Compliance : tout savoir sur les enquêtes, contrôles et sanctions

Publié le 14/05/2019

Le 17 avril dernier, l’AFJE et l’ACE organisaient leur seconde journée consacrée au rôle des autorités de contrôle dans la compliance, après une première édition en 2018. Au programme : les contrôles, les enquêtes, les procédures transactionnelles, abordés du point de vue des autorités de supervision, judiciaires et administratives, mais aussi des entreprises elles-mêmes et de leurs conseils. Comme l’a souligné Marc Mossé, actuel président de l’AFJE, « le travail sur la conformité est de plus en plus important, pour les directions financières mais aussi à l’AFJE. Cela nous pousse, dans nos entreprises, à changer notre manière d’œuvrer, à renforcer la fonction juridique, mais aussi la logique de collaboration et les partenariats avec les avocats. Cela a une influence profonde sur notre façon de travailler, nous communauté de juristes, y compris dans la sécurisation des opérations économiques et sur la prévention des difficultés de compromis ». Delphine Gallin, présidente de l’ACE, a souhaité que cette journée permette aux participants de repartir « avec une boîte à outils, qui permettront de mieux anticiper les contrôles ou, du moins, d’aboutir à une juste application des principes de compliance ». Nous avons choisi de faire le point sur la coopération entre les différentes autorités de contrôle et comment les entreprises peuvent se préparer au mieux aux contrôles et aux enquêtes.

Les autorités de contrôle présentes à la journée organisée par l’AFJE et l’ACE le 17 avril dernier sur le rôle des autorités de contrôle dans la compliance offraient un panel très large de représentation : ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), AFA (Agence française anticorruption), AMF (Autorité des marchés financiers) ou encore ADLC (Autorité de la Concurrence). Chacune, avec des champs de contrôle et des prérogatives, a apporté son expertise et a détaillé son champ de compétences. L’ACPR, par la voix de Barbara Souverain-Dez, sa directrice juridique adjointe, a expliqué intervenir dans le secteur de la banque et de l’assurance. « Nous sommes en charge du contrôle, des établissements de crédit, de paiement, des sociétés de financement, et dans les assurances, les entreprises d’assurance, les mutuelles, les institutions de prévoyance. Nous intervenons également sur les intermédiaires, en assurance ou sur les opérations de banque et services de paiement, également les intermédiaires en financement participatif ». En tout, l’ACPR a un champ d’intervention sur environ 80 000 entités. Partie prudentielle, contrôle de la solvabilité, de la liquidité et fonds propres, mais aussi partie protection de la clientèle et lutte contre le blanchiment d’argent, autant de missions qu’elle remplit grâce à différents contrôles, permanents, ou lors de contrôles sur place (entre 250 et 300 contrôles par an). « Nos priorités de contrôles sont déterminées en fonction des sujets d’actualité, et les profils de risque sont définis selon un certain nombre d’informations. Par exemple, en matière de contrôle du blanchiment et lutte contre le terrorisme, l’ACPR évalue le risque inhérent à l’entreprise en prenant en compte son activité, ses clients, ses produits, son réseau de distribution, sa zone géographique, mais aussi les systèmes de gestion et les procédures de contrôle interne mises en place. Mais elle reçoit également des informations de la part d’autres autorités, au niveau national, européen ou même international ».

