L’information des droits de la défense dans le procès pénal
La procédure pénale est obsédée par la maîtrise de l’information. L’efficacité des investigations suppose qu’elles ne soient pas connues des personnes qui ne participent pas à la procédure, et justifie que les personnes concernées ne soient pas prévenues des actes réalisés. Ce souci d’efficacité des investigations préparatoires doit toutefois se concilier avec l’efficacité des droits de la défense. À cet égard, le premier des droits de la défense est sans doute d’être informé de l’existence de ces droits. La croissance des droits de la défense s’est donc accompagnée de l’information sur ces droits de la défense. Le meilleur exemple concerne l’encadrement de la garde à vue. Depuis la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, et la création de l’obligation d’informer la personne gardée à vue d’un certain nombre de droits, l’attention portée aux droits du suspect n’a cessé de croître, ainsi que l’obligation corrélative d’en informer la personne. De nombreuses réformes sont intervenues depuis, jusqu’à ce que soit consacré un droit à l’information dans le cadre des procédures pénales1. Ce « droit d’être informé de ses droits procéduraux »2 dépasse la seule garde à vue et démontre l’importance de porter à la connaissance des personnes concernées par une procédure pénale les droits dont elles sont titulaires.
Ratio legis. Ces informations relatives aux droits de la défense poursuivent plusieurs objectifs. Il peut s’agir de compenser la vulnérabilité du suspect pendant la phase d’enquête. Il peut également s’agir de faire respecter une forme de loyauté aux autorités en charge des investigations et d’assurer une forme d’équilibre de la procédure pénale. L’information des droits de la défense permet le respect du droit à un procès équitable, en portant à la connaissance des personnes concernées les droits qu’elles peuvent exercer. Pourtant, l’augmentation de l’information des droits de la défense ne s’accompagne pas nécessairement d’une augmentation des pouvoirs processuels des parties. En ce sens, le procès pénal reste dominé par une asymétrie d’informations entre l’autorité publique et les parties privées3.
Titulaires du droit à l’information. Le droit d’être informé des droits de la défense appartient aux personnes concernées par la procédure pénale. La victime de l’infraction est constamment informée de ses droits4. Rappelée au deuxième paragraphe de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, cette obligation se retrouve aux articles 10-2 et 10-3 du Code de procédure pénale. L’information délivrée est importante et concerne : le droit d’obtenir réparation du préjudice, le droit de se constituer partie civile, d’être assisté par un avocat, d’être aidé par des associations, de saisir la CIVI, d’être informé sur les mesures de protection existantes, etc. « Installée » dans le procès pénal5, la victime bénéficie d’une information complète sur ses droits procéduraux mais aussi non procéduraux. Pendant l’instruction, la partie civile doit être informée de l’état d’avancement de l’information6. Lorsqu’une mesure dite alternative aux poursuites est mise en œuvre, la victime bénéficie également d’une information, destinée à préserver son droit à réparation7. Une certaine confusion peut même exister lorsque la victime est entendue pendant l’audience en qualité de témoin et se constitue ensuite partie civile, avant les réquisitions du ministère public8. L’information apportée à la victime sur la possibilité de se constituer partie civile prend alors tout son sens, puisque, faute d’avoir la qualité de partie, la victime ne peut être assistée par un avocat9.
Au contraire de la victime, le suspect ne bénéficie pas d’un droit général d’être informé tout au long de la procédure pénale. Pour préserver la recherche de la vérité, le législateur ne prévoit cette information que ponctuellement et graduellement, selon la phase procédurale concernée. Il existe une « concordance nécessaire entre la notification expresse d’un droit et son exercice effectif par la personne soupçonnée ou poursuivie »10, de sorte que lorsqu’un droit ne peut pas être exercé, il n’est pas porté à sa connaissance. Le droit d’être informé, « préalable indispensable à la contradiction »11, n’est pleinement effectif que lorsque la personne est poursuivie et a, en conséquence, accès au dossier.
