Les nouveaux contentieux : le cas du crédit gratuit
Parmi les crédits « spéciaux » à la consommation, il en est un qui est rarement étudié et développé par les auteurs ; il s’agit du crédit gratuit. Son régime juridique particulier, bien que succinct, est pourtant loin d’être négligeable. Il pourrait donc se révéler « piégeux » pour certains prêteurs n’y prêtant pas suffisamment d’attention. Son étude présente tout son intérêt dans ce numéro spécial.
1. Un crédit gratuit est un crédit dépourvu de tout frais ou intérêt pour l’emprunteur. Pour l’étude qui nous occupe, nous nous intéresserons au crédit présentant une telle caractéristique et qui est accordé par un établissement de crédit ou une société de financement à un consommateur.
2. Cette hypothèse se retrouve notamment dans la grande distribution avec les hypermarchés ou les grandes surfaces spécialisées qui recourent parfois au système du « trois fois sans frais » bien connu. Dans ce cas, le prix d’achat du bien est étalé sur plusieurs mois sans aucun frais, c’est-à-dire sans que le client ait à payer un intérêt au prêteur, cet intérêt étant versé directement à ce dernier par le vendeur.
3. Mais ce crédit gratuit est-il encadré par le droit ? On se souvient que pour l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier : « Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie ». Le caractère onéreux paraît donc obligatoire pour être en présence d’un crédit légalement encadré. Tel n’est pourtant pas le cas : l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier a simplement pour objet de clarifier le contenu du monopole bancaire, et non de limiter les crédits régis par le droit.
4. Quel régime juridique appliquer dès lors ? Certainement pas celui relatif au crédit immobilier. En effet, l’article L. 313-2, 5° du code déclare que sont exclus de celui-ci les « opérations de crédit qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucun frais autres que les frais couvrant les coûts liés à la garantie du crédit »1. Le PTZ est logiquement concerné par cette solution2. En revanche, le droit du crédit à la consommation doit logiquement pouvoir s’appliquer au crédit gratuit. En effet, si l’on observe l’article L. 312-4 du Code de la consommation, qui prévoit des cas d’exclusion propres à ce régime, on notera qu’il n’écarte pas le crédit gratuit, mais vise simplement, à son 5°, le cas particulier des « opérations de crédit comportant un délai de remboursement ne dépassant pas trois mois qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucun frais ou seulement d’intérêts et de frais d’un montant négligeable »3. Le crédit gratuit peut donc être un crédit à la consommation, lorsqu’il présente un délai de remboursement plus long que trois mois4. Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit devra dès lors, dans un tel cas, respecter les mêmes formalités que pour tout contrat de crédit à la consommation (information précontractuelle, évaluation de la solvabilité, contenu du contrat, délai de rétractation, etc.).
5. Mais cela n’est pas tout. Notre droit prévoit, de plus, un certain nombre de dispositions s’adressant plus particulièrement à ce crédit gratuit5. Il est vrai qu’il suscite la suspicion car, s’il est un moyen promotionnel pour attirer le client, il peut, dans les faits, être utilisé de façon déloyale par les vendeurs. Le législateur a alors entendu favoriser le recours à ce crédit6, tout en en limitant les dangers. Les dispositions en question, dont la version actuelle découle de la loi n° 2000-737 du 1er juillet 2000 portant réforme du crédit à la consommation7, figurent aux articles L. 312-41 à L. 314-43 du Code de la consommation. Elles sont complétées par des sanctions civiles ou pénale mentionnées par les articles L. 341-4 et R. 341-7 à R. 341-9 du même code.
6. Celles-ci sont variées. Elles concernent tant la publicité du crédit gratuit (I), que l’attitude du vendeur (II), ou la passation concomitante d’un crédit à titre onéreux (III).
I – L’encadrement de la publicitédu crédit gratuit
7. L’article L. 312-41 du Code de la consommation prévoit que toute publicité, quel qu’en soit le support, qui porte sur une opération de crédit « dont la durée est supérieure à trois mois8 et pour laquelle ne sont pas requis d’intérêts ou d’autres frais » doit nécessairement indiquer le montant de l’escompte sur le prix d’achat éventuellement consenti en cas de paiement comptant et, surtout, préciser qui prend en charge le coût du crédit consenti gratuitement9. En effet, un crédit bancaire a nécessairement un coût, ne serait-ce que les frais de dossier ; il convient alors de savoir qui prendra en charge celui-ci.