Du côté de l’AMF, Sophie Baranger, secrétaire générale adjointe des directions des enquêtes et des contrôles, a également présenté son autorité, en charge de la surveillance du bon fonctionnement de la protection des marchés, de la protection de l’épargne investie, de la qualité de l’information qui est diffusée au marché. « Pour réaliser ces missions, nous mettons en œuvre des contrôles et des enquêtes. Concernant les enquêtes, il s’agit, la plupart du temps, d’abus de marché (manipulation de cours, diffusion de fausses informations au marché ou manquement d’initié). C’est la surveillance des marchés qui peut déclencher une enquête (avec un système d’alerte automatique en cas, par exemple, de hausse brutale de cours juste avant la communication d’une société qui annonce un contrat majeur) ». Chaque année, 1,5 milliard de transactions sont filtrées par l’AMF. Du côté des contrôles, elle a distingué trois populations distinctes à surveiller : les conseillers en investissement financier (près de 5 000 personnes physiques ou morales), les sociétés de gestion de portefeuille qui gèrent les fonds (environ 650 sociétés de gestion) mais aussi tous les autres prestataires de services d’investissement. À l’AMF, il existe ainsi deux types de contrôles, thématiques ou sur alerte. « Ce dernier cas de figure est lié à la surveillance régulière des acteurs mais nous avons également développé en 2018 une cellule de contrôle thématique, qu’on appelle SPOT (supervision des pratiques opérationnelles et thématiques). Il s’agit de mener en batterie plusieurs contrôles sur plusieurs acteurs, sur un thème défini », a-t-elle expliqué. Leur objectif ? Mettre en avant, à l’occasion d’une synthèse rendue publique, les bonnes et mauvaises pratiques, rencontrées lors de ces contrôles. Là encore, dans une perspective d’amélioration des pratiques, « non pas dans une optique répressive, mais plutôt préventive ».

Quand on parle de lutte contre la corruption, le rôle de l’AFA est indispensable. Salvator Erba, sous-directeur du contrôle, a expliqué procéder au contrôle des décisions judiciaires comme des contrôles dits d’initiatives. Les décisions de l’AFA s’appuient sur des lignes directrices simples, se basant sur la loi Sapin 2 pour amener les grandes entreprises françaises à muscler le jeu de leur conformité sur le terrain de l’anticorruption. « Nous nous intéressons en priorité aux grandes entreprises françaises, et celles qui sont internationalisées. Nous sommes conscients que certains secteurs d’activité sont plus exposés que d’autres à la corruption et au trafic d’influence, notamment la finance, le BTP, les industries extractives, les TIC, les industries de santé…L’AFA compte sur un effet de diffusion en contrôlant des entreprises que l’on sait regardées par leurs pairs, dans leur secteur, pour chercher l’effet maximum du contrôle. Enfin, nous prenons en compte des signalements que l’on juge crédibles ».

Enfin, acteur historique du développement de la conformité en France, l’ADLC a apporté, par la voix de Stanislas Martin, son rapporteur général, une approche un peu différente. En effet, si depuis 2009 jusqu’à l’année dernière, les entreprises qui prenaient des engagements de conformité, bénéficiaient d’une réduction de sanctions, l’ADLC a abandonné cette pratique, estimant que « son rôle un peu initiateur ne se justifiait plus aujourd’hui ». Les enquêtes qui sont réalisées par l’autorité permettent de détecter et de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles. « Les sources des informations que l’on peut recevoir sont multiples. Il y a d’abord les saisines (des clients, des concurrents), sachant qu’aujourd’hui, en l’état du droit, nous n’avons pas l’opportunité des poursuites donc nous sommes censés traiter l’ensemble des saisines reçues. Dès 2020, en revanche, avec la transposition de la directive ECN + (qui vise à doter les autorités de concurrence européennes des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence), l’ADLC aura l’opportunité des poursuites et pourra donc prioriser son activité ». Mais elle reçoit aussi des informations par le biais de la DGCCRM (40 % des décisions de sanctions) comme de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes. « En 2019, nous avons prévu de mettre en place une plate-forme de signalements externes donc il y aura moyen, via notre site de signaler des pratiques anticoncurrentielles ». L’exemple de l’ADLC montre combien la coopération entre autorités fait sens.