Évolution du droit à l’information. « “Vaches sacrées” de l’époque actuelle »12, les droits de la défense « constituent un objet juridique mal identifié parce qu’ils ne sont pas définis de façon précise et que leur contenu est assez largement incertain »13. C’est donc par leur fonction qu’il convient de les appréhender : « protéger les intérêts de la personne poursuivie dans le procès pénal »14. Deux situations sont alors à distinguer. Durant la phase d’enquête, les droits procéduraux sont notifiés au suspect qui n’a pas d’accès général aux informations détenues par les enquêteurs. Par la suite, si le suspect est poursuivi, le jeu du contradictoire suppose qu’il s’informe lui-même pour pouvoir exercer ses droits de la défense, ce qui requiert qu’il ait accès aux informations détenues par les autorités. Le droit à l’information prend donc la forme d’un droit à la notification (I) ou d’un droit d’accès aux informations (II).
I – La notification des droits de la défense
Lorsque l’information des droits de la défense est délivrée au suspect, elle est parcellaire, en ce sens qu’elle ne porte pas sur l’ensemble des droits de la défense, ce qui suppose d’en expliquer le contenu (A). La délivrance de cette information est loin d’être neutre pour le suspect, de sorte qu’il convient d’en étudier les effets (B).
A – Le contenu de l’information
L’information est délivrée tout au long du procès pénal, mais son contenu varie selon la phase du procès pénal. Les références à l’obligation d’information sont nombreuses, qu’il s’agisse de l’information délivrée lors de l’audition libre15, la garde à vue16, de l’audition d’un témoin assisté17, de l’interrogatoire de première comparution18, de l’audience de placement en détention provisoire19 ou de la phase de jugement20. Dans chacune de ces circonstances, l’information est destinée au suspect ou à la personne poursuivie. L’information délivrée varie en fonction de la situation procédurale de la personne. Il s’agit, pour l’audition libre, de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction ; du droit de quitter les lieux ; du droit d’être assisté par un interprète ; du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire ; du droit d’être assisté par un avocat ; de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit. Pour la garde à vue, il s’agit de l’information du placement en garde à vue, de sa durée et des prolongations possibles ; de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction ; des motifs de la garde à vue ; du droit de faire prévenir un proche et l’employeur21 et de communiquer avec ces personnes ; du droit d’être examiné par un médecin ; du droit d’être assisté par un avocat ; du droit de consulter certaines pièces du dossier22 ; du droit de présenter des observations au procureur de la République ou au juge des libertés et de la détention.
Étrangement, l’information portée à la connaissance du prévenu ou de l’accusé peut sembler légère comparativement à la personne suspectée entendue librement ou en garde à vue. En effet, au cours de l’audience, le président a seulement pour obligation d’informer la personne poursuivie de son droit d’être assisté par un interprète, et de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire23. La différence est logique : lors de la phase de jugement, la personne poursuivie a accès à l’ensemble des informations qui seront discutées contradictoirement. En conséquence, l’information des droits de la défense peut être résiduelle à ce stade.
Malgré ces références fréquentes à l’information devant être délivrée au suspect ou à la personne poursuivie, l’article préliminaire du Code de procédure pénale ne consacre pas une obligation générale d’information des droits de la défense, au contraire de l’information délivrée à la victime. Le deuxième paragraphe précise en effet que « l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». En revanche, il ne prévoit pas une obligation semblable pour les personnes suspectées ou poursuivies. Certes, il est fait référence à l’équilibre des droits des parties, au droit d’être informé des charges retenues et d’être assisté d’un défenseur, mais on cherchera en vain dans l’article préliminaire une référence à une information des personnes suspectées ou poursuivies au cours de toute procédure pénale. La seule obligation générale, prévue à l’article 803-6 du Code de procédure pénale, concerne les personnes faisant l’objet d’une mesure privative de liberté. La création européenne d’un « statut juridique du suspect »24 n’a donc pas entraîné de généralisation de l’information des droits de la défense. Malgré l’augmentation de l’obligation d’information, de nombreux actes ne s’accompagnent d’aucune information particulière : la privation de liberté ou le jugement sont les principaux instants d’une procédure où l’information mérite d’être délivrée.
