste des résultats d’une requête à partir de leur nom. Saisi par la Cnil, Google a procédé au déréférencement de plusieurs requêtes, mais de manière partielle et insuffisante aux yeux de la Cnil. La Commission considère que le déréférencement ne doit pas être limité à quelques extensions, mais qu’il doit concerner toutes les extensions du moteur de recherche (.fr ; .uk ; .com, etc.). Google ne s’est pas plié à la mise en demeure émise par la Cnil. Le moteur de recherche a en revanche proposé une solution consistant à déréférencer les données pour ceux qui consultent le moteur de recherche à partir du même pays d’origine que le plaignant. La Cnil a estimé une nouvelle fois que cette solution n’était pas suffisante et a donc sanctionné Google.

Ce feuilleton se fonde non plus sur le droit à l’oubli mais sur le champ d’application des décisions de la Cnil. Cette dernière a une interprétation très extensive du droit à l’oubli et selon elle, le déréférencement doit s’appliquer partout dans le monde. Pour Google en revanche, ce principe s’oppose au droit à l’information et les décisions de la Cnil n’ont pas vocation à avoir une portée extraterritoriale. La Commission ne pourrait pas dicter ce que les internautes étrangers peuvent consulter ou non. Google n’est pas décidé à en rester là et a fait appel de la décision de la Cnil devant le Conseil d’État, qui aura la charge de trancher cette épineuse problématique.

C. Morot

C – Cnil – Un avertissement à l’encontre de la société Numericable

Comme l’a écrit Arthur Koestler, au XXsiècle les procès et procédures sans fondement étaient le résultat d’une tension entre « le zéro et l’infini ». Au XXIsiècle, il suffit d’une suite de zéros mal interprétée pour qu’une personne se retrouve dans 1 531 procédures et identifiée à l’occasion de sept réquisitions judiciaires. En effet, la Société Numericable, suite à une erreur technique, a attribué comme adresse physique (MAC) 00 :00 :00 :00 :00 :00 : à l’un de ses abonnés. Or cette adresse est l’adresse paramétrée par défaut en cas d’erreur d’identification. Partant, la société a systématiquement transmis son identité aux organismes qui en faisaient la demande (Hadopi et services de police et gendarmerie), dès lors qu’il n’arrivait pas à identifier la personne réellement responsable. Le renvoi d’une erreur dans l’identification, conduisant, pendant près de deux ans, à l’identification du requérant. C’est sur le fondement de l’article 6-4 de la loi informatique et libertés que la Cnil a considéré le 1er mars 2016 que, contrairement à ce que soutenait la société Numericable, le principe de respect de l’exactitude des données à caractère personnel constitue une obligation de résultat et non de moyens. Que, partant, la société a « une obligation de veiller à l’exactitude des données à caractère personnel de ses abonnés ».

À la vue de ces éléments découverts dans le cadre d’une mission de contrôle de la Cnil auprès de l’opérateur, et face aux conséquences très dommageables qu’une telle erreur fait peser sur l’abonné, la Cnil a prononcé un avertissement public à l’encontre de la société Numericable en précisant alors la nature de l’obligation de respect de l’exactitude des données.

M. Sztulman

D – Cnil – Cada – Projet de référé « communication » de document

Le 29 juin 2016, une commission mixte paritaire a proposé un texte sur les dispositions du projet de loi pour une République numérique. La proposition de création d’un référé communication devant le juge administratif sur saisine de la Cada est définitivement enterrée.

Ce nouveau référé était pourtant préconisé dès 2014 par le rapport sénatorial sur l’open data intitulé : « Refonder le droit à l’information publique à l’heure du numérique : un enjeu citoyen, une opportunité stratégique » de Corinne Bouchoux et Jean-Jacques Hyest45. Il avait été repris par des amendements parlementaires, rejetés tant par l’Assemblée nationale46 que le Sénat47.

La Cada ayant été intégrée dans le Code des relations entre le public et l’Administration48, ces amendements proposaient de créer un article L. 342-4 ainsi rédigé : « En cas de refus d’une Administration de communication d’un document mentionné aux articles L. 342-1 et L. 342-2, dont le refus de communication a déjà fait l’objet d’une décision de la commission ou de la justice administrative, le président de la commission peut saisir le président du tribunal administratif aux fins de faire ordonner la communication de ce document. Dans ce cas, le juge statue en la forme des référés. Sa décision est exécutoire à titre provisoire ». Un tel référé aurait permis d’accélérer l’effectivité du droit d’accès à l’information publique.