Une coopération renforcée entre autorités

En effet, parfois les champs de compétences convergent et donnent lieu à une coopération entre autorités de contrôle. Ainsi l’ACPR peut-elle avoir une compétence complémentaire avec d’autres autorités, notamment pour la protection de la clientèle. « Sur ce point, nous sommes très proches de la protection du consommateur, nous pouvons donc agir en complément de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et de l’AMF (notamment sur la protection des épargnants) ». Dans ce cadre, une coopération a été institutionnalisée, notamment avec l’AMF, grâce à la création d’un compte commun : « désormais nous pouvons coordonner nos priorités de contrôle, être amenés à pratiquer des contrôles ensemble, chacun sur notre domaine de compétences. Par exemple, l’intermédiaire d’assurance est à la fois intermédiaire d’assurance, mais également intermédiaire en banque et services de paiement, et également conseiller en investissement financier. Une seule et même personne porte ces différentes casquettes. Or, sur l’investissement financier, cela relève de la compétence de l’AMF, concernant l’intermédiaire en domaine bancaire, cela dépend de l’ACPR. Nous pouvons être amenés à se partager des informations », explique Barbara Souverain-Dez. « De la même façon, et même si nous n’avons pas de compte commun, nous collaborons avec la DGCCRF notamment dans le cadre de la vente à distance. Des contrôles, des enquêtes ont été menés, dont certains peuvent être menés ensemble auprès de la même personne (en pratiques commerciales) ». La directrice juridique de l’ACPR a également évoqué la coopération avec l’AFA. « Lorsque nous menons des contrôles et des enquêtes, et que nous constatons que les diligences des commissaires aux comptes n’ont pas été nécessairement optimales, on informe le H3C (Haut commissariat aux comptes) du dossier en question, qui décide s’il met le mandat en contrôle ou s’il le traite en enquête. Autres collaborations : la DGCCRF, notamment sur des montages défiscalisants, la loi Girardin (défiscalisation en Outre-Mer), la DGFIP (sociétés qui ont vocation à contourner des problématiques en matière d’imposition) et avec le pénal (comme avec la Banque de France).

L’AMF parle également d’une coopération opérationnelle, mais aussi transverse, « c’est-à-dire que nous échangeons régulièrement lors de formations communes sur les pouvoirs d’enquête, les techniques et afin d’avoir des pratiques convergentes. Il existe des réflexions en cours pour mutualiser du matériel, des logiciels, etc. Sur les échanges de données, le Code de commerce comporte un article qui permet à l’Autorité de la concurrence d’accéder à tout document détenu par les services et établissements de l’État », a expliqué Stanislas Martin. Et de citer également des échanges d’informations réguliers avec la Cour des comptes, les parquets et les juridictions. « L’AFA, en tant que service de l’État, peut nous fournir des informations sans nous voir opposer le secret professionnel ».

Les entreprises face aux contrôles et enquêtes

Mais si Sergio Sorinas, avocat chez Herbert Smith Freehills, se réjouit de constater une « coopération entre les autorités » et une transparence dans les protocoles de coopération, il n’en reconnaît pas moins, que pour les entreprises, la perspective d’un contrôle ou d’une enquête peut être très anxiogène. L’avocat a partagé son expérience, sur ce qu’il connaît le mieux, c’est-à-dire les enquêtes de concurrence. « Ce qui est le plus contraignant, c’est évidemment les descentes de l’Autorité de la concurrence, les visites et saisies sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD). Un matin, des agents de l’Autorité se présentent dans les locaux de l’entreprise, accompagnés d’officiers de police judiciaires, et parfois d’agents de la DGGCRF. Du côté des entreprises, c’est une expérience très traumatisante », a-t-il reconnu. Et de détailler les agents qui fouillent les ordinateurs, les saisies intégrales des boîtes mails… créant beaucoup de stress pour les entreprises et leurs collaborateurs. Mais une fois ce mauvais moment passé, les jours suivants vont charrier eux aussi leur lot de préoccupations. Quand l’Autorité va publier son communiqué, même avec des entreprises anonymisées, elle donne en général une bonne idée des entreprises visées. Les conséquences ne se font pas attendre : les partenaires commerciaux, les fournisseurs, les clients vont naturellement se questionner. D’où l’importance de s’y préparer, grâce à une formation par les juristes internes ou par les conseils, qui permet de détailler le déroulé d’une enquête comme de donner des outils. Ainsi aux yeux de Sergio Sorinas, il faut « éviter une situation de panique ». Pour ce faire, il faut prévenir la direction juridique et les avocats, puis conduire les inspecteurs dans une salle de réunion, mettre à leur disposition ce dont ils ont besoin, enfin constituer une équipe dédiée avec des anges-gardiens qui suivront chacun des inspecteurs. Mais aussi, précise l’avocat, « informer les entreprises des pouvoirs d’investigation des inspecteurs tout comme des limites de ces pouvoirs (notamment la protection de la correspondance avec un client) et s’assurer que les recherches qu’ils font correspondent bien à l’objet de l’enquête ». Il a bien évidemment énoncé les « don’t » à garder à l’esprit : obstruction, entrave, destruction ou modification de documents, ou encore bris de scellés sont à bannir… Tout comme d’éviter de laisser l’inspecteur seul dans l’entreprise… Sophie Baranger, secrétaire générale adjointe des directions des enquêtes et des contrôles de l’AMF, a ainsi évoqué la gravité de l’entrave, qui peut être sanctionnée par la commission des sanctions de l’AMF, ce qui a été fait assez récemment face à un dirigeant qui a détruit 38 000 e-mails, assurant aux régulateurs qu’il n’était pas en mesure de présenter ses messages…

