Responsabilité et travaux sur existants

Publié le 14/10/2016

Notion familière du droit de la construction, la notion d’existant n’en reste pas moins une énigme pour partie mal déterminée. Le régime juridique applicable aux responsabilités relatives aux existants est ainsi assez incertain. Il amène à distinguer deux hypothèses très différentes : les travaux sur existants et les travaux de reprise de l’existant, l’existant choisi et l’existant subi.

Notion familière du droit de la construction, la notion d’existant n’en reste pas moins une énigme pour partie mal déterminée.

Construire consiste en effet par essence à se fonder sur quelque chose. L’immeuble s’inscrit en effet dans un contexte réel préconstruit impliquant une prise en considération de l’influence de ces facteurs donnés dans le projet de construction.

Lato sensu, la notion d’existant englobe ainsi le sol, qui sert de base à l’édification de l’ouvrage, comme les avoisinants, constituant autant de risques pour le projet de construction.

Si l’on se focalise sur l’immeuble lui-même objet du contrat, la notion d’existant peut encore concerner l’ensemble des travaux réalisés par un autre constructeur ou sous-traitant, comme les parties préexistantes de l’ouvrage lorsque le projet consiste dans une rénovation ou une extension d’un immeuble existant ou encore même les travaux de reprise d’un ouvrage atteint de désordres.

La problématique de la notion de travaux sur existants est renforcée par l’évolution même de la notion d’ouvrage. On sait en effet que si la loi Spinetta avait probablement une conception étroite de la notion d’ouvrage comme consistant dans l’édification d’un ouvrage neuf, la jurisprudence a profondément étendu cette notion de sorte que des travaux très divers peuvent constituer des ouvrages sur existants.

Ceci étant donné comme acquis, la question de la responsabilité en matière de travaux sur existants conduit à distinguer deux hypothèses très différentes : les travaux sur existants et les travaux de reprise de l’existant, l’existant choisi (I) et l’existant subi (II).

I – L’existant choisi

Le régime juridique applicable aux responsabilités relatives aux existants est en réalité assez incertain. Nous distinguerons, pour nous en convaincre, les responsabilités pour les dommages survenus en cours de la réalisation des travaux sur existants (A) et la responsabilité pour dommages survenus après réception (B).

A – La délicate ligne de partage entre théorie des risques et responsabilité

Avant réception, deux régimes juridiques sont potentiellement applicables en matière de travaux sur existants. Il est en effet possible d’appliquer à cette question les règles de la responsabilité contractuelle. Sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, l’intervenant à l’acte de construire engage sa responsabilité (contractuelle pour le constructeur, délictuelle pour les sous-traitants) toutes les fois que son intervention conduit à la survenance de dommages portant tant sur ses propres travaux que sur les parties existantes. Sur le fondement des articles 1787 et 1788 du Code civil, ensemble la théorie du risque, on peut encore estimer que les dommages causés aux travaux réalisés et aux existants sont à la charge de celui qui en assume le risque pendant la durée des travaux.

La jurisprudence sur cette question est assez incertaine.

On aurait pu imaginer que la distinction se ferait entre la perte des matériaux, qui relèverait des articles 1788 et 1789, et la perte des ouvrages réalisés à partir de ces matériaux, qui relèverait en revanche de la responsabilité contractuelle.

Il semble néanmoins que tel ne soit pas le sens des décisions sur la question1. La Cour de cassation a ainsi admis, au moins à deux reprises, que l’entrepreneur, qui avait fourni les matériaux, devait assumer la charge de la perte de l’ouvrage déjà réalisé2. Dans ces deux hypothèses, on remarquera que la responsabilité ne pouvait trouver application, soit que l’origine soit étrangère au contrat3, soit encore qu’elle soit la conséquence d’un cas de force majeure4.

Si l’on combine ces deux décisions avec celle du 2 décembre 19975, on peut penser que la Cour estime que la théorie du risque trouve application toutes les fois que les dommages ne se rattachent pas à la responsabilité contractuelle6. Il s’agirait alors d’un mécanisme subsidiaire. Cette logique est confortée par la jurisprudence relative à l’article 1789 du Code civil, la responsabilité de l’entrepreneur pour faute prouvée étant alors la seule voie pour obtenir sa condamnation dès lors qu’il ne fournit pas les matériaux.

Mais on peut encore penser7 que le maître de l’ouvrage pourrait à loisir demander au juge la condamnation de l’entrepreneur sur le fondement de l’article 1788 du Code civil indifféremment sur la théorie du risque ou sur celle de la responsabilité, à tout le moins s’agissant de la réparation de perte de la chose.

