Panorama de droit administratif (15 Mai – 30 Juin 2020)

Publié le 11/02/2021

L’actualité de cette période témoigne de la volonté du Conseil d’État de poursuivre, au fil des affaires qui lui sont soumises, son œuvre de transformation du contentieux administratif. Un exemple éclatant en est l’arrêt GISTI du 12 juin, ouvrant le prétoire du juge de l’excès de pouvoir à tous les documents de portée générale émanant d’autorités publiques.

Outre les décisions relatives à l’intérêt à agir, à la notion d’acte susceptible de recours et à la dispense de ministère d’avocat, figurent dans cette sélection des décisions sur la procédure relative à la contestation du forfait post-stationnement, à l’accès aux archives publiques, au recrutement par mutation des enseignants-chercheurs et à la fonction publique.

Le Tribunal des conflits s’est quant à lui prononcé notamment sur la répartition des compétences en matière de droits d’eau fondés en titre.

Droits d’eau fondés en titre : partage de compétence

T. confl., 8 juin 2020, n° 4190, M. D. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d’eau sur des cours d’eau non domaniaux qui sont établies en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux. Sont également dans ce cas les prises d’eau sur des cours d’eau domaniaux fondées sur des droits acquis antérieurement à l’édit de Moulins ainsi que, quel que soit le régime des cours d’eau, les prises d’eau exploitées en vertu de droits acquis dans le cadre de la vente de biens nationaux.

Les droits fondés en titre constituent des droits d’usage de l’eau. Ils ont le caractère de droits réels immobiliers. Toutefois, tout en confirmant le régime des droits acquis, les dispositions législatives du Code de l’environnement relatives à la police de l’eau les ont inclus dans leur champ d’application. En particulier, le II de l’article L. 214-6 du Code de l’environnement dispose que les installations et ouvrages fondés en titre « sont réputés déclarés ou autorisés » pour l’application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code et les droits fondés en titre sont soumis aux conditions générales d’abrogation, de révocation et de modification des autorisations définies par les articles L. 214-4 et L. 215-10 du même code. En outre, l’autorité administrative exerçant ses pouvoirs de police de l’eau peut modifier la portée d’un droit fondé en titre en imposant le respect de prescriptions.

Il appartient dès lors à la juridiction administrative de se prononcer sur l’existence ou la consistance d’un droit d’usage de l’eau fondé en titre et de statuer sur toute contestation sur l’un ou l’autre de ces points. Il appartient en revanche au juge judiciaire de connaître de toute contestation relative à la personne titulaire d’un tel droit. Lorsque, dans le cadre d’un litige porté devant lui, l’existence ou la consistance du droit est contestée, le juge judiciaire reste compétent pour connaître du litige, sauf si cette contestation soulève une difficulté sérieuse, notamment parce qu’elle porte sur une décision affectant l’existence ou la consistance du droit que l’Administration a prise ou qu’il pourrait lui être demandé de prendre dans l’exercice de ses pouvoirs de police de l’eau. Dans un tel cas, il appartient au juge judiciaire de saisir de cette question, par voie préjudicielle, le juge administratif.

Recours contre les décisions de rectification des données des traitements d’antécédents judiciaires : compétence judiciaire

T. confl., 8 juin 2020, n° 4184, M. P. Selon l’article 230-9 du Code de procédure pénale, les décisions du magistrat désigné à cet article en matière d’effacement ou de rectification des données à caractère personnel figurant dans les traitements d’antécédents judiciaires mentionnés à l’article 230-6 du même code sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.

Cette disposition, introduite par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, soit postérieurement à la décision contestée, est applicable à la cause, dès lors que les lois de compétence des juridictions, notamment en matière pénale, sont d’application immédiate, tant qu’un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance.

Litige relatif à l’indemnisation du chômage des agents publics : compétence administrative

T. confl., 8 juin 2020, n° 4187, M. R. Relèvent de la compétence de la juridiction administrative les litiges relatifs à l’ouverture du droit à l’allocation d’assurance chômage, notamment à l’allocation de retour à l’emploi, à son versement ou à sa récupération en cas d’indu, quand ils opposent un agent public, privé de son emploi, soit à l’État, soit à Pôle emploi dans les cas où l’État a confié à cet organisme la gestion de cette allocation.

