Seine-Saint-Denis (93)

La Sauge : apprendre les vertus du jardinage aux enfants des quartiers populaires du 93

Publié le 15/07/2022
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En mars dernier, l’association La Sauge recevait le 3e prix Île-de-France décerné par la Fondation du Crédit Coopératif à l’occasion des prix de l’inspiration de l’Économie sociale et solidaire. Fermes urbaines, initiation au jardinage, ateliers pédagogiques, jardins partagés, l’objectif de La Sauge est de développer l’agriculture urbaine, principalement en Seine-Saint-Denis, un territoire fortement sous-doté en espaces verts. Éline Lambert, en charge du pôle animation des publics de l’association, a précisé les objectifs et impacts positifs de ces initiatives.

Actu-Juridique : Comment est née La Sauge ?

Éline Lambert : Elle est née en 2015 de l’envie de deux jeunes hommes parisiens de jardiner, d’être plus entourés de vert et d’agriculture. Assez vite, ils se sont constitués en association. Comme ils voulaient consacrer tout leur temps à ce projet, ils ont quitté leur travail, dans le domaine de l’alimentation durable, pour s’y consacrer. Ils ont ensuite obtenu une résidence au Ground Control (un lieu culturel hybride dans le 12e arrondissement de Paris, NDLR) où ils géraient le potager. C’est là qu’ils ont compris que lier enjeux de développement durable et événementiel marchait bien. Ils ont donc répondu à un appel à projet d’Est Ensemble pour avoir accès à la friche de la Prairie du Canal à Pantin. C’est ainsi qu’ils ont obtenu leur première ferme urbaine, avant de se diversifier à Nantes avec la ferme urbaine l’Agronaute et à Aubervilliers avec Terre Terre. Ces espaces, premiers leviers pour favoriser la pratique d’une activité agricole pour le plus grand nombre, conjuguent trois vocations. La première, c’est la pédagogie, afin de montrer qu’on peut cultiver, même sur une dalle de béton. La deuxième porte sur la production agricole : on a une petite production de légumes, mais à titre expérimental et à but démonstratif, pour que les gens puissent mettre les mains dans la terre. Les ventes à proprement parler se situent dans nos serres, des pépinières urbaines et participatives, où l’on produit des plants, pour que les gens puissent en ramener et jardiner chez eux. Le troisième enjeu est l’accueil de public sur des événements.

A-J : Vous créez aussi des jardins partagés ?

É.L. : Au-delà des fermes, qui représentent de grandes parcelles de 2 000 à 5 000m², on va aussi chez les gens, près de là où ils habitent, travaillent. Nous créons des jardins partagés dans les quartiers. Sur ces parcelles beaucoup plus petites, de 100 à 200 m², nous réintroduisons une production locale dans les quartiers, créons du lien social, faisons de la pédagogie, et nous permettons à des personnes qui ont peu de moyens d’avoir une alimentation de qualité. Mais ce qui en ressort principalement, c’est l’importance du lien social et de la reconnexion à une certaine forme de végétalisation.

A-J : Quels sont les publics visés ?

É.L. : Cela dépend énormément des lieux. Sur les fermes urbaines, on compte beaucoup d’urbains, surtout sur les événements du week-end, comme à la Prairie du Canal à Pantin. À Nantes et Aubervilliers, le public vient davantage du coin, du quartier. Dans les quartiers populaires, ce sont des personnes qui vivent en immeuble HLM. Dans ces cas, les bailleurs sociaux nous ont sollicités pour créer ces jardins avec les habitants.

A-J : Cette année, vous avez reçu un prix de l’Inspiration Économie sociale et solidaire avec votre programme pédagogique « De la graine à l’assiette ». En quoi consiste-t-il ?

É.L. : Notre programme pédagogique prend place dans des quartiers, souvent prioritaires de la ville, et dans des écoles publiques. Ils concernent des enfants issus des quartiers, principalement de Seine-Saint-Denis. C’est là qu’on ressent le plus l’impact social de nos actions car nous suivons une classe toutes les deux semaines pendant toute une année scolaire. Dernièrement, un papa de Bobigny est venu nous voir en nous disant : « Mon fils m’a demandé un potager pour son anniversaire » ! Nous voyons des enfants réaliser des dessins sur la photosynthèse.

Par ce biais, nous essayons aussi de susciter la curiosité des élèves sur des métiers qui sont oubliés ou peu valorisés : ouvrier agricole, responsable d’exploitation maraîchère, paysan boulanger, paysagiste, horticulteur, pépiniériste, ou de façon plus urbaine, nous tentons de rendre plus attractifs les métiers liés aux espaces verts.

A-J : Quels sont les objectifs de votre programme pédagogique ? Comment aborder les notions importantes pour une agriculture plus durable ?

É.L. : Tout notre programme est construit sur des notions abordées dans le programme national, comme les sciences et technologies, l’éducation civique et morale (avec la notion de réappropriation positive de l’espace urbain) ou encore la géographie (qui permet de parler de climat, de géologie…). Nous abordons un thème par trimestre et chaque classe a un jardin où elle se rend toutes les deux semaines 1 h 30 dès que c’est possible.

Lors du premier trimestre (pendant l’automne), nous parlons biodiversité, vie du sol, cycle de la plante. Le second trimestre, en hiver, alors que nous allons moins ou pas au jardin, permet de faire un focus sur les déchets : quels types de déchets existent, comment les trier à la maison, les réduire, quel est le cycle de vie d’un jean… La fin de ce trimestre aborde la question du compost. On fait aussi une séance où nous cuisons des confitures avec des invendus alimentaires, ce qui permet une transition avec le troisième trimestre, au printemps, qui est l’occasion de retourner au jardin. Nous recommençons alors à planter, semer, nous expliquons comment fonctionne le jardinage écologique, l’agroécologie et nous abordons des notions d’alimentation durable pour la planète et saine pour soi.

Actuellement, La Sauge est présente dans 16 classes, 12 dans le 93 et 4 à Nantes. Il y a trois ans, on animait des ateliers dans seulement 8 classes. Comme nous ne pouvons pas nous démultiplier, notre objectif, cette année, est d’imaginer un kit en ligne pour créer une plateforme où les professeurs auront accès aux fiches pour chaque séance et à de nombreux conseils (comment obtenir une parcelle auprès de la mairie, de l’école…) et un forum, sorte de chat pour pouvoir être en contact direct avec nous.

A-J : L’idée est d’essaimer bien au-delà de ces classes ?

É.L. : Oui ! Le premier jet de la maquette sera finalisé pendant l’été et mes collègues vont réunir une dizaine de professeurs pour participer à une année test, sans notre présence physique, même si nous sommes là pour les conseiller et éventuellement leur acheter le matériel. Le lancement prévu en septembre 2023.

A-J : Au bout d’une année passée avec les élèves, que reste-t-il ? Quels sont les thèmes ou informations qui les marquent le plus ?

É.L. : Souvent, au début de l’année, les élèves ont peur des vers de terre, ils trouvent ça dégoûtants  (rires) ! Or en fin d’année, il n’est pas rare d’entendre : « Regardez, ici il y a plein de vers de terre, ça veut dire que le sol est vivant ». Cela signifie qu’ils ont dépassé certaines peurs et ont compris ce qu’était un sol vivant.

On voit des changements par rapport au comportement face au tri, avec des enfants qui arrivent à faire passer des messages aux parents ou à leurs frères et sœurs, dans des quartiers où le tri est loin d’être un acquis, où la norme est encore parfois de jeter les déchets par la fenêtre. Et on entend des échanges très parlants comme cette question posée par un élève : « Si on mange des graines, est-ce qu’elles poussent dans notre ventre » ? La réponse du camarade était claire : « Ben non, il n’y a pas de soleil ! »…

A-J : L’intérêt pour le sujet de l’agriculture urbaine est-il grandissant ?

É.L. :. Nous constatons un intérêt pour le sujet au sein de tous nos pôles (événementiel, production agricole, animation…). En termes d’animation, on voit beaucoup de gens en reconversion qui considèrent nos fermes comme des lieux ressources, des sas de transition et d’expérimentation entre l’urbain et le rural. Ils viennent volontiers faire un stage, du bénévolat… Souvent ce sont des personnes qui vont entrer en formation, déménager à la campagne ou devenir salariée d’une entreprise ou association du même domaine.

On voit aussi l’engouement pour les « team building » d’entreprises : on reçoit des demandes depuis 2019 d’entreprises qui veulent venir chez nous, pas pour que leurs salariés se reconvertissent évidemment (rires), mais pour les notions qu’on aborde. Il y a encore quatre ou cinq ans, le terme d’agriculture urbaine n’évoquait rien pour les gens.

Nous avons également un programme à destination des adultes qui s’appelle « La fabrique des jardiniers et jardinières », destiné à des adultes qui veulent créer des jardins partagés dans leurs quartiers mais n’en ont pas les clés. Nous allons donc les leur fournir, notamment des clés en jardinage, mais aussi en gestion de projet (rétroplanning) et humaine (communication non violente) pour qu’après 8 mois d’accompagnement, ils puissent revenir dans leur quartier avec ce background et créer leur jardin partagé sur un mode amateur. La première promotion devrait être lancée en mars 2023, et en Seine-Saint-Denis.

A-J : Agir sur le 93 semble d’ailleurs central pour La Sauge. Ce n’est pas un hasard si ces programmes sont proposés ici ?

É.L. : La première opportunité d’agir dans le 93 a été la Prairie du Canal. Ensuite, on s’est rendu compte qu’on voulait progresser autour de ce lieu, l’avoir comme ancrage, et rayonner avec le programme pédagogique et les jardins partagés. Aubervilliers, Pantin, Bobigny sont des villes largement en-dessous des seuils mondiaux recommandés en termes d’espaces verts. Ici, les enfants vivant en appartement, sans jardin… ne partent pas en vacances, n’ont pas non plus la possibilité d’aller chez de potentiels grands-parents dans des maisons de campagne, ce sont des enfants qui n’ont pas accès autrement aux jardins, à l’agriculture. D’où notre volonté d’aller exclusivement en écoles publiques. Notre programme est d’ailleurs gratuit pour les écoles, les enfants et les familles. Mais cela nécessite d’être financés par des mécènes et obtenir des subventions.

A-J : Que va vous permettre l’obtention de ce prix ?

É.L. : À titre honorifique, que ce soit un prix, et non pas un don ou appel à projet, cela change un peu la donne ! Les 3 500 euros reçus vont spécifiquement rentrer dans le fonctionnement global du programme pédagogique. Cela va permettre de continuer à réaliser ce programme dans le 93, pour tout ce qui est frais de fonctionnement, achat de matériel comme les râteaux, le terreau, les plants… Et même à imprimer les documents nécessaires pour les ateliers.

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