L’absence d’information ou le caractère incomplet de l’information délivrée confirme le caractère profondément déséquilibré de la procédure pénale. Cette limitation du contenu de l’information des droits de la défense se justifie par l’inutilité de délivrer une information qui ne correspondrait pas à un droit invocable. L’asymétrie du procès pénal en général, et de sa phase préparatoire en particulier, peut être tout entière résumée dans cette délivrance d’informations parcellaires. Si l’information est une arme procédurale, sa maîtrise obéit inévitablement à une stratégie : ce qui est révélé compte tout autant que ce qui ne l’est pas. La loi oblige la délivrance d’une information précise, mais laisse également une grande marge de liberté aux acteurs judiciaires. Le procès pénal est organisé autour de la recherche de la vérité, confiée aux autorités judiciaires. En conséquence, cette finalité prime sur l’exercice des droits de la défense, qui ne peuvent être effectivement exercés que lorsque les éléments de preuve ont été recueillis. Il est donc cohérent que l’information sur ces droits de la défense ne soit pas pleine et entière au stade où ces droits ne peuvent guère être mis en œuvre.
L’information délivrée n’a donc pas pour objet de permettre un plein exercice des droits de la défense, mais s’analyse davantage en un rééquilibrage procédural destiné à éviter une trop grande disparité dans l’hypothèse d’une privation de liberté. Cette différence de pouvoirs se traduit également par les effets limités de cette information.
B – Les effets de l’information
La procédure pénale a ceci de particulier que les droits de la défense peuvent être exercés par des personnes qui ne sont pas encore parties à la procédure. La tautologie voudrait alors que les droits de la défense susceptibles d’être exercés soient ceux qui ont été portés à la connaissance de la personne. Pourtant, des droits peuvent être notifiés sans qu’ils puissent être exercés. Ensuite, l’importance de la notification est telle qu’il est nécessaire de s’intéresser à la sanction de l’absence d’information.
Notification des droits sans exercice. Il existe pourtant des hypothèses où l’information délivrée ne permet pas d’exercer le droit porté à la connaissance du suspect. Ces cas concernent par exemple l’audition immédiate du gardé à vue, sans attendre l’expiration du délai de deux heures pour l’intervention de l’avocat, autorisée par le procureur de la République25. Des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes, soit pour prévenir une atteinte grave et imminente à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne, permettent également de reporter l’intervention de l’avocat26. Ce report est également prévu pour les infractions relevant de la criminalité organisée27. L’on songe également au cas où le procureur de la République décide de reporter l’information du proche28. Informé d’un droit, le suspect peut donc être dans l’incapacité de l’exercer si cela constitue un obstacle trop important à la manifestation de la vérité.
Sanction de l’absence d’information. Dès lors que l’information relative aux droits de la défense doit être délivrée, il est nécessaire de sanctionner les manquements à cette obligation. Par exemple, la méconnaissance de l’obligation d’informer le prévenu de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées, ou de se taire, fait nécessairement grief29. La jurisprudence est également riche de décisions relatives à la notification tardive des droits du gardé à vue, considérée comme une cause de nullité d’ordre privé assimilée à une cause de nullité d’ordre public. Tout retard dans la notification des droits, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux droits de la personne concernée30. Sous cette sévérité apparente, la Cour de cassation fait en réalité preuve d’une certaine souplesse, soumettant parfois la nullité en cas d’absence d’information à la preuve d’un grief. Il en va ainsi de l’absence de remise du formulaire exigé par l’article 803-6 du Code de procédure pénale31, ou de l’absence d’information sur la date et le lieu présumés de l’infraction32. Dans le même esprit, la notification au gardé à vue d’un mauvais motif de garde à vue n’entraîne pas la nullité de la mesure. La Cour de cassation précise qu’il incombe à la chambre de l’instruction de contrôler que la mesure de garde à vue remplit les exigences de l’article 62-2 précité, et que dans l’exercice de ce contrôle, elle a la faculté de relever un autre critère que celui ou ceux mentionnés par l’officier de police judiciaire33. Elle préserve également la validité du placement en garde à vue lorsque, privé de liberté pour une infraction donnée, le suspect est interrogé sur d’autres infractions : seules les auditions effectuées sont annulées s’il en est résulté une atteinte effective aux intérêts du suspect34. L’absence d’information est donc sanctionnée, mais de manière variable selon l’information omise. Les nécessités de la recherche de la vérité justifient que le suspect ne dispose pas à ce stade d’un droit à tout savoir, au contraire de l’instant où toute l’information devra lui être accessible.
