Panorama de droit administratif (15 avril – 31 mai 2021)
Durant la période du 15 avril au 31 mai 2021, il faut tout d’abord signaler l’arrêt par lequel l’assemblée du contentieux du Conseil d’État réaffirme la primauté de la Constitution sur le droit de l’Union européenne. Méritent ensuite l’attention l’arrêt affirmant l’inapplicabilité aux personnes privées de la règle de la décision préalable et ceux précisant les conditions de non-assujettissement des autorités publiques à la TVA. On notera encore les arrêts indiquant quelle est la situation des concubins au regard de la majoration de pension pour enfants, que le principe d’impartialité est inopposable à l’autorité de poursuite, quel est l’office du juge en cas d’indu de RSA, affirmant le droit de suite du titulaire d’un marché sur les travaux de reprise en cas de marché de substitution et la recevabilité de l’appel en garantie du constructeur à l’encontre du maître d’ouvrage.
Appréciation du caractère sérieux de la recherche d’une possibilité de reclassement
CE, 16 avr. 2021, n° 433905, Mme A. Dans le cas où la demande de licenciement d’un salarié protégé est motivée par l’inaptitude physique, il appartient à l’Administration de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que l’employeur a, conformément à l’article L. 1226-2 du Code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d’autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l’entreprise, de mesures telles que des mutations ou des transformations de postes de travail ou l’aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l’employeur n’a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d’une recherche sérieuse, menée tant au sein de l’entreprise que dans les entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d’y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel1.
Lorsqu’après son constat d’inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement.
Un directeur d’école privée doit être effectivement disponible
CE, 16 avr. 2021, n° 438490, Min. Éduc. nat. c/ B., Assoc. Les enfants de demain et a. Il résulte des articles L. 441-3 et L. 914-3 du Code de l’éducation que l’autorité administrative ne peut s’opposer à la nomination d’un directeur d’un établissement d’enseignement privé hors contrat, sous le contrôle du juge, que dans l’intérêt de l’ordre public ou de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou si l’intéressé ne remplit pas les conditions posées à l’article L. 914-3. Il en résulte également que l’autorité administrative peut légalement s’opposer à une telle nomination si l’intéressé n’est pas à même, faute notamment d’une disponibilité effective, d’assurer les missions inhérentes à l’exercice de ses fonctions telles que le respect de la sécurité et la protection des élèves.
Exclusion des sapeurs-pompiers à temps partiel du régime d’horaire d’équivalence
CE, 16 avr. 2021, n° 430402, A. Le régime du temps d’équivalence prévu par l’article 4 du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 a pour objet d’introduire, en vue notamment de l’appréciation des droits à rémunération des sapeurs-pompiers professionnels, une durée équivalente à la durée annuelle de leur temps de travail. Cette durée annuelle du temps de travail correspond à la quotité de travail qu’un sapeur-pompier professionnel doit accomplir pour être regardé comme travaillant à temps plein. Dès lors, ni la durée annuelle de ce temps de travail ni, par voie de conséquence, la durée équivalente à cette durée ne sont applicables aux sapeurs-pompiers professionnels travaillant à temps partiel.
La Constitution prime sur le droit de l’Union européenne
CE, ass., 21 avr. 2021, n° 393099, French Data Network. Tout en consacrant l’existence d’un ordre juridique de l’Union européenne intégré à l’ordre juridique interne, l’article 88-1 de la Constitution confirme la place de la Constitution au sommet de ce dernier. Il appartient au juge administratif, s’il y a lieu, de retenir de l’interprétation que la Cour de justice de l’Union européenne a donnée des obligations résultant du droit de l’Union la lecture la plus conforme aux exigences constitutionnelles autres que celles qui découlent de l’article 88-1, dans la mesure où les énonciations des arrêts de la Cour le permettent. Dans le cas où l’application d’une directive ou d’un règlement européen, tel qu’interprété par la Cour, aurait pour effet de priver de garanties effectives l’une de ces exigences constitutionnelles, qui ne bénéficierait pas, en droit de l’Union, d’une protection équivalente, le juge administratif, saisi d’un moyen en ce sens, doit l’écarter dans la stricte mesure où le respect de la Constitution l’exige.
