Contravention de grande voirie : focus sur l’état du droit (précisions sur la procédure et les droits de la défense)

Publié le 05/04/2019

La contravention de grande voirie (CGV) a pour objet de condamner le contrevenant qui a causé un dommage au domaine public maritime à régler le montant des frais de remise en état du domaine public maritime ou portuaire.

Diverses problématiques choisies discrétionnairement par l’auteur seront ici appréhendées eu égard aux jurisprudences récentes rendue en matière de CGV.

Premièrement, la compétence du tribunal est celle des juridictions administratives.

D’une part, l’article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose en effet que :

« Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : (…) 3° Aux contraventions de grande voirie, conformément à l’article L. 774-1 du Code de justice administrative (…) ».

En principe, l’action en cause dans le cadre d’un litige relatif à une CGV relève de l’action domaniale consécutive à la répression des contraventions de grande voirie et à la réparation des dommages causés au domaine public à l’occasion d’une telle contravention. D’autre part, la prescription de l’action publique en matière de contravention de grande voirie ne s’applique pas, en raison de l’imprescriptibilité du domaine public, à la réparation des dommages causés audit domaine.

Il en résulte que l’action domaniale ne correspond pas à une action de droit commun tendant à ce qu’il soit statué sur la responsabilité encourue par la personne contrevenante. Par suite, et alors même que l’action publique serait prescrite, la juridiction administrative est bien compétente pour statuer sur le procès-verbal de contravention dressé à l’égard du contrevenant.

Deuxièmement, il a été jugé que la circonstance que le rédacteur d’un procès-verbal n’a pas été le témoin de l’ensemble des faits qu’il relate ne fait pas obstacle à ce que ledit procès-verbal serve de base à des poursuites pour contravention de grande voirie dès lors que celles de ses énonciations qui ne sont pas la relation d’une constatation de fait émanant de l’agent verbalisateur sont corroborées par les autres pièces du dossier.

En effet, aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu’aucun principe général du droit ne prescrit, en préalable à la rédaction du procès-verbal, une enquête – avec par exemple audition de témoins ou consultation d’archives.

Bien sûr, il sera utile que l’agent verbalisateur se rende sur les lieux, afin d’effectuer des constatations, et prenne des clichés sur lesquels il pourra s’appuyer pour rédiger le procès-verbal.

Troisièmement, la procédure de CGV est strictement encadrée.

L’article L. 774-2 du Code de justice administrative prévoit que :

« Dans les dix jours qui suivent la rédaction d’un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. (…) La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La notification indique à la personne poursuivie qu’elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d’instance ».

Il sera ajouté que depuis le 1er janvier 2016, d’autres autorités ont la possibilité concurremment avec le préfet de saisir le juge administratif.

En effet, l’article L. 774-2 du CJA, modifié par la loi n° 2016-816 du 20 juin 20161, dispose que :

« (…) Pour le domaine public défini à l’article L. 4314-1 du Code des transports, l’autorité désignée à l’article L. 4313-3 du même code est substituée au représentant de l’État dans le département. Pour le domaine public défini à l’article L. 4322-2 dudit code, l’autorité désignée à l’article L. 4322-13 du même code est compétente concurremment avec le représentant de l’État dans le département. Pour les contraventions de grande voirie mentionnées au chapitre VII du titre III du livre III de la cinquième partie dudit code, les autorités mentionnées aux articles L. 5337-3-1 et L. 5337-3-2 du même code sont compétentes concurremment avec le représentant de l’État dans le département ».

Ainsi, le directeur général de Voies navigables de France2, le directeur général de Port autonome de Paris3, le président de l’organe délibérant de la collectivité des ports maritimes relevant des collectivités territoriales4 ou, encore, le président du directoire d’un grand port maritime5 ont compétence pour saisir le tribunal d’un litige relatif à une CGV.

Il sera observé que si l’agent qui a notifié le procès-verbal de la contravention était incompétent pour y procéder, le dépôt de conclusions par une autorité compétente devant le tribunal administratif permet de régulariser la procédure.

Quatrièmement, le procès-verbal de contravention de grande voirie, qui traduit la décision de l’Administration de constater l’atteinte au domaine public dont la protection est assurée par le régime des contraventions de grande voirie, n’est pas au nombre des décisions visées par les dispositions de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des décisions administratives.

Cinquièmement, il est courant de voir le contrevenant soulever la prescription du fait de la notification tardive du procès-verbal de CGV.

Or, d’une part, s’il arrive que le procès-verbal de contravention de grande voirie ait été notifié au contrevenant des années après les faits, de sorte que l’action publique est prescrite, il faut rappeler que la prescription de l’action domaniale en matière de contravention de grande voirie ne s’applique pas, en raison de l’imprescriptibilité du domaine public, à la réparation des dommages causés audit domaine.

