Améliorer l’indemnisation des préjudices économiques : le montant importe autant que le moment
En matière d’indemnisation des préjudices économiques, la notion d’amélioration s’entend selon nous nécessairement d’un point de vue qualitatif. En d’autres termes, on s’interrogera ici sur les moyens permettant d’« indemniser mieux » et non sur ceux visant à « indemniser plus ».
Mieux indemniser peut certes, in fine, aboutir à indemniser plus, mais consiste avant tout à indemniser au plus près du préjudice subi, tant d’un point de vue financier que temporel.
Tels sont les deux aspects qui seront successivement abordés : est-il possible et, le cas échéant, comment améliorer le montant (I) et le moment (II) de l’indemnisation des préjudices économiques ?
I – Améliorer le montant de l’indemnisation
Au risque de transformer le droit de la responsabilité civile en droit de la réparation civile, améliorer l’indemnisation des préjudices économiques ne doit pas se limiter à la recherche d’un accroissement du montant alloué. L’intérêt général commande d’ailleurs que l’on s’engage sur la voie de l’« indemniser mieux ».
Quelles sont pourtant les difficultés aujourd’hui rencontrées par les parties (A) et comment améliorer (ou tenter d’améliorer) la situation (B) ?
A – Principales difficultés auxquelles sont confrontées les parties au procès
Pour le demandeur, ces principales difficultés sont au nombre de trois.
La première est relative à la justification de son préjudice : dans certains cas, il ne peut en effet pas communiquer au juge toutes les informations nécessaires au succès de ses prétentions, à raison de leur caractère confidentiel.
La deuxième tient au fait qu’il est difficile d’évaluer certains types de préjudices, en particulier ceux qui présentent un caractère immatériel (réputation, image de marque, parasitisme, etc.).
La troisième est liée au montant des condamnations prononcées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, rarement corrélées au coût réellement supporté par le demandeur (surtout s’il a dû s’adjoindre les services d’un expert de partie).
En ce qui concerne le défendeur, il doit faire face à la multiplication des présomptions de préjudice, à la multiplication des cas dans lesquels la faute est admise et au risque d’indemnisation forfaitaire sur le fondement de l’« appréciation souveraine » des tribunaux.
B – Propositions d’améliorations
Mettre à la disposition des parties une procédure permettant de traiter les difficultés rencontrées à raison de la « sensibilité » ou de la confidentialité de certaines pièces. Il serait opportun d’organiser par la loi un système de communication des pièces qui garantirait à la fois le secret des affaires et le principe du contradictoire, en permettant par exemple au demandeur de ne mettre certaines informations sensibles (mais nécessaires à la justification de son préjudice) qu’à la disposition des avocats et experts de parties.
La modification proposée permettrait au demandeur de saisir le juge (de la mise en état au TGI, chargé d’instruire l’affaire au TC) immédiatement après la saisine pour lui demander de bénéficier de ce système facilité et sécurisé de communication de pièces.
Prendre (plus) en considération le comportement des parties. À cet égard, certaines dispositions figurant dans l’avant-projet de loi relatif à la réforme du droit de la responsabilité civile semblent encourageantes :
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faire obligation à la victime de minimiser son dommage (duty to mitigate) (l’article 1263 de l’avant-projet de loi introduit – seulement en matière contractuelle – à la charge de la victime une obligation de « prendre les mesures sûres et raisonnables (…) propres à éviter l’aggravation de son préjudice ») ;
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pour les préjudices difficilement évaluables, et seulement ceux-là (atteinte à l’image de marque, par exemple), sanctionner financièrement le comportement de l’auteur du dommage (l’article 1266 de l’avant-projet de loi introduit un mécanisme d’amende civile en cas de « faute lourde délibérée » qui – sans être assimilable à des punitives damages car le bénéficiaire n’en est pas la victime – aurait sans doute un effet dissuasif).
Admettre que les frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire constituent un fondement de préjudice réparable. Le préjudice lié aux frais de défense est un préjudice économique autonome ; il conviendrait donc de modifier la rédaction de l’article 700 du Code de procédure civile afin que la partie perdante soit condamnée à supporter les coûts (raisonnables) de défense de la partie gagnante, comme c’est le cas dans de nombreux autres pays.