En complément, Karine Demonet, directrice conformité et contrôle Interne chez BPI France, a partagé, non sans humour, son expérience des contrôles et enquêtes. « Nous ne sommes jamais prêts, par définition, ce n’est jamais le bon moment », a-t-elle reconnu. Elle confirme que cette perspective génère du stress, parfois chez les meilleurs éléments qui peuvent perdre littéralement leurs moyens. Par ailleurs, conséquence en cascade, « un contrôle ou une enquête génère une charge de travail très conséquente, bien sûr pour l’équipe juridique ou conformité, mais aussi pour un certain nombre de directions qui ne sont pas habituées à échanger avec les régulateurs et qu’il faut former à ces questions ». En bonne habituée des contrôles – sur les 18 derniers mois, le BPI a accueilli l’AFA, l’ACPR, la Banque Centrale européenne et l’Autorité de marchés financiers –, elle a pourtant estimé que les différentes autorités ne communiquaient pas tant que cela sur le fond des dossiers, au vu des questions qui se répétaient mot pour mot lors de chaque « descente ».

Des chartes et des guides gratuits existent pour mieux informer les entreprises de leurs droits, comme c’est le cas sur le site de l’AMF, mais aussi de l’AFA. Se pose évidemment la question des suites. À ce titre, après rédaction du rapport définitif où des manquements n’auraient pas été levés dans le cadre du contradictoire, l’AFA peut émettre un avertissement (forme d’invitation ferme à se mettre en conformité dans un délai donné) ou de saisir la commission des sanctions.

La garantie des droits de la défense et respect du principe du contradictoire

Dans le cadre d’un contrôle ou d’une enquête, Karine Demonet souligne l’importance du contradictoire, qui permet « d’exercer notre droit de réponse, afin de contre-argumenter ». Mais elle ne peut s’empêcher de reconnaître une forme de frustration face à un régulateur qui peut, ou non, modifier son rapport en fonction des éléments complémentaires qui ont été apportés.

Du côté du droit, Sergio Sorinas estime que sur les opérations de visites et saisies, « les garanties procédurales sont plutôt satisfaisantes » : les entreprises peuvent se faire assister par un avocat lors de la visite, reçoivent une copie de tout ce qui a été saisi et ont des voies de recours (contre l’ordonnance du JLD qui a autorisé les opérations du juge de saisies, et, s’il y a eu des incidents, contre le déroulement des visites et saisies). Mais il a aussi fait part de sa plus grande inquiétude : le recours à la procédure pénale pour rechercher des preuves de pratiques anticoncurrentielles. À ses yeux, si l’interaction entre le juge pénal et l’Autorité de la concurrence n’est pas nouvelle, désormais le fait que les agents de l’Autorité peuvent recevoir une commission rogatoire du juge d’instruction, réduit les garanties procédurales pour les entreprises. En effet, dans ces cas de figure, l’Autorité va « contourner » la procédure habituelle. « Il n’y aura pas de droit pour l’avocat d’assister l’entreprise, l’entreprise ne recevra pas de copie de ce qui a été saisi et il n’existe pas de voie de recours contre le déroulement de la perquisition. C’est choquant : in fine, l’objectif de l’Autorité est de récupérer le dossier, au moins en ce qui concerne la personne morale. En principe, le juge pénal ne peut poursuivre que des personnes physiques. Toutes les preuves collectées dans le cadre d’une procédure pénale vont être récupérées par l’Autorité pour ensuite mener sa procédure contre les personnes morales », a-t-il expliqué. Son propos a été contesté par Stanislas Martin, qui estime que « du point de vue de la justice, il semble plus pertinent de mener une seule enquête » !

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