Précisions relatives à la restitution de l’indemnité d’éviction et de réinstallation par les preneurs d’un local commercial

Publié le 21/06/2019

Le preneur d’un local commercial évincé est tenu de restituer l’indemnité de réinstallation perçue en cas d’ineffectivité de sa réinstallation. L’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.

Cass. 3e civ., 28 mars 2019, no 17-17501

1. Afin de garantir la stabilité de l’activité économique du commerçant personne physique ou personne morale1, le législateur a consacré plusieurs mesures dites favorables au commerçant parmi lesquelles la durée2 déterminée du bail commercial3 et le droit au renouvellement du bail commercial4. Ce dernier principe admet toutefois des exceptions. Un preneur peut être privé du droit au renouvellement du bail commercial si le bailleur lui verse une indemnité d’éviction indispensable pour le trouble commercial dont il a été victime et plus tard sa réinstallation. Une question mérite d’être soulignée à ce niveau : un locataire, évincé et bénéficiaire de l’indemnité d’éviction, est-il tenu d’utiliser cette indemnité à des fins exclusives de sa réinstallation ? Une telle problématique a été soumise aux juges de la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 28 mars 2019. En l’espèce, deux parties contractantes signent un bail commercial. Évincés du local commercial, les locataires (M. et Mme X) sollicitent et obtiennent par décision irrévocable le versement des indemnités dites de remploi, de trouble commercial et de déménagement. Le bailleur (SCI Carlton) assigne les locataires devant les juridictions de fond dans le but d’obtenir le remboursement des indemnités. Saisie du litige, la cour d’appel d’Aix-en-Provence donne gain de cause au bailleur. En effet, par arrêt rendu le 28 février 2017, la cour entérine la restitution des indemnités par les locataires. Ces derniers forment un pourvoi contre cette décision. Pour M. et Mme X, les locataires ne sont guère tenus de restituer l’indemnité de réinstallation. Car la décision qui la leur accorde a l’autorité de la chose jugée. D’après les défendeurs au pourvoi, l’indemnité de réinstallation n’ayant pas été utilisée à sa fin doit être restituée. Il s’agit pour la SCI d’une répétition de l’indu exclue pour les sommes versées en exécution d’une décision de justice devenue irrévocable. Au-delà de la mise en exergue de la valeur d’une décision ayant autorité de la chose jugée, la problématique essentielle ici se rapporte à la finalité du versement de l’indemnité de réinstallation du preneur d’un local commercial évincé. Peut-on condamner un locataire à la restitution de l’indemnité d’éviction qui lui a été versée s’il ne s’est pas ultérieurement réinstallé ? La Cour de cassation répond par l’affirmative. Elle relève expressément que : « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des évènements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ». Cette décision de la haute juridiction condamne le preneur du local commercial à la restitution de l’indemnité indûment reçue (I). Cette décision est juridiquement fondée (II).

I – La condamnation des preneurs du local commercial à la restitution des indemnités d’éviction et de réinstallation

2. L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 28 mars 2019 est dénué d’ambiguïté. À la question de savoir si un locataire peut être condamné à restituer l’indemnité d’éviction acquise grâce à une décision devenue définitive alors qu’il ne s’est guère réinstallé, la Cour de cassation répond par l’affirmative. Elle condamne sans ambages le preneur du local commercial en affirmant que : « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ». Si cette condamnation du locataire au remboursement de l’indemnité de réinstallation demeure le fondement de la décision, la haute juridiction met également en lumière l’inopposabilité de l’autorité de la chose jugée vis-à-vis du remboursement.