Panorama de droit administratif (15 Mai – 30 Juin 2020)
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Refus du transfert d’une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public : intérêt pour agir des riverains

CE, 27 mai 2020, n° 433608, M. et Mme B. et a. Le transfert d’une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l’ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme.

Contrôle du juge sur la mutation d’un enseignant-chercheur

CE, 29 mai 2020, n° 424367, Mme A. Le litige relatif au recrutement par voie de mutation d’un professeur des universités sur le fondement de l’article 9-2 du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ressortit à la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État, en application du 3° de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative (sol. impl.).

L’avis défavorable du conseil d’administration d’une université sur le recrutement d’un professeur par voie de mutation, qui fait obstacle, en vertu de l’article 9-2 du décret n° 84-431 du 6 juin 1984, à ce que le nom du candidat sélectionné soit communiqué au ministre de l’Enseignement supérieur, constitue un acte faisant grief qui peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir (sol. impl.).

En premier lieu, il résulte des articles L. 712-3 et L. 712-6-1 du Code de l’éducation ainsi que des articles 9-2 et 51 du décret du 6 juin 1984 que le conseil d’administration, saisi de la proposition du conseil académique, ne peut émettre un avis défavorable hors le cas où il estime, sans remettre en cause l’appréciation des mérites scientifiques des candidats par le comité de sélection, que leurs candidatures ne sont pas en adéquation avec le profil du poste ouvert au recrutement ou avec la stratégie de l’établissement que si la procédure de recrutement par voie de mutation à un emploi de professeur des universités est entachée d’irrégularité. À ce titre il lui appartient, notamment, de veiller au respect du principe d’impartialité.

En deuxième lieu, le respect du principe d’impartialité fait obstacle à ce qu’un comité de sélection constitué pour le recrutement d’un enseignant-chercheur puisse régulièrement siéger, en qualité de jury de concours, si l’un de ses membres a, avec l’un des candidats, des liens tenant aux activités professionnelles dont l’intensité est de nature à influer sur son appréciation. À ce titre, toutefois, la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline susceptibles de participer au comité de sélection doivent être pris en considération pour l’appréciation de l’intensité des liens faisant obstacle à une participation au comité de sélection.

L’action en réclamation de l’indemnité de rupture de l’engagement de servir l’État se prescrit par cinq ans

CE, 3 juin 2020, n° 432172, M. B. Aux termes de l’article 2224 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

L’Administration a eu connaissance le 30 mars 2014 au plus tard, de l’épuisement des droits à disponibilité pour convenances personnelles de l’intéressé, ancien élève de l’École nationale d’administration, et de la rupture de son engagement de servir consécutive à son absence de demande de réintégration dans son corps d’origine. En vertu de l’article 2224 du Code civil, l’Administration disposait d’un délai de cinq ans pour le soumettre à l’obligation de versement de cette indemnité.

Absence d’intérêt à agir de l’ordre des architectes contre un marché de conception-réalisation

CE, 3 juin 2020, n° 426932, Dpt de la Loire-Atlantique. Un tiers à un contrat administratif n’est recevable à contester la validité d’un contrat que s’il est susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses. Si, en vertu des dispositions de l’article 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, les conseils régionaux de l’ordre des architectes ont qualité pour agir en justice en vue notamment d’assurer le respect de l’obligation de recourir à un architecte, la seule passation, par une collectivité territoriale, d’un marché public confiant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l’établissement d’études et l’exécution de travaux ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont ils ont la charge.

L’avis d’incompatibilité avec un emploi dans les transports est susceptible de recours en annulation

CE, 10 juin 2020, n° 435379, Ministre de l’Intérieur, avis. L’avis d’incompatibilité émis en application du premier alinéa de l’article L. 114-2 du Code de la sécurité intérieure et du I de l’article R. 114-8 du même code, c’est-à-dire à la suite d’une enquête réalisée avant le recrutement ou l’affectation sur un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d’une entreprise de transport public de personnes ou d’une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l’obligation d’adopter un plan de sûreté, revêt le caractère d’un acte administratif faisant grief, susceptible, par suite, de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

Tous les litiges en matière de pensions militaires d’invalidité sont dispensés du ministère d’avocat

CE, 10 juin 2020, n° 437866, Deschamps, avis. Il résulte des articles L. 711-1 et L. 711-5 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, éclairés par les travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018, que le législateur a entendu maintenir le droit dont disposait le pensionné, antérieurement à leur entrée en vigueur et depuis la loi du 31 mars 1919, d’être représenté par la personne de son choix ou de ne pas être représenté dans les litiges visés à l’article L. 711-1 du même code.