Nul doute que la Cour de cassation devra un jour énoncer une solution explicite sur cette délicate question.

On soulignera enfin que, s’agissant de cette problématique, le transfert du risque dépendra des prévisions contractuelles, et notamment si les parties ont prévu des réceptions de lots opérant transfert de la charge du risque sur le maître de l’ouvrage.

B – La dualité d’hypothèses après réception

Après réception, la question dépendra de la partie objet des dommages, qui peuvent tomber sur l’existant comme sur les travaux neufs.

1 – L’incidence des existants causant un dommage aux travaux neufs

L’hypothèse pratique tient dans la survenance d’un dommage affectant les travaux neufs, dont la cause est à trouver non tellement dans ces travaux, mais dans les parties existantes.

La question tient ici à la notion d’exonération et peut se traduire ainsi : dans quelle mesure le constructeur peut prétendre s’exonérer de la responsabilité consécutive à la survenance de dommages affectant les travaux neufs après réception en raison des existants ?

La réponse est négative. Il appartient en effet tant au maître d’œuvre qu’à l’entreprise intervenant sur existants de tenir compte de contraintes relatives à ce bâtiment. La solution s’inscrit ici dans la même logique que celle relative aux vices du sol, dont l’article 1792 du Code civil impute la responsabilité présumée au constructeur. La part de la responsabilité sera plus grande pour celui ou ceux assumant un rôle de conception, mais il appartient également au constructeur réalisateur d’exercer ici une analyse critique du projet et de formuler des observations écrites critiques s’il estime le projet inadapté ou insuffisant.

Il en ira différemment si la cause des désordres siégeant dans l’existant n’était pas décelable au moment des travaux, conduisant alors le juge à admettre l’exonération du constructeur8.

2 – L’incidence des travaux neufs sur les existants

Il est ici remarquable de souligner que la jurisprudence connue en cette matière est entièrement consacrée à la question de l’assurance construction. C’est donc par analogie que les raisonnements seront tenus en matière de responsabilité.

On sait que, s’agissant de la réparation des dommages causés aux existants par les travaux neufs, la première chambre et la troisième chambre de la Cour de cassation ont divergé.

La première chambre, adoptant une analyse maximaliste, a estimé, dans un célèbre arrêt Chirignan du 29 février 20009, que lorsque la technique des travaux de bâtiment mise en œuvre par l’entrepreneur a provoqué des dommages de nature décennale dont les conséquences ont affecté aussi bien la partie nouvelle de la construction que la partie ancienne, l’assureur de responsabilité obligatoire doit garantir le paiement des travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage en son entier.

La troisième chambre avait antérieurement eu une analyse plus stricte en retenant, dans un arrêt Sogebor du 30 mars 199410, que dès lors que les travaux neufs et les existants sont devenus indissociables par incorporation et que la cause du dommage sur les existants se trouve, au moins pour partie, dans les travaux neufs, la responsabilité du constructeur peut être engagée sur le fondement de la responsabilité décennale pour la réparation des dommages aux existants. La solution a été confirmée par un arrêt publié au rapport annuel du 5 juillet 200611. Elle est aujourd’hui consacrée par la loi pour la question de l’assurance à l’article L. 243-1-1, II du Code des assurances.

II – L’existant subi

La question des existants conduit à appréhender une autre hypothèse : l’intervention sur des ouvrages atteints de désordres. Dans l’idéal, la réalisation des travaux considérés va conduire à supprimer les désordres qui l’affectaient. Néanmoins, et l’hypothèse est récurrente en pratique, il arrive que les travaux de reprise ne permettent de supprimer les désordres que temporairement. En cas de survenance d’un sinistre en rebond, plusieurs hypothèses doivent être envisagées par le maître de l’ouvrage (B). Elles résultent de l’appréciation de l’imputabilité des désordres nouveaux aux opérations de construction d’ouvrage s’étant succédées (A).

A – Devoir du juge de rechercher et déterminer le rattachement causal des désordres nouveaux à l’ouvrage d’origine et aux travaux de reprise

Pour déterminer la ou les responsabilités susceptibles d’être engagées, la nature des travaux de reprise doit être déterminée. Ce qui vaut en effet pour les travaux sur existants choisis vaut également pour les existants subis. Les travaux de reprise peuvent en effet constituer des ouvrages au sens de l’article 1792 du Code civil, comme de simples travaux.