8. On rappellera que cette prise en charge est variée selon les circonstances. Elle peut, d’abord, être réalisée par la banque elle-même. Il en ira notamment ainsi lorsqu’elle souhaitera développer sa part de marché dans un secteur d’activité particulier. Ensuite, le paiement de ce coût peut être effectué par l’État qui, pour des motifs d’intérêt général, souhaite abonder différents crédits. Enfin, et c’est le cas le plus fréquent en pratique, la prise en charge du prêt peut être assuré par le fournisseur de biens ou de services. Cette pratique est de nature à développer son chiffre d’affaires en aidant ses clients potentiels, qui ne peuvent pas payer comptant, à recourir à un crédit. Concrètement, le fournisseur interviendra en prenant directement en charge tout ou partie des intérêts dus par son client. Ainsi, on le voit, si le crédit gratuit l’est bien pour l’emprunteur, il ne l’est pas pour celui qui paie, ni d’ailleurs pour le banquier qui le consent et dont la rémunération est prise en charge par le payeur.
9. La violation de cette obligation d’information propre au crédit renouvelable est sanctionnée pénalement. En effet, pour l’article R. 341-7, le fait pour l’annonceur de diffuser ou faire diffuser une publicité non conforme aux obligations prévues par l’article L. 312-41 précité est puni d’une amende de 1 500 €. Les personnes morales reconnues coupable de la même infraction se verront imposer, quant à elles, une amende de 7 500 € au plus. Le tribunal pourra également ordonner, s’il l’estime utile, la publication du jugement et la rectification de la publicité aux frais du condamné.
10. Une recherche rapide sur les sites internet recensant les décisions notables (Légifrance, Lexisnexis, Lextenso, Dalloz, etc.), ne nous a pas permis de trouver de condamnation fondée sur un tel manquement. On ne sera toutefois pas surpris par ce constat : le droit pénal du crédit aux consommateurs ne donne que très rarement lieu à des décisions de justice10.
II – L’encadrement de l’attitudedu vendeur
11. Le crédit ne peut être effectivement gratuit pour l’emprunteur que si le prix du bien ou du service financé par ce crédit n’a pas été augmenté artificiellement dans le même temps. Dès lors, en vertu de l’article L. 312-42 du Code de la consommation, lorsqu’une opération de financement comporte « une prise en charge totale ou partielle des frais », le vendeur ne peut demander à l’acheteur à crédit ou au locataire une somme d’argent supérieure aux prix le plus bas effectivement pratiqué pour l’achat au comptant d’un article ou d’une prestation similaire, dans le même établissement de vente au détail, au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité ou de l’offre11.
12. Cette disposition, de bon sens, a pour objet d’éviter que le vendeur, intermédiaire en opérations de crédit, ne reporte sur le prix du bien vendu les dépenses pesant éventuellement sur lui, au bénéfice du banquier prêteur, au titre du crédit gratuit.
13. La portée de la disposition en question peut cependant susciter des interrogations à propos des frais envisagés par l’article. Que recouvrent-ils exactement ? Faut-il y inclure, par exemple, les frais de livraison ? Le doute persiste.
14. L’article R. 341-8 du Code de la consommation prévoit une sanction en la matière. En effet, selon cet article, le fait pour le vendeur de ne pas respecter les formalités prescrites à l’article L. 312-42 est puni de la peine pour les contraventions de la cinquième classe, soit 1 500 €. Les personnes morales encourent, ici encore, une amende de 7 500 €.
III – L’encadrement de la passation concomitante d’un crédit à titre onéreux
15. L’article L. 312-43 du Code de la consommation prévoit enfin que toute opération de crédit à titre onéreux proposée concomitamment à une opération de crédit gratuit ou promotionnel est conclue dans les termes d’un contrat de crédit distinct, sur support papier ou tout autre support durable, et ce conformément aux dispositions des articles L. 312-18 à L. 312-29 du Code de la consommation qui régissent, pour mémoire, la formation du contrat de crédit et l’information mentionnée par le contrat.
16. Le but de cette règle est simple : éviter que le bénéficiaire d’un crédit gratuit soit mis dans la quasi-obligation de contracter, en même temps, un crédit « classique », voire un crédit renouvelable. Ce dernier, qui sera bien à titre onéreux pour l’emprunteur, devra donc faire l’objet d’une convention à part, respectant le droit qui lui est applicable.