Ainsi, alors même que l’article R. 811-7 du Code de justice administrative ne mentionne pas de dispense de ministère d’avocat pour ces contentieux, l’obligation d’avoir recours à ce ministère ne s’impose pas devant les cours administratives d’appel saisies de ces litiges. Au demeurant, ne s’applique pas davantage, pour ces contentieux en cassation, l’obligation d’être représenté devant le Conseil d’État par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Contestation du forfait de post-stationnement

CE, 10 juin 2020, n° 427155, Nsimba-Ntumba. Il résulte du VI de l’article L. 2333-87 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qu’il appartient en principe au redevable d’un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge de saisir l’autorité administrative d’un recours administratif préalable dirigé contre l’avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, d’introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant. En cas d’absence de paiement de sa part dans les trois mois et d’émission, en conséquence, d’un titre exécutoire portant sur le montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l’État, il est loisible au même redevable de contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu’il ait ou non engagé un recours administratif contre l’avis de paiement et contesté au contentieux le rejet de son recours. À ce titre, s’il résulte de l’article R. 2333-120-35 du CGCT que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d’une requête contre un titre exécutoire n’est pas recevable à exciper de l’illégalité de l’avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s’est substitué, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l’intéressé conteste, dans le cadre d’un litige dirigé contre le titre exécutoire, l’obligation de payer la somme réclamée par l’Administration.

Il résulte du VII de l’article L. 2333-87 du CGCT, de l’article R. 2333-13 du même code et des articles L. 330-1 et R. 322-4 du Code de la route que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est la personne titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule à la date d’émission de l’avis de paiement de ce forfait. Toutefois, lorsque le véhicule a été cédé, son acquéreur est le débiteur du forfait de post-stationnement dès lors que le vendeur a cédé son véhicule avant l’émission de l’avis de paiement et a procédé à la déclaration prévue par l’article R. 322-4 du Code de la route avant cette date ou, en tout état de cause, dans le délai de quinze jours prévu à cet article.

Droit d’accès aux archives du président de la République et des membres du gouvernement

CE, ass., 12 juin 2020, n° 422327. En adoptant l’article L. 213-4 du Code du patrimoine qui régit, d’une part, les protocoles de remise des archives publiques émanant du président de la République, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement signés postérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008 et, d’autre part, les protocoles signés antérieurement à la publication de cette loi, le législateur a entendu, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel1, favoriser la conservation et le versement de ces documents en leur accordant une protection particulière. Ces dispositions doivent être, d’une part, interprétées conformément à l’article 15 de la déclaration du 26 août 1789 qui garantit, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel, le droit d’accès aux documents d’archives publiques et, d’autre part, appliquées à la lumière des exigences attachées au respect de l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d’expression duquel peut résulter, à certaines conditions, un droit d’accès à des informations détenues par l’État.

S’agissant des protocoles signés postérieurement à la publication de la loi du 15 juillet 2008, les délais fixés par l’article L. 213-2 du Code du patrimoine (C. patr.) s’appliquent aux documents qu’ils régissent. Jusqu’à l’expiration de ces délais ou, s’il survient avant leur terme, jusqu’au décès du signataire, la consultation anticipée des archives publiques remises dans le cadre d’un tel protocole requiert l’autorisation préalable du signataire et s’effectue, pour le reste, dans les conditions fixées à l’article L. 213-3 du même code.