Afin de statuer sur les responsabilités applicables, il appartient au juge de déterminer la nature des travaux réalisés. Dans un arrêt du 13 décembre 201112, la cour d’appel de Bordeaux avait cru pouvoir condamner l’auteur des travaux de reprise sur le fondement de l’article 1147 du Code civil au motif que « l’action en réparation des désordres imputés à l’intervention d’un entrepreneur de travaux confortatifs, lequel n’est pas le constructeur initial de l’ouvrage, trouve son fondement dans l’article 1147 du Code civil, les désordres qui affectent ces travaux relevant de la responsabilité de droit commun ». L’arrêt est cassé pour violation de l’article 1792 du Code civil pour refus d’application, le juge n’ayant pas justifié des raisons le conduisant à écarter la responsabilité décennale.

Une fois déterminée la nature des travaux, conduisant à une combinaison ouvrage-travaux ou ouvrage-ouvrage, le juge doit alors déterminer l’imputabilité des désordres apparus aux travaux considérés. Le juge ne peut en effet considérer que le fait que des travaux de reprise soient intervenus emporte nécessairement obligation de réparation pesant sur les constructeurs de l’opération de reprise. Un arrêt du 11 mars 201413 a ainsi cassé un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence, qui avait estimé que « ni les problèmes de fondation d’origine, ni les préconisations résultant des bureaux d’études géotechniques, ni l’insuffisance des interventions antérieures ne constituent une cause étrangère de nature à exonérer le maître d’œuvre de sa responsabilité ». L’arrêt d’appel est cassé pour défaut de base légale. Pour admettre la mise en jeu de la responsabilité décennale des constructeurs de reprise, il appartenait au juge de caractériser le rôle causal des deux opérations et de tenir compte en l’espèce du « rôle causal dans la réalisation des désordres des problèmes de fondation d’origine dont elle retenait l’existence ».

Dès lors que le juge a déterminé l’imputabilité à/aux opération(s) de construction, il doit en tirer les conséquences sur le plan des responsabilités susceptibles d’être engagées à l’encontre des constructeurs d’origine et/ou des constructeurs de reprise.

B – Détermination des responsabilités encourues selon les différentes hypothèses d’imputabilité

Il en découle trois hypothèses. Les désordres peuvent être imputables exclusivement aux travaux d’origine, aux travaux de reprise ou combiner causalement les deux ensembles de travaux.

1 – Imputabilité exclusive aux travaux de reprise

En cas d’imputabilité exclusive aux travaux neufs, la situation est la plus simple puisque l’ouvrage d’origine ne joue aucun rôle. On raisonne alors de manière traditionnelle et la responsabilité des constructeurs est alors retenue à l’encontre des constructeurs de reprise14.

2 – Imputabilité aux travaux de reprise et à l’ouvrage d’origine

Lorsque les désordres après reprise sont imputables aux deux opérations de construction (ouvrage d’origine et travaux de reprise), il faut admettre que l’ensemble des constructeurs imputables des deux opérations sera condamné in solidum à indemniser le maître de l’ouvrage. La question du partage entre coobligés devrait en principe conduire le juge à déterminer d’abord la part causale jouée par chacune des opérations avant de déterminer, pour chaque opération, la part jouée par les différents intervenants à l’acte de construire.

3 – Imputabilité exclusive à l’ouvrage d’origine

La question la plus délicate tient cependant à la troisième et dernière hypothèse : lorsque seuls les travaux d’origine sont imputables, tandis que les travaux de reprise apparaissent comme inutiles.

Dès lors que les travaux de reprise sont sans incidence sur l’apparition des désordres, la responsabilité des constructeurs de reprise ne saurait être retenue sur le fondement de la responsabilité décennale pour la réparation des désordres matériels affectant l’ouvrage. La solution figure nettement dans un arrêt du 15 mai 201315 censurant un arrêt de la cour de Bordeaux ayant admis la condamnation d’un constructeur de reprise au titre de la décennale, alors que le manquement de l’entreprise dans la réfection des désordres n’a pas d’incidence sur leur cause qui est imputable au constructeur d’origine.

Un arrêt du 12 juin 201416 estime encore que justifie sa décision d’écarter la responsabilité décennale du constructeur de reprise l’arrêt qui constate que les fissures de l’immeuble étaient apparues à cause de l’inadaptation des fondations d’origine et relève que les travaux exécutés par le constructeur de reprise n’avaient pas contribué à créer ces désordres ni à les aggraver. La solution figure encore dans un arrêt du 27 janvier 201517.