Le principe d’impartialité des juridictions n’est pas opposable à l’autorité de poursuite
CE, 21 avr. 2021, n° 443043, B. Si le principe d’impartialité des juridictions, qui découle de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, que rappelle le paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et qui est applicable à l’Agence française de lutte contre le dopage, autorité publique indépendante dotée d’un pouvoir de sanction, conduit à la séparation entre, d’une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements, ce principe ne peut être opposé à l’autorité assurant les fonctions de poursuite, qui n’est pas appelée à décider d’une éventuelle sanction.
Office du juge en cas d’indu de RSA
CE, 21 avr. 2021, n° 437179, Mme C. En cas d’annulation par le juge administratif d’une décision qui, remettant en cause des paiements déjà effectués, ordonne la récupération d’un indu de revenu de solidarité active ou d’aide exceptionnelle de fin d’année, il est loisible à l’Administration, si elle s’y croit fondée et si, en particulier, aucune règle de prescription n’y fait obstacle, de reprendre régulièrement et dans le respect de l’autorité de la chose jugée, sous le contrôle du juge, une nouvelle décision. Lorsque tout ou partie de l’indu d’allocation de revenu de solidarité active ou d’aide exceptionnelle de fin d’année a été recouvré avant que le caractère suspensif du recours n’y fasse obstacle, il appartient au juge, s’il est saisi de conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Administration de rembourser la somme déjà recouvrée ou s’il décide de prescrire cette mesure d’office, de déterminer le délai dans lequel l’Administration, en exécution de sa décision, doit procéder à ce remboursement, sauf à régulariser sa décision de récupération si celle-ci n’a été annulée que pour un vice de légalité externe2.
Majoration de pension pour enfants : situation du concubin
CE, 20 avr. 2021, n° 440342, A. À la différence des époux, les concubins ne sont légalement tenus à aucune solidarité financière à l’égard des tiers ni à aucune obligation réciproque. À l’inverse, le régime du mariage a pour objet non seulement d’organiser les obligations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d’assurer la protection de la famille. Ce régime assure aussi une protection en cas de dissolution du mariage. Par suite, si le II de l’article 24 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 impose au titulaire d’une pension de justifier « avoir assumé la charge effective et permanente » des enfants de son concubin pour obtenir le bénéfice de la majoration pour avoir élevé au moins trois enfants, alors qu’une telle obligation ne pèse pas sur le pensionné ayant élevé les enfants de son conjoint, les concubins ne sont pas placés dans la même situation que les conjoints, au regard des dépenses exposées dans la vie commune, qui bénéficient notamment aux enfants du foyer. La différence de traitement résultant de ces dispositions trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la norme.
Toutefois, en restreignant la possibilité de pouvoir justifier avoir assumé la charge effective et permanente de l’enfant de son concubin aux seuls cas où le pensionné a, pour cet enfant, perçu les prestations familiales ou le supplément familial de traitement ou a bénéficié de l’avantage familial au titre de l’impôt sur le revenu, le II de l’article 24 institue entre conjoints et concubins une différence de traitement illégale et méconnaît le principe d’égalité en tant qu’il interdit d’établir par tout moyen avoir assumé avec son concubin la charge effective et permanente de l’enfant.
Inapplicabilité de la règle de la décision préalable aux personnes privées
CE, avis, 27 avr. 2021, n° 448467, Cnauté de communes du Centre Corse. Depuis le 1er janvier 2017, l’exigence résultant de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, tenant à la nécessité, pour saisir le juge administratif, de former recours dans les deux mois contre une décision préalable, est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics.