Dispenser le juge de traiter les dossiers qui ne sont pas sérieux afin de lui permette de consacrer du temps à ceux qui le sont. Afin de décourager les actions infondées ou les demandes financières exagérées, il pourrait être envisagé de conditionner la recevabilité de la demande au versement (ou séquestre) – au moment de l’introduction de l’instance – d’un pourcentage (1 % ?) de la somme sollicitée. Une dispense, un aménagement ou une réduction seraient évidemment possibles sur autorisation du juge ou dans des cas particuliers (société en redressement judiciaire, par exemple).
II – Améliorer le moment de l’indemnisation
Autant que le montant alloué, le moment auquel intervient l’indemnisation est d’importance capitale pour les deux parties. Certaines propositions de modifications (B) pourraient permettre de contourner les principales difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs du procès (A).
A – Principales difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs du procès
Le demandeur est généralement la première victime des lenteurs d’une procédure alors qu’il espère – grâce à l’indemnisation sollicitée – être remis dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence du fait fautif. Mais sur ce long chemin, il peut être victime de manœuvres (dilatoires ou visant à organiser une insolvabilité) autant que d’incidents procéduraux soulevés de bonne foi par le défendeur.
En ce qui concerne le défendeur, il peut – paradoxalement – être lui aussi pénalisé par la durée excessive de la procédure, laquelle l’oblige à engager des frais de défense importants voire à provisionner dans ses comptes une partie de la somme qui lui est réclamée. À l’inverse, le défendeur peut être handicapé par le recours aux procédures accélérées (bref délai / jour fixe) qui peuvent générer une situation inéquitable, notamment si le demandeur a eu le temps de faire préparer un rapport d’expertise financière avant d’assigner et que le délai imparti au défendeur pour se mettre en état est trop court pour en faire de même.
B – Propositions d’améliorations
Certaines mesures pourraient être envisagées afin de permettre un ralentissement ou, à l’inverse, une accélération, des procédures.
Autoriser une voie de recours contre l’ordonnance ayant autorisé la procédure accélérée. Une telle voie de recours est aujourd’hui inexistante, la jurisprudence estimant que l’ordonnance considérée est une mesure d’administration judiciaire1. Permettre de contester l’ordonnance nous semble d’autant plus normal que le critère d’appréciation (l’urgence) est particulièrement subjectif et ne peut être raisonnablement et équitablement appréhendé que dans le cadre d’un débat contradictoire.
Inciter les parties à trouver une issue amiable le plus rapidement possible, en s’inspirant d’un système notamment en vigueur au Royaume-Uni. On pourrait imaginer la mise en place d’un double mécanisme, poursuivant le même but de célérité :
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si le demandeur refuse une offre transactionnelle2 faite par le défendeur avant l’issue du procès et que le jugement lui alloue une somme inférieure à cette offre transactionnelle, il (le demandeur) (i) ne pourra pas obtenir du juge la condamnation du défendeur à lui rembourser ses frais de défense et (ii) devra de surcroît rembourser les frais de défense supportés par le défendeur à partir du moment où l’offre a été refusée ;
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si le demandeur refuse une offre transactionnelle faite par le défendeur avant l’issue du procès et que le jugement lui alloue une somme supérieure (ce qui démontre que l’offre était trop faible), il pourra solliciter – en plus de ses coûts « raisonnables », des pénalités :
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intérêts (taux jusqu’à 10 % par an) appliqués à la condamnation ainsi qu’aux frais de défense ;
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compensation financière pouvant, par exemple, aller jusqu’à 100 000 €.
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On parle beaucoup des méthodes alternatives de règlement de litiges ; celle-ci semble en constituer une facile à mettre en œuvre, éprouvée par d’autres et génératrice d’économies pour la collectivité car susceptible de raccourcir la durée des procédures.
Notes de bas de pages
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1.
Par ex., en matière d’appel : Cass. 2e civ., 17 mars 2016, n° 15-10865.
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2.
Il conviendra de prévoir la co-existence de deux types d’offres transactionnelles : certaines pouvant être « déconfidentialisées » pour les besoins de ce mécanisme et les autres, la règle devant évidemment demeurer celle de la confidentialité des discussions entre avocats.