S’agissant des protocoles signés antérieurement à la publication de la même loi, en vertu de l’article L. 213-4 du Code du patrimoine, le signataire d’un tel protocole ou son mandataire disposent du pouvoir d’autoriser ou de refuser la consultation anticipée des archives publiques qui ont été versées aux archives nationales, le ministre de la Culture, autorité compétente pour statuer sur une demande d’autorisation, étant tenu par l’avis qu’ils donnent. Si les clauses relatives au mandataire cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire du protocole, le ministre de la Culture disposant alors du pouvoir d’autoriser ou de refuser la consultation anticipée, après avis conforme de l’autorité exerçant à cette date les compétences de l’autorité versante, les autres clauses, notamment celles fixant le ou les délais à l’expiration desquels les archives deviennent communicables de plein droit, demeurent en vigueur. Dans le cas où, à l’expiration du ou des délais fixés par le protocole, certains de ceux prévus à l’article L. 213-2 du Code du patrimoine ne sont pas expirés, continuent de s’appliquer, jusqu’à leur terme, à ceux des documents auxquels ils se rapportent.

Dans tous les cas, l’autorisation de consultation anticipée des documents d’archives publiques est accordée aux personnes qui en font la demande dans la mesure où l’intérêt qui s’attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, en particulier le secret des délibérations du pouvoir exécutif, la conduite des relations extérieures et les intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure.

Il appartient au juge de l’excès de pouvoir de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de consultation anticipée du ministre de la Culture, prise sur avis conforme du signataire du protocole ou de son mandataire. Il lui revient, en particulier, d’exercer un entier contrôle sur l’appréciation portée, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article L. 213-4 du Code du patrimoine, sur la proportionnalité de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée, par dérogation au délai fixé par le protocole. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.

Par ailleurs, l’appréciation portée par le juge de l’excès de pouvoir sur la proportionnalité de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques le refus opposé, en application de l’article L. 213-4 du Code du patrimoine, à une demande de consultation anticipée d’archives publiques émanant du président de la République, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement, est soumise, devant le juge de cassation, au contrôle de qualification juridique des faits.

L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en particulier au secret des délibérations du pouvoir exécutif, à la protection qu’appellent la conduite des relations extérieures et la défense des intérêts fondamentaux de l’État ou encore à la sécurité des personnes. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée.

L’effet notable, critère du document susceptible de recours pour excès de pouvoir

CE, sect., 12 juin 2020, n° 418142, Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (GISTI). Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables2 sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre3. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif4 ou présentent le caractère de lignes directrices5.

Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure.

La note litigieuse vise à diffuser une information relative à l’existence d’une « fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil et les jugements supplétifs » et préconise en conséquence, en particulier aux agents devant se prononcer sur la validité d’actes d’état civil étrangers, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d’un acte de naissance guinéen. Eu égard aux effets notables qu’elle est susceptible d’emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l’Administration française, cette note peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Cette note ne saurait toutefois être regardée comme interdisant aux autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l’examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d’y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 47 du Code civil doit donc être écarté.

Harcèlement par le supérieur hiérarchique : qui peut protéger ?

CE, 29 juin 2020, n° 423996, M. B. Si la protection fonctionnelle résultant d’un principe général du droit n’est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l’un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Il résulte du principe d’impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.

En l’espèce, le directeur de l’établissement public de santé, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demandes de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, qui se trouve, pour le motif indiqué ci-dessus, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d’impartialité, doit transmettre la demande au directeur général de l’agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 15 sept. 2017, n° 2017-655 QPC.
  • 2.
    Rappr. CE, ass., 21 mars 2016, n° 390023, Sté NC Numericable : Lebon, p. 88 – CE, ass., 21 mars 2016, nos 368082, 368083 et 368084, Sté Fairvesta International GmbH et a. : Lebon, p. 76 – CE, ass., 19 juill. 2019, n° 426389, Mme Le Pen : Lebon, p. 326.
  • 3.
    Ab. jur. CE, sect., 18 déc. 2002, n° 233618, Mme Duvignères : Lebon, p. 463.
  • 4.
    V., CE, sect., 18 déc. 2002, n° 233618, Mme Duvignères : Lebon, p. 463.
  • 5.
    Ab. jur. CE, 3 mai 2004, nos 254961, 255376 et 258342, Cté anti-amiante Jussieu et Assoc. nat. de défense des victimes de l’amiante : Lebon, p. 193. Rappr. CE, 13 déc. 2017, nos 401799, 401830 et 401912, Sté Bouygues Telecom et a. : Lebon, p. 356.
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