Toutefois, si l’article R. 421-1 n’exclut pas qu’il s’applique à des décisions prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif. Dans ces conditions, en l’absence de disposition déterminant les effets du silence gardé par une telle personne privée sur une demande qui lui a été adressée, les conclusions, relatives à une créance née de travaux publics, dirigées contre une telle personne privée ne sauraient être rejetées comme irrecevables faute de la décision préalable prévue par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative.
Le délai de recours prévu à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative n’est pas applicable à un recours, relatif à une créance née de travaux publics, dirigé contre une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif. Par suite, il ne peut être opposé à l’auteur d’un tel recours aucun délai au-delà duquel il ne pourrait, devant la juridiction de première instance, régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 du Code de justice administrative ou formuler des conclusions présentant le caractère d’une demande nouvelle car reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête.
Évaluation du préjudice dû à une entente ; réunions ou visites : simples facultés pour l’expert
CE, 27 avr. 2021, n° 440348, Sté Lacroix City Saint-Herblain. Si l’article R. 621-7 du Code de justice administrative fixe les modalités selon lesquelles un expert désigné par le tribunal doit avertir les parties des réunions ou visites qu’il organise, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de lui imposer d’en organiser.
Pour évaluer l’ampleur du préjudice subi par une personne publique au titre du surcoût lié à une entente, il est loisible de se fonder sur la comparaison des taux de marge de la société pendant la durée de l’entente et après la fin de celle-ci pour en déduire le surcoût supporté par la personne publique sur les marchés litigieux.
Droit de suivi du titulaire sur les travaux de reprise en cas de marché de substitution
CE, 27 avr. 2021, n° 437148, Sté Constructions Bâtiments Immobiliers (CBI). Il résulte de l’article 49 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux et des règles générales applicables aux contrats administratifs que le maître d’ouvrage d’un marché de travaux publics peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des travaux à un autre entrepreneur aux frais et risques de son cocontractant3. La mise en œuvre de cette mesure coercitive n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant et ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat. Le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par le maître d’ouvrage en raison de l’achèvement des travaux par un nouvel entrepreneur étant à sa charge.
Si les contrats passés par le maître d’ouvrage avec d’autres entrepreneurs pour la seule reprise de malfaçons auxquelles le titulaire du marché n’a pas remédié ne constituent pas, en principe, des marchés de substitution soumis aux règles énoncées au point précédent et, en particulier, au droit de suivi de leur exécution, il est loisible au maître d’ouvrage qui, après avoir mis en régie le marché, confie la poursuite de l’exécution du contrat à un autre entrepreneur, d’inclure dans ce marché de substitution des prestations tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées. Dans ce cas, le droit de suivi du titulaire initial du marché s’exerce sur l’ensemble des prestations du marché de substitution, sans qu’il y ait lieu de distinguer celles de ces prestations qui auraient pu faire l’objet de contrats conclus sans mise en régie préalable.
Travaux publics : recevabilité de l’appel en garantie du constructeur à l’encontre du maître d’ouvrage
CE, 27 avr. 2021, n° 436820, Eurométropole de Strasbourg et Sté SMACL Assurances. Lorsqu’il n’est pas sérieusement contestable que des dommages accidentels causés à des tiers sont imputables à l’exécution de travaux publics, ces tiers peuvent se prévaloir d’une obligation non sérieusement contestable pour obtenir une provision, à moins pour le maître d’ouvrage ou, le cas échéant, l’architecte et l’entrepreneur chargé des travaux, d’établir avec un degré suffisant de certitude l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute de la victime.
Lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d’un dommage dû à l’exécution de travaux publics, le constructeur est fondé, sauf clause contractuelle contraire et sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’aucune réserve de sa part, même non chiffrée, concernant ce litige ne figure au décompte général du marché devenu définitif, à demander à être garanti en totalité par le maître d’ouvrage, dès lors que la réception des travaux à l’origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ou de la garantie décennale. Il n’en irait autrement que dans le cas où la réception n’aurait été acquise au constructeur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part4.