II – L’accès aux informations
Lorsque le suspect devient poursuivi, devant une juridiction d’instruction ou de jugement, le dossier de la procédure doit être mis à sa disposition. Cette question de l’accès au dossier est révélatrice des jeux de pouvoirs pendant la phase préparatoire du procès pénal (A). Une nouvelle forme de mise à disposition de l’information se développe : la motivation des décisions (B).
A – L’accès au dossier
Ce n’est que lorsque l’information est complète, par l’accès au dossier, que la défense peut être entière, grâce au jeu du contradictoire.
Une fois partie au procès, la victime aura accès au dossier, au cours de l’instruction35 ou du jugement36. Il en va de même pour le suspect pendant l’instruction37 ou le jugement38. Tant que la victime ou le suspect n’est pas partie au procès pénal, il n’existe pas de droit d’accès à l’information détenue par les autorités. Le procureur peut toutefois permettre l’accès au dossier : il a la maîtrise de l’information délivrée pendant la phase d’enquête39. Ultérieurement, les parties obtiendront également l’information leur permettant d’exercer les droits de la défense, grâce à la motivation de la décision.
Pendant l’enquête. Pour la Cour de cassation, l’absence d’accès au dossier pendant cette phase ne porte pas atteinte aux droits de la défense, l’accès au dossier étant pleinement effectif lors de la phase de jugement, au cours de laquelle d’éventuelles irrégularités de l’enquête pourront être soulevées par la personne poursuivie40. Il n’y aurait donc pas d’intérêt à délivrer une information complète à un stade où aucun juge ne peut être saisi pour statuer sur la régularité d’un acte. La Cour européenne n’y voit pas d’atteinte aux règles du procès équitable, considérant « que des restrictions à l’accès au dossier aux stades de l’ouverture d’une procédure pénale, de l’enquête et de l’instruction peuvent se justifier par, notamment, la nécessité de préserver le secret des données dont disposent les autorités et de protéger les droits d’autrui »41. Dès lors, « l’article 6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité des investigations »42.
Au stade de l’enquête, le procureur de la République est ainsi le maître de la délivrance de l’information. La loi du 3 juin 2016 a certes modifié les règles d’accès au dossier, mais de manière très parcellaire. Le nouvel article 77-2 du Code de procédure pénale prévoit deux hypothèses dans lesquelles le procureur de la République peut communiquer le dossier de l’enquête. Cette communication peut d’abord intervenir à la demande de la personne suspectée entendue librement ou gardée à vue. La demande de communication peut être faite un an après l’audition. Le procureur ne mettra le dossier à disposition que si l’enquête lui paraît terminée et qu’il envisage de poursuivre la personne par citation directe ou convocation par procès-verbal. Dans cette hypothèse, la victime doit également être informée de sa possibilité de consulter le dossier. Cette communication peut ensuite intervenir à l’initiative du procureur de la République, à tout moment de la procédure. L’entier dossier peut être communiqué, ou seulement une partie, au suspect ou à la victime. Le procureur est le seul décideur : « Si la demande est permise, l’accès n’est pas garanti »43. Le Code de procédure pénale n’a d’ailleurs prévu aucune obligation d’information sur ce droit, certes très virtuel, d’accès au dossier de l’enquête, de sorte qu’il apparaît comme un droit de la défense très relatif. Ce « semblant de contradictoire dans la phase de clôture de l’enquête »44 apparaît donc bien illusoire. Cette « avancée tout à fait modeste » consacre ainsi la « conception française de l’enquête, qui considère la personne mise en cause comme un sujet passif de la procédure »45. Ainsi doté d’un rôle quasi-juridictionnel46, le procureur de la République préserve une grande liberté dans la communication de l’information, ce que confirme l’absence de recours contre un éventuel refus de communication, sans pour autant que cela heurte le droit à un recours juridictionnel effectif47.
Une solution simple, qui permettrait de concilier les exigences de recherche de la vérité propres à la phase policière et les droits de la défense, consisterait à prévoir un accès complet au dossier, à l’image de l’instruction, « à partir du moment où la personne est déférée au parquetier qui va orienter la procédure »48. Il ne s’agirait que d’une anticipation relative de l’accès au dossier qui permettrait à la personne suspectée de mieux préparer sa défense. Une telle hypothèse ne devrait pas prospérer en l’état du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice49, qui ne contient aucune disposition relative à une meilleure information au stade de l’enquête. Cela ne fait que confirmer que le procureur de la République est l’homme fort de la procédure pénale : ses pouvoirs se renforcent sans qu’il en aille de même pour les droits de la défense50. Les différentes informations portées à la connaissance du suspect pendant l’enquête apparaissent dès lors bien insuffisantes à permettre l’équilibre de cette phase du procès pénal.