M.-P. Lapeyre

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, ass., 21 mars 2016, n° 368082, Sté Fairvesta international GMBH et CE, ass., 21 mars 2016, n° 390023, Sté Numéricable.
  • 2.
    Proposition de loi portant statut des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, présentée par Patrice Gélard et Jean-Pierre Sueur et déposée à la présidence du Sénat le 25 septembre 2014.
  • 3.
    Proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, présentée par Marie-Hélène des Esgaulx, Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard, et déposée à la présidence du Sénat le 7 décembre 2015.
  • 4.
    http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl3623.asp.
  • 5.
    http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0755.asp.
  • 6.
    L’alerte doit toujours être d’abord portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par l’employeur ou à défaut le supérieur hiérarchique et ce n’est que si aucune suite n’est donnée que l’alerte pourra être adressée non seulement au DDD mais aussi à l’autorité judiciaire, l’autorité administrative, aux instances représentatives du personnel, ordres professionnels ou à toute association d’assistance aux lanceurs d’alerte régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans.
  • 7.
    Art. 6 A : « Le lanceur d’alerte est une personne qui révèle, dans l’intérêt général et de bonne foi, un crime ou un délit, un manquement grave à la loi ou au règlement, ou des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement ou pour la santé ou la sécurité publiques, ou qui témoigne de tels agissements ».
  • 8.
    Proposition de loi organique de Bruno Le Roux et Sébastien Denaja et d’autres députés relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte, n° 3770, déposée le 18 mai 2016. Le DDD avait été entendu, le 16 mai, par le rapporteur de la commission des lois et il avait rendu compte de cette audition dans son avis n° 16-13 du 20 mai dans lequel il énonce une série de questions sur son rôle attendu à laquelle les textes votés ultérieurement n’ont pas apporté de réponse.
  • 9.
    Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, le 20 mai, les deux assemblées ne disposaient que d’une seule lecture du texte.
  • 10.
    Nous allons renvoyer aux articles de la LO de 2011 modifiés par la proposition de loi organique et non aux articles de celle-ci.
  • 11.
    Ce collège était composé (outre le DDD qui le présidait et son adjoint chargé de la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité qui en était le vice-président) de personnalités qualifiées, trois désignées par le président du Sénat, trois par le président de l’Assemblée nationale, une par le vice-président du Conseil d’État et une par le premier président de la Cour de cassation.
  • 12.
    Cette modification de l’article 20 était une des demandes du DDD lors de son audition (v. avis préc., p. 6)
  • 13.
    Déçu mais pas forcément étonné car le Conseil d’État avait déjà abordé le rôle possible du DDD uniquement sous l’angle de la lutte contre les discriminations. Le Conseil proposait en effet de qualifier de discriminations les mesures de représailles contre les lanceurs d’alerte et de rattacher ainsi leur protection à des compétences déjà exercées par le DDD.
  • 14.
    CGLPL, Rapport d’activité 2015, 2016, Dalloz.
  • 15.
    L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 57 nouv., modifié par la L. n° 2016-731, 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Elle prévoit en effet la possibilité de recourir aux fouilles intégrales « dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des détenus », « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens ».
  • 16.
    http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2016/05/Lettre-fouilles_CMP.pdf.
  • 17.
    http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2016/04/Audition-devant-le-comite%CC%81-des-Nations-unies-contre-la-torture.pdf.
  • 18.
    CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, Rapport thématique, 2016, Dalloz. Comme le demandait le CGLPL depuis plusieurs années, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé fixe un cadre plus protecteur en la matière, mais qui reste pour le moment inappliqué en raison d’un défaut de circulaire.
  • 19.