A – L’ineffectivité de la réinstallation

3. En ce qui concerne la condamnation des locataires au remboursement des indemnités, la Cour de cassation fait état de l’ineffectivité de la réinstallation des locataires. D’après les dispositions relatives au bail commercial, le locataire qui se trouve privé de l’usage d’un local commercial nécessaire à son activité commerciale doit obtenir une indemnité relative aussi bien à cette éviction qu’à sa future réinstallation. Dans le cas d’espèce, l’arrêt rendu le 17 juin 2010 a irrévocablement condamné les bailleurs à verser des indemnités dites de remploi, de trouble commercial et de déménagement à M. et Mme X du fait de leur éviction. Ayant constaté que les locataires ne se sont guère réinstallés, les bailleurs ont aussitôt initié une procédure judiciaire visant le remboursement des indemnités du fait de leur défaut de réinstallation. Le succès de leur action repose sur la répétition de l’indu. C’est une action qui permet à l’acccipiens de demander au solvens de rembourser ou restituer quelque chose qui lui a été donné à tort ou qui n’était pas dû. La condamnation des locataires à la restitution de l’indemnité se justifie par leur non-réinstallation dans un local commercial. Si l’on part du postulat suivant lequel l’indemnité versée avait pour finalité le financement de la location d’un nouveau local commercial, il relève de l’évidence que le versement de cette indemnité se trouve dénué de finalité, car M. et Mme X ont arrêté l’activité commerciale et n’ont point la volonté de se réinstaller. Une question mérite toutefois d’être soulignée : en matière de baux commerciaux, le bailleur a-t-il le droit de scruter l’usage de l’indemnité d’éviction versée au local évincé ? Aucunement. Cependant, la lecture stricto sensu des textes de lois applicables aux baux commerciaux requiert l’usage de l’indemnité conformément à l’objectif légal visé. Force est donc de constater que le défaut de réinstallation des locataires M. et Mme X constitue un non-respect de la loi en matière de baux commerciaux et justifie par conséquent leur condamnation à la restitution des indemnités.

B – L’inopposabilité de l’autorité de la chose jugée

4. En ce qui concerne l’inopposabilité de l’autorité de la chose jugée, la Cour de cassation le relève dans son arrêt de rejet. Afin de ne pas rembourser les indemnités de remploi, de déménagement et de réinstallation, les demandeurs au pourvoi indiquent que « la répétition de l’indu est exclue lorsque les sommes ont été versées en exécution d’une décision de justice devenue irrévocable ». Pour ces derniers, le caractère irrévocable de l’arrêt du 17 juin 2010 est manifeste. Cet arrêt leur accorde de manière solennelle des indemnités. Cela étant dit, une action en répétition de l’indu ne saurait remettre en cause les sommes acquises par une décision de justice devenue définitive. Leur argumentaire est sévèrement rejeté par les juges de la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui rappellent : « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu’ayant relevé que, postérieurement à la décision du 17 juin 2010, M. et Mme Y ne s’étaient pas réinstallés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». Très concrètement, tout en reconnaissant le principe de l’autorité de la chose jugée, les juges de la haute juridiction relativisent ce principe dès lors que divers faits postérieurs altèrent la situation judiciairement établie. Autrement dit, une situation entérinée par décision de justice ne saurait demeurer immuable si l’on observe des modifications postérieures à ladite situation tel le non-respect de la loi. Le cas de figure de l’arrêt du 28 mars 2019 est illustratif. Ayant reconnu des droits par décision de justice, les bénéficiaires desdits droits ne se sont guère conformés à la loi puisque les sommes d’argent reçues pour procéder à la réinstallation de leur commerce n’ont pas été utilisées à cette fin. En approuvant l’orientation de la juridiction de fond, la Cour de cassation le note clairement : « postérieurement à la décision du 17 juin 2010, M. et Mme Y ne s’étaient pas réinstallés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». Ce non-respect de la loi justifie de manière indubitable la condamnation des preneurs du local commercial à la restitution des indemnités de réinstallation.

5. De ce qui précède, il apparaît que la condamnation des locataires à restitution des indemnités reçues pour leur réinstallation est légale dès lors que la réinstallation n’a guère eu lieu. Cette condamnation est juridiquement fondée.

II – Une décision juridiquement fondée

6. La lecture de la décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 28 mars 2019 permet d’affirmer qu’elle s’est articulée sur deux fondements juridiques : la loi et la jurisprudence. En effet, l’arrêt du 28 mars 2019 est conforme d’une part à l’article L. 145-14 du Code de commerce et, d’autre part, à la jurisprudence en la matière.

A – Le fondement légal de l’arrêt

7. S’agissant du fondement légal de la décision, il convient de noter que l’indemnité d’éviction est réglementée par l’article L. 145-14 du Code de commerce. D’après l’alinéa 1er de ce texte de loi, « le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ». Dans le même ordre d’idées, l’article L. 145-17 du Code de commerce dispose que : « le bailleur peut refuser le renouvellement sans être tenu au paiement d’aucune indemnité : 1° s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant (…) ». Ces textes de loi mettent en lumière le droit du bailleur de refuser un renouvellement sans versement d’indemnité d’éviction et de réinstallation lorsqu’un motif grave est soulevé vis-à-vis du locataire. Dans le cas d’espèce, un reproche – motif grave – peut-il être fait aux époux X locataires ? Une lecture extensive des textes de loi précités permettrait de répondre par l’affirmative. En matière de baux commerciaux, le principe demeure le droit au renouvellement du bail pour le preneur du local commercial. Par exception, en cas de refus du renouvellement du bail, le preneur « malheureux » a droit au versement d’une indemnité5. À cette exception, il convient de relever l’exception suivant laquelle en cas de manquement commis par le preneur, celui-ci perd le droit à l’indemnité. Cette dernière exception semble correspondre au cas de figure soumis aux juges de la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Ayant perçu une indemnité de réinstallation suite au refus du droit au renouvellement, les époux X ne se sont guère réinstallés. Bien qu’il s’agisse d’un manquement post-contractuel au bail, le reproche fait aux locataires est notoire. Ils ont perçu l’indemnité de remploi, de déménagement et de réinstallation sans se réinstaller. Approuvant la décision de la cour d’appel, la Cour de cassation relève que « M. et Mme Y ne s’étaient pas réinstallés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». Cette position de la troisième chambre civile de la Cour de cassation est conforme à sa position antérieure.