Irrecevabilité de la protestation électorale ne recherchant que la modification du décompte des voix
CE, 5 mai 2021, n° 445305, Mme F. et a. À l’issue de la consultation du 4 octobre 2020 sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, le « non » a obtenu 81 503 voix et le « oui » 71 533 voix.
Par leur protestation, les requérants ne demandent pas l’annulation du résultat de la consultation dans son ensemble, mais se bornent à demander l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées dans certains bureaux de vote, au motif que des irrégularités y auraient entaché le déroulement du scrutin. L’annulation des votes exprimés dans ces bureaux de vote conduirait à ramener les suffrages exprimés en faveur du « non » à 78 616 voix et ceux en faveur du « oui » à 66 241 voix, sans inverser le résultat de la consultation. Dans ces conditions, la protestation qui, sans tendre à l’inversion ou l’annulation du résultat de la consultation, recherche seulement la modification du décompte des voix, auquel ne s’attache, dans son détail, aucune conséquence juridique, n’est pas recevable.
Conditions de non-assujettissement des autorités publiques à la TVA
CE, 28 mai 2021, n° 441739, Cne de Sarlat-la-Canéda ; CE, 28 mai 2021, n° 442378, Cne de Castelnaudary. Il résulte de l’article 13 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive, qui déroge à la règle générale de l’assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d’une part, à ce que l’activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique et, d’autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance5.
En premier lieu, la condition selon laquelle l’activité économique est réalisée par l’organisme public en tant qu’autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice6, lorsque l’activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l’activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l’activité est accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l’État membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l’activité exercée est exonérée en vertu, notamment, de l’article 132 de la directive. Il résulte de l’article 256 B du Code général des impôts que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par l’article 13 de la directive, de regarder comme des activités effectuées en tant qu’autorités publiques les services éducatifs des personnes morales de droit public, lesquels doivent s’entendre, à la lumière de la directive, des prestations d’éducation de l’enfance ou de la jeunesse et d’enseignement scolaire ou universitaire ainsi que des prestations de services et livraisons de biens étroitement liées à celles-ci, lorsqu’elles sont effectuées par les personnes morales de droit public ayant pour objet l’enseignement.
Il résulte des articles L. 2121-30 du Code général des collectivités territoriales, repris à l’article L. 212-1 du Code de l’éducation, et L. 213-1 du même code que la commune dispose de compétences d’organisation du service public éducatif lui conférant la qualité d’organisme de droit public ayant pour objet l’enseignement. Par ailleurs, la fourniture de repas à la pause méridienne dans des cantines situées au sein même des établissements scolaires et pour le seul bénéfice de leurs élèves, qui ne constitue pas une fin en soi mais le moyen pour les élèves de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation d’enseignement rendue par ces établissements, a la nature d’un accessoire indispensable de celle-ci et, par suite, d’une prestation étroitement liée à l’enseignement scolaire. Dès lors, l’activité communale de fourniture de repas dans les cantines scolaires doit être regardée comme relevant des services éducatifs rendus par une personne morale de droit public au sens des dispositions l’article 256 B du Code général des impôts, interprétées conformément à celles de la directive.
La Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d’entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique7. La Cour a précisé que les distorsions de concurrence d’une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d’opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l’analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l’existence d’une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d’une distorsion de concurrence d’une certaine importance8. Les distorsions de concurrence s’apprécient à la fois au regard de l’activité en cause et des conditions d’exploitation de cette activité. L’existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l’état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.
La satisfaction des besoins de restauration des enfants des écoles ne serait susceptible d’être assurée de manière profitable par un opérateur privé, dans des conditions de prix comparables à celles imposées aux cantines scolaires, qu’à la condition que les recettes issues de l’exploitation soient complétées par une subvention publique. Dans ces conditions, un opérateur privé exerçant cette activité ne saurait être empêché d’entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui permet, à la différence d’un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d’obtenir le remboursement de l’excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Par suite, le non-assujettissement d’une commune à la taxe sur la valeur ajoutée à raison d’une activité de fourniture de repas dans les cantines scolaires ne saurait être regardé comme entraînant des distorsions dans les conditions de la concurrence (n° 441739).