17. Deux types de sanctions sont envisagées ici par les textes. D’une part, il résulte de l’article L. 341-4 que le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l’emprunteur un contrat satisfaisant, notamment, aux conditions fixées par l’article L. 312-43 précité, est déchu du droit aux intérêts. D’autre part, d’un point de vue répressif, l’article R. 341-9 sanctionne le fait de ne pas respecter les mêmes formalités d’une amende de 1 500 €. Cette dernière est, ici encore, de 7 500 € pour les personnes morales.
18. Pour conclure, nous voici avec ce crédit gratuit en présence d’un crédit à la consommation spécial, au régime juridique bien particulier. Alors, certes, il n’a guère donné lieu jusqu’ici à des décisions jurisprudentielles. Néanmoins, cette absence de contentieux ne saurait remettre en cause l’utilité des dispositions spécifiques envisagées par notre droit le concernant. Il convient ainsi de lutter contre le risque d’abus de la part des différents intervenants, et notamment les vendeurs.
19. Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, aller encore plus loin dans la protection. L’abandon de l’expression « crédit gratuit », au profit de celle de « crédit rémunéré par autrui », plus conforme à la réalité, pourrait être selon nous une piste d’évolution utile, car de nature à limiter les confusions malheureuses12.
Notes de bas de pages
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1.
Pour un courant doctrinal, auquel nous souscrivons volontiers, il peut paraître « paradoxal d’exclure ce type de prêt aidé des règles du Code de la consommation, alors qu’il bénéficie à une clientèle modeste pour laquelle les dispositions de protection sont particulièrement légitime », Gourio A., « La réforme du crédit immobilier », JCP E 2016, p. 1362, n° 10.
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2.
V. dans ce numéro Lasserre Capdeville J., « Les nouveaux contentieux : le cas du PTZ », LPA 31 mai 2019, n° 141j0, p. 36.
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3.
Ce sera notamment le cas des facilités de paiement en 3 ou 4 fois sans frais prévues sur 3 mois.
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4.
C. consom., art. L. 312-41. Cette forme de crédit ne doit pas être confondue avec le crédit lié à l’octroi d’un cadeau. Rappelons ainsi que pour C. consom., art. L. 312-15, lorsque la conclusion d’une opération de crédit donne droit, ou peut donner droit, à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime en nature de biens ou services, la valeur de cette prime ne peut être supérieure à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé de l’Économie. Ce seuil est aujourd’hui de 80 € (arrêté du 30 novembre 2010 : JOAN, 2 déc. 2010, p. 21270).
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5.
Mendès-Gil Y., « Contrats de crédits spéciaux : crédit renouvelable, crédit affecté, regroupement de crédit, crédit gratuit », Dr et patri. 2010, p. 54. Concernant le droit antérieur à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, Gérard Y., « Crédit gratuit et promotionnel : vraies et fausses rémunérations », RD bancaire et fin. 2007, p. 89, table ronde.
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6.
Le législateur a, notamment, supprimé l’obligation d’octroyer un escompte sur les paiements au comptant en cas de crédit gratuit. Il ne s’agit plus, désormais, que d’une faculté.
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7.
V. JOAN, 2 juill. 2010, p. 12001. V. égal. dir. n° 2008/48/CE, 23 avr. 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, transposée par cette loi, qui n’envisage pas les crédits gratuits.
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8.
On observera que ne sont visés ici que les crédits dont la durée est supérieure à 3 mois : il n’y a donc pas d’incompatibilité avec l’exclusion de l’article L. 312-4, 5° (v. note 4), qui ne vise, quant à elle, que les opérations de crédit comportant un délai de remboursement ne dépassant pas 3 mois.
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9.
Avant la loi Lagarde, la disposition légale concernée prévoyait une dérogation au bénéfice des « prêts aidés par l’État destinés au financement d’une formation à la conduite et à la sécurité routière ».
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10.
Lasserre Capdeville J., « La double réforme du droit pénal du crédit aux consommateurs », AJ pénal 2016, p. 251.
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11.
Ici encore, antérieurement à la loi Lagarde, la disposition légale concernée prévoyait une dérogation au bénéfice des « prêts aidés par l’État destinés au financement d’une formation à la conduite et à la sécurité routière ».
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12.
Dans un sens proche, Bonneau T., « Crédit gratuit et promotionnel : vraies et fausses rémunérations », RD bancaire et fin. 2007, p. 89, n° 18, table ronde. Pour l’auteur, « l’usage du terme gratuit me paraît très critiquable et je pense que l’on devrait, en raison de son impact psychologique et de son attrait, en interdire l’usage sans interdire la prise en charge du coût du crédit par autrui ».