Les cliniques juridiques et le renouveau du service public de la justice

Publié le 22/12/2017

Les cliniques juridiques sont des acteurs à part entière du marché de l’accès au droit permettant en tant que telles une amélioration du service public de la justice. Une politique nationale de développement des cliniques doit être envisagée, celles-ci ne devant pas être simplement considérées comme un outil de réformes ponctuelles.

Dans un discours à l’occasion de la Convention nationale des avocats du 19 octobre dernier, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, estimait qu’il « existe aujourd’hui des initiatives sur le terrain, comme les cliniques du droit (…) permettant d’allier formation et accès au droit, qui seront une source de réflexion riche et précieuse ».

Jean-Jacques Urvoas s’était également saisi de cette question, par la publication, le 18 avril dernier, aux éditions Dalloz, d’une lettre destinée à « un futur ministre de la Justice »1. Il s’agissait alors d’une invitation à aller au-delà des jeux d’alternance politique et à privilégier la continuité autour de plusieurs « chantiers » thématiques.

Parmi « les graines » plantées, pour reprendre la métaphore du jardinier employée dans l’introduction de la lettre, l’une vise à « poursuivre le rapprochement de la justice du citoyen » et tire ses racines de la nécessité de « simplifier le parcours d’accès au droit qui suscite aujourd’hui frustrations et incompréhensions chez nos concitoyens ». À cette occasion, l’arbre en devenir s’intéresse aux cliniques juridiques. Mais curieusement, alors que sa sève pourrait permettre de « repenser le service public de la justice », le modèle de clinique du droit est envisagé dans une branche consacrée à l’aide juridictionnelle.

I – Les cliniques juridiques, curieux outils de réforme de l’aide juridictionnelle

L’ancien ministre faisait alors le constat de la nécessaire réforme du système de l’aide juridictionnelle et estime que la première voie de réforme pourrait être « celle des cliniques du droit ». De prime abord, le rapprochement semble étrange. En quoi est-ce que cette entité d’accès au droit hors cadre judiciaire permettrait de repenser l’aide juridictionnelle ? Le schéma envisagé serait celui dans lequel les élèves-avocats bénévoles au sein des cliniques assureraient la préparation, avec un avocat, d’un dossier nécessitant une représentation judiciaire. Dans ce cadre, l’aide juridictionnelle serait attribuée à la clinique qui rémunérerait ensuite l’avocat. Reprenant l’idée du rapport sur l’avenir de la profession d’avocat, cette configuration pourrait éventuellement permettre de prendre en compte une partie de l’activité au titre de l’obligation de formation de l’avocat.

Sans plus de précisions sur cette proposition de réforme, il est permis de se poser la question de son intérêt.

D’une part, l’aide juridictionnelle ne reviendrait-elle pas in fine à l’avocat ? La « rémunération » de l’avocat par la clinique semblerait être en pratique le montant de l’aide, sauf à considérer que l’entité d’accès au droit se verrait également rétribuer. En dehors de l’incertitude des modalités de cette rémunération, cela reviendrait à ce qu’une association bénévole pro bono dispensant une assistance juridique gratuite paye un avocat. Faut-il réellement en arriver à ce point pour inciter un avocat à s’engager, alors que la plupart y participe d’ores et déjà bénévolement ? S’il ne s’agit que d’une question d’incitation, il pourrait être également envisagé qu’une clinique (sous réserve d’être reconnue d’utilité publique) puisse émettre des reçus fiscaux afin de faire bénéficier aux formateurs (pas uniquement les avocats) de réductions d’impôts – sur le modèle de ce qui existe en matière de donation. Il est possible de se poser la question de la nécessité de telles incitations.

D’autre part, qu’un avocat travaille avec une clinique sur un de ses dossiers nécessitant une représentation serait passer un cap dans la collaboration entre cliniques universitaires et cabinets d’avocat, considérant le spectre des modèles. Le travail des cliniques se concentre en effet sur une information juridique, intervenant à un stade antérieur à la consultation de l’avocat. Une telle proposition superposerait les activités des deux acteurs, ou au moins en partie, là où la distinction de leurs activités respectives (qui n’exclut pas une collaboration) se voulait respecter le monopole de l’avocat.