B – Le fondement jurisprudentiel de l’arrêt

8. S’agissant du fondement jurisprudentiel de la décision, il convient d’entrée de jeu de souligner l’importance de la problématique relative à l’indemnité d’éviction pour la haute juridiction. Elle s’est ainsi prononcée soit sur son évaluation6, soit sur son versement ou alors sur le défaut de réinstallation y afférent. Aux termes de l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation7 le 17 novembre 2016, les juges ont clairement relevé : « le bailleur est tenu d’indemniser le preneur évincé d’un fonds non transférable des frais de recherche d’un nouveau droit au bail, de réinstallation et de mutation à exposer pour l’acquisition d’un fonds de même valeur, sauf s’il établit l’absence de réinstallation de la société locataire ». En l’espèce, la société Les Salines s’est substituée au cessionnaire du fonds de commerce de la société BHW en liquidation judiciaire. Elle est preneuse d’un local à usage commercial et d’habitation. Le contrat de bail ayant pris fin par l’effet d’un congé sans offre de renouvellement, Mme X, bailleresse a été déclarée débitrice de l’indemnité d’éviction. Contestant le paiement de l’indemnité d’éviction, la bailleresse soulève l’exception selon laquelle le fonds de commerce n’a jamais été exploité par la société Les Salines. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour de Versailles en ce qu’elle rejette la demande de remploi formée par la société locataire. Pour la haute juridiction, le bailleur est tenu de verser l’indemnité d’éviction pour non-renouvellement sauf s’il est établi « l’absence de réinstallation » du locataire. D’après une interprétation a contrario de cette jurisprudence, l’absence de réinstallation du preneur évincé d’un local commercial décharge le bailleur de son obligation de lui verser une indemnité de remploi, de déménagement et de réinstallation. Une lecture a contrario peut également être faite de l’arrêt rendu par la même juridiction le 2 décembre 19988. Dans le cadre de cette affaire, le bailleur avait donné au locataire un congé avec refus de renouvellement d’un terrain à usage commercial. Attendu pour inclure les frais de remploi et autres dans l’indemnité d’éviction, la cour d’appel a indiqué que ces frais sont dus « en toute hypothèse ». La Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel. Ici encore, l’indemnité d’éviction versée au locataire ne pourrait être constituée des frais de réinstallation qu’en cas de réinstallation du locataire. Force est donc de constater que la réinstallation du locataire évincé d’un local/terrain à usage commercial est la condition sine qua non du versement de l’indemnité d’éviction, de remploi, de déménagement et de réinstallation audit locataire. L’indemnité perçue par les locataires sans être ultérieurement réinstallés tel que le relève à bon escient l’arrêt du 28 mars 2019 constitue un indu, sujet à répétition.

9. Au-delà de sa conformité aux dispositions du Code de commerce relatives aux baux commerciaux et décisions précédemment rendues en la matière, cet arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile, est empreint d’équité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lucas F.-X. et Poracchia D., Manuel de droit commercial, 2018, PUF, Droit fondamental, n° 227+56666.
  • 2.
    V. Santurat M.-L. et Moneger J. « Durée du bail commercial », Loyers et copr. 2014, dossier 3 ; Pygauthier J.-L. « Durée et fin du bail commercial après les lois Pinel et Macron », JCP N 2016, 1085.
  • 3.
    La durée du bail commercial est de 9 ans renouvelable.
  • 4.
     Le droit au renouvellement du bail est régi par les articles L.145-8 et suivants du Code de commerce.
  • 5.
    Le calcul de cette indemnité tient compte de plusieurs paramètres.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 26 sept 2001, n° 00-12620.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-19741.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 2 déc. 1998, n° 97-11791.
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