    L. n° 2015-912, 24 juill. 2015, relative au renseignement ; L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
  • 20.
    Règl. (UE) n° 2015/2120, 25 nov. 2015, du Parlement européen et du Conseil européen sur l’internet ouvert et l’itinérance mobile.
  • 21.
    Le premier a été publié en décembre 2015.
  • 22.
    Les critères de la couverture mobile posés par l’ARCEP sont la possibilité de passer un appel téléphonique et de le maintenir une minute mais également de télécharger un petit fichier.
  • 23.
    CNCDH, La lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains, 2016, La documentation française, p. 21
  • 24.
    Ibid., p. 144.
  • 25.
    V. cette revue, cette chronique n° 4, juin à décembre 2014, « Défenseur des droits : tests osseux et détermination de l’âge du mineur étranger isolé », LPA 26 juin 2015, p. 11.
  • 26.
    Ce droit d’accès aux droits et à la justice a fait l’objet d’une décision adressée au garde des Sceaux, 26 févr. 2016, MDE-2016-052.
  • 27.
    MDE-046, 047 et 048, 12 févr. 2016.
  • 28.
    CA Toulouse, 11 mars 2016, nos 2916/38, 2916/39 et 2916/40. Sur le fond, la cour d’appel a affirmé que la preuve de la minorité résultait des actes d’état civil et constaté, qu’en l’espèce, l’acte d’état civil produit par le mineur n’avait été soumis à aucune appréciation de sa régularité objective. La cour d’appel a donc ordonné avant-dire-droit un examen de la régularité de l’acte de naissance litigieux et totalement ignoré les résultats des tests osseux pratiqués, conformément aux observations du DDD.
  • 29.
    V. cette revue, cette chronique n° 5 de janvier à juillet 2015, « La rétention et l’éloignement forcé du mineur étranger », LPA 12 oct. 2015, p. 5.
  • 30.
    Déclaration des DDD et DDE européens sur la protection des enfants migrants en Europe, http://www.psmigrants.org/site/28-06-2016-declaration-des-ddd-et-dde-europeen-sur-la-protection-des-enfants-migrants-en-europe/.
  • 31.
    CEDH, 12 juill. 2016, n° 11593/12, A.B. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 33201/11, R. M. et M. M. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 24587/12, A. M. et a. c/ France ; CEDH, 12 juill. 2016, n° 68264/14, R. K. c/ France et CEDH, 12 juill. 2016, n° 76491/14, R. C. c/ France.
  • 32.
    http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/presse/communiques-de-presse/interdiction-de-mettre-des-enfants-en-cra-la-cedh-conforte-la.
  • 33.
    CEDH, 9 janv. 2012, nos 39472/07 et 39474/07, Popov c/ France.
  • 34.
    CGLPL, Rapport d’activité 2015, 2016, Dalloz.
  • 35.
    CGLPL, avis, 18 févr. 2016 : JO, 18 févr. 2016, texte 89.
  • 36.
    Ibid.
  • 37.
    Seuls 29 % établissements pénitentiaires (dont la plupart sont situés au Nord de la France), la moitié des centres pour mineurs et  6 % des centres de rétention accueillent des femmes.
  • 38.
    Arrêté du 13 mai 2013 portant autorisation unique de mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection au sein des locaux et des établissements de l’administration pénitentiaire.
  • 39.
    Arrêté du 9 juin 2016 portant création de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention.
  • 40.
    L’avocat de Salah Abdeslam a saisi le tribunal administratif de Versailles et le juge des référés a rendu une ordonnance dans laquelle il a estimé que les conditions d’urgence et d’atteinte grave et manifestement illégale à ses libertés fondamentales n’étaient pas remplies. V. TA Versailles, ord., 15 juill. 2016, n° 1604509.
  • 41.
    Règl. (UE) n° 2016/679, 27 avr. 2016, du Parlement européen et du Conseil.
  • 42.
    L. n° 78-17, 6 janv. 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
  • 43.
    Dégagée par la Cour constitutionnelle allemande en 1983.
  • 44.
    CJUE, gde ch., 13 mai 2014, n° C-131/12, Google Spain SL, Google Inc. c/ Agencia Española de Protección de Datos, Mario Costeja González.
  • 45.
    Rapport d’information n° 589 (2013-2014) de Mme Corinne Bouchoux fait au nom de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques, déposé le 5 juin 2014.
  • 46.
    Amendement n° CL236 présenté par M. Coronado, Mme Attard, M. Molac et Mme Pompili, 7 janv. 2016.
  • 47.
    Amendement n° 185 présenté par Bouchoux et les membres du Groupe écologiste, 22 avr. 2016.
  • 48.
    Code entré en vigueur le 1er janvier 2016.