Par conséquent, et quoiqu’aucune amende ne pût plus être prononcée contre le contrevenant, ce dernier n’est pas fondé à soutenir que le montant des dépenses nécessaires à la réparation des installations endommagées ne peut plus être légalement mis à sa charge.

D’autre part, le délai de 10 jours prévu par les dispositions précitées n’est pas prescrit à peine de nullité de la procédure. Il a été jugé que la circonstance que le procès-verbal de contravention de grande voirie n’ait pas été notifié dans le délai de 10 jours prévu par les dispositions susmentionnées, mais seulement un mois après, circonstance dont il n’est pas résulté d’atteinte aux droits de la défense, n’est pas de nature à entacher la procédure d’irrégularité.

Toutefois, le juge considère qu’une notification tardive du procès-verbal peut porter atteinte aux droits de la défense du contrevenant qui n’aurait pas été en mesure de préparer sa défense dans un délai raisonnable.

Malgré l’imprescriptibilité du domaine public, le juge n’hésite pas, à tort ou à raison, à faire prévaloir, selon les circonstances, les droits de la défense aux fins d’annulation de la CGV. Ainsi, le dépassement du délai de 10 jours n’invalide la procédure que s’il a été de nature à porter atteinte aux droits de la défense, en privant le prévenu de la possibilité de réunir les éléments de preuve nécessaires à sa cause.

Il appartient donc à l’autorité publique compétente de démontrer, en cas de dépassement du délai, qu’elle a tenu informé le contrevenant de la nature et de l’ampleur des dommages occasionnés au domaine public maritime et que le montant des frais de remise en état des installations sera porté à sa connaissance. En effet, il arrive souvent que le montant des frais de remise en état soit connu des années après.

Afin d’éviter que le contrevenant soit exonéré des frais de remise en état des installations auxquelles il a causé un dommage, il faut que le dossier remis au juge démontre que la tardiveté de la notification n’a pas mis le contrevenant dans l’ignorance durable des faits qui lui étaient reprochés ni dans l’impossibilité de réunir des éléments de preuve utiles pour sa défense.

Sixièmement, la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait la chose matérialisant cette infraction.

Il peut s’agir du propriétaire du bien litigieux, comme de toute personne ayant manifesté à l’égard de ce bien, en quelque qualité que ce soit, un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle. La jurisprudence est en la matière inspirée du concept de garde tel qu’il est appréhendé par le droit privé : y domine une conception matérielle, et non juridique, de cette notion.

Si l’instruction montre qu’une personne a réalisé les travaux à l’origine de l’infraction pour le compte d’une ou plusieurs autres, ni la circonstance que cette ou ces autres personnes n’étaient présentes sur place, ni qu’elles ignoraient tout des modalités d’exécution des travaux, ne sont de nature à faire obstacle aux poursuites. Leur responsabilité est engagée dès lors que les travaux ont été réalisés pour leur compte.

Ainsi, l’autorité domaniale est fondée à demander que ces personnes, pour le compte de qui les travaux à l’origine de l’infraction constatée ont été réalisés, soient également poursuivis.

Le contrevenant est exonéré de sa responsabilité en cas de force majeure, mais aussi de faits assimilables tels que la faute lourde de l’Administration ou le fait du tiers.

Ici se pose néanmoins la question de la responsabilité du sous-traitant qui aurait causé le dommage en dehors du périmètre d’action mis à disposition par le maître du domaine, il n’en demeure pas moins que l’action à l’origine de l’infraction a été commise pour le compte du titulaire, bénéficiaire de la prestation de service ou des travaux effectuée à son profit par le sous-traitant.

Par suite, il est possible de considérer que le titulaire de la COT peut être tenu pour l’auteur de la contravention de grande voirie.

Le droit positif balaie donc assez large, mais pas au point de faire admettre de vagues présomptions. Il appartient donc à l’Administration de démontrer que la chose ou l’installation matérialisant l’infraction a été édifiée, réalisée par le contrevenant ou se trouverait sous sa garde.

Septièmement, l’évaluation du montant des réparations dues par l’auteur des dommages causés au domaine public, si elle peut être discutée contradictoirement devant le juge, n’est pas soumise au principe du contradictoire.

La réalisation des travaux de remise en état n’est pas subordonnée à la réalisation d’une expertise ni à ce que le devis estimatif du montant des réparations soit établi de façon contradictoire.

Le juge vérifie toutefois que les sommes qui sont réclamées au contrevenant ne soient pas excessives par rapport au coût de la remise en état du domaine public, qu’elles ne portent pas sur la réparation de dégâts autres que les seuls dommages causés par le contrevenant ou qu’elles ne présentent pas un caractère anormal.

Notes de bas de pages

  • 1.
    JO n° 0143, 21 juin 2016.
  • 2.
    C. transp., art. L. 4313-3.
  • 3.
    C. transp., art. L. 4322-13.
  • 4.
    C. transp., art. L. 5337-3-1.
  • 5.
    C. transp., art. L. 5337-3-2.
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