Pendant l’instruction et le jugement. L’information délivrée permet d’exercer les droits de la défense. Ainsi, la personne entendue librement ou gardée à vue connaît l’infraction qui lui est reprochée : il s’agit pour elle de se défendre sur une qualification précise. La délivrance de l’information cadre ainsi les questions qui peuvent être posées au suspect. L’information apportée peut également permettre d’élaborer une stratégie dans le cadre des procédures négociées. Au stade de l’instruction, lorsque l’accès au dossier est rendu possible, l’information obtenue conjuguée à la saisine in rem du juge d’instruction fixe les limites des investigations réalisées. Au stade du jugement, la qualification est davantage figée : s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée51. Exceptionnellement, la requalification peut même être interdite : c’est le cas de la correctionnalisation judiciaire légalisée52, opérée par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel53, qui fige définitivement la qualification retenue.
Une fois l’information accessible aux parties, l’égalité des armes doit être respectée. Le principe du contradictoire exige que chaque élément de preuve soit soumis à la discussion contradictoire : c’est une obligation que de porter à la connaissance des parties les éléments du débat. Mais le contradictoire n’est qu’un droit de la défense parmi d’autres54, de sorte qu’informé de son droit de se taire, le prévenu ou l’accusé peut décider d’adopter une défense passive. S’il est essentiel à l’exercice des droits de la défense, il ne faudrait toutefois pas réduire cet exercice au seul accès au dossier. « À river sa lecture au seul dossier d’instruction ou de police, l’avocat reste prisonnier du prisme de l’accusation, des problématiques échafaudées par les policiers et le juge d’instruction. Certes, il doit les analyser pour les critiquer. Mais, il ne peut cantonner son argumentaire à la seule réfutation des moyens de l’accusation. Il se doit d’affirmer ceux de la défense, de développer des arguments nouveaux, extérieurs au dossier »55.
B – L’accès à la motivation
La motivation revêt une grande importance en matière pénale, en ce qu’elle permet la compréhension par un accusé de sa condamnation, qu’elle démontre « aux parties qu’elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision. En outre, elle oblige le juge à fonder son raisonnement sur des arguments objectifs et préserve les droits de la défense »56. L’évolution des rôles des acteurs de la procédure pénale fait apparaître de nouvelles exigences de motivation.
La motivation des jugements. Une nouvelle forme d’information permettant l’exercice des droits de la défense apparaît avec la motivation des décisions. Cette motivation n’est certes pas une nouveauté s’agissant de la décision relative à la culpabilité de l’individu. Toutefois, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, de nouvelles formes de motivation sont apparues, qui permettent aux parties d’avoir une pleine connaissance des éléments ayant justifié une décision. Le premier mouvement a concerné la motivation des arrêts d’assises, instaurée par la loi du 10 août 201157. Plus récemment, la Cour de cassation est venue poser le principe de la motivation des peines correctionnelles58. Le Conseil constitutionnel a ensuite posé le principe de la motivation de la peine prononcée par les cours d’assises59. Enfin, la Cour de cassation a étendu cette obligation de motivation aux peines contraventionnelles60. La motivation permet donc à la personne concernée d’exercer son droit au recours en toute connaissance de cause. Certes, la motivation des décisions des tribunaux correctionnels n’est le plus souvent rédigée que si un appel est formé, mais le principe et la complétude de cette motivation permettront un exercice éclairé du droit d’appel. L’article 502, alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit que l’appel peut être limité aux peines prononcées, à certaines d’entre elles ou à leurs modalités d’application : l’exigence de motivation du prononcé de la peine peut ainsi permettre que la peine prononcée soit la plus adaptée61.