La France a fait usage de la possibilité, ouverte par l’article 13 de la directive, de regarder comme des activités effectuées en tant qu’autorités publiques les services à caractère sportif rendus par les personnes morales de droit public. Eu égard aux caractéristiques des principaux équipements de la piscine, à savoir un bassin olympique extérieur de 50 mètres et un bassin couvert de 25 mètres destinés à la natation, son exploitation par la commune revêt la nature d’une prestation de service à caractère sportif.
Par ailleurs, compte tenu de la nécessité de garantir un large accès de l’ensemble de la population locale à ce type d’équipement et de la gratuité accordée aux publics scolaires, les droits d’entrée demandés aux usagers ne peuvent couvrir qu’une faible part du montant des charges inhérentes à son fonctionnement. Par suite, un opérateur privé ne serait pas en mesure de proposer un service de nature à satisfaire le même besoin, sauf à bénéficier de subventions publiques. Dans ces conditions, un opérateur privé exerçant cette activité ne saurait être empêché d’entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui permet, à la différence d’un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d’obtenir le remboursement de l’excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Le non-assujettissement de la commune à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’exploitation de la piscine dont elle est propriétaire n’est ainsi susceptible de créer de distorsion de concurrence ni avec un opérateur privé autonome, ni avec un organisme public bénéficiant du même régime pour des activités similaires (n° 442378).
Pas de conflit négatif si une juridiction s’est reconnue compétente
T. confl., 17 mai 2021, n° 4207, Stés Vins Duprat frères et Duprat Adour. Saisie du litige portant sur l’occupation par la société requérante de la parcelle gérée par la chambre de commerce et d’industrie et sur la décision de mettre fin à cette occupation, la cour d’appel n’a pas décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour en connaître. Elle s’est en effet reconnue compétente pour statuer sur ce litige relatif à l’occupation d’une dépendance du domaine privé de l’État, en jugeant notamment non fondée la demande de la requérante de reconnaissance de l’existence d’un bail commercial sur cette parcelle. Seul le tribunal administratif a, à bon droit, décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande tendant à ce qu’il soit ordonné à la société de libérer les lieux.
Par suite, il ne résulte des décisions invoquées aucun conflit négatif de compétence entre les ordres de juridiction. Les conclusions principales de la requête sont dès lors irrecevables.
Il en résulte, et alors que la requérante avait seulement formé une demande tendant à la reconnaissance d’un bail commercial devant la juridiction judiciaire, qui reste compétente pour statuer sur le litige relatif à l’occupation de la parcelle en cause, que les décisions ne présentent pas entre elles une contrariété conduisant à un déni de justice.
Notes de bas de pages
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1.
CE, 7 avr. 2011, n° 334211, Sté Weleda : Lebon, p. 159 – CE, 30 mai 2016, n° 387338, Mme M. : Lebon, p. 189.
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2.
CE, sect., 16 déc. 2016, n° 389642, Mme Guionnet : Lebon, p. 555, concl. J. Lessi.
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3.
CE, 18 déc. 2020, n° 433386, Sté Treuils et Grues Labor : Lebon T, p. 828 et 832.
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4.
CE, 6 févr. 2019, n° 414064, Sté Fives Solios : Lebon T, p. 835 et 1061.
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5.
CE, 23 déc. 2010, n° 307856, Cne Saint-Jorioz : Lebon, p. 527 – CE, avis, 12 avr. 2019, n° 427540, CH Vire, D.
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6.
CJUE, 29 oct. 2015, n° C-174/14, Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA.
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7.
CJUE, 16 sept. 2008, n° C-288/07, Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs v. Isle of Wight Council et o.
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8.
CJUE, 19 janv. 2017, n° C-344/15, National Roads Authority.
Référence : AJU001r1