Enfin, une telle évolution est séduisante mais ne doit pas être limitée aux élèves-avocats. Ces derniers ne sont pas nécessairement en nombre dans les cliniques, ce qui de fait priverait les autres étudiants de ce type de projet. Surtout, la collaboration avec l’avocat doit aussi permettre à des étudiants n’ayant pas fait le choix d’une profession de découvrir ce qu’est le métier d’avocat.

Enfin, ces développements ne sont pas exempts d’approximations sur ce qu’est le modèle de clinique juridique, et gagnerait à comporter plus de nuances.

Il est délicat de considérer que les cliniques fournissent « des conseils juridiques ». Compte tenu de la diversité de fonctionnement des entités existantes, il est possible de résumer grossièrement leur activité à l’accompagnement juridique, dans le respect du monopole de conseil et de représentation de l’avocat. En ce sens, il est nécessaire de faire la distinction entre accompagnement et conseil, entre le cœur de métier de l’avocat et celui des cliniques. Cette distinction classique est notamment issue de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques2, qui sépare la « diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire » de la consultation juridique.

Il est imprécis de considérer que « les étudiants des universités, sous la direction d’enseignants et de praticiens, fournissent ces conseils dans le cadre de modules intégrés à leur cursus ». Les cliniques juridiques sont multiformes et ne sont pas uniquement d’initiative professorale. Certes, dans tous les cas, elles sont intégrées au cursus de l’étudiant au sens large. Mais il ne s’agit pas nécessairement d’une unité d’enseignement ou d’un diplôme, en particulier quand ces projets d’accès au droit sont d’initiative étudiante. Le souffle directeur provient alors d’étudiants, sollicitant des professeurs et praticiens.

Une chose est certaine, « les cliniques universitaires constituent sans doute une voie pertinente qu’il faut approfondir et développer » mais pas nécessairement dans le sens d’une réforme de l’aide juridictionnelle. Les cliniques doivent en priorité faire l’objet de réflexions en tant que telles, et subsidiairement constituer des outils de réformation.

II – Repenser le service public de la justice par les cliniques juridiques

L’accès au droit est « l’une des conditions de l’effectivité du pacte social », de sorte que restructurer le service public de la justice passe notamment par l’amélioration de la capacité du justiciable d’accéder à l’information juridique. La détention de cette information est la première étape à l’accès au juge, lorsque cela est nécessaire. La problématique de l’accès a été mise en avant dès la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, créant des conseils départementaux de l’aide juridique notamment chargés d’évaluer les besoins d’accès au droit et de mettre en œuvre une politique en la matière, aujourd’hui appelés les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD). Certains comités travaillent dans le cadre d’un réseau de structures d’accès au droit (maisons de justice et du droit, mairies, etc.) capable de fournir une information juridique de qualité. À ce titre, un travail commun avec les cliniques juridiques doit être envisagé.

Cette disposition de l’information juridique ne suffit pas, encore faut-il la comprendre. Aujourd’hui, la question de l’accès renvoie plus à la compréhension qu’à la détention. Justement, la mission première d’une clinique juridique, et commune à l’ensemble des formes existantes, est de permettre la compréhension de la norme juridique. Ainsi, il est étonnant que l’ancien garde des Sceaux mentionne plusieurs types d’organismes (maison du droit et de la justice, points d’accès au droit, etc.) ayant cette même mission, en excluant le modèle de la clinique.

Certaines cliniques de droit proposent à ce titre un cadre innovant d’accès et de compréhension de la donnée juridique. Illustration de la digitalisation du secteur, les permanences d’accompagnement juridique proposées ne sont pas nécessairement physiques. La mise en place d’un mode de saisine directe dématérialisée permet la gestion à distance d’un cas nécessitant une information juridique. Le renouveau du service public de la justice doit non seulement être permis par de nouveaux acteurs, mais également par de nouveaux moyens dématérialisés permettant l’accès au plus grand nombre. Le chemin de l’accès au droit passe aussi par le développement du numérique.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. Urvoas J.-J., « Partageons une ambition pour la justice », lettre du garde des Sceaux à un futur ministre de la Justice.
  • 2.
    Modifiant L. n° 71-1130, 31 déc. 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
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