La motivation des ordonnances du JLD. Surtout, la Cour de cassation porte désormais une attention particulière à la motivation des ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant un acte extraordinaire d’investigation. Dans deux arrêts du 23 novembre 201662, la chambre criminelle a ainsi précisé que l’exigence légale de motivation « s’impose au regard des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’Homme et en tenant compte de l’évolution du statut et du rôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention voulue par le législateur ; que cette motivation constitue une garantie essentielle contre le risque d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée [ou à la liberté individuelle] de la personne concernée et doit permettre » au justiciable de connaître les raisons précises pour lesquelles l’acte a été autorisé. La nécessité de cette motivation ne permet certes pas, en l’état, d’offrir à la personne concernée un recours immédiat contre la décision du juge des libertés et de la détention. Toutefois, elle est une manière d’informer le suspect sur les raisons ayant justifié l’autorisation de l’acte et, ainsi, de mieux exercer sa défense lorsque la régularité de l’acte pourra être remise en cause. L’équilibre lors de la phase d’enquête n’est pas encore atteint, mais les droits du suspect en sortent malgré tout quelque peu renforcés, puisqu’il a la possibilité d’être informé pour exercer ensuite ses droits de la défense.
Dans le même ordre d’idée, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit toutefois d’inclure un nouvel article 802-2 du Code de procédure pénale qui permettrait à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire d’en demander l’annulation devant le juge des libertés et de la détention, si aucune poursuite n’a été exercée six mois après l’accomplissement d’un tel acte. Un tel contrôle juridictionnel intervenant pendant l’enquête est révélateur de la nouvelle place du juge des libertés et de la détention au cours de l’enquête. Serait ainsi créée la possibilité de contester la régularité d’un acte avant la saisine d’un juge d’instruction ou d’une juridiction de jugement. Ce recours compenserait l’extension des pouvoirs d’enquête. L’on ne peut que regretter que cette évolution du rôle du juge des libertés et de la détention, futur « juge de la légalité de la procédure »63, soit, une fois de plus, envisagée de manière parcellaire64, sans réflexion globale sur son rôle dans la phase d’enquête. Cette contestation pourrait être élargie à d’autres actes de l’enquête. L’accès à l’information permettant d’exercer les droits de la défense a donc vocation à croître, lentement et progressivement.
Notes de bas de pages
-
1.
L. n° 2014-535, 27 mai 2014, portant transposition de la directive n° 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Botton A. et Taupiac G., « La réforme du droit à l’information en procédure pénale », JCP G 2014, 802.
-
2.
Dir. PE et Cons. UE n° 2012/13/UE, 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
-
3.
Cette asymétrie d’informations est renforcée par les formes de collaboration implicites existant au sein de l’institution judiciaire : Danet J. (dir.), La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, 2013, PUR.
-
4.
On ajoutera que lors de la phase d’application des peines, bien que n’étant pas partie à la procédure et n’ayant pas réellement de droits de la défense à exercer (Cass. crim., 15 mars 2006, n° 05-83684 : AJ pénal 2006, p. 267, obs. Herzog-Evans M.), la victime de l’infraction peut être informée par les juridictions de l’application des peines qu’elle peut présenter des observations écrites préalablement à une décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération.
-
5.
Beaussonie G., « L’installation de la victime dans le procès pénal », AJ pénal 2015, p. 526. V. également Ribeyre C. (dir.), La victime de l’infraction pénale. Actes du XXIIe congrès de l’AFDP, 2016, Dalloz, Thèmes et commentaires.
-
6.
CPP, art. 90-1.
-
7.
Perrier J.-B., « Victime, alternatives aux poursuites et poursuites alternatives », in Ribeyre C. (dir.), op. cit., p. 171.
-
8.
CPP, art. 421.
-
9.
Ainsi, la cour d’appel ne peut donc entendre l’avocat de la victime partie civile, qui n’a pas formé appel d’un jugement de relaxe et qui, devant la cour, a seulement été entendue en qualité de témoin : Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-86526 : JCP G 2014, 783, obs. Donnier A. ; Procédures 2014, comm. 247, obs. Chavent-Leclère A.-S.
-
10.
Botton A. et Taupiac G., art. préc.
-
11.
Ribeyre C., « Défense des droits de la défense avant jugement », in Malabat V., de Lamy B. et Giacopelli M. (dir.), La réforme du code pénal et du Code de procédure pénale, opinio doctorum, 2009, Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 236.
-
12.
Pradel J., « Du droit de l’avocat d’accéder au dossier établi au cours d’une garde à vue », JCP G 2012, 1223.
-
13.
Ribeyre C., art. préc.
-
14.
Ibid.
-
15.
CPP, art. 61-1. V. également CPP, art. 62, s’agissant de la personne non suspectée qui le devient pendant l’audition. Sur l’audition libre, Perrier J.-B. (dir.), L’audition libre : de la pratique à la réforme, 2017, LGDJ.
-
16.
CPP, art. 63-1. V. également CPP, art. 65, s’agissant de la personne gardée à vue entendue dans le cadre d’une autre procédure suivie du chef d’une autre infraction.
-
17.
CPP, art. 113-4.
-
18.
CPP, art. 80-2.
-
19.
CPP, art. 145.
-
20.
CPP, art. 328 pour la cour d’assises, art. 406 pour le tribunal correctionnel (applicable devant la chambre des appels correctionnels : Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-85699). On peut ajouter que la délivrance d’une information sur les droits de la défense est également prévue dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen (CPP, art. 695-17-1) ou d’une extradition (CPP, art. 696-10), par exemple.
-
21.
Ainsi que, le cas échéant, les autorités consulaires.
-
22.
Prévues à CPP, art. 63-4-1.
-
23.
CPP, art. 406 pour le prévenu ; CPP, art. 328 pour l’accusé. On ajoutera que lorsque l’accusé refuse de comparaître malgré la sommation du président de la cour d’assises, l’article 320 du Code de procédure pénale oblige le greffier, après chaque audience, à lui donner lecture du procès-verbal des débats.
-
24.
Vergès E., « Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l’Union européenne en procédure pénale. – À propos de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive n° 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales », Dr. pén. 2014, étude 15 ; « Émergence européenne d’un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique », RSC 2012, p. 365.
-
25.
CPP, art. 63-4-2, al. 3.
-
26.
CPP, art. 63-4-2, al. 4 et 5.
-
27.
CPP, art. 706-88.
-
28.
CPP, art. 63-2.
-
29.
Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-85699. Cette obligation s’applique également devant la chambre des appels correctionnels. L’information doit également être délivrée lorsque le prévenu est une personne morale (Cass. crim., 24 mai 2016, n° 15-82516).
-
30.
Par ex. : Cass. crim., 30 avr. 1996, n° 95-82217 ; Cass. crim., 14 avr. 1999, n° 99-82855 ; Cass. crim., 10 mai 2000, n° 00-81201 ; Cass. crim., 2 mai 2002, n° 01-88453 ; Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-87878.
-
31.
Cass. crim., 7 févr. 2017, n° 16-85187.
-
32.
Cass. crim., 27 mai 2015, n° 15-81142.
-
33.
Cass. crim., 28 mars 2017, n° 16-85018.
-
34.
Cass. crim., 31 oct. 2017, n° 17-81842.
-
35.
CPP, art. 114, al. 3. Cette communication du dossier n’intervient qu’après la première audition de la partie civile : Cass. crim., 25 oct. 2011, n° 11-81677 : AJ pénal 2012, p. 104, obs. Lavric S. ; Ribeyre C., « La communication du dossier d’instruction aux parties privées », JCP G 2006, 152.
-
36.
CPP, art. 279 et CPP, art. 388-4.
-
37.
CPP, art. 113-3 pour le témoin assisté ; CPP, art. 114 pour le mis en examen.
-
38.
CPP, art. 388-4 pour le prévenu ; CPP, art. 279 pour l’accusé.
-
39.
L’accès au dossier pendant l’instruction n’appelle pas de remarques particulières. L’on précisera tout de même qu’il n’est pas réservé aux parties, puisque le témoin assisté y a accès. Les actes réalisés par le juge d’instruction doivent figurer au dossier, à l’exception des actes qui sont en cours d’exécution : Cass. crim., 12 mars 1991, n° 90-87733. V. également Cass. crim., 3 févr. 1999, n° 98-81912 : « Une commission rogatoire doit être versée au dossier lorsque les procès-verbaux établis pour son exécution ont été reçus par le juge d’instruction et aucune prescription légale n’exige d’en tenir, avant cette réception, une copie à la disposition des parties ; qu’eu égard aux nécessités propres à la recherche de la vérité au cours de l’instruction préparatoire, il ne saurait résulter de cette situation une atteinte aux règles édictées par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme ». Tant que l’acte n’est pas exécuté, le juge d’instruction n’est donc pas tenu d’informer les parties de ce qu’il projette.
-
40.
Cass. crim., 19 sept. 2012, n° 11-88111.
-
41.
CEDH, 9 avr. 2015, n° 30460/13, A. T. c/ Luxembourg.
-
42.
§ 81.
-
43.
Perrier J.-B., « Les garanties de la procédure pénale dans la loi du 3 juin 2016 : entre illusion(s) et désillusion(s) », D. 2016, p. 2134.
-
44.
Ribeyre C., « Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale – Et maintenant ? », Dr. pén. 2016, étude 17.
-
45.
Vergès E., « La procédure pénale à son point d’équilibre », RSC 2016, p. 551.
-
46.
Perrier J.-B., art. préc. ; Botton A., « Le renforcement du rôle du procureur de la République », AJ pénal 2016, p. 562.
-
47.
Pourtant en développement au stade de l’enquête : Botton A., « Le droit à un recours juridictionnel effectif dans le cadre de l’enquête pénale », Constitutions 2014, p. 471 ; Gogorza A., « L’autorisation judiciaire pendant la phase policière », RSC 2017, p. 247.
-
48.
Ribeyre C., « Défense des droits de la défense avant jugement », préc., p. 237.
-
49.
Perrier J.-B., « La procédure pénale mise en chantier », D. 2018, p. 1027.
-
50.
Sur ce point, v. not. : Thierry J.-B., « La réforme pénale du 3 juin 2016 : l’esprit des dispositions relatives à la procédure pénale (l’enquête) », Lexbase Hebdo n° 662, 7 juill. 2016, privée ; Perrier J.-B., « Les garanties de la procédure pénale dans la loi du 3 juin 2016 : entre illusion(s) et désillusion(s) », art. préc. ; Botton A., « Le renforcement du rôle du procureur de la République », art. préc.
-
51.
Cass. crim., 10 janv. 2018, n° 16-85755 : Lexbase Hebdo n° 2, 22 févr. 2018, pénal, obs. Thierry J.-B.
-
52.
Darsonville A., « La légalisation de la correctionnalisation judiciaire », Dr. pén. 2007, étude 4, n° 12.
-
53.
CPP, art. 469, al. 4.
-
54.
Ribeyre C., « Défense des droits de la défense avant jugement », préc., p. 232.
-
55.
Saint-Pierre F., « L’avocat face au dossier de la procédure », AJ pénal 2007, p. 304.
-
56.
CEDH, 16 nov. 2010, n° 926/05, Taxquet c/ Belgique.
-
57.
CPP, art. 365-1.
-
58.
Cass. crim., 1er févr. 2017, nos 15-83984, 15-85199 et 15-84511 : AJ pénal 2017, p. 175, note Dreyer E. ; D. 2017, p. 961, note Saas C. ; Lexbase Hebdo n° 689, 2 mars 2017, privée, note Thierry J.-B.
-
59.
Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC : JCP G 2018, 772, note Matsopoulou H. ; LPA 4 avr. 2018, n° 134y0, p. 9, note Fucini S. ; LPA 12 avr. 2018, n° 134x5, p. 10, note Hilger G. ; Gaz. Pal. 10 avr. 2018, n° 320c2, p. 18, note Airiau M. ; Lexbase Hebdo n° 4, avr. 2018, pénal, note Perrier J.-B.
-
60.
Cass. crim., 30 mai 2018, n° 16-85777. La Cour précise toutefois que « s’agissant de textes de procédure, l’objectif, reconnu par le Conseil constitutionnel, d’une bonne administration de la justice, commande que la nouvelle interprétation qui en est donnée n’ait pas d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées à compter du présent arrêt ».
-
61.
Le prévenu peut, sans risque, avoir accès à la motivation en interjetant appel, puisque le désistement de l’appel principal entraîne la caducité des appels incidents : CPP, art. 500-1.
-
62.
Cass. crim., 23 nov. 2016, nos 15-83649 et 16-81904 : AJ pénal 2017, p. 76, note Thierry J.-B.
-
63.
Perrier J.-B., « La procédure pénale mise en chantier », préc.
-
64.
En l’état, il est précisé que le requérant ne pourrait prétendre qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la perquisition qu’il conteste.