Le ou les constructeurs d’origine engagent, quant à eux, leur responsabilité décennale, comme le souligne le premier moyen d’un arrêt de principe du 11 mars 201518.

Est-ce à dire que l’entreprise qui réalise des travaux inutiles est indemne de toute condamnation ? La réponse négative s’impose et un arrêt de principe du 11 mars 201519 met en exergue cette question.

La Cour de cassation admet en effet dans cet arrêt que l’entrepreneur réalisateur des travaux de reprise puisse engager sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité de droit commun (C. civ., art. 1147). La haute juridiction admet que le fait pour le constructeur de réaliser des travaux inutiles, même sur « préconisations » de l’expert judiciaire, ne saurait le dédouaner de sa faute contractuelle consistant dans le manquement à l’obligation de conseil de l’entreprise. L’arrêt retient qu’intervenant pour exécuter les préconisations de l’expert, il lui appartenait de procéder à des vérifications minimales et d’émettre auprès des maîtres de l’ouvrage des réserves sur l’efficacité des travaux prescrits par l’expert judiciaire. Cette faute contractuelle contribue, admet ensuite l’arrêt, à la survenance d’un dommage consistant dans la persistance du dommage. Le constructeur engagera donc sa responsabilité contractuelle de droit commun et devra réparer deux ensembles de dommages : les dommages matériels consistant dans l’aggravation du désordre d’origine et résultant de l’absence d’effectivité des travaux, et les dommages immatériels postérieurs à la date des travaux de reprise, particulièrement les pertes d’exploitation ou la perduration des troubles de jouissance.

Il en résulte aussi potentiellement une conséquence quant aux actions entre coobligés. Les constructeurs d’origine devraient être admis à recourir, s’agissant des dommages matériels d’aggravation et immatériels postérieurs à la réalisation des travaux de reprise, contre les constructeurs ayant réalisé des travaux inutiles.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Pau, 1re ch., 21 août 2007 : JurisData n° 2007-344449 à propos d’un assemblage de parpaings constituant un mur en cours de construction mais non encore achevé.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 19 févr. 1986, n° 83-17037 : Bull. civ. III, n° 10 ; RD imm. 1986, p. 362, note Malinvaud P. et Boubli B. et p. 607, note Rémy – Cass. 3e civ., 28 oct. 1992, n° 90-16726 : Bull. civ. III, n° 281 ; RD imm. 1993, p. 225, note Malinvaud P. et Boubli B.
  • 3.
    Explosion d’origine criminelle pour l’arrêt précité du 19 février 1986.
  • 4.
    Hypothèse de l’arrêt précité du 28 octobre 1992.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 2 déc. 1997, n° 95-19466 : Bull. civ. I, n° 335.
  • 6.
    Cette interprétation expliquerait qu’un arrêt du 12 octobre 1971 (Cass. 3e civ., 12 oct. 1971, n° 70-10943 : Bull. civ. III, n° 482) ait confirmé un arrêt d’appel ayant écarté toute responsabilité faute de preuve que les dommages causés par l’incendie aient été la conséquence de l’activité de l’entrepreneur alors que l’article 1788 du Code civil n’avait quant à lui pas vocation à s’appliquer dès lors que la perte ne portait pas sur l’ouvrage réalisé mais sur une autre partie de l’ouvrage existant.
  • 7.
    En ce sens, Périnet-Marquet H., 6e éd., 2014-2015, Dalloz action, n° 402.380.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 26 févr. 2003, n° 01-16441 : Bull. civ. III, n° 46. Rejetant en revanche l’exonération : Cass. 3e civ., 17 juin 1998, n° 96-20125.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 29 févr. 2000, n° 97-19143 : Bull. civ. I, n° 65.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 30 mars 1994, n° 92-11996 : Bull. civ. III, n° 70.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 5 juill. 2006, n° 05-16277 : Bull. civ. III, n° 167.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 13 déc. 2011, n° 11-10014.
  • 13.
    Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n° 13-14771.
  • 14.
    Par exemple, Cass. 3e civ., 6 déc. 2006, n° 05-16826.
  • 15.
    Cass. 3e civ., 15 mai 2013, n° 11-24274.
  • 16.
    Cass. 3e civ., 12 juin 2014, n° 12-24069.
  • 17.
    Cass. 3e civ., 27 janv. 2015, n° 13-13286.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 11 mars 2015, n° 13-28351, PB.
  • 19.
    Cass. 3e civ., 11 mars 2015, n° 13